B. DÉBAT AVEC LA SALLE

M. Olivier Guillemot, directeur juridique et financier du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Le CNC intervient dans le cinéma et l'audiovisuel et, de plus en plus, dans le multimédia, le jeu vidéo et Internet : le centre que souhaite André Gattolin existe déjà ! Nous n'avons pas vocation à taxer le numérique mais sommes depuis l'origine chargés de faire contribuer à la création l'ensemble des acteurs qui tirent des revenus de la distribution des oeuvres, l'aval finançant ainsi l'amont. Il est vertueux que l'ensemble des créations financent la création.

Pourriez-vous me préciser dans quelle enceinte communautaire est aujourd'hui discutée l'idée très intéressante d'établissement virtuel stable, et y a-t-il des modèles fiscaux permettant de retrouver le chiffre de 600 millions d'euros de pertes de recettes ?

On a trop tendance à raisonner par secteur à opposer l'aval et l'amont, alors que ces secteurs se nourrissent les uns les autres dans leur développement comme en témoigne l'actuelle croissance du secteur des télécommunications, conséquence du dynamisme des contenus. L'envie du consommateur est plus grande maintenant que la télévision est disponible sur les smartphones . Ceux qui contribuent ont droit à un retour grâce à de nouveaux contenus.

M. Olivier Ezratty, consultant et conseiller en stratégie d'innovation

L'excès d'aide publique quelle qu'en soit la forme, a mécaniquement tendance à éloigner les startups du marché et des attentes des clients, la dérive du système étant même allée - d'après certaines rumeurs - jusqu'à faire financer un documentaire par le grand emprunt pour plusieurs millions d'euros.

M. Marc Tessier, président de VideoFutur Entertainment Group

Le CNC n'accorde de concours public qu'en fonction du succès de l'oeuvre.

M. Olivier Ezratty, consultant et conseiller en stratégie d'innovation

L'anecdote est trop belle pour être vraie. Cependant, il n'y a pas que le cinéma...

M. Marc Tessier, président de VideoFutur Entertainment Group

Mon observation vaut pour les biens culturels en général, une partie des financements du Centre national du livre (CNL) étant fondée sur le même principe. Il ne s'agit pas de subventions, mais d'un système de redistribution sur la base du succès.

M. Olivier Ezratty, consultant et conseiller en stratégie d'innovation

La gestion de la fiscalité des entreprises étrangères établies en France relève de Bercy, qui concilie approche fiscale et réflexion industrielle en négociant avec les Google et Microsoft. C'est plutôt rassurant. Si l'idée de révision du statut d'agent commercial est intéressante, la recette escomptée de 600 millions d'euros ne constituerait un gain net qu'au cas où ces grandes entreprises ne délocaliseraient pas à cause de la taxation.

M. Benoît Tabaka, secrétaire général du Conseil national du numérique (CNN)

L'adoption de la notion d'établissement public virtuel suppose un accord unanime des États membres de l'Union, sachant que le Luxembourg, l'Irlande, les Pays-Bas, ou encore Malte n'y sont pas favorables. Il faudrait que deux grands États comme l'Allemagne prennent une initiative, et exercent une pression sur leurs partenaires tout en mettant en place une solution temporaire qui ne pénaliserait pas nos entreprises. Quant à la définition de l'établissement public virtuel, elle peut s'inspirer des lignes directrices de l'OCDE en matière de fiscalité du commerce électronique, qui retiennent le critère du lieu d'implantation des serveurs.

Pour rentrer dans une logique de chaîne de valeur, il est essentiel d'encourager le dialogue et la synergie entre l'industrie culturelle et celle du numérique ainsi que de développer l'offre légale. Pourquoi le CNC, tendant la main aux acteurs du numérique, ne participerait-il pas au financement de la fibre ? Nous sommes en effet dans une logique d'écosystème, qui ne doit pas se concevoir uniquement dans le sens du secteur du numérique vers celui de la culture, mais également dans le sens inverse. L'exemple de la chronologie des médias, dont témoigne l'affaire récente de MegaUpload rappelle la nécessité de développer une offre légale attractive et accessible au consommateur.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »

C'est le Sénat, au moment de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), qui avait incité le CNC à être convaincant auprès des différents acteurs. Nous avions encore raccourci par amendement la chronologie des médias.

M. Olivier de Baillenx, directeur des relations institutionnelles d'Iliad (Free)

Les choses n'avancent pas très vite, les accords signés par les acteurs viennent d'être reconduits ! On discutera après... J'alerte le législateur.

En effet, il serait peut être opportun que la France prenne une initiative forte pour la TVA sur le lieu de consommation et provoque le débat comme elle vient de le faire pour le livre numérique.

Taxer les flux ? L'essentiel du chiffre d'affaires des grandes sociétés, comme Google ou Facebook, provient de la publicité. Cela offre la possibilité de faire pression sur elles par le biais des annonceurs qui leur achètent les espaces. Même si elle a été mal défendue, la taxe Google mériterait donc d'être rediscutée.

M. Benoît Tabaka, secrétaire général du Conseil national du numérique (CNN)

On s'interroge davantage de savoir qui l'on veut taxer plutôt que ce que l'on veut taxer. Dépassons le débat de la taxe Google. Si l'on taxe la publicité en ligne, on affecte effectivement Google, dont 99,9 % de ses revenus en sont issus, mais pas Amazon dont le business model repose sur la vente de produits physiques. Taxer la seule publicité introduirait dès lors une distorsion, les grands annonceurs pouvant en outre contourner facilement la disposition en achetant les espaces à partir de l'étranger. Amazon s'acquitte de la TVA en France sur les produits qu'elle y commercialise, tel n'est pas le cas d'iTunes dont le business model repose sur la vente de services.

La TVA sur le lieu de consommation ne concernerait que le secteur de l'offre légale, à savoir le e-book, la musique, la vidéo, les séries télévisées, soit moins de 100 millions d'euros de chiffre d'affaire, beaucoup moins que les 2 milliards d'euros de revenus de Google et Amazon réunis. L'application d'une telle TVA à taux réduit rapporterait, au mieux, 7 millions d'euros au budget de l'État. Faut-il se battre au niveau européen pour obtenir cela grâce à la TVA à taux réduit ? Ne serait-il pas préférable de se battre au niveau français pour taxer tous les revenus d'activité dégagés par les acteurs étrangers et récupérer 500 millions ? Les enjeux de la fiscalité numérique n'ont jamais été posés correctement. Accélérer le passage au recouvrement de la TVA sur les lieux de consommation est nécessaire, mais cela prendra dix ans pour réaliser ce qui devrait être fait en 2015.

M. Marc Tessier, président de VideoFutur Entertainment Group

Les dispositifs communautaires ont déjà reterritorialisé une grande partie de la TVA. Reste le cas de la ressource publicitaire : si le siège social de l'entreprise se situe en Irlande, il sera difficile d'appliquer un autre taux que celui appliqué dans ce pays, car la commande y aura été passée. Pour ce qui est de la TVA, chaque type de transaction pose des problèmes spécifiques.

Les réseaux peuvent se financer autrement que par des taxes. Ont-ils réellement besoin de subventions ? Je n'en suis pas convaincu. En matière de fiscalité, il n'y a pas de bons impôts, hormis l'impôt zéro. Si l'on considère que toutes les taxes indirectes entraînent des inconvénients, ne restent plus que l'impôt sur le revenu ou la redevance que paye le consommateur. Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ? Ces impôts risquent d'être rapidement considérés comme confiscatoires. Lorsqu'on examine un impôt, il faut considérer ses avantages et ses inconvénients. La taxe sur les flux comporte des inconvénients, mais disposons-nous d'un substitut ?

M. Olivier Ezratty, consultant et conseiller en stratégie d'innovation

J'ai entendu dire que les taxes qui financent les industries culturelles améliorent leur compétitivité. Je n'en suis pas si certain. Pourquoi ne pas utiliser une partie de la redistribution pour financer la traduction en anglais de certaines oeuvres ? Cela améliorerait leur compétitivité. Ubisoft ou Gameloft ont une emprise mondiale parce qu'elles produisent en français mais surtout en anglais. Nous ne devons pas nous cantonner à aider des activités sur le marché intérieur.

M. Marc Tessier, président de VideoFutur Entertainment Group

Bruxelles interdit les aides à l'export.

M. Olivier Ezratty, consultant et conseiller en stratégie d'innovation

De plus, les prix de vente des contenus diminuent. Voyez l'évolution du prix des logiciels du fait des magasins d'application qui sont passés de dizaines d'euros à quelques euros pièce. Du fait de cet effet volume à l'échelle mondiale, la valeur perçue a considérablement baissé, ce qui oblige les producteurs de contenus à se positionner sur des plateformes que nous ne contrôlons pas. Il faut donc développer des logiques de volume et arrêter de financer des activités à perte qui n'améliorent pas la compétitivité de notre pays.

M. Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération française des Télécoms (FFT)

L'innovation fiscale s'ajoute à l'existant, sans s'y substituer. Cela nous inquiète parce que l'innovation doit avoir un effet de levier.

L'État lorgne sur les poches des opérateurs dont les marges diminuent depuis 2011. Cette année, la baisse se poursuivra du fait de l'arrivée de Free. Or, pendant ce temps, ils investissent de 6 à 7 milliards par an, soit un montant équivalent à celui de l'électricité ou du rail, et trois fois plus que pour les autoroutes. Les opérateurs doivent en effet répondre à la demande : dans les cinq ans à venir, les besoins en haut débit seront multipliés par 25, voire 50. Les réseaux se construisent donc dès maintenant et ils impliquent de lourds investissements. Or, pendant ce temps, l'État continue à ponctionner les opérateurs. Il y a donc lieu d'élargir l'assiette fiscale : tous les acteurs qui bénéficient de la culture française doivent être taxés de façon équitable.

Très prochainement, le Parlement va se pencher sur la TVA sociale qui aura sur le secteur des télécoms un impact extrêmement fort. Il y a un an, les opérateurs ont prélevé l'augmentation de la TVA sur le triple play sur leurs marges. Il en ira probablement de même pour la TVA sociale : leur capacité d'investissement va donc se réduire une nouvelle fois de plusieurs centaines de millions. Alors qu'ils payent un peu plus d'un milliard de fiscalité spécifique, une nouvelle augmentation aura un effet toxique sur l'économie française et sur sa capacité à prélever de l'impôt. Le numérique a un effet de levier sur toute l'économie : lorsqu'on multiplie le débit par deux, le PIB augmente de 0,3 %. Méfions-nous d'une fiscalité mal employée qui reposerait sur une mauvaise assiette.

Nous devons nous mettre autour d'une table pour que la créativité fiscale s'applique à bon escient.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »

C'est ce que nous faisons aujourd'hui.

Mme Laura Boulet, directrice des affaires publiques et juridiques de l'Union des annonceurs

On a beaucoup parlé d'une taxe sur la publicité en ligne, qui risque d'avoir un effet pervers sur le financement de la culture. Si la publicité en ligne est taxée, les gros annonceurs déplaceront leurs investissements publicitaires vers d'autres médias et les petits annonceurs seront évincés de ce média. Sans investissements publicitaires, le financement de la culture se réduirait. Les annonceurs ne bénéficient d'ailleurs pas des contenus : ils payent pour être à leur proximité d'autant plus cher que ces contenus font de l'audience.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies »

La taxe Google, que préconisait la commission des finances, ne devait pas spécifiquement bénéficier aux contenus culturels.

M. Olivier Hugon-Nicolas, délégué général du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC)

La distribution est au centre de la problématique, qu'il s'agisse de la distribution de produits ou de services culturels ou du numérique. Le Sénat l'a bien compris et je l'en remercie. Nous essayons de concurrencer les trois acteurs qui occupent une position dominante en investissant dans les plateformes et dans des offres de musique et de livres. Ce matin, il a été question du rapport rédigé par Bercy et le ministère de la culture sur la TVA applicable au livre numérique. Une étude sur les marges des libraires démontre son indéniable impact. Entre les 40 % de baisse du prix entre le livre physique et le livre numérique, et la TVA, notre marge est diminuée de moitié.

Une politique industrielle européenne est indispensable pour que nous puissions continuer à rencontrer notre public et nos consommateurs.

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