(1) Les administrations éclatées

Un exemple introductif de la diversité des intervenants administratifs est fourni par la méthode suivie par la mission d'enquête de l'Inspection générale des finances pour élaborer le rapport d'enquête n° 2010M06201 établi en juillet 2010 par Jean Bassères 449 ( * ) . L'IGF a interrogé six entités : l'ensemble des directions d'administration centrale concernées : direction générale des finances publiques (DGFIP), direction de la législation fiscale (DLF), direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), direction du budget (DB), direction des affaires juridiques (DAJ), le service du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin).

Le rapport ajoute que « les questions relatives à la fiscalité sont traitées par le pôle fiscal du cabinet . Au sein du pôle, il existe traditionnellement une structure dédiée ( cellule fiscale ) qui a pour rôle principal de recevoir des personnes et de préparer les réponses du ministre aux interventions d'ordre fiscal (...). A sa demande, la mission a eu connaissance de 6 247 dossiers identifiés et traités par les membres de la cellule fiscale durant la période où M. Eric Woerth était ministre du budget. ».

La commission d'enquête a constaté que, conformément aux préconisations de ce rapport de l'IGF, la cellule fiscale a été supprimée « afin de dissiper toute ambiguïté ». Mme Valérie Pécresse a souligné devant la commission d'enquête que désormais l'administration fiscale était pleinement en charge de ce contrôle depuis la circulaire de M.. François Baroin au directeur général des finances publiques du 2 novembre 2010 450 ( * ) .

Les directions spécialisées de la DGFIP

Schéma simplifié de l'organisation administrative du contrôle fiscal.

- à l'échelon national, on recense trois directions spécialisées : la première s'occupe des grandes entreprises, la deuxième des particuliers et la dernière du renseignement. Ces trois directions nationales sont composées de spécialistes extrêmement qualifiés, recrutés en fonction de profils très précis, qui sont compétents pour évoquer les dossiers particulièrement complexes et porteurs d'enjeux importants, voire les deux ;

- dix directions du contrôle fiscal, les DIRCOFI, sont compétentes à l'échelon interrégional et prennent en charge les dossiers de montants financiers intermédiaires ;

- les directions départementales des finances publiques, autrefois dénommées directions des services fiscaux, ont pour vocation d'assurer la couverture du territoire. Elles peuvent traiter des dossiers pour des montants limités, mais elles ont surtout pour mission de s'assurer que l'égalité républicaine est respectée sur le territoire et que tout contribuable accomplit ses obligations en matière fiscale.

Le contrôle fiscal

- un million de contrôles sur pièces concernent chaque année les particuliers ;

- les contrôles sur place ont été stabilisés à 52 000 par an. Ils comportent un débat oral et contradictoire. On distingue deux types de contrôles sur place : d'une part, les 4 000 examens contradictoires de la situation fiscale des personnes physiques (ESFP), qui conduisent le vérificateur à aller « au contact » du contribuable particulier, et, d'autre part, les 48 000 vérifications de comptabilité, qui ouvrent l'accès, non aux comptes bancaires des particuliers mais à la comptabilité de l'entreprise.

En 2011, 10,81 milliards d'euros de droits et pénalités ont été rappelés grâce aux contrôles sur place effectués sur près de 47 500 entreprises et 4 000 particuliers. Plus de 5,13 milliards d'euros de droits et de 463 millions d'euros de pénalités ont été rappelés grâce aux contrôles sur pièces. 15 402 contrôles fiscaux externes sanctionnant des manquements caractérisés au-delà de la simple erreur ou omission et portant sur des sommes significatives ont comporté une action répressive. 1 046 plaintes pour fraude fiscale ont fait l'objet d'une transmission à la Commission des infractions fiscales et 966 ont été déposées après un avis favorable.

Contrairement à une idée reçue, la fiscalité internationale et le contrôle de sa mise en oeuvre ne sont pas l'apanage d'entités administratives dédiées. Les contrôles des opérations internationales sont surtout effectués par les directions nationales. Ils relèvent également des directions de contrôle fiscal et représentent, par exemple, 11 % des contrôles externes de celle de l'interrégion Nord. Les directions départementales des finances publiques sont beaucoup moins concernées.

Cependant, trois directions nationales spécialisées de la DGFIP, dont la commission d'enquête a entendu les directeurs, sont particulièrement impliquées dans la lutte contre l'évasion fiscale internationale :

- la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) emploie 500 agents et contrôle les entreprises établies en France dont le chiffre d'affaires est supérieur à 150 millions d'euros, ou 75 millions d'euros lorsqu'il s'agit de prestataires de services ainsi que leurs filiales, soit 70 000 entreprises au total. Elle a rappelé un montant d'impôts de 3,5 milliards d'euros en 2009 et 4,2 milliards en 2011 pour 1 350 dossiers ;

- la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) compte 250 agents. Elle a vocation à contrôler les contribuables les plus fortunés. Elle a rappelé un montant d'impôts de 255 millions d'euros en 2010 (et 66 millions d'euros de pénalités) portant sur près de 900 affaires ;

- la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) a pour mission la recherche, le renseignement et les enquêtes tant au niveau national qu'international. Elle emploie 390 agents et a rappelé pour 390 millions d'euros de droits et pénalités en 2010, en traitant 460 dossiers. Elle doit prévenir les nouveaux mécanismes de fraude, enjeu très important dans un contexte mouvant.

Le présent rapport examine plus loin en détail le diagnostic de la Cour des comptes, selon lequel, au regard de leurs objectifs, ces trois directions spécialisées présentent des performances inégales. « La DVNI a su pour l'essentiel faire évoluer ses méthodes et préserver ses résultats. La DNVSF présente des résultats décevants et n'est pas en situation aujourd'hui d'exercer un contrôle efficace des contribuables les plus fortunés. La DNEF voit son efficacité pénalisée par le caractère composite de ses missions, le trop faible renouvellement de ses effectifs et sa timidité en matière d'utilisation des outils informatiques. » 451 ( * ) . Du strict point de vue de l'évasion fiscale internationale, cette conclusion sévère mérite d'être complétée par un constat général : l'évasion fiscale internationale par sa dimension astucieuse, par l'ingéniérie qu'elle mobilise et par le défaut d'une norme générale permettant de convertir en redressements des contrôles souvent difficiles est une dimension bien plus complexe que la fraude fiscale ordinaire.

Ainsi, ce sont les « prix de transfert » biaisés qui constituent le principal moyen d'optimisation ou de fraude fiscale utilisé par les groupes internationaux. Or la Cour des comptes a fait observer 452 ( * ) en 2010 que les directions de contrôle fiscal sont très démunies dans ce domaine et n'opèrent en général des redressements que dans des cas très simples. De plus, la fraude à la TVA intracommunautaire représente des montants considérables : « la difficulté intrinsèque à détecter les réseaux, le nombre finalement modeste des vérifications et leur faible rendement en termes de recouvrement de l'impôt ne peuvent être ignorés ».

La police judiciaire fiscale : une avancée notable qui s'ajoute aux unités existantes de la répression de la délinquance financière.

L'introduction en France de l'enquête judiciaire fiscale constitue une innovation importante de ces dernières années : elle s'est concrétisée par la mise en place en 2010 d'une unité de police judiciaire spécialisée, la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) .

Rattachée au ministère en charge de l'Intérieur , la BNRDF est une des treize entités, offices ou brigades qui composent la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière. Comme l'a précisé M. Bernard Petit qui dirige cet ensemble, deux autres unités s'intéressent particulièrement à la fraude fiscale :

- la brigade nationale d'enquête économique (BNEE) , créée en 1948, peut être considérée comme l'ancêtre de la nouvelle police judiciaire fiscale puisqu'elle signale à la DGFIP des fraudes fiscales repérées à l'occasion de la poursuite d'infractions pénales. Elle comprend quarante-sept inspecteurs des impôts répartis sur vingt-et-un sites en France et qui ont participé à 491 perquisitions et à 1 480 auditions en 2011. Il en est résulté 600 signalements à la DGFIP en 2011 concernant à parts égales des personnes physiques et des personnes morales. Les droits et pénalités exigés ont représenté plus de 170 millions d'euros en 2011 ;

- spécialisés dans la lutte contre l'économie souterraine, les trente-sept Groupes d'Intervention Régionaux ( GIR) répartis sur l'ensemble du territoire emploient quarante et un fonctionnaires. Mis en place par une circulaire interministérielle du 22 mai 2002, les GIR interviennent en co-saisine comme des composants supplémentaires de l'enquête et travaillent sur les aspects financiers ou fiscaux des fraudes. Ils ont transmis aux services fiscaux 811 informations ou propositions de vérification fiscale en 2011. En outre, les agents DGFIP des GIR sont à l'origine de 25 millions d'euros de droits et pénalités réalisés en 2010 sur la base de 162 contrôles fiscaux externes. En 2011, ces chiffres sont en hausse avec 34 millions d'euros pour 216 contrôles.

Ces actions traduisent la coopération entre la DGFIP et les forces de police . Plus de 150 agents du fisc sont ainsi présents au sein des services du ministère de l'Intérieur. Un dispositif spécifique a été mis en place pour taxer les revenus des auteurs d'activités illégales et de trafics. Dans de telles situations, dans lesquelles très peu d'informations sont disponibles, la loi permet depuis 2010 à l'administration d'asseoir l'impôt sur la valeur des marchandises et des sommes saisies lors des investigations judiciaires. Dans ce cadre, de nouvelles mesures votées par le Parlement en loi de finances rectificative pour 2011, visent à laisser plus de temps à l'administration fiscale et à la police fiscale pour agir contre les comportements les plus frauduleux.

Dirigée par un commissaire de police, la BNDRF est composée de vingt-deux enquêteurs , à savoir neuf officiers de police judiciaire et treize agents de la DGFIP ayant obtenu le nouveau statut d'officiers fiscaux judiciaires qui y travaillent à temps plein.

La police fiscale a dans son « viseur » les pratiques frauduleuses les plus sophistiquées, reposant en particulier sur l'utilisation des paradis fiscaux qui peuvent désormais faire l'objet d'investigations sous la forme d'enquêtes judiciaires, avec l'utilisation de moyens tels que des auditions, des écoutes ou des perquisitions.

Cette procédure, qui n'existait pas jusqu'à présent dans notre pays, est déjà appliquée à 77 cas de grande fraude regroupés en 55 dossiers judiciaires, en raison des liens qui existaient entre certaines plaintes. Trente-sept cas concernent des contribuables qui ne déclarent pas des comptes bancaires à l'étranger, potentiellement alimentés par des fonds détournés d'activités commerciales .

Depuis sa création, la BNRDF a effectué 93 perquisitions, 64 gardes à vue et 67 personnes sont directement mises en cause par les enquêtes. Elle a achevé six procédures, ce qui signifie qu'elle a communiqué six dossiers à la DGFIP pour que cette dernière développe parallèlement sa propre procédure fiscale. L'enjeu fiscal de l'ensemble des dossiers a été estimé à plus de 240 millions d'euros de droits fraudés : 5,6 millions d'euros ont d'ores et déjà été saisis. Parce qu'elle n'a qu'un an d'activité et que les dossiers restitués à l'autorité judiciaire n'ont pas encore été jugés, la BNRDF n'a encore obtenu aucune condamnation pénale.

Les liens entre l'administration fiscale, les douanes et les organismes sociaux.

Au niveau national, le précédent Gouvernement s'est efforcé de mobiliser l'ensemble des administrations pour lutter contre les atteintes frauduleuses aux finances publiques.

Sous l'impulsion de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), l'administration fiscale travaille en coopération plus étroite avec les organismes sociaux , auxquels elle a notamment transmis 4 000 signalements en 2010.

De plus, la Direction générale des douanes et droits indirects , qui n'a pas été incluse dans le périmètre de la fusion entre la direction générale des impôts et la DGCP intervenue à partir de 2008, a conclu en 2010 avec la DGFIP un nouveau protocole d'accord visant à adapter les modalités d'échanges d'informations et à renforcer la coopération entre les douanes et l'administration fiscale. La Cour des comptes s'est cependant montrée critique envers cette coopération, M. Christian Babusiaux faisant observer que le dialogue entre les administrations devrait pouvoir s'instaurer même en l'absence de signature de « protocoles ».

Comme l'ont précisé MM. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI) et Jean-Paul Balzamo, sous-directeur, au titre de la surveillance de l'évasion des capitaux sous forme de transfert de sommes et valeurs liquides, la DGDDI constate annuellement entre 1 300 et 1 400  manquements à l'obligation déclarative pour une centaine de millions d'euros. Au passage, on remarquera que ces manquements représentent quelque 5% des déclarations, ce qui révèle un taux de fraude très significatif , alors même que chacun s'accorde à considérer que la fraude par passage physique des frontières est aujourd'hui une pratique dépassée. Ces fraudes douanières pouvant être liées à un blanchiment de fraude fiscale, la DGDDI adresse chaque année à l'administration fiscale 1 500 à 2 000 bulletins de transmission d'information (BTI).

Par ailleurs, à la suite des escroqueries au carrousel de TVA, des échanges de données systématiques entre les deux directions générales ont été mis en place concernant en particulier les déclarations d'échanges de biens par les entreprises : il s'agit de repérer d'éventuelles anomalies d'un mois sur l'autre avec des « pics » dans les échanges intracommunautaires économiquement infondés.


* 449 Ce rapport a fait suite à une demande de mission formulée par ministre en charge du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat. Il s'agissait d'apporter une réponse précise aux deux questions suivantes : « M. Eric Woerth, durant la période où il était ministre du budget, a-t-il été informé de la situation fiscale et financière de Madame Bettencourt, de Messieurs Banier et de Maistre, ainsi que des sociétés Téthys et Clymène et est-il intervenu pour demander, empêcher ou orienter un contrôle ? Les informations obtenues dans le cadre du contrôle fiscal de M. Banier, notamment de source judiciaire, étaient-elles de nature à conduire l'administration, avant les récentes révélations à l'origine de l'affaire, à déclencher un examen de la situation fiscale personnelle de Mme Bettencourt ? ».

* 450 La ministre a cité l'extrait suivant de cette circulaire : « S'agissant plus précisément des programmes de contrôle, j'entends que l'administration fiscale fasse entièrement son affaire, sous votre autorité, de la détermination des contribuables, entreprises ou particuliers, dont la situation fera l'objet d'un examen particulier. Vous me tiendrez informé des dossiers susceptibles d'avoir un retentissement médiatique. Je m'abstiendrai de toute intervention, que ce soit dans le choix des contrôles, le cours des investigations ou les éventuelles décisions de poursuites pénales. »

* 451 Cour des comptes - Le pilotage national du contrôle fiscal in Rapport public annuel 2012.

* 452 Cour des comptes - Les méthodes et les résultats du contrôle fiscal in Rapport public annuel 2010.

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