2. Des perspectives alarmantes

La nécessité d'un recensement et d'une évaluation plus larges des charges se fait partout ressentir. Les départements ont d'ailleurs mis en place, de leur propre initiative, des Observatoires des transferts de charges et de compétences qui intègrent ces problématiques.

a) La poursuite des mouvements transferts sans cohérence d'ensemble

Il n'était pas possible à vos rapporteurs de traiter la question des transferts de personnels sans aborder deux dossiers d'actualité véritablement problématiques pour les collectivités territoriales.

Les deux opérations exposées ci-après mériteraient chacune une étude à part entière compte tenu des difficultés qu'elles révèlent. Le présent rapport se limite à quelques observations générales concernant des transferts engagés sans réflexion d'ensemble ni méthodologie et qui se révèlent, au final, particulièrement dispendieux.

(1) Le « ratage » des MDPH

Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont été créées par la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des chances et des droits, afin de devenir les interlocuteurs uniques des personnes handicapées et les accompagner dans leurs démarches.

Les missions qui leur ont été confiées sont donc très larges : elles portent sur l'information, l'accueil et l'écoute des personnes handicapées, l'aide à la définition de leur projet de vie, l'évaluation des demandes, les décisions d'attribution de droits, prestations et orientation et, enfin, l'accompagnement et le suivi de la mise en oeuvre desdites décisions.

Pour pouvoir coordonner l'ensemble des interventions en faveur du handicap, la forme juridique qui a été retenue pour les MDPH, à l'issue d'une large concertation, est celle d'un groupement d'intérêt public (GIP), sous tutelle administrative et financière du département, dont sont membres de droit le département, l'État, les organismes locaux d'assurance maladie et d'allocations familiales. Chaque MDPH est ainsi administrée par une commission exécutive à laquelle participent les membres de droit, des représentants d'associations de personnes handicapées (pour un quart des membres) et, le cas échéant, des représentants des autres membres du groupement prévus par la convention constitutive.

Dès leur mise en place, en 2006, le fonctionnement de ces maisons a été entravé par de nombreuses difficultés, provenant en particulier de l'instabilité de leurs personnels et de la diversité de leurs statuts.

La création des MDPH faisait intervenir trois ministères (Affaires sociales, Travail et Éducation nationale) dont les personnels avaient vocation à rejoindre une nouvelle institution décentralisée, placée sous la présidence du président du conseil général et dont le directeur est nommé par celui-ci.

Pour les personnels, la loi prévoit un régime dérogatoire aux règles prévues dans tous les autres cas de décentralisation, à savoir la mise à disposition de droit commun par les parties constitutives du GIP.

Ce transfert s'est heurté d'emblée à la défiance des personnels, tant vis-à-vis de cette structure singulière que desdites règles de la mise à disposition fondées sur le volontariat.

Ce choix a été aggravé par les instructions ministérielles qui ont reconnu aux agents un droit de retour illimité dans le temps, en surnombre , dans leur administration d'origine et sans avoir besoin de motiver leur choix, comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes d'octobre 2009.

Malgré la très forte implication des conseils généraux et de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), ce statut a révélé de nombreux inconvénients liés à :

- la durée de mise à disposition limitée à 6 ans par la convention signée avec les MDPH ;

- la possibilité pour les personnels de réintégrer à tout moment leur administration d'origine avec un préavis court de trois mois ;

- la distinction problématique entre l'autorité fonctionnelle et hiérarchique ;

- la difficulté d'obtenir la mise à disposition par l'État du nombre de postes prévu par la convention constitutive et leur compensation financière lorsqu'ils ne sont pas pourvus.

Au final, le bilan est très critiquable et le dispositif donne une impression de désordre complet.

Au plan des personnels concernés, l'état des lieux est délicat compte tenu de la pluralité des ministères concernés. Pour les ministères sociaux (Solidarité et Travail) le nombre d'emplois temps plein (ETP) concernés s'élevait à environ 1 500 ETP. Pour ces derniers, le taux de couverture par les personnels d'État des effectifs des MDPH est de l'ordre de 50 % avec une baisse par rapport à 2006 en raison des départs en retraite non remplacés, la réintégration dans les administrations d'origine et par ailleurs des mutations géographiques.

Au niveau financier, le calcul de la compensation financière n'est pas non plus facile pour plusieurs raisons : la difficulté de suivre chaque année le « taux de couverture » du fait de l'instabilité des effectifs; les engagements financiers des ministères sur les actions déconcentrées qui ont dû diminuer d'environ 10 % l'an passé etc...

La compensation par l'État s'est opérée par étape à partir des trois programmes budgétaires (handicap, travail, santé). Chaque année, elle a dû donner lieu à des discussions pour augmenter les ressources allouées par le budget initial (+ 7 millions d'euros au PLF 2010). Au total, en 2010, l'évaluation du dispositif est de 50 millions €, y compris les frais de fonctionnement. Pour 2010, 4 à 5 millions sont nécessaires d'ici la fin de l'année et il reste un passif de dettes, au titre des années 2008 et 2009, de l'ordre de 15 millions €.

Au niveau des usagers, le dispositif manque totalement de visibilité . Les services ministériels reconnaissent que « la remontée d'informations » est difficile car la mise en place, délibérément rapide, n'a pas permis un suivi de certaines données homogènes sur tout le territoire.

Le service rendu aux usagers est insatisfaisant car le fonctionnement actuel des MDPH est d'une grande lourdeur administrative sur le plan des délais de traitement des dossiers même si la dématérialisation en cours des procédures devrait améliorer cette situation. Ainsi, la loi fixe à quatre mois le maximum, mais à l'intérieur de la prestation de compensation, il y a plusieurs composantes, dont les délais peuvent aller jusqu'à sept mois. Par ailleurs, 5 % des décisions occupent 80 % du temps des agents et il n'y a toujours pas de mutualisation de cette instruction approfondie pour les autres prestations.

L'avenir des MDPH dont les deux tiers des ressources sont apportés par l'État et la CNSA reste préoccupant. L'État s'est interdit, d'une certaine manière, de contrôler, avec la décentralisation, la manière dont étaient mises en oeuvre les prestations, alors que le financement est assuré par la solidarité nationale, et qu'il reste le garant de l'égalité de traitement et le seul en mesure d'évaluer l'impact de cette politique. La question du partage des compétences et du financement entre les collectivités publiques n'a pas été clarifiée.

Vos rapporteurs espèrent que l'adoption définitive de la proposition tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, de M. Jacques Blanc, permettra de sauvegarder cette institution.

(2) Les errements du transfert des parcs de l'équipement

L'autre dossier en cours qui donne le sentiment d'une irrationalité préoccupante est celui des parcs de l'équipement.

En principe, la loi du 26 octobre 2009 relative au transfert aux départements des parcs de l'équipement et à l'évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers est venue parachever le transfert de services prévu par la loi du 13 août 2004, qui a notamment assuré le transfert de quelque 30 000 agents des directions départementales de l'équipement.

Mais la question du statut conféré aux ouvriers des parcs et ateliers, qui a été au coeur des discussions préparatoires à cette réforme, n'a pas abouti à un véritable consensus.

La solution d'abord retenue par le Gouvernement était la création d'un quasi-statut commun entre l'État et les départements. Ainsi, l'article 10 du projet de loi initial instituait une nouvelle catégorie d'agents publics dotés du statut d'agent contractuel de droit public à durée indéterminée, destinée à accueillir les ouvriers des parcs et ateliers.

Le 21 mai 2008, le CSFPT avait eu à se prononcer sur ce dispositif qui n'avait recueilli aucun vote favorable. Le motif de ce rejet résidait dans le fait qu'il n'était pas protecteur pour les ouvriers des parcs et ateliers et qu'il constituait une remise en cause des statuts des personnels fonctionnaires ne favorisant pas leur intégration au sein de la fonction publique territoriale.

La loi du 26 octobre 2009 relative au transfert aux départements des parcs de l'équipement et à l'évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers a finalement posé sur les principes suivants :


• transfert dans tous les départements, sauf en Guyane où le parc travaille très majoritairement (80%) pour l'État ;


• à partir d'un cadre commun défini par la loi, les modalités du transfert relèvent du niveau local et d'un système conventionnel ;


• en cas d'échec de la démarche conventionnelle et de défaut de signature de la convention avant le 1er juillet 2010, le transfert se fera par un arrêté pris après avis d'une Commission nationale de conciliation, constitué à parité de représentants de l'État et de représentants des collectivités intéressées et présidée par un conseiller d'État.

Le transfert de chaque parc repose donc sur l'obligation pour la collectivité de reprendre au minimum une partie du parc constituant une entité fonctionnelle et correspondant à sa part d'activité. Toutefois le département qui le souhaite peut se voir transférer plus que sa part d'activité dans le cadre d'un transfert partiel ou global du parc.

En ce qui concerne les personnels :


• pour les OPA : le projet de loi prévoyait une solution innovante de statut commun entre la FPE et la FPT qui a été abandonnée lors de l'examen par le Sénat au profit d'une mise à disposition sans limitation de durée avec possibilité d'intégrer la FPT dans un délai de 2 ans à compter de la date la plus tardive entre la date de transfert du parc et la date de publication du décret fixant les modalités de cette intégration ;


• pour les fonctionnaires et les personnels non titulaires, les mêmes conditions que pour les agents affectés dans les services transférés dans le cadre de la loi LRL sont prévues, à savoir la mise à disposition avec droit d'option pour les fonctionnaires et l'affectation avec les stipulations de leur contrat pour les PNT.

Aujourd'hui, le fait que les conventions aient été signées dans 95 départements (31 en première vague et 64 en seconde) est le signe de l'engagement des conseils généraux.

Par ailleurs, dans le cadre de la deuxième vague de transfert, la mise en place, dès le mois de juin 2010, d'une démarche de pré-positionnement des agents qui a consisté à définir, dans le cadre d'un processus codifié et contradictoire, leur future affectation, a largement contribué à donner aux agents une visibilité sur leur avenir professionnel. Du point de vue des effectifs, la première vague de transfert des parcs de l'Équipement, qui a porté sur 31 parcs, concerne 1 740 agents dont 1 524 personnels ouvriers.

Mais la longueur de la procédure de transfert apparaît désorganisatrice et démotivante. Les décrets d'application de la loi du 26 octobre devant préciser les modalités d'intégration dans les cadres d'emploi de la FPT, les conditions du maintien de la rémunération globale et l'instauration, le cas échéant, d'une indemnité compensatrice, n'ont toujours pas été publiés.

Par ailleurs, le volet financier est imprécis .

Concernant la compensation financière des effectifs devant être transférés en surnombre, le Gouvernement a souhaité inscrire dans la loi la perspective affichée d'un transfert total des ouvriers des parcs et ateliers. Pourtant, la règle posée est que les effectifs transférés devront correspondre aux effectifs de l'activité assurée pour les besoins des départements au moment de ce transfert. Aussi, la question de la charge financière correspondant aux personnels transférés en surnombre reste entière et risque de conduire à des transferts a minima dans de nombreux départements.

Les modalités de compensation devraient être présentées à une réunion de la CCEC qui devrait se tenir en fin d'année. Les modalités s'inspireraient en grande partie des modalités mises en oeuvre pour les transferts LRL tout en tenant compte de la spécificité du Compte de commerce des parcs de l'Équipement car, selon les services concernés, les charges supportées par le compte de commerce n'auraient pas vocation à faire l'objet de compensations de l'État.

b) Les dérives financières inéluctables

A ce constat déjà alarmant, s'ajoutent les effets d'autres transferts indirects.

(1) Les transferts « sournois »

Ces transferts sournois sont liés à trois phénomènes simultanés en cours : l'impact de la restructuration des services de l'État, « l'incontinence réglementaire » de l'État qui se poursuit, voire s'accroit, et les transferts rampants.

Sur le premier point, c'est la réforme déjà bien avancée des services déconcentrés de l'Équipement en matière routière qui inquiète. Les DIR et les services régionaux ne devraient plus compter que 9 000 agents.

Toutes les directions départementales sont en train de se doter d'une nouvelle organisation. Or, avec des formes diverses, elles se caractérisent par « un resserrement » des implantations territoriales. Ces restructurations inquiètent les départements car plusieurs conséquences pourraient en résulter :

- un risque pour le service de proximité : la fermeture des circonscriptions, si elle touche surtout les prestations aux petites communes de moins de 10 000 habitants, n'épargnera pas non plus les prestations techniques offertes aux départements et le contact avec les élus ; ils s'interrogent en particulier sur l'activité « des points d'appui locaux » ;

- le champ laissé libre aux bureaux d'études : tandis que les DDE se désengagent, les élus constatent « la montée en puissance » des bureaux d'études implantés dans les grandes villes et de leurs antennes locales ; ceci accroît l'écart entre les collectivités ayant la possibilité de s'adresser à des bureaux d'études et les autres.

Concernant « l'incontinence réglementaire » des administrations d'État, dont les conséquences sont particulièrement prégnantes dans les domaines de l'aide sociale et de la fonction publique : comme l'a montré le rapport sur la compensation des transferts de compétences de nos collègues Yves Krattinger et Roland du Luart au nom de la Délégation, la charge cumulée de ces obligations réglementaires s'élève à plusieurs millions d'euros chaque année;

Quant aux transferts « rampants », qui désignent l'ensemble des décisions de l'État qui entraînent une augmentation des charges pesant sur les collectivités territoriales, sans qu'elles puissent prétendre à une compensation financière de l'État, le cas de la sécurité publique illustre le mieux cette problématique : la fermeture d'une gendarmerie nationale ou d'un commissariat conduit les communes à renforcer leur police municipale afin de répondre aux attentes des citoyens en la matière. Or, le renforcement des polices municipales n'est pas une obligation légale des communes mais relève du principe de libre administration des collectivités territoriales. C'est pourquoi elles ne peuvent prétendre à une compensation financière de l'État.

(2) Dans un contexte très dégradé pour les finances locales

On constate donc un effet de ciseaux de plus en plus marqué : des dépenses de fonctionnement qui augmentent et des recettes qui diminuent.

Depuis 2004, année du transfert du RMI, on constate que l'évolution des dépenses de fonctionnement est plus rapide que celle des recettes de cette même section.

Compte tenu des contraintes exogènes qui pèsent sur la plupart des dépenses de fonctionnement (ainsi que de leur rigidité) et du peu d'élasticité des recettes de fonctionnement, l'équilibre budgétaire est partout menacé.

En conséquence, comme elles ne peuvent indéfiniment recourir à l'emprunt et, d'autre part, qu'il semble inopportun d'augmenter lourdement la pression fiscale, la dernière option est de réduire la capacité d'investissement de la collectivité territoriale.

Toutes les conséquences des transferts de personnels, et plus largement des transferts de compétences, pour les collectivités territoriales sont donc loin d'avoir été mesurées.

En conclusion, ce bilan qui devra nécessairement être complété fait apparaître :

- au-delà de leurs effets organisationnels immédiats, un impact structurel considérable sur les collectivités territoriales;

- des perspectives financières alarmantes, liées au déficit cumulé résultant des insuffisances du dispositif de compensation initialement prévu et aux multiples effets indirects des transferts opérés, le tout intervenant dans un contexte dégradé pour les finances locales.

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