B. CRÉER DES DÉCLARATIONS D'INTÉRÊTS POUR ASSURER LA TRANSPARENCE DES ENGAGEMENTS DES PARLEMENTAIRES

En vue de garantir la confiance des citoyens en leurs représentants et de renforcer la crédibilité de l'action menée par les Assemblées, le groupe de travail a estimé nécessaire d' assurer la transparence des intérêts détenus par les parlementaires .

Dans cette optique, vos co-rapporteurs se sont prononcés, de manière unanime, en faveur de l'institution de déclarations d'intérêts. De telles déclarations, loin d'avoir une vocation punitive ou stigmatisante, devront avoir pour objectif d'inciter les parlementaires à s'interroger sur l'incidence des intérêts qu'ils détiennent en dehors de leur mandat sur les décisions qu'ils prennent dans le cadre de ce même mandat : elles seront donc non seulement un instrument de contrôle, mais aussi un outil pédagogique.

Proposition n° 4

Soumettre l'ensemble des parlementaires à l'obligation de souscrire une déclaration d'intérêts.

Ainsi, afin de garantir à la fois la sincérité et la précision des déclarations d'intérêts dont ils recommandent la création, vos co-rapporteurs ont estimé nécessaire de dresser une typologie des intérêts qui devront y être retracés -et qui répondent à la définition des conflits d'intérêts qu'ils ont élaborée- : les déclarations devront ainsi faire état des intérêts matériels des parlementaires, présents et passés, et de certains des intérêts détenus par leurs proches.

1. La portée de la déclaration d'intérêts

La forme et le contenu de la déclaration d'intérêts découlant des objectifs qui lui seront assignés, il convient avant tout de définir la portée de cette nouvelle déclaration.

* Éviter la nomination de personnes ayant des intérêts forts dans les domaines concernés par un texte

Si un parlementaire n'a, en votant individuellement, qu'une emprise limitée sur la décision prise in fine par le Parlement, certains membres des Assemblées ont à l'inverse un pouvoir décisif sur le contenu du texte : tel est notamment le cas des personnes nommées rapporteurs sur une proposition ou sur un projet de loi.

Dans cette optique, le groupe de travail estime que les déclarations d'intérêts devront permettre, dans toute la mesure du possible, d'éviter qu'une personne ayant des intérêts forts dans un secteur ne soit nommée sur un texte concernant ce même secteur : il s'agit, ce faisant, de faire en sorte qu'aucun soupçon de partialité ne vienne troubler la légitimité des choix du législateur, et qu'il ne puisse pas être contesté que ceux-ci sont la traduction de l'intérêt général. Cette mesure devra donc assurer la totale crédibilité des décisions prises par les Assemblées.

Proposition n° 5

Utiliser les déclarations d'intérêts des parlementaires pour éviter la nomination comme rapporteur d'une personne ayant des intérêts dans le secteur concerné par le texte.

Cette interdiction de principe ne doit toutefois pas interdire à un parlementaire détenteur d'intérêts dans un domaine d'intervenir dans des débats portant sur ce domaine : il serait en effet paradoxal que, au nom de la prévention des conflits d'intérêts, on empêche les parlementaires les mieux informés sur les problématiques d'un secteur de contribuer à l'élaboration de la norme et que l'on prive le législateur des compétences et des connaissances des membres du Parlement. La majorité de vos co-rapporteurs plaide donc pour que l'impératif d'impartialité des parlementaires soit interprété de manière rigoureuse, mais non rigoriste : l'application de ce principe devra donc être souple et adaptée à chaque cas particulier , sous peine d'empêcher de facto tous ceux qui ont eu une carrière professionnelle dans le secteur privé ou dans la sphère concurrentielle avant d'être élus d'avoir une carrière éminente au sein de leur Assemblée.

* Permettre l'instauration d'un contrôle par les pairs

Par ailleurs, il ne serait pas compréhensible qu'aucun mécanisme de contrôle ne soit instauré à l'encontre des parlementaires qui n'exercent, à un moment donné, aucune responsabilité particulière au sein de leur Assemblée. Ainsi, selon vos co-rapporteurs, le caractère collectif du pouvoir parlementaire (et donc la « dilution des intérêts) ne doit pas servir de prétexte à l'instauration d'un système dans lequel l'immense majorité des députés et des sénateurs ne serait soumise à aucune contrainte et ne ferait l'objet d'aucun mécanisme de contrôle.

Dès lors, les membres du groupe de travail ont estimé nécessaire que les parlementaires puissent, lorsqu'un amendement leur est présenté par un de leurs collègues, se faire une idée sur les raisons qui l'ont poussé à proposer l'adoption d'une telle disposition : il s'agit donc de renforcer la transparence du processus législatif en dévoilant l'origine et la portée des dispositions dont l'adoption est proposée au Parlement, et de permettre aux parlementaires de savoir si les propos tenus par l'un de leurs collègues ou les amendements qu'il dépose révèlent l'existence de liens d'intérêts avec une entité privée.

Les déclarations d'intérêts seront un outil précieux dans ce cadre, puisqu'elles permettront aux membres du Parlement de connaître les intérêts détenus par leurs pairs , et donc de s'assurer que l'action de certains de leurs pairs ne découle pas de causes extérieures à leur mandat 77 ( * ) .

Vos co-rapporteurs estiment que ce contrôle par les pairs ne doit pas créer une atmosphère de suspicion généralisée mais doit, au contraire, amener à un renforcement de l'autodiscipline : il semble en effet peu légitime que des parlementaires acceptent, quelle qu'en soit la cause, de déposer ou de soutenir des amendements rédigés par des groupes de pression ou par des organismes privés et qui ont pour seul but de favoriser un intérêt particulier.

* Traiter la question des « proches » des parlementaires

Vos co-rapporteurs estiment également que la déclaration d'intérêts doit être un outil privilégié pour éviter les conflits d'intérêts impliquant non pas le parlementaire lui-même, mais l'un de ses « proches ».

Ainsi, comme l'avait proposé M. Olivier Fouquet lors de son audition, un système proche du mécanisme des « réserves » utilisé par la commission de déontologie (et par lequel il est demandé, par exemple, à deux époux de s'abstenir chacun de réaliser certaines opérations ou certaines actions qui pourraient avoir une incidence directe sur les intérêts de l'autre) pourrait être mis en place. Ces réserves prendraient, concrètement, la forme d'une recommandation de l'autorité en charge de la déontologie, qui demanderait au parlementaire susceptible d'être placé en situation de conflit d'intérêts du fait des activités de l'un de ses proches, d'éviter de prendre position sur certains sujets.

Proposition n° 6

Utiliser un système de « réserves » pour éviter les conflits d'intérêts créés par les intérêts des « proches » des parlementaires.

* Sanctionner les élus s'étant placés en situation de conflit d'intérêts réel et grave

Les déclarations d'intérêts permettront également à l'organe en charge de la déontologie au Sénat de repérer les situations de conflit d'intérêts réel et grave et, le cas échéant, de les sanctionner. Elles ne seront toutefois qu'un outil parmi d'autres -et certainement pas le plus efficace, dans la mesure où un élu souhaitant favoriser son intérêt personnel s'attachera probablement à dissimuler ce même intérêt- et ne doivent en aucun cas être réduites à cette visée punitive.

* Refuser la mise en place d'une obligation de déport ex ante

En revanche, vos co-rapporteurs se sont majoritairement opposés à ce que les déclarations d'intérêts puissent être le support d'une obligation de déport, prononcée ex ante par l'organe en charge de la déontologie au Sénat.

Plusieurs personnes entendues par le groupe de travail ont en effet préconisé que l'autorité en charge de la déontologie pour le Sénat puisse, au vu des éléments contenus dans les déclarations d'intérêts, imposer à un sénateur de s'abstenir de participer au débat et au vote sur les textes qui concerneraient les intérêts qu'il détient et qui pourraient donc être directement à l'origine d'un bénéfice personnel ; cette proposition a été formulée par MM. Guy Carcassonne et Daniel Lebègue, président de la section française de Transparency international (ce dernier ayant toutefois reconnu, au cours de son audition, que la mise en application d'une telle obligation de déport serait extrêmement lourde et complexe).

Néanmoins, force est de constater que l'obligation de déport soulève, en fait comme en droit, de nombreux problèmes .

En premier lieu, et comme l'a particulièrement souligné M. Olivier Fouquet, la mise en place d'une obligation de déport (qui s'assimilerait, en pratique, à une véritable interdiction de voter) viderait le mandat parlementaire d'une large partie de son contenu : il semble ainsi difficilement imaginable qu'une autorité de déontologie, aussi légitime soit-elle, puisse interdire à un parlementaire, représentant de la souveraineté nationale, de faire ce pour quoi il a été élu. C'est d'ailleurs cet argument qui a, jusqu'à présent, interdit la mise en place d'une telle obligation de déport dans les pays étrangers : le groupe de travail relève à cet égard que, même dans les pays où une procédure de déport est prévue, le déport ne peut jamais être imposé à un parlementaire 78 ( * ) .

En outre, vos co-rapporteurs ont estimé qu'une procédure de déport obligatoire, loin de renforcer la transparence des procédures parlementaires, pourrait être utilisée de manière « politicienne » -notamment parce qu'il sera forcément complexe d'apprécier si l'intérêt détenu par l'élu est suffisamment fort, personnalisé ou intense pour justifier qu'il soit tenu écarté des débats et du vote. La mise en oeuvre de l'obligation de déport pourrait donc être vue, par l'opinion publique comme par certains parlementaires, comme une manière de manipuler les majorités en empêchant quelques élus de voter sur des textes ou sur des dispositions sensibles et dont l'adoption est incertaine : elle aurait donc probablement pour effet non pas d'améliorer la crédibilité du Parlement, mais de créer de nouvelles suspicions.

Enfin, l'obligation de déport poserait de lourds problèmes juridiques, dans la mesure où, en contraignant les parlementaires à se conduire d'une manière prédéterminée, elle s'apparente à un mandat impératif prohibé par l'article 27 de la Constitution . Une telle mesure risquerait donc d'être censurée par le Conseil constitutionnel.

Proposition n° 7

Ne pas instaurer une « obligation de déport » ex ante , par laquelle l'autorité en charge de la déontologie pour une Assemblée pourrait interdire préventivement à un parlementaire de participer aux débats et au vote sur un texte.

Toutes ces raisons ont incité vos co-rapporteurs, à une large majorité, à renoncer à instaurer une obligation de déport ex ante : il leur a ainsi semblé préférable de laisser les élus libres de choisir, ou non, de se déporter , et de prévoir que ceux qui auraient négligé d'utiliser cette possibilité alors même que leur participation aux débats les plaçait, de manière grave et manifeste, dans une situation de conflit d'intérêts, pourraient être sanctionnés.


* 77 Voir infra, dans les développements sur le degré de publicité des déclarations d'intérêts.

* 78 Rappelons, par exemple, que les comités en charge de la déontologie au Sénat américain et à la Chambre des représentants peuvent recommander à un parlementaire de se déporter, mais non l'y forcer, et que cette recommandation est strictement confidentielle et ne peut en aucun cas être révélée au public ou aux membres de l'Assemblée.

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