D. ÉTENDRE LES INCOMPATIBILITÉS PARLEMENTAIRES POUR MIEUX PRÉVENIR LES CONFLITS D'INTÉRÊTS

Par leur existence, les incompatibilités parlementaires empêchent les parlementaires de se trouver dans un certain nombre de situations susceptibles de générer des conflits d'intérêts. En prohibant l'exercice de certaines activités ou professions, elles empêchent les parlementaires de dépendre financièrement de certains intérêts privés pour leurs revenus. L'incompatibilité s'avère donc un mécanisme très efficace de prévention des conflits d'intérêts.

Aussi certains membres de votre groupe de travail ont-ils plaidé en faveur du principe maximaliste de l'incompatibilité absolue du mandat parlementaire avec toute activité professionnelle ou fonction extérieure, tout en admettant la difficulté à faire partager cette position à une majorité de leurs collègues. Au demeurant, un tel principe pourrait conduire à devoir considérer le mandat parlementaire comme exclusif de tout autre engagement, et donc incompatible, par exemple, avec un mandat électif local. Il serait difficile en effet de soutenir que le mandat parlementaire doit être exclusif de toute activité professionnelle, mais qu'il peut être cumulé avec des mandats locaux voire une fonction exécutive locale. Cette question relève en réalité davantage de la réflexion sur la disponibilité des élus -qu'il n'appartient pas à votre groupe de travail de conduire- que du débat sur la prévention des conflits d'intérêts.

A cet égard, votre groupe de travail tient fermement à rappeler que la notion de conflit d'intérêts n'est en aucun cas pertinente pour caractériser une situation de cumul de plusieurs mandats électifs : le conflit d'intérêts vise la divergence entre l'intérêt général et des intérêts privés et ne saurait concerner plusieurs intérêts publics, qu'ils soient nationaux ou locaux.

Il n'a pas paru raisonnable à votre groupe de travail, dans sa majorité, de proposer d'interdire l'exercice de toute activité professionnelle durant le mandat parlementaire au motif que cela permettrait de supprimer tout risque de conflit d'intérêts. Le mandat est par nature temporaire et il n'est pas une profession. Le parlementaire doit donc être en mesure, à l'issue du mandat, de pouvoir reprendre une activité professionnelle. Dans son principe, le cumul encadré de certaines activités professionnelles avec le mandat doit permettre ce retour à la vie professionnelle, dès lors qu'est prohibé l'exercice des activités ou fonctions qui peuvent porter atteinte à l'exercice du mandat. A titre d'exemple, on n'imagine pas qu'un chirurgien devenant parlementaire ne soit pas autorisé à continuer à exercer sa profession pendant toutes les années que dure son mandat puis soit capable de reprendre son activité sans avoir pu la pratiquer pendant ces années. Ainsi, une incompatibilité absolue avec toute activité professionnelle ne serait pas souhaitable car elle conduirait à exclure de facto du Parlement les membres de certaines professions qui requièrent une certaine continuité dans leur pratique. L'encadrement par des incompatibilités nouvelles ne doit donc concerner que les activités susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts.

Comme l'illustre l'actualité récente, la législation actuelle en matière d'incompatibilités a montré certaines insuffisances pour prévenir correctement le risque de conflit d'intérêts, insuffisances que certains aménagements permettraient de résoudre de manière satisfaisante. Les membres du groupe de travail estiment unanimement qu'il est nécessaire aujourd'hui de moderniser et renforcer le droit des incompatibilités parlementaires.

Votre groupe de travail propose par conséquent, d'une part, d'étendre la liste des activités professionnelles incompatibles par nature et, d'autre part, de plafonner les rémunérations et autres revenus perçus au titre de fonctions ou d'activités accessoires.

1. Étendre les incompatibilités parlementaires
a) Le cumul du mandat avec une activité de conseil et l'exercice d'une profession libérale réglementée

La possibilité pour des parlementaires en exercice d'accéder à la profession d'avocat et de l'exercer parallèlement à leur mandat a suscité des polémiques dans l'opinion publique. Ce cumul est autorisé actuellement par le code électoral et ne concerne d'ailleurs pas la seule profession d'avocat.

Le premier alinéa de l'article L.O. 146-1 du code électoral énonce en effet qu'un parlementaire ne peut « commencer à exercer une fonction de conseil qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat ». Le second alinéa y apporte une dérogation pour les parlementaires qui sont « membres des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ». Ces professions libérales réglementées englobent tant les notaires, les experts-comptables, les géomètres-experts, les architectes, les administrateurs et mandataires judiciaires, les huissiers de justice, les pharmaciens ou les médecins que les avocats. Ainsi, un parlementaire peut commencer à exercer au cours de son mandat une fonction de conseil qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat s'il elle est exercée dans le cadre d'une de ces professions. Puisqu'il s'agit d'une fonction de conseil, la principale profession libérale concernée est celle d'avocat.

Pour les raisons évoquées plus haut, votre groupe de travail a estimé, dans sa majorité, qu'il fallait permettre à un parlementaire ayant exercé une fonction de conseil de pouvoir continuer à l'exercer au cours de son mandat. Il serait en revanche contestable qu'un parlementaire puisse commencer une fonction de conseil pendant son mandat, considérant que le mandat pourrait être utilisé pour faciliter ces activités de conseil. Aussi votre groupe de travail propose-t-il de ne pas modifier le premier alinéa de l'article L.O. 146-1.

La problématique n'est pas la même pour les professions libérales réglementées, et singulièrement la profession d'avocat, qui peuvent, en l'état actuel de la législation, être exercées alors même qu'elles ne l'étaient pas avant le début du mandat. Le problème réside autant dans la compatibilité entre le mandat et l'exercice de la profession que dans la facilité d'accès à la profession pour les parlementaires (voir supra ). Ainsi, dans la période récente, le barreau de Paris a vu un certain nombre de parlementaires prêter le serment d'avocat alors qu'ils n'exerçaient pas cette profession avant leur mandat.

Autant il est improbable qu'un parlementaire puisse devenir médecin, notaire ou expert-comptable s'il ne l'était pas avant le début de son mandat, autant, du fait de cette réglementation propre à la profession d'avocat, il a la possibilité de devenir avocat relativement facilement. Cette facilité d'accès, qui n'est pas illégitime pour un ancien parlementaire, peut potentiellement conduire à des conflits d'intérêts entre l'intérêt général que doit poursuivre le parlementaire dans l'exercice de son mandat et les intérêts particuliers de ses clients dans l'exercice de sa profession d'avocat. L'article L.O. 149 du code électoral, qui interdit à un parlementaire avocat de plaider dans une affaire où est partie une personne publique ou une personne ayant des liens financiers avec l'État, ne résout évidemment pas cette difficulté.

Considérant qu'il n'y a pas lieu de modifier les conditions d'accès à la profession d'avocat 95 ( * ) , qui revêtent au demeurant une nature réglementaire, les membres unanimes de votre groupe de travail jugent nécessaire de supprimer la dérogation à l'incompatibilité avec l'exercice d'une fonction de conseil dont bénéficient les professions réglementées (et donc la profession d'avocat). Une partie des membres de votre groupe s'est interrogée sur l'éventualité d'un traitement différent des avocats d'affaires par rapport aux autres avocats, étant entendu que les avocats d'affaires ne forment pas une catégorie juridique définie par la loi.

Toutefois, la majorité des membres de votre groupe de travail a estimé que les parlementaires qui étaient membres d'une profession libérale réglementée avant le début du mandat devaient pouvoir, s'ils le souhaitent, continuer leur activité professionnelle. Certaines professions requièrent un savoir-faire technique qu'une longue absence de pratique ferait disparaître au point d'empêcher de facto le parlementaire de reprendre son activité professionnelle à l'issue de son mandat.

La situation particulière des avocats a toutefois été réservée, pour les parlementaires qui exercent cette profession avant le début de leur mandat. Une partie des membres de votre groupe de travail a considéré qu'il fallait rendre absolument incompatible le mandat parlementaire, ou seulement certaines fonctions exercées au sein du Sénat, avec l'exercice de la profession d'avocat. Une majorité des membres du groupe a souhaité qu'un parlementaire souhaitant poursuivre son activité d'avocat devrait demander une autorisation à cet effet, soit au Bureau du Sénat soit à l'autorité de déontologie compétente pour le Sénat. Cette autorisation de plaider -qui ne remettrait pas en cause les interdictions de plaider déjà prévues par le code électoral- pourrait être soit générale soit concerner des types particuliers de contentieux (affaire familiales par exemple). Elle pourrait aussi être limitée dans le temps et renouvelable.

Sur la question du cumul du mandat avec une activité de conseil ou l'exercice d'une profession libérale réglementée, la position, majoritaire voire unanime selon le cas, du groupe de travail se résume ainsi :

- maintien de l'interdiction de l'exercice de toute activité de conseil pendant la durée du mandat pour les parlementaires qui ne l'exerçaient pas avant le début du mandat ;

- possibilité de poursuivre pendant la durée du mandat l'exercice d'une fonction de conseil pour les seuls parlementaires qui l'exerçaient avant le début du mandat ;

- interdiction de l'exercice de toute profession libérale réglementée pour les parlementaires qui ne l'exerçaient pas avant le début du mandat ;

- possibilité de poursuivre pendant la durée du mandat l'exercice d'une profession libérale réglementée, hors la profession d'avocat, pour les seuls parlementaires qui l'exerçaient avant le début du mandat ;

- possibilité, sur autorisation expresse, de poursuivre pendant la durée du mandat l'exercice de la profession d'avocat pour les seuls parlementaires qui l'exerçaient avant le début du mandat.

Cette position conduit à proposer la suppression du second alinéa de l'article L.O. 146-1 du code électoral.

Proposition n° 25

Rendre l'exercice de nouvelles fonctions de conseil incompatibles avec le mandat parlementaire, même lorsque ces fonctions sont exercées dans le cadre d'une profession réglementée.

b) Le cumul du mandat avec une autre activité professionnelle

Pour les raisons de principe évoquées plus haut, dans sa majorité, votre groupe de travail n'a pas souhaité rendre incompatible toute activité professionnelle ou toute fonction extérieure avec le mandat parlementaire.

Une large majorité des membres de votre groupe de travail est favorable au maintien de la possibilité pour un parlementaire de conserver sa fonction de professeur d'université (article L.O. 142 du code électoral). Une majorité est également favorable à l'extension de cette dérogation au principe de l'incompatibilité du mandat parlementaire avec toute fonction publique aux fonctions connexes de professeur associé, maître de conférences et maître de conférences associé. Sur ce point, votre groupe de travail propose donc, par souci de cohérence, d'aménager la dérogation existante, qui se justifie par le principe constitutionnel d'indépendance des professeurs d'université et les franchises universitaires.

Proposition n° 26

Rendre les fonctions de professeur associé, de maître de conférences et de maître de conférences associé compatibles avec le mandat parlementaire.

En revanche, en vue de mieux prévenir les conflits d'intérêts, votre groupe de travail propose d'intégrer de nouvelles incompatibilités dans le code électoral concernant certaines activités professionnelles.

Ainsi, une large majorité des membres de votre groupe de travail est favorable à l'incompatibilité entre le mandat parlementaire et la présidence d'un syndicat professionnel. Par la représentation d'intérêts économiques qu'elle suppose, une telle fonction crée par nature de potentiels conflits d'intérêts entre l'intérêt général et les intérêts des entreprises regroupées dans cet organisme professionnel chargé de défendre leurs intérêts.

Proposition n° 27

Rendre la présidence d'un syndicat professionnel incompatible avec le mandat parlementaire.

Concernant les fonctions de direction, d'administration ou de surveillance dans une entreprise, en complément des incompatibilités prévues aux articles L.O. 143, L.O. 145, L.O. 146 et L.O. 147 du code électoral, les membres unanimes de votre groupe de travail ont considéré qu'il convenait d'interdire l'exercice de telles fonctions dans une entreprise recevant des subventions d'un État étranger comme dans une entreprise étrangère recevant des subventions de l'État français.

Proposition n° 28

Rendre l'exercice de fonctions de direction, d'administration ou de surveillance dans des entreprises percevant des subventions d'un État étranger incompatibles avec le mandat parlementaire.

En outre, ils ont également proposé que les incompatibilités de l'article L.O. 146, qui concernent les entreprises bénéficiant d'avantages de la part d'une personne publique ou travaillant pour une personne publique, les sociétés financières ou faisant appel public à l'épargne ainsi que les sociétés ayant un objet immobilier, soient étendues à toutes les sociétés-mères qui détiennent des participations dans ces sociétés et pas seulement, comme c'est le cas actuellement, aux seules sociétés dont la moitié du capital est constituée de participations dans de telles sociétés. Il s'agirait ainsi d'élargir le champ des sociétés-mères à toutes les sociétés « holding » quel que soit leur niveau de participation dans les sociétés visées à l'article L.O. 146.

Proposition n° 29

Rendre l'exercice de fonctions de direction, d'administration ou de surveillance dans des sociétés-mères des sociétés visées par le code électoral incompatibles avec le mandat parlementaire.

Il paraissait curieux en effet à votre groupe de travail que, du fait de ces dispositions, des fonctions exercées dans des sociétés se trouvant en réalité dans des situations très proches ne soient pas soumises au même régime.

En revanche, une large majorité de votre groupe de travail a jugé qu'il n'y avait pas lieu de rendre incompatible le mandat parlementaire avec des fonctions de direction exercées dans un parti politique, quelles qu'elles soient. En effet, la finalité politique du mandat parlementaire doit être, par nature, compatible avec l'exercice de telles fonctions.

Enfin, une majorité des membres de votre groupe de travail s'est montrée favorable à une nouvelle incompatibilité avec la présidence d'une autorité administrative indépendante, certains souhaitant la limiter aux seules autorités de régulation d'un secteur économique. Ne serait pas incompatible dans ces conditions l'appartenance au collège d'une telle autorité.


* 95 Voir supra.

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