B. UN DISPOSITIF QUI MÉRITE D'ÊTRE CONSOLIDÉ

Au terme de leurs travaux, il est ainsi apparu à vos co-rapporteurs que le dispositif des CEF méritait d'être conservé et étendu, afin de répondre aux demandes des juges des enfants, à condition néanmoins de faire l'objet d'un certain nombre d'aménagements. En particulier, un effort particulier devrait être consenti afin d'améliorer le pilotage du dispositif et le soutien aux équipes éducatives. Les échanges de « bonnes pratiques » entre établissements devraient également être encouragés.

Quant aux interrogations actuelles portant sur le public susceptible d'être accueilli en CEF, vos co-rapporteurs sont parvenus à la conclusion que ce dispositif devrait continuer à prendre en charge les adolescents les plus difficiles et que son extension ne devrait pas se faire au détriment des autres modes de prise en charge de la PJJ, lesquelles offrent des solutions éducatives adaptées - et bien moins coûteuses pour les deniers publics ! - pour des mineurs primodélinquants dont le profil ne nécessite pas un placement dans un centre fermé.

1. Assouplir le cahier des charges sans remettre en cause la priorité accordée aux mineurs les plus difficiles
a) Une extension aux primodélinquants à n'envisager qu'à titre exceptionnel

Au vu des résultats jugés encourageants, le Gouvernement envisage actuellement de modifier le cahier des charges des CEF afin de permettre d'y placer également des mineurs primodélinquants 21 ( * ) . Une telle extension a également été préconisée par M. Yvan Lachaud, député chargé d'une mission sur le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs par le Président de la République.

Vos co-rapporteurs ont pu constater au cours des auditions et des déplacements qu'une telle perspective suscitait des réserves.

Tout d'abord, comme l'a notamment indiqué l'équipe de direction du CEF de Saint Venant, élargir le public des CEF aux primodélinquants modifierait substantiellement le projet pédagogique de ces établissements, dont la vocation première est de réinculquer à des mineurs présentant de graves carences éducatives les fondamentaux de la vie en société et de réinscrire ces derniers dans un parcours scolaire ou professionnel. Accueillir des mineurs ne présentant pas des difficultés de cette nature rendrait nécessaire une adaptation du travail effectué par l'équipe éducative.

Mmes Evelyne Monpierre et Marie-José Marand-Michon, représentantes de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), ont également considéré qu'il convenait de réserver les CEF aux mineurs les plus difficiles, ayant déjà mis en échec plusieurs mesures de prise en charge, sans pour autant être totalement hermétiques à un travail éducatif. Les mineurs moins difficiles devraient pour leur part continuer à pouvoir être placés en foyer « classique ». Dans le cas où ces derniers viendraient à être placés de façon plus systématique en CEF, elles ont craint que la cohabitation de ces deux publics ne crée des « effets de contagion » particulièrement néfastes aux primodélinquants.

Les représentants de l'Union syndicale des magistrats (USM) ont également souligné qu'un placement en CEF pourrait s'avérer extrêmement déstabilisant pour un mineur primodélinquant et créer des effets inverses à ceux recherchés.

Enfin, il convient d'envisager également cette question sous un angle budgétaire : une journée de placement en CEF coûte en moyenne 640 euros, une journée de placement en foyer classique public ou dans une structure associative substantiellement moins 22 ( * ) . Dans ces conditions, il ne paraît pas raisonnable d'envisager le placement en CEF de mineurs qui pourraient être tout à fait pris en charge de façon satisfaisante dans une structure moins coûteuse pour le budget de l'Etat.

Ainsi, vos co-rapporteurs sont parvenus à la conclusion que les CEF devraient continuer à prendre en charge prioritairement des mineurs multirécidivistes ou multiréitérants ayant déjà, par le passé, fait l'objet de prises en charge s'étant soldées par un échec.

Pour autant, la présence de primodélinquants ne doit pas être totalement écartée :

- d'une part, elle doit être dans tous les cas possible en matière criminelle . En effet, dans ce cas, même si le mineur n'a pas d'antécédents judiciaires, le CEF joue pleinement son rôle d'alternative à l'incarcération, laquelle paraît souvent inévitable eu égard à la gravité des faits commis ;

- d'autre part, le placement en CEF devrait pouvoir être possible dans certains cas exceptionnels , lorsque le délit commis révèle chez le mineur de graves carences et que le risque de réitération apparaît élevé. Il appartient dans ce cas de laisser au juge la possibilité d'apprécier la nécessité d'une prise en charge en CEF.

Proposition n° 1 : Réserver les CEF aux mineurs multirécidivistes ou multiréitérants. La présence de primodélinquants devrait être limitée aux mineurs ayant commis des faits de nature criminelle ou pour lesquels le risque de réitération apparaît particulièrement élevé.

b) Assouplir les conditions de placement pour les mineurs approchant l'âge de la majorité

En l'état des textes, les CEF ne peuvent accueillir que des mineurs, ce qui soulève une importante difficulté s'agissant de la capacité de ces établissements à prendre en charge des mineurs âgés de dix-sept ans.

En effet, l'interruption du placement le jour de la majorité du jeune a pour effet de mettre brutalement un terme à une prise en charge dont l'efficacité se construit dans la durée (voir supra ) - alors même que, selon un interlocuteur de vos rapporteurs, le comportement de ces jeunes tend à changer à l'approche de la majorité et qu'ils deviennent plus réceptifs au travail éducatif mené.

Mais il y a parfois pire encore : du fait du nombre de demandes largement supérieur au nombre de places disponibles, de nombreux CEF sont conduits à refuser l'arrivée de mineurs approchant l'âge de la majorité.

Cette situation est d'autant plus regrettable que, pour certains de ces mineurs, l'incarcération sera la seule solution envisageable par le magistrat.

Pour l'ensemble de ces raisons, vos co-rapporteurs préconisent d'assouplir le cahier des charges des CEF afin de permettre à ces établissements de continuer à prendre en charge un jeune au-delà de sa majorité dès lors qu'il était mineur le jour du placement. Il en va en effet de la réussite du travail éducatif mené ainsi que du respect de la vocation première des CEF, qui est d'offrir une « dernière chance » à l'ensemble des mineurs.

Il convient d'ailleurs de relever qu'à l'inverse des CEF, les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) peuvent continuer à accueillir un jeune pendant six mois après l'âge de la majorité, si celui-ci en fait la demande.

Proposition n° 2 : Assouplir les conditions de placement en CEF afin de permettre à ces établissements de continuer à prendre en charge un jeune au-delà de sa majorité.

c) Une réflexion sur la situation des mineurs condamnés à une longue peine de prison

Le placement en CEF se solde parfois par une incarcération.

Cela peut tout d'abord être le cas lorsque le mineur commet une grave infraction au sein du centre : agression contre un éducateur, violences à l'encontre d'un mineur, dégradations multiples des locaux, etc. S'il appartient au magistrat d'apprécier les suites à donner à de telles infractions, le maintien du mineur au sein du centre après de tels actes peut soulever de très graves difficultés, comme l'a expliqué à vos co-rapporteurs l'équipe de direction du CEF de Saint Venant. Ainsi, quatre des 28 mineurs placés au CEF de Liévin en 2010 ont-ils été incarcérés à la suite d'agressions sur le personnel du centre ou sur l'un des jeunes placés.

Cela peut également être le cas lorsque le mineur ne respecte pas les obligations de son placement et fugue. En pratique, l'incarcération est loin d'être systématique dans ce cas de figure (voir supra ).

Un dernier cas de figure doit être envisagé : celui dans lequel le jugement d'un mineur, placé en CEF au titre d'un contrôle judiciaire, intervient en cours de placement et donne lieu à une peine d'emprisonnement ou de réclusion ferme.

Une telle situation peut s'avérer extrêmement frustrante pour l'équipe éducative lorsque le travail éducatif a commencé à porter ses fruits et que le mineur évolue favorablement. A cet égard, l'incarcération - justifiée par la gravité des faits commis antérieurement au placement en CEF - apparaît comme un signal très négatif envoyé au mineur.

Vos co-rapporteurs souhaitent qu'une réflexion soit menée sur cette question afin d'éviter autant que possible une rupture de prise en charge préjudiciable au mineur et à sa capacité à se réinsérer à l'issue de sa peine.

A tout le moins, il leur paraît que, dans une telle situation, une incarcération en EPM devrait être privilégiée, afin que le travail éducatif engagé en CEF puisse être poursuivi par une équipe étoffée bénéficiant de moyens largement supérieurs à ceux disponibles en quartiers mineurs (voir infra ).

Proposition n° 3 : Privilégier l'affectation en EPM d'un mineur condamné au cours de son placement à une peine d'emprisonnement ferme de longue durée pour des faits commis antérieurement à celui-ci.

D'après les informations communiquées par le ministère de la Justice 23 ( * ) , 28% des mineurs accueillis en CEF en 2010 ont été incarcérés en cours de placement. Sur ce total :

- 18% ont été incarcérés par révocation du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve (fugue dans 8% des cas, agressions sur le personnel dans 5,2% des cas) ;

- 6% ont été incarcérés à la suite d'une condamnation intervenue en cours de placement ;

- 4% ont été incarcérés à la suite de la commission d'une nouvelle infraction.


* 21 Le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, adopté définitivement par le Parlement, prévoit notamment d'élargir le champ des dispositions permettant de placer un mineur de treize à seize ans sous contrôle judiciaire, en ouvrant également cette possibilité dès lors que la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans et qu'il s'agit d'un délit de violences volontaires, d'agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences - sans condition d'antécédents pénaux. L'objectif poursuivi par le Gouvernement est de permettre le placement en CEF de ces mineurs primodélinquants sans attendre une éventuelle réitération.

* 22 D'après le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour 2010, une journée de placement en établissement de placement éducatif UEHC (secteur public) a coûté 500 euros en 2010. Le prix d'une journée de placement collectif mineurs délinquants hors CER et CEF dans le secteur associatif habilité s'est quant à lui élevé à 181 euros en moyenne.

* 23 Collectées auprès des CEF avec un taux de réponse de 59%.

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