D. LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS DÉMOCRATIQUES EN BOSNIE-HERZÉGOVINE

Face aux difficultés rencontrées par la Bosnie-Herzégovine pour mettre en place un nouveau gouvernement, un an après les élections législatives, la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe a présenté, devant l'Assemblée parlementaire, un rapport sur la situation du pays. M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) , président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe était co-rapporteur de la commission.

Les accords de Dayton, qui ont mis fin au conflit dans les Balkans, ont conduit à répartir les postes au Conseil des ministres selon des critères ethniques. L'impossible consensus sur ces nominations a empêché, durant quatorze mois, la composition d'un nouveau gouvernement. Au-delà du problème politique, un tel blocage n'a pas été sans conséquence sur la coopération avec l'Union européenne ou la participation de la Bosnie-Herzégovine à un certain nombre d'organes du Conseil de l'Europe, à l'image de la Commission de Venise, du Comité de prévention et de lutte contre la torture ou de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI).

En l'absence de gouvernement, la réforme constitutionnelle, pourtant indispensable en vue de se conformer aux arrêts Sedjiæ et Finci prononcés par la Cour européenne des droits de l'Homme le 22 décembre 2009, a été différée. Aux termes de ces arrêts, la constitution bosnienne n'est pas jugée conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme. Les deux requérants, l'un d'origine juive et l'autre Rom, contestaient l'impossibilité d'être candidats aux élections à la Chambre des peuples au motif qu'ils n'appartiennent pas aux trois peuples constituants : serbe, bosniaque et croate. Il s'agit de permettre à la Bosnie-Herzégovine de passer d'une ethnocratie à une démocratie.

M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a rappelé les excès institutionnels auxquels avaient conduit les accords de Dayton :

« Fin décembre 2011, quatorze mois après les élections générales d'octobre 2010, les leaders politiques des trois principales communautés de Bosnie ont enfin trouvé un consensus quant à la formation d'un gouvernement central. Les responsables politiques locaux se sont, dans le même temps, accordés sur l'adoption prochaine de deux réformes majeures, réclamées notamment par l'Union européenne : la loi sur le recensement et la distribution des subventions de l'État.

Soyons clairs, la Bosnie-Herzégovine n'a pas complètement tourné la page de la guerre civile qui l'a tant meurtrie. Le conflit, expression de logiques nationalistes et religieuses, oppose désormais les mémoires et fragilise l'objectif affiché d'un avenir commun. Le système mis en place par les accords de Dayton tend à exacerber ces clivages en multipliant les instances décentralisées, censées garantir les principes de diversité et d'égalité. Martelons-le : le principe d'égalité n'est en aucun cas la garantie de la nécessaire équité entre les populations. L'arrêt Sedjiæ et Finci prononcé le 22 décembre 2009 par la Cour européenne des droits de l'Homme vient, par ailleurs, rappeler combien cette mise en avant du principe d'égalité demeure artificielle.

Cette décentralisation à outrance a débouché sur un paysage institutionnel absurde. Comment peut-on espérer administrer efficacement un pays quand celui-ci compte 14 gouvernements et 187 ministres ? Un tel enchevêtrement de niveaux de responsabilité n'a pas permis l'émergence d'un véritable État bosnien, capable de s'affranchir de la tutelle internationale. Soyons clairs, les accords de Dayton, s'ils ont heureusement mis fin au conflit, ont depuis cristallisé les positions de l'après-guerre et, par delà, figé les mentalités.

Forts de ce constat, en cette année de double anniversaire - celui du début du conflit et celui de l'adhésion du pays à notre Organisation - il nous appartient d'insister sur la nécessité pour le pays de dépasser les logiques identitaires pour trouver un mode de fonctionnement efficace. Je m'associe à cet effet au souhait des deux rapporteurs de la commission de suivi d'évaluer précisément, lors de la prochaine partie de session, les progrès accomplis par le nouveau gouvernement bosnien. L'adhésion au Conseil de l'Europe n'est pas un blanc-seing ou un brevet de démocratie. Elle n'exonère en rien des réformes demeurant à accomplir pour donner du sens au concept d'État de droit, par exemple. Il en va également de la crédibilité même de notre Organisation.

Un célèbre poète, Pedrag Matvejeviæ, né à Mostar en Bosnie-Herzégovine, a écrit : « Nous avons tous un héritage que nous devons défendre, mais dans un même mouvement nous devons nous en défendre. Autrement, nous aurions des retards d'avenir, nous serions inaccomplis ». Ce vers doit désormais servir de programme aux autorités bosniennes » .

Prenant acte de la désignation d'un nouveau chef de gouvernement le 5 janvier dernier, la résolution adoptée par l'Assemblée insiste sur la nécessité de dépasser la logique des accords de Dayton et d'adopter un nouveau cadre institutionnel. Les règles restrictives en matière de quorums et de votes doivent être révisées afin d'en empêcher une utilisation excessive. Le texte invite par ailleurs les formations politiques bosniennes à oeuvrer de concert en vue de terminer la composition du nouveau gouvernement afin que celui-ci participe à la modernisation du pays. Enfin, si aucun progrès n'était réalisé avant le 15 mars 2012, l'Assemblée examinera toute action qui s'avèrerait nécessaire, le cas échéant, lors de la partie de session d'avril prochain. Il convient de rappeler que la résolution adoptée constitue le troisième texte consacré à la Bosnie-Herzégovine examiné par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en deux ans.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page