2. Les effets de la libéralisation seraient asymétriques

La simulation de la baisse des droits de douane telle qu'envisagée dans les négociations de Doha illustre l'asymétricité de ces effets. Lorsqu'un pays abaisse ses droits de douane le prix domestique diminue théoriquement (avec des effets sur les prix de consommation qui varient selon la captation de la réduction du prix de gros par les marges intermédiaires, situation généralement ignorée par les modèles utilisés pour estimer les effets d'une telle mesure mais qui, compte tenu des circuits du commerce agro-alimentaire doit être considérée comme une perspective crédible). Le prix étant plus faible, la production intérieure diminue tandis que la demande de produits importés augmente ce qui, à production donnée, fait monter les prix sur le marché mondial.

Les effets du désarmement douanier sur les pays passent donc par la modification des prix relatifs et par l'augmentation attendue du niveau des prix agricoles.

Au total, les protections douanières auraient un coût pour le bien-être des pays en développement 77 ( * ) estimé par le CEPII à 5 milliards de dollars ce qui représente une évaluation des gains de la libéralisation de 0,08 %. Ces estimations sont très inférieures à d'autres issues des grands organismes multilatéraux comme la Banque mondiale.

Les effets d'un désarmement douanier sont faibles au niveau agrégé mais sont très différenciés selon les pays.

Le Brésil bénéficierait de la moitié des gains suivi par l'Ukraine et plusieurs pays d'Amérique du sud (relevant du Mercosur). Mais, un tiers des 26 pays de l'échantillon perdraient au désarmement douanier. Il s'agit des des pays importateurs nets qui ne parviendraient pas à redresser suffisamment leurs positions commerciales.

Par ailleurs, si les gains de bien être sont globalement mitigés, ils résultent d'impacts de sens contraires, les uns favorables, concernant les exploitations agricoles, les autres, défavorables, les consommateurs.

Pour les agriculteurs des pays en développement, les exportations vers l'Europe et les États-Unis augmenteraient de 50 % ce qui est considérable (+ 49 milliards de dollars). Le Brésil bénéficierait d'environ du tiers de ce supplément d'exportation (les exportations du Brésil doubleraient). Globalement, les revenus des agriculteurs des pays en développement augmenteraient sous l'effet du surplus de volume et de la hausse des prix sur le marché mondial. Toutefois, l'augmentation de revenu serait différenciée : plus forte dans les pays à revenu intermédiaire (autour de 3 % en moyenne) que dans les pays à revenu faible (Inde, Vietnam...) avec seulement + 1 %. Mais les consommateurs de ces pays doivent supporter des prix plus élevés.

En Europe et aux États-Unis, la libéralisation douanière se traduirait par une amplification des importations mais qui serait concentrée sur quelques produits.

Les produits en cause (une trentaine) sont des produits qui font l'objet de protections tarifaires élevées et huit d'entre eux concentreraient plus de la moitié de la hausse des volumes importés.

Les produits les plus concernés seraient la viande, le sucre et les produits laitiers. C'est pour ces produits que la structure de la production mondiale serait modifiée avec des substitutions de revenu agricole entre l'Europe et les États-Unis (à leur détriment) et quelques pays émergents (le Brésil et plus globalement, ceux du groupe de Cairns). La plupart des agriculteurs du reste du monde ne bénéficieraient pas de cet assouplissement douanier et même beaucoup d'entre eux en pâtiraient. Ceux-là pourraient subir une double peine leur revenu faiblissant quand les prix agricoles mondiaux augmenteraient. Il est vrai que les produits concernés sont assez peu consommés par les pauvres du monde. Du côté de l'Europe et des États-Unis, les consommateurs profiteraient d'une baisse des prix puisque, pour eux, la baisse des droits de douane exercerait des effets supérieurs à la hausse des prix mondiaux. Mais ce bénéficie monétaire n'est probablement pas le seul effet dont il faille tenir compte pour évaluer les incidences de la libéralisation du commerce agricole international sur les consommateurs des pays développés.

À ce titre, les problèmes auxquels est confronté le système alimentaire mondial et que pourraient aggraver les échanges internationaux supplémentaires doivent être pesés dans l'évaluation de leurs effets sur les populations du Nord.


* 77 Le coût pour le bien être de ces pays agrège ici les effets des protections douanières sur les producteurs et sur les consommateurs.

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