III. L'IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ D'UNE GESTION RESPONSABLE DES PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX

La persistance de déficits à un niveau très élevé a conduit la Cour des comptes à analyser en détail leur nature et à chercher à en distinguer la part conjoncturelle et la part structurelle. D'après ses estimations, plus des deux tiers du déficit du régime général en 2010 ont un caractère structurel , essentiellement dû à une insuffisance de recettes .

Pour l'avenir, la distinction entre déficit structurel et déficit conjoncturel présentera peu d'intérêt. En effet, même en retenant l'hypothèse d'une croissance forte et régulière assortie d'une bonne maîtrise des dépenses de santé, le déficit annuel du régime général restera supérieur à 10 milliards d'euros jusqu'en 2014 , comme le montre la prévision pluriannuelle de l'annexe B du PLFSS pour 2012, bâtie, cette année encore, sur des hypothèses extrêmement volontaristes, à savoir une croissance annuelle de 2 % pour le PIB et de 4 % pour la masse salariale à partir de 2013.

C'est pourquoi, seules des mesures nouvelles significatives pourront permettre une réduction du déficit, le retour de la croissance étant tout juste suffisant pour stabiliser le solde actuel.

A. NE PLUS FINANCER DES DÉPENSES COURANTES À CRÉDIT

1. L'accoutumance au déficit

La permanence des déficits sociaux semble avoir même fait disparaître tout objectif de retour à l'équilibre .

L'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale en témoigne année après année. Dans celle qui figure dans le projet de loi de financement pour 2012, on observe une trajectoire de réduction du déficit qui reste encore loin de l'équilibre, puisqu'en 2015, le régime général affichera encore, selon ces prévisions, un solde négatif de 8,5 milliards d'euros auxquels on peut ajouter les 2,8 milliards du FSV.

Or, ces déficits sont une véritable « anomalie » , une « exception française » , comme le dit la Cour des comptes dans ses rapports.

Pour la branche maladie par exemple, le déficit de l'année 2010 correspond à quatre semaines de soins courants.

Est-il moralement acceptable de reporter ce type de dépenses sur les générations suivantes qui, outre leurs propres dépenses de santé, devront en plus payer celles que leurs parents ou grands-parents n'auront pas prises en charge eux-mêmes ?

Il est donc indispensable de se libérer rapidement du « poison » , de la « drogue dure » des déficits sociaux, selon les expressions particulièrement bien adaptées des premiers présidents de la Cour des comptes.

2. La perte d'une marge de manoeuvre de 15 milliards

Pour financer la dette sociale restant à amortir qui atteindra 141 milliards d'euros à la fin de l'année, 15,2 milliards de prélèvements sont affectés à la Cades pour couvrir à la fois la charge d'intérêt et l'amortissement de cette dette, soit, respectivement, 3,8 milliards et 11,4 milliards.

Ces ressources affectées à la Cades comprennent :

- la contribution au remboursement de la dette sociale, CRDS, pour un peu plus de 6 milliards d'euros ;

- une fraction de 0,48 point de CSG, pour 5,48 milliards d'euros ;

- un versement de 2,1 milliards d'euros du fonds de réserve pour les retraites ;

- une part du prélèvement sur les revenus du capital, soit 1,5 milliard d'euros.

La CRDS est la seule ressource d'origine de la Cades : fixée à un taux de 0,5 % lors de la création de la caisse en 1996, elle s'applique à une assiette extrêmement large, proche de celle de la CSG.

Son taux n'a jamais varié alors que les dettes transférées à la Cades se sont multipliées. Il en est résulté, dans un premier temps, un allongement mécanique de la durée de vie de la Cades lors de chaque reprise de dette.

A partir de 2005 et du vote de la LOLFSS, une règle, placée au niveau organique par le Conseil constitutionnel, a été édictée : l'obligation de transférer, parallèlement à toute nouvelle dette, les ressources permettant à la Cades d'assurer son remboursement sans augmentation de sa durée de vie.

Cette obligation aurait dû conduire à augmenter la CRDS lors des transferts de dette intervenus depuis 2005. Or, les choix faits par le Gouvernement ont été autres : on a prélevé 0,2 point de CSG affecté au FSV, puis 0,28 point de CSG affecté à la Cnaf, puis la part du prélèvement social sur les revenus du capital qui était affectée au FRR, puis, enfin, on a opéré une ponction annuelle de 2,1 milliards sur les actifs du FRR.

Au lieu d'augmenter la CRDS, on a donc privé le FSV et la Cnaf, tous deux fortement déficitaires aujourd'hui, de ressources qui leur revenaient, et l'on a puisé dans les réserves initialement constituées par le FRR au profit des générations futures.

Pour couvrir ses défaillances et ses déficits, le Gouvernement a choisi de ne pas augmenter la CRDS, recette en principe exclusivement affectée au remboursement de la dette sociale, mais de prélever 9 milliards de recettes affectées à d'autres branches et organismes , grevant d'autant les comptes de la sécurité sociale.

Il porte ainsi la lourde responsabilité d'avoir laissé s'accumuler les déficits et d'avoir choisi de financer à crédit la protection sociale des Français.

B. MOBILISER ACTIVEMENT DE NOUVELLES RECETTES

L'essentiel aujourd'hui est de déterminer la meilleure manière de réduire les déficits des années à venir ou encore de définir la façon de financer le maintien d'un haut niveau de protection sociale tout en tenant compte du montant déjà élevé des prélèvements obligatoires et des contraintes de compétitivité d'une économie ouverte.

Il importe d'avoir une stratégie et d'utiliser toutes les pistes possibles au service de cette ligne directrice.

1. Définir une stratégie crédible et cohérente de retour à l'équilibre

Comme l'indique la Cour des comptes dans son rapport sur les perspectives des finances publiques du mois de juin dernier, la stratégie à mettre en oeuvre le plus rapidement possible est exigeante et passe par une ligne de crête étroite.

Si la France se démarque de ses partenaires européens par un niveau de déficits sociaux permanent, inédit ailleurs et qualifié d'« exception française » par la Cour, elle s'en distingue aussi par l'absence de mesures de redressement vigoureuses.


Extraits du rapport de la Cour des comptes sur la situation
et les perspectives des finances publiques (juin 2011)

Les prélèvements obligatoires sont déjà très élevés en France, par comparaison avec ceux des autres pays, et peuvent difficilement alourdir davantage les coûts de production des entreprises sans dégrader une compétitivité déjà insuffisante. Il faut donc que plus de la moitié de l'effort de redressement soit réalisé en ralentissant la croissance des dépenses, comme les autres pays européens sont en train de le faire.

La maîtrise des dépenses ne suffira pas et une augmentation des recettes, qui doit prendre pour une part importante la forme d'une réduction des niches fiscales et sociales, est inéluctable, au moins pendant la phase de redressement. A la lumière notamment de la comparaison effectuée par la Cour au début de l'année avec l'Allemagne, des pistes d'évolution des prélèvements fiscaux et sociaux peuvent être à cet égard tracées. Elles intègrent, dans le souci de soutenir la croissance à long terme, dont dépend en définitive l'évolution des recettes, des perspectives d'inflexion de la structure des prélèvements.

(...)

Une réforme plus vaste de la structure des prélèvements fiscaux et sociaux permettant d'augmenter les recettes et de soutenir la croissance potentielle, dont dépend en définitive l'évolution future des recettes publiques, devra être engagée. En particulier, des prélèvements pesant sur le coût du travail pourraient être remplacés par des prélèvements sur d'autres assiettes, plus larges et moins préjudiciables à l'emploi et à la compétitivité.

Ainsi, pour revenir à l'équilibre des comptes sociaux, la maîtrise des dépenses est évidemment essentielle. Mais celle-ci doit être juste , en particulier dans la répartition des efforts qu'elle nécessite, et mise en oeuvre non pas de manière forfaitaire ou systématique mais dans un vrai souci d'efficience et d'amélioration de la qualité du service rendu.

Cela étant, compte tenu de la situation actuelle des finances sociales, l'action sur les dépenses ne peut suffire.

La définition d' un niveau de recettes suffisant pour assurer un bon niveau de protection sociale est la priorité . Aujourd'hui, aucun observateur, aucune institution, aucun expert avisé n'excluent, en matière de protection sociale, une hausse des prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires, notamment liées au vieillissement de la population.

2. Exploiter simultanément plusieurs pistes

La situation dramatique des comptes sociaux exigera des mesures fortes et simultanées dans plusieurs directions.

Trois axes peuvent d'ores et déjà être définis. Ils feront l'objet d'un certain nombre d'amendements de votre commission dès l'examen du projet de loi de financement pour 2012. Il n'est en effet plus possible d'attendre pour entamer le redressement des comptes sociaux.

Premier axe : la révision de mesures coûteuses et sans fondement

Plusieurs mesures emblématiques de l'actuel quinquennat ont, pour une efficacité jamais démontrée, entraîné des pertes de recettes importantes. Les exemples sont nombreux en matière fiscale.

Dans le domaine social, la principale mesure qu'il convient de remettre en question est celle de l'exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires et complémentaires , votée dans le cadre de la loi Tepa d'août 2007, qui représente un manque à gagner pour les finances publiques de 4,9 milliards d'euros, dont 3,5 milliards pour les finances sociales . Pour la sécurité sociale, il n'y a pas de perte à proprement parler car cette exonération est compensée à l'euro près par l'affectation d'un panier de recettes fiscales. Néanmoins, les 3,5 milliards de ce panier pourraient sans doute être mieux utilisés, notamment pour doter la branche maladie qui connaît un manque structurel de recettes.

Et de fait, tant la Cour des comptes que le Conseil des prélèvements obligatoires ou surtout le rapport « Guillaume » sur les dépenses fiscales et les niches sociales de juin 2011, jugent peu efficace cette exonération, considérant même qu'elle peut être à l'origine de véritables effets d'aubaine pour des entreprises qui substitueraient des heures supplémentaires à des hausses de salaire.

Deuxième orientation : l'amplification de la réduction des niches sociales

La réduction des mesures dérogatoires au principe d'assujettissement des revenus aux prélèvements sociaux de droit commun est un levier prioritaire pour le relèvement des finances sociales.

A titre d'exemple, l'accroissement des contributions sociales spécifiques sur les retraites chapeau, les stock-options , les attributions gratuites d'actions ou certaines indemnités de rupture devra être mis en oeuvre.

De même, sur le forfait social qui s'applique précisément à ces niches, une marge d'augmentation réelle existe. Le projet de loi de financement pour 2012 propose de le faire passer de 6 % à 8 %, ce qui reste encore très loin du niveau de taxation de droit commun résultant de l'assujettissement aux cotisations sociales, soit un peu plus de 20 %.

Deux points supplémentaires de forfait social représentent aujourd'hui environ 400 millions de recettes pour la sécurité sociale. Une hausse progressive de cette contribution permettrait d'affecter des ressources non négligeables au régime général.

Troisième direction : la mobilisation de nouvelles ressources

Plusieurs pistes peuvent là encore être exploitées. L'une d'entre elles devrait consister à mettre en place un meilleur ciblage des allégements généraux de cotisations sociales, dont le coût total est supérieur à 20 milliards d'euros.

Il ne serait pas illégitime de favoriser les entreprises qui ont une action positive à l'égard de l'embauche de jeunes ou du maintien en emploi des seniors. En revanche, celles qui ont recours à un niveau très élevé au travail à temps partiel ou au travail intérimaire ne devraient pas pouvoir bénéficier de ces allégements dans les mêmes conditions.

*

* *

Ces propositions, on l'a dit, ne sont que l'amorce d'une rupture dont les enjeux ne sont rien moins que le maintien ou la disparition de notre système de protection sociale pensé par le Comité national de la Résistance, la refondation de notre contrat social dans la société du XXIème siècle. Ces enjeux appartiennent nécessairement au débat démocratique. Ils en relèvent d'autant plus que choisir clairement de léguer à nos enfants une « sécurité » sociale viable et pérenne impose dès aujourd'hui une réforme d'ensemble de ses financements.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page