B. DÉFINIR UNE PROCÉDURE DE MOBILISATION DES RENFORTS INDIVIDUELS EN CAS DE CRISE

La mission a considéré qu'en cas de crise par nature soudaine et imprévue, le fait que le cadre juridique de convocation des réservistes ne permette pas de mobilisation immédiate ou à l'horizon de quelques jours était un problème.

Comme il a été souligné dans les chapitres précédents, dans le code de la défense, les réserves sont construites autour du modèle du programme prévisionnel d'activités et conçues pour une activité programmée à l'avance et non pour un rappel d'urgence.

Or comme le souligne le Livre blanc « En cas d'événement majeur, la totalité des moyens proches, y compris les réserves opérationnelles, doit pouvoir être engagée immédiatement »110 ( * ).

La mission estime avec le Livre blanc qu'on ne peut pas abandonner l'idée de pouvoir mobiliser dans un délai raisonnable des renforts dans des situations exceptionnelles.

La mission considère que les pouvoirs publics ne pourraient se passer d'une telle possibilité que si nous avions la certitude qu'étant donné les performances des forces armées, de nos services de sécurité et de secours, aucun événement n'était susceptible d'interrompre gravement la continuité du fonctionnement des services publics.

Or personne ne peut affirmer que, quelles que soient l'intensité et la durée d'une crise, les armées, les services de sécurité et de secours ne seront jamais débordés par l'ampleur d'une catastrophe.

Pour ne prendre qu'un exemple, le cyclone Katrina à la Nouvelle Orléans a montré que les services de secours et de sécurité de la première puissance mondiale pouvaient être totalement dépassés par une catastrophe naturelle dont la survenue avait été pourtant anticipée. Malgré la mobilisation de 14 300 militaires déployés lors de la première semaine, de 22 000 réservistes 4 jours après la catastrophe, de 50 000 une semaine après, il y eut 1 330 décès, 2 000 disparus, un million de déplacés.

Un des enseignements des retours d'expérience des crises liées aux catastrophes naturelles est que lorsque quelques minutes sont nécessaires dans un environnement numérisé pour transmettre des consignes, plusieurs jours peuvent être nécessaires dans un contexte de communications terrestre et numérique dégradées.

Dans ce type d'environnement, des effectifs importants sont essentiels pour assurer la continuité de commandement et rétablir le fonctionnement normal des pouvoirs publics.

Un autre enseignement des gestions de crise en matière de catastrophes naturelles ou technologiques est la charge considérable que constituent le déplacement et l'hébergement de populations qu'il est nécessaire d'évacuer. On estime que la crue de la Seine pourrait conduire à l'évacuation de 800 000 personnes.

Dans ce cas, qui peut dire que le renfort des réserves à pied d'oeuvre en moins de 3 jours ne sera pas nécessaire ?

On peut d'autant moins écarter la possibilité que nos armées et nos forces de sécurité et de secours se trouvent localement débordées, que les réductions continues du nombre des fonctionnaires, en raison des contraintes budgétaires récurrentes, ont conduit à réduire considérablement le format des forces armées et des forces de secours.

L'application du droit commun avec 30 jours de préavis peut difficilement apparaître comme un délai raisonnable pour une crise majeure.

Le constat effectué sur la réactivité des réserves rejoint celui du Livre blanc sur la défense qui souligne qu'en France « ni les pouvoirs publics, ni la société ne sont suffisamment préparés à faire face à des crises majeures ».

Dans le cas des réserves militaires, la situation constatée s'explique par le fait que la montée en puissance de la nouvelle réserve, son intégration au sein des forces actives, son ouverture à la société civile, et la mise en oeuvre de cette profonde mutation ont fait porter l'effort sur l'organisation de l'emploi des réservistes en appoint du travail quotidien des forces, dans un contexte où le territoire national n'était plus menacé. La vocation de renfort de la réserve en situation de crise s'en est trouvée partiellement occultée.

C'est pourquoi il convient aujourd'hui, tout en saluant le travail considérable accompli pour la mise en place des réserves militaires et civiles, de veiller à ce que notre dispositif soit adapté à une situation de crise majeure.

Partant de ce constat, la mission a été amenée à réfléchir à l'opportunité d'un régime juridique d'exception temporaire définissant en cas de crise majeure, des règles de mobilisation des réserves dérogatoires du droit commun.

Cette réflexion a été menée par la mission, en concertation avec le SGDSN, qui a animé pendant plusieurs mois un groupe de travail sur la mise en oeuvre de la recommandation du Livre blanc relative à la création d'une réserve de sécurité nationale.

La direction de la protection et de la sécurité de l'Etat du SGDSN a animé ce groupe de travail composé de représentants des différents ministères concernés par la problématique des réserves ainsi que de représentants du secrétariat de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. La mission a repris l'essentiel des conclusions du groupe.

L'idée qui se dégage de ces travaux est de ne pas modifier l'organisation des différentes réserves au quotidien, mais de définir un régime spécifique aux cas d'événement majeur.

Ce régime d'exception ne concernerait que les citoyens engagés dans les réserves militaires et civiles ainsi que les disponibles.

La mission n'a pas souhaité se lancer dans une rénovation des régimes juridiques d'exception (guerre, état de siège, état d'urgence, mobilisation et mise en garde) et de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence et en déclarant l'application en Algérie. Elle estime cependant que ce chantier devrait être ouvert, les dispositions de cette loi n'étant plus adaptées ni à l'état de notre droit ni à celui de notre société 111 ( * ) .

L'idée est d'offrir aux forces armées et aux administrations disposant de réserves civiles un régime juridique qui leur permette de mobiliser en plus des forces actives immédiatement engagées dans la gestion de la crise, des forces de réserves dans un délai rapide et pour une période plus longue que celle prévue dans le cadre d'activités programmées.

Les travaux ont donc conduit à l'élaboration d'un projet de cadre juridique qui fait l'objet de la proposition de loi annexée au présent rapport.

Ce cadre juridique permet aux ministères de pouvoir déroger, en cas de crise d'ampleur exceptionnelle, aux règles habituelles de convocation et de durée d'emploi, tout en créant une obligation pour les réservistes et les employeurs.

Ce dispositif dit « de réserve de sécurité nationale » serait distinct des régimes juridiques d'exception tout en s'insérant dans le même chapitre du code de la défense dédié aux régimes d'application exceptionnelle.

Le déclenchement du dispositif de réserve de sécurité nationale serait du ressort du Premier ministre en cas de crise majeure dont l'ampleur met en péril la continuité des services de l'Etat, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation.

Le schéma dans lequel se situe la mission est celui d'une extrême nécessité qui pourrait naître d'un événement majeur qui toucherait directement ou indirectement l'ensemble de la communauté nationale. Certes l'appréciation du caractère majeur est laissée à la responsabilité du Premier Ministre. Les critères relatifs à la continuité des services de l'Etat et la sécurité de la population peuvent se prêter à interprétation, mais ne peuvent pas non plus être évoqués pour n'importe quel événement, fut-il d'une importance majeure pour un territoire donné. La mission a en tête des crises comparables à celles liées aux attentats du 11 septembre 2001 ou à l'ouragan Katrina.

La mission considère que le recours à la contrainte doit être réservé à des événements majeurs qui, par leur ampleur ou leur durée, saturent les capacités des forces d'active des armées, des forces de protection civile et de secours.

Elle estime que, pour les événements de moindre importance, le recours aux forces d'active sur l'ensemble du territoire devrait pouvoir être mis à contribution, éventuellement complété par ceux des réservistes qui se seront spontanément déclaré disponibles.

Les règles dérogatoires définies dans le dispositif de réserve de sécurité nationale concernent le préavis de convocation et la durée d'emploi. Les réservistes pourraient être convoqués sur très court préavis, de l'ordre de quelques jours. Les durées d'emploi seraient adaptées aux besoins identifiés par l'autorité civile.

Par ailleurs, les réservistes seraient dans l'obligation de rejoindre leur affectation, sous peine d'amendes. Les réservistes employés au sein d'une entreprise dont le fonctionnement est jugé essentiel par l'autorité civile pourraient, sous certaines conditions, déroger à cette obligation.

La mission juge essentiel de garantir aux citoyens et aux entreprises qu'en cas de mobilisation des réservistes, les salariés indispensables au bon fonctionnement des grands opérateurs, notamment dans le domaine des télécommunications, de transport et de l'énergie, ne puissent être réquisitionnés afin qu'ils contribuent dans leur poste à la gestion de la crise et au rétablissement de la situation au sein de leur entreprise.

Le dispositif proposé précise que les prérogatives des ministères en matière de gestion de leurs réservistes sont strictement respectées. Les réservistes sont ainsi convoqués et employés par le ministère dont ils dépendent, en cohérence avec les besoins exprimés par l'autorité civile chargée du traitement de la crise.

Il ne s'agit donc pas d'un dispositif de mobilisation générale de l'ensemble des réservistes à l'image de ce que furent les journaux de mobilisation, mais de la possibilité donnée aux ministères concernés, par le Premier ministre, de réquisitionner leurs réservistes en cas de crise majeure en fonction de leurs besoins.

Ce dispositif permettrait d'offrir à ceux des réservistes, dont la vocation et le souhait sont de s'engager pour la collectivité nationale dans un moment où elle est durement touchée, de pouvoir opposer à leur employeur un cas de force majeure et une protection juridique.

Le décret du Premier ministre pourrait définir les réserves concernées, la ou les zones de défense visées, le délai de mobilisation et la durée envisagée de façon à ce que le rappel soit adapté au besoin.

Les réservistes concernés par un plan de continuité d'activité pourraient, en fonction de la crise, déroger à l'obligation de rejoindre leur affectation. Cela permet en partie de régler le problème de la double appartenance sans définir un régime d'incompatibilité qui pèserait sur l'activité ordinaire.

Ce régime juridique d'exception temporaire présente au yeux de la mission l'avantage d'accroître la réactivité des forces de réserves sans alourdir de façon démesurée les contraintes auxquelles sont soumis les réservistes et les employeurs, dans la mesure où il ne sera activé qu'en cas de crise majeure.

Le dispositif proposé a été intégré dans une proposition de loi en annexe du présent rapport qui tend à insérer dans le code de la défense 7 nouveaux articles, article L. 2171-1 à L. 2171-7, définissant un dispositif de réserve de sécurité nationale prévoyant notamment que :

« En cas de survenance, sur tout ou partie du territoire national, d'une crise majeure dont l'ampleur met en péril la continuité des services de l'état, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation, le Premier ministre peut recourir au dispositif de réserve de sécurité nationale par décret.

« Le dispositif de réserve de sécurité nationale a pour objectif de renforcer les moyens mis en oeuvre par les services de l'état, les collectivités territoriales ou par toute autre personne de droit public ou privé participant à une mission de service public.

« Il est constitué des réservistes de la réserve opérationnelle militaire, de la réserve civile de la police nationale, de la réserve sanitaire, de la réserve civile pénitentiaire et des réserves de sécurité civile.

« Art. L. 2171-2. - Le décret mentionné à l'article L. 2171-1 précise la durée d'emploi des réservistes, laquelle ne peut excéder trente jours consécutifs. Cette durée d'activité peut être augmentée dans des conditions et selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat.

« L'engagement du réserviste arrivant à terme avant la fin de la période d'emploi au titre de la réserve de sécurité nationale est prorogé d'office jusqu'à la fin de cette période. »

La mission propose dans ce cadre d'instaurer une dérogation pour les réservistes concernés par un plan de continuité d'activité. Le texte proposé par la mission prévoit qu'  « en cas de nécessité inhérente à la poursuite de la production de biens ou de services ou à la continuité du service public, les réservistes employés par un opérateur public ou privé mentionné aux articles L.1332-1 et L. 1332-2 peuvent être dégagés de ces obligations».

La mission propose d'instaurer un financement particulier pour les journées effectuées dans le cadre du dispositif de sécurité nationale.

Le recours aux réservistes en cas de crise majeure ne peut être limité par des considérations liées au nombre de jour maximal susceptible d'être effectués par un réserviste ou par le caractère très limité des budgets des réserves.

Dès lors il faut prévoir que « Les périodes d'emploi réalisées au titre du dispositif de réserve de sécurité nationale ne sont pas imputables sur le nombre de jours d'activité pouvant être accomplis dans un corps de réserve. »

Cette disposition devrait permettre de justifier le recours à un fonds exceptionnel, comme c'est aujourd'hui le cas lorsqu'un événement majeur occasionne des dépenses exceptionnelles.

La mission propose, en outre, d'insérer dans le livre du code de la défense consacré aux réserves militaires un article L. 4211-1-1 relatif à la participation des réservistes militaires au dispositif de réserve de sécurité nationale.

La mission préconise, par ailleurs, de réfléchir à l'établissement d'une obligation de réalisation de plan de continuité au sein des opérateurs d'importance vitale.

Le dispositif de sécurité des activités d'importance vitale est inséré dans le code de la défense (notamment ses articles R. 1332-1 à 1332-42, pris sur le fondement de ses articles L. 1332-1 à 1332-7). Il constitue le cadre permettant d'associer les opérateurs, publics ou privés, au système national de protection contre le terrorisme, d'analyser les risques et d'appliquer les mesures de leur niveau en cohérence avec les décisions des pouvoirs publics.

Or aujourd'hui ces opérateurs ne sont pas tenus de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la continuité de leur activité en cas de crise majeure (plan de continuité d'activité / plan de rétablissement d'activité).

Or la mission a constaté que les pouvoirs publics devaient pouvoir être en mesure d'affirmer des priorités entre les obligations liées à la réserve et celles résultant de plans de continuité d'action.

Dès lors il lui apparaît nécessaire, même si cela dépasse l'objet de son étude, de mettre en chantier une actualisation du service de défense.

Comme le souligne le Livre blanc « Ce système, créé à la fin des années 50, souffre sous sa forme actuelle d'insuffisances importantes. Bien qu'adapté en 1999, il n'est pas mis en oeuvre. Son dispositif juridique le lie étroitement à des situations, comme la mobilisation, devenues aujourd'hui improbables. Enfin, il ne comporte pas d'obligation en matière de formation, ni de préparation ».


* 110 Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale page 71

* 111 Pour mémoire l'article 1 de cette loi prévoit que « L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, de l'Algérie, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. », l'article 6 prévoit que « le ministre de l'intérieur dans tous les cas et, en Algérie, le gouverneur général peuvent prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret visé à l'article 2 dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics des circonscriptions territoriales visées audit article. L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. En aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées à l'alinéa précédent. L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. »

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