5. Une fiscalité jugée contre-productive par les nouveaux opérateurs

Le régime fiscal des jeux en ligne cristallise les critiques des nouveaux opérateurs agréés, largement relayées dans les médias et que votre rapporteur a entendues à de nombreuses reprises lors de ses auditions. Ses deux grandes caractéristiques, l'assiette et le taux, sont jugés inadaptées, nonobstant la volonté louable de simplification et de neutralité par alignement des régimes des paris hippiques et sportifs 79 ( * ) , en ligne ou du réseau physique.

Trois principaux arguments , liés entre eux, sont ainsi invoqués :

1) La fiscalité n'est pas compétitive à l'échelle européenne compte tenu de l'assiette - les mises plutôt que le PBJ - et du niveau élevé des taux pratiqués. A assiette comparable, le différentiel de taux pour les paris sportifs 80 ( * ) apparaît particulièrement élevé avec des pays comme l'Italie (un à dix-sept), Malte (un à dix-huit) et le Royaume-Uni (un à quatre). Cet écart joue au détriment de l'attractivité du marché français, pour les opérateurs comme pour les joueurs, puisqu'il dégrade les perspectives de rentabilité et de TRJ, et partant, l'incitation à prester ou jouer dans un cadre légal .

2) L'assiette des mises est économiquement incohérente car elle ne correspond pas à une taxation du chiffre d'affaires des opérateurs , qui n'ont pas la libre disposition des mises des joueurs, de la même manière que les banques ne sont pas imposées sur les dépôts de leurs clients. En revanche, le PBJ est un solde de gestion plus proche du chiffre d'affaires, bien qu'il constitue en soi un solde intermédiaire distinct du chiffre d'affaires et du revenu. Du fait de l'imposition des mises, les opérateurs de paris mutuels et de poker ont tendance , dans le cadre de leur arbitrage entre marge brute et retours aux joueurs, à privilégier les bonus pour une fidélisation immédiate au détriment du TRJ hors bonus , ce qui nuit à leur attractivité à moyen terme.

La difficulté est encore accrue pour les opérateurs de paris à cote fixe puisqu'ils assument le risque de gestion des cotes proposées aux joueurs, et donc de réaliser, le cas échéant, un PBJ négatif malgré un volume élevé de mises. Certes, les opérateurs peuvent intégrer ce risque lorsqu'ils fixent leurs cotes, mais au détriment de leur attractivité face aux sites illégaux.

3) Le régime de prélèvements est sous-optimal pour l'Etat puisqu'il bride le développement du marché et limite les recettes à un niveau inférieur à celui qu'elles pourraient atteindre. Cette critique traduit une argumentation traditionnelle sur le niveau optimal du taux de prélèvement - c'est-à-dire celui au-delà duquel le produit tend à décroître par effets de dissuasion et d'éviction - théorisée dans la célèbre « courbe de Laffer ». Cet argument est assez intuitif mais il n'existe guère de méthode fiable pour déterminer a priori ce taux optimal, qui est notamment fonction des hypothèses de coûts fixes des opérateurs.

Votre rapporteur admet que les objectifs initiaux du législateur associés à ce régime fiscal ont pu sembler ambigus et motivés par des considérations difficilement compatibles, à la fois économiques, budgétaires et « morales ». Associée au plafonnement du TRJ, la fiscalité devait en effet permettre de préserver les recettes de l'Etat, d'assurer l'incitation à la légalisation des opérateurs et de réfréner la passion des joueurs. Le dilemme entre attractivité et dissuasion n'a donc pas été totalement résolu .

Votre rapporteur juge logique que la détermination d'un régime fiscal innovant pour un secteur qui n'était pas régulé relève d'un processus itératif . Le modèle économique déséquilibré des jeux en ligne fait cependant apparaître le caractère sans doute encore « timoré » des choix opérés.

Ce régime de prélèvements n'est cependant pas immuable et peut être adapté dans un souci de meilleure optimisation des recettes. Ainsi que le soulignait votre rapporteur dans son rapport sur la loi de 2010, il « pourrait évoluer à l'avenir, en matière de taux et/ou d'assiette, en fonction de l'évaluation du succès de l'offre légale, de la viabilité économique des opérateurs et du niveau d'addiction constaté. Notre pays pourrait le cas échéant s'inspirer du cas de l'Italie ».


* 79 La modification introduite par l'article 34 de la loi de finances pour 2011 a toutefois mis fin à l'alignement entre les taux applicables aux paris hippiques et sportifs, au bénéfice des premiers.

* 80 En prenant l'hypothèse d'un niveau global de prélèvements de 9 % des mises équivalant à 60 % du PBJ.

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