B. ... LIMITÉS PAR DES MOYENS DE LUTTE CONTRE L'ÉVASION FISCALE MOINS MOBILES QUE LE PHÉNOMÈNE QU'ILS S'EFFORCENT D'ENDIGUER...

Trois remarques liminaires permettent de mieux situer la portée des développements consacrée aux moyens de lutte contre l'évasion des capitaux et à l'efficacité des sanctions applicables à cette dernière.

En premier lieu, dès le début de ses travaux, la commission d'enquête a pris connaissance du diagnostic général établi par la Cour des comptes et qui se résume à la mise en évidence d'un « décalage important entre la mobilité de la fraude et la relative rigidité d'une organisation administrative handicapée par des cloisonnements et des « différences culturelles » .

A partir de cette base, la commission d'enquête a approfondi et élargi ses investigations pour confronter cette critique assez sévère au point de vue des différents acteurs et syndicats des personnels de la « galaxie » des moyens de lutte contre l'évasion fiscale. Il convient de noter que conformément à sa vocation principale, la Cour des comptes s'est efforcée de tracer les pistes d'amélioration du contrôle fiscal en se concentrant sur son organisation administrative. Comme l'a constaté la commission d'enquête, un certain nombre de pistes d'amélioration du contrôle fiscal préconisées par la Cour ont d'ores et déjà été suivies. En outre, avant d'encourager à la rénovation et à l'augmentation raisonnée de leurs moyens, le présent rapport est l'occasion pour les parlementaires de rendre hommage au dévouement des fonctionnaires de cette administration. Comme ont pu le relever les syndicats et plusieurs directeurs, l'existence même de la présente commission d'enquête a été reçue, à juste titre, comme un témoignage de soutien aux efforts de chacun dans un contexte extrêmement difficile de « pression » exercée sur les agents pour améliorer le rendement des contrôles sans compter les effets d'un contexte de plus en plus tendu, moins en raison d'une période marquée par la découverte d'un assez grand nombre d'abcès à vider que par la sophistication apparemment croissante des montages auxquels certains assujettis ont recours.

Soucieuse de comparer les moyens de lutte contre l'évasion fiscale de la France à ceux des pays de l'OCDE, la commission d'enquête a, en même temps, engagé des travaux destinés à repérer, à travers des différences très marquées d'un pays à l'autre, des « bonnes pratiques » et des pistes de progrès.

Cependant, deux constats démontrent que l'efficacité du contrôle fiscal ne dépend pas seulement de son organisation administrative ou institutionnelle .

Faute d'adaptation de la fiscalité au commerce des signes et à la mobilité transnationale, les progrès du contrôle fiscal risquent de se concentrer sur les « assignés à résidence » .

De ce point de vue, il convient, comme l'a rappelé M. Charles-Henri Filippi, président de Citigroup, de bien distinguer les deux volets de la lutte contre l'évasion fiscale avec d'abord, l'établissement d'une assiette aussi large que possible et ensuite, la capacité effective à contrôler l'impôt et à le recouvrer. Or, au cours des vingt dernières années M. Charles-Henri Filippi a estimé qu' « on a bien et fortement avancé sur le contrôle réel de ce qu'on pouvait maîtriser et qu'on a beaucoup moins bien avancé - voire, très certainement reculé ! - sur la capacité à maîtriser véritablement les assiettes fiscales. ».

Fondamentalement, la fiscalité doit s'adapter à l'évolution de l'économie réelle. Historiquement, la capitation qui imposait la personne et son patrimoine a été instituée parce que le volume des échanges était trop faible pour constituer une base taxable. Puis la TVA a constitué une révolution fiscale qui a permis aux puissances publiques de se financer sur la base de la croissance du commerce dans une économie ouverte. Aujourd'hui, nous sommes passés assez largement du commerce de l'objet au commerce des signes que sont les flux financiers et les flux d'informations : or les systèmes fiscaux ne sont pas encore adaptés à la captation de ces flux dématérialisés .

En même temps, la richesse tend aujourd'hui à se concentrer sur les contribuables les plus mobiles ou les plus capables de rendre mobiles ce qui était autrefois figé, en découpant habilement des chaînes de production de valeur qui se complexifient, s'allongent, tournent en boucle parfois, comme il a été indiqué dans l'introduction au présent rapport à propos des « boucles d'investissement » .

Les inégalités ont ainsi tendance à s'accroître entre, d'une part, « les manipulateurs de symboles », parfaitement adaptés à la dématérialisation des échanges et capables de se délocaliser là où est la richesse, mais aussi de délocaliser la richesse créée en la transférant de son « agglomération » d'origine vers des « agglomérations » moins créatives peut-être, mais plus accueillantes fiscalement, et, d'autre part, les « assignés à résidence », moins riches mais qui finissent par constituer l'essentiel de la matière fiscale pouvant être aisément appréhendée.

Enfin, on ne saurait assez souligner l'importance de l'accès à l'information et, en particulier, aux renseignements bancaires, financiers ainsi qu'aux « montages » d'évasion fiscale dans un domaine où l'asymétrie d'information est un enjeu fort des relations entre les contribuables et les fiscs . Le caractère essentiel du renseignement, souligné par les praticiens de la lutte contre l'évasion fiscale, peut être illustré concrètement en constatant que c'est sur la base de simples fichiers comme celui qui était logé sur le disque dur de l'ordinateur d'un ancien collaborateur de la banque HSBC que l'administration fiscale française a pu, à moyens constants et en deux ou trois ans, recouvrer plus de 1,3 milliard d'euros de droits en sanctionnant plusieurs milliers de détenteurs de comptes à l'étranger non déclarés. Par comparaison, c'est en quelques mois et probablement avec quelques dizaines de personnes que s'est matérialisé le danger que constitue la mobilité de la fraude, le carrousel de TVA sur les quotas de CO 2 ayant soustrait au Trésor public 1,6 milliard d'euros.

Ainsi, l'information est directement une affaire de temps et le temps des assujettis et celui des contrôleurs doivent être homogénéisés, observation qui n'est pas sans incidence pratique sur les recommandations que peut faire votre commission pour mieux lutter contre l'évasion fiscale internationale.

De façon générale, comme l'ont souligné les représentants du syndicat SNUI-SUD Trésor Solidaires, « on manque d'accès à l'information. Il s'ensuit une mauvaise programmation du contrôle fiscal et une mauvaise sélection des dossiers ».

L'adaptation de la fiscalité et des outils de coopération fiscale internationale à la mobilité des nouveaux acteurs de l'économie est donc, à terme, une condition nécessaire de l'efficacité du contrôle fiscal.

En même temps, et de façon plus immédiate, la commission estime souhaitable de rénover les moyens de lutte contre l'évasion fiscale au moyen d'un « catalyseur » destiné à :

- surmonter les cloisonnements qui subsistent ;

- mieux cibler les principaux risques de contournement de l'impôt ;

- renforcer les moyens humains, techniques ainsi que les instruments de recherche de l'information ;

- encourager la mobilisation des professions du chiffre et du droit pour améliorer les résultats et non pas seulement les moyens du signalement des fraudes ;

- et à aggraver les sanctions fiscales ou pénales tout en veillant à leur mise en oeuvre effective.

1. Un pilotage difficile de structures foisonnantes
a) La « galaxie » des intervenants

Le périmètre des entités qui contribuent à la lutte contre l'évasion fiscale est extrêmement vaste et diversifié. Compte tenu des habitudes des organisations, cet éclatement pose à l'évidence des problèmes d'efficacité, en créant des coûts de coordination, qui pour l'essentiel se traduisent par des résultats probablement sous-optimaux.

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