2. Renforcer la cohérence globale du dispositif

Si de nombreux points positifs peuvent être relevés, le dispositif des CEF paraît souffrir d'un manque de cohérence globale. M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a ainsi relevé qu'en dépit de l'existence d'un cahier des charges commun, chaque centre présentait ses propres spécificités ainsi que, parfois, ses propres difficultés, sans que le pilotage global du dispositif ne paraisse solidement assuré.

A l'issue de leurs travaux, vos co-rapporteurs estiment nécessaire d'insister sur deux points : l'amélioration de l'ancrage territorial du dispositif et la systématisation des échanges d'expériences et de bonnes pratiques entre équipes éducatives.

a) Adapter la localisation des CEF aux bassins de délinquance

En principe, les CEF sont susceptibles d'accueillir des mineurs provenant de l'ensemble du territoire national.

Toutefois, comme le reconnaît la circulaire du 28 mars 2003 sur la mise en oeuvre du programme des CEF, « afin, notamment, de garantir une bonne coordination entre les responsables des centres éducatifs fermés et les autorités judiciaires, de faciliter la gestion du placement, le traitement des incidents et la préparation de la sortie, et de favoriser la participation de la famille au déroulement du placement, il est souhaitable qu'un centre éducatif fermé accueille principalement des mineurs résidant dans le département où il est implanté ou dans un département limitrophe ».

Toutefois, la localisation des premiers CEF n'a absolument pas tenu compte des bassins de délinquance - comme le montre la carte reproduite ci-dessous. Ainsi, alors que plusieurs CEF ont été rapidement implantés dans le quart sud-ouest de la France, la région parisienne n'a longtemps compté qu'un seul CEF - celui de Savigny-sur-Orge 24 ( * ) .

Aujourd'hui encore, certaines régions, telles que la direction interrégionale du Sud-Est 25 ( * ) , apparaissent largement sous-dotées : cette région ne dispose que de deux CEF (Brignoles et Montfavet), alors qu'elle accueille près d'un quart de la population mineure française et que, d'après les informations communiquées à vos co-rapporteurs lors de leur déplacement à Marseille et Brignoles, elle présente un taux de délinquance juvénile très largement supérieur à la moyenne nationale.

Une telle situation est largement regrettable : certaines régions connaissent une réelle pénurie de places (la direction du CEF de Brignoles reçoit ainsi en moyenne une dizaine de demandes d'admission par jour...), tandis que dans d'autres, les CEF accueilleraient parfois des mineurs ne répondant pas aux critères définis par le cahier des charges.

Le Gouvernement envisageant la création d'une vingtaine de nouveaux CEF dans les années à venir, il paraît essentiel à vos co-rapporteurs qu'une attention particulière soit portée à leur localisation au plus près des territoires dont sont originaires les mineurs.

Proposition n° 4 : Veiller à l'adéquation de la localisation des CEF avec les bassins de délinquance. Un effort particulier devrait être porté sur les régions les plus urbanisées, telles que la région parisienne et la région sud-est notamment.

b) Renforcer l'ancrage territorial des CEF

Vos co-rapporteurs ont pu le constater au cours de leurs visites, un centre éducatif fermé n'est pas une entité fonctionnant en vase clos. Au contraire, sa réussite dépend pour une très large part des liens que le centre parvient à nouer avec le territoire dans lequel il s'inscrit.

Cet ancrage territorial dépend en premier lieu de la réaction des élus locaux, qui peuvent jouer un rôle « facilitateur » important, d'une part lors de l'installation du CEF, d'autre part dans le cadre des partenariats que celui-ci met en oeuvre afin d'assurer la prise en charge des mineurs - comme vos co-rapporteurs ont notamment pu l'observer lors de leur visite du CEF de Saint Venant.

Au-delà de ces partenariats, les élus locaux jouent également un rôle essentiel dans l'acceptation de la présence du CEF par la population locale. Celle-ci joue notamment un rôle déterminant dès lors qu'il s'agit, dans le cadre du module de « préparation à la sortie » (voir supra ), d'envisager le placement en stage professionnel du mineur chez des artisans ou dans de petites entreprises.

A cet égard, M. Jean-Louis Daumas, directeur de la PJJ, a regretté les réticences de certains élus locaux , particulièrement en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, à l'égard de tout projet d'implantation d'un CEF sur le territoire de leur commune.

Lors de la visite de vos co-rapporteurs, la direction du CEF de Brignoles a également constaté qu'à l'exception de la mairie de Brignoles et celle de Bras, les collectivités territoriales varoises n'avaient pas souhaité nouer des partenariats avec le centre éducatif fermé.

Pour vos co-rapporteurs, il appartient aux acteurs locaux de prendre toute leur place dans le dispositif de prévention de la délinquance des mineurs.

Ces résistances s'expliquent d'ailleurs probablement en partie par une méconnaissance du dispositif des CEF car, si des fugues ne sont pas à exclure, les mineurs accueillis en CEF ne commettent en général pas d'infractions à l'extérieur du centre - où ils sont tenus d'être accompagnés par un éducateur, sauf exception autorisée par le juge.

Proposition n° 5 : Sensibiliser les élus locaux au dispositif des CEF et aux projets qui y sont menés afin de les impliquer davantage dans l'implantation et le fonctionnement de ceux-ci.

Vos co-rapporteurs ont également pu se rendre compte au cours de leurs déplacements de l'importance qui doit être attachée à la formalisation des liens avec les partenaires essentiels du CEF , afin de permettre la mise en place de réponses rapides et cohérentes aux difficultés susceptibles de se produire.

Par exemple, jusqu'en 2010, les infractions commises par des mineurs au sein du CEF de Savigny-sur-Orge (Essonne) étaient traitées par les juridictions du domicile habituel du mineur, ce qui aboutissait à une diversité de réponses particulièrement préjudiciable à la cohérence et à la compréhension de la sanction. A titre d'exemple, pour un même délit, une juridiction décidait d'un mandat de dépôt à l'encontre du mineur, tandis que la juridiction voisine décidait d'un retour en famille... Afin de remédier à cette difficulté, un protocole a été conclu avec le parquet d'Evry : désormais, les infractions commises au sein même du CEF sont traitées par ce ressort, ce qui permet une réponse aux actes commis par les mineurs réactive et cohérente.

De son côté, l'équipe de direction du CEF de Brignoles s'est félicitée des partenariats mis en place avec la gendarmerie de Brignoles, qui se traduit par des interventions rapides au sein du centre en cas de besoin et par un soutien aux équipes éducatives (voir infra ), ainsi qu'avec la brigade de prévention de la délinquance juvénile de Bandol, qui donne notamment lieu à l'organisation de groupes de paroles à destination des mineurs, sur les infractions commises, au sein desquels la parole du gendarme, représentant des forces de l'ordre, complète celles des éducateurs.

Enfin, de nombreux intervenants ont insisté sur la nécessité de mieux formaliser les liens entre les CEF et les structures de santé susceptibles de prendre en charge les mineurs, notamment en matière psychiatrique (voir infra ).

Pour vos co-rapporteurs, ces divers exemples mettent en évidence l'importance de mieux inscrire les CEF dans les territoires dans lesquels ils sont implantés, par la systématisation de la formalisation des relations avec l'ensemble des acteurs susceptibles de prendre en charge les mineurs en cas de besoin.

En principe, un comité de pilotage territorial, composé notamment du préfet ou de son représentant, d'élus locaux, de membres des forces de police et de gendarmerie, de magistrats de secteur et des services déconcentrés de la PJJ, se réunit au moins une fois par an à cette fin.

D'après les informations fournies par la DPJJ, 94% des CEF ont tenu au moins un comité de pilotage durant l'année 2010. 80% en étaient satisfaits.

Toutefois, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a souligné au cours de son audition le caractère extrêmement diversifié et parfois aléatoire de ces comités de pilotage, dont les préfectures paraissent se désintéresser. Il a également attiré l'attention sur le manque de réunions de coordination en interne ainsi que sur l'absence de structures favorisant les échanges de bonnes pratiques.

Proposition n° 6 : Systématiser la conclusion de conventions avec les partenaires essentiels du CEF afin de garantir la cohérence et la célérité des réponses apportées aux difficultés rencontrées par les équipes éducatives. Des réunions régulières du comité de pilotage devraient être systématiquement organisées.

c) Mettre en place des dispositifs favorisant les partages d'expériences et les échanges de bonnes pratiques

En dépit d'un cahier des charges commun très détaillé, l'impression qu'il existait autant de « projets CEF » qu'il existe en France de CEF a dominé les auditions.

En particulier, plusieurs intervenants ont regretté le manque de structures permettant aux équipes de direction et aux équipes éducatives d'échanger sur les difficultés rencontrées, sur les solutions mises en oeuvre pour y remédier et sur les réussites.

Vos co-rapporteurs estiment primordial de remédier à cette situation.

Ils considèrent en particulier que la mise en place d'enceintes de dialogue et d'échanges devrait concerner tant les équipes intervenant en CEF publics que celles gérant des CEF relevant du secteur associatif habilité . En effet, si ces deux types de CEF présentent des différences indéniables (statut et formation du personnel, nature des projets mis en place, etc.), ils n'en accueillent pas moins le même public et poursuivent les mêmes objectifs.

La DPJJ a commencé à prendre en compte cette question : deux journées nationales de rencontre des directeurs de CEF ont été ainsi organisées, en 2010 puis en mai 2011.

Si cette initiative mérite d'être conservée et poursuivie, vos co-rapporteurs observent que la facilitation des échanges entre équipes éducatives pourrait également être mise en oeuvre sans moyens conséquents, par la mise en place d'un site intranet commun à l'ensemble des CEF par exemple.

Proposition n° 7 : Mettre en place les outils nécessaires pour favoriser les échanges d'expériences et de bonnes pratiques entre l'ensemble des équipes éducatives intervenant dans les CEF.

d) Une réflexion nécessaire sur l'accueil en urgence des mineurs déférés

De nombreuses personnes entendues par vos co-rapporteurs ont regretté les difficultés rencontrées par les juges des enfants pour placer en urgence un mineur en CEF, dans le cadre d'un défèrement.

Les représentants de l'Union syndicale des magistrats (USM) comme du Syndicat de la magistrature (SM) ont souligné que, du fait de cette difficulté, les CEF ne paraissaient plus répondre à leur mission première, qui est d'offrir aux magistrats une solution de placement alternative à l'incarcération pour les mineurs les plus difficiles.

Cette difficulté s'expliquerait notamment par le manque de places en CEF, souligné par l'ensemble des intervenants, mais également par le fait que certains CEF refuseraient des mineurs ne correspondant pas au projet mis en place par le centre.

A cet égard, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté comme les représentantes de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) ont souligné l'importance, pour un centre éducatif fermé, de mettre en oeuvre un projet construit et formalisé, cimentant les équipes éducatives et assignant des objectifs au travail mené. Un CEF ne saurait se permettre de n'être qu'une structure proposant des « places », sans projet défini.

Il y a donc là une contradiction dans les objectifs assignés aux CEF à laquelle il convient de remédier. Comme l'écrit Mme Dominique Versini, ancienne Défenseure des enfants, dans son rapport précité : « ce constat de la difficulté de trouver des accueils d'urgence au pénal afin d'avoir de réelles alternatives à l'incarcération voit donc s'opposer deux logiques qui ont chacune leur légitimité : la logique judiciaire avec des délais stricts visant à éviter autant que faire se peut l'incarcération, et la logique strictement éducative qui nécessite de préserver les équilibres de groupe et les parcours » 26 ( * ) .

Depuis la suppression des centres de placement immédiat (CPI), qui posaient des difficultés spécifiques, cette problématique de l'accueil en urgence des mineurs délinquants dépasse la seule question des CEF. Elle se pose toutefois avec une acuité particulière s'agissant de ces établissements qui ont été précisément conçus pour permettre d'éviter l'incarcération des mineurs.

Vos co-rapporteurs estiment que cette question devrait être sérieusement débattue dans le cadre de la redéfinition du cahier des charges des CEF, dans le respect de l'efficacité du travail éducatif qu'ils mettent en oeuvre.

Proposition n° 8 : Engager une réflexion sur la question de l'accueil en urgence des mineurs susceptibles d'être placés en CEF.

e) Améliorer la gestion des places en CEF

Enfin, plusieurs intervenants ont fait état de difficultés pratiques rencontrées par les magistrats lorsque ceux-ci envisagent de placer un mineur en CEF. Les représentants de l'Union syndicale des magistrats ont notamment regretté que le site intranet de la PJJ censé signaler aux magistrats le nombre de places disponibles en CEF ne soit pas suffisamment souvent actualisé .

Au-delà de ces difficultés matérielles, la question de la gestion des places disponibles en CEF est loin d'être simple car seul le magistrat peut ordonner la mainlevée du placement : lorsqu'un mineur fugue ou est absent pour toute autre raison (incarcération, hospitalisation, etc.), sa place peut demeurer vacante pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines alors même qu'un retour du mineur au sein de la structure paraît peu probable.

Cette situation peut créer des difficultés de gestion particulières aux CEF relevant du secteur associatif habilité car, alors même qu'en cas de fugue, la place du mineur demeure théoriquement « réservée » jusqu'à ce que le juge ordonne la mainlevée du placement, la circulaire de la DPJJ du 13 novembre 2008 prévoit que « toute absence d'un mineur supérieure à 48 heures (fugues, hospitalisations, retour en famille) ne peut donner lieu au versement d'un prix de journée ». Outre qu'elle fait peser sur la structure le poids d'une décision sur laquelle elle a peu de maîtrise, cette situation paraît également susceptible d'inciter les centres relevant du secteur associatif habilité à accueillir davantage de mineurs qu'ils n'ont de places disponibles, en pariant sur la persistance d'un volet incompressible de mineurs absents, afin d'équilibrer leur budget - ce qui n'est pas pleinement satisfaisant.

Une sensibilisation des magistrats à cette question ainsi qu'un assouplissement des conditions posées s'agissant de la gestion des fugues pourraient probablement être utilement envisagées afin de remédier à ces difficultés.


* 24 Un second CEF, situé à Saint-Brice sous Forêt, a ouvert le 1 er avril 2010, et un troisième a ouvert à Combs-la-Ville en 2011.

* 25 La direction interrégionale de la PJJ du Sud-Est étend sa compétence sur les départements des Bouches-du-Rhône, du Var, des Alpes-Maritimes, de la Corse du sud, de la Haute-Corse, des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. 13.694 mineurs ont été pris en charge par le secteur public et le secteur associatif habilité relevant de la DIR PJJ Sud-Est en 2010.

* 26 Rapport précité, page 39.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page