(2) Une collaboration frileuse de l'administration avec la justice

Les auditions ont tout d'abord permis de confirmer que les administrations fiscales et douanières ont parfois tendance à craindre de déclencher les procédures judiciaires fiscales.

M. Bernard Salvat, directeur national des enquêtes fiscales (DNEF), a fourni une illustration particulièrement frappante des raisons de cette prudence en rappelant qu'en septembre 2009, sa direction venait d'être « secouée par le sinistre juridique provoqué par l'arrêt « Ravon ». Cet arrêt avait invalidé notre procédure de visite et de saisie, en ce qu'elle n'offrait pas de recours suffisants pour le contribuable. La direction avait été traumatisée par cet arrêt. Pendant près de six mois, il a fallu élaborer un nouveau texte, temps pendant lequel les services de perquisition étaient restés cantonnés dans leur bureau.».

La Cour européenne des droits de l'Homme a jugé dans l' arrêt Ravon du 21 février 2008 que les voies de recours ouvertes aux contribuables pour contester la régularité des visites et des saisies pratiquées sur le fondement de l'article L 16 B du LPF dans sa rédaction alors applicable ne garantissaient pas l'accès à un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme. La Cour européenne a précisé que le droit inscrit à l'article 6 §1 de la Convention impliquait en matière de visite domiciliaire que « les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement ; le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d'irrégularité, soit de prévenir la survenance de l'opération, soit, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l'intéressé un redressement approprié ».

Tirant les conséquences de cette décision, et afin de renforcer les droits de la défense du contribuable et d'assurer la conformité du dispositif à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la loi du 4 août 2008, dite loi de « modernisation de l'économie » (loi 2008-776, art. 164), a modifié substantiellement l'article L16 B en instituant la possibilité d'un recours sur l'autorisation de visite domiciliaire et sur son exécution. Cette double voie de recours offerte aux contribuables consiste en un appel (non suspensif) puis en un pourvoi en cassation, dans un délai de 15 jours et selon les règles prévues par le Code de procédure civile.

Afin de permettre aux contribuables de se prévaloir de garanties pertinentes et suffisantes au regard de la Convention européenne, les dispositions de l'article L 16 B, II du LPF disposent désormais que le juge saisi d'une demande d'autorisation de visite domiciliaire doit vérifier de manière concrète que cette demande est fondée. Il doit par ailleurs motiver sa décision par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer l'existence des agissements frauduleux dont la recherche est autorisée.

Le directeur de la DNEF a cependant indiqué qu' en matière de fraude à la TVA, l'administration porte fréquemment plainte directement pour escroquerie, sans qu'il soit besoin de saisir au préalable la Commission des infractions fiscales (CIF).

Par ailleurs, la DNEF collecte des informations de façon très large et dispose d'une brigade au Palais de justice qui explore les dossiers au greffe pour étudier et exploiter les informations pertinentes en provenance, par exemple, des litiges du travail : « des collaborateurs qui se rebellent contre leur employeur parce qu'ils ont été spoliés - ils racontent alors beaucoup de choses lors des audiences - ; un syndicat qui dénonce un employeur parce qu'il triche sur les heures supplémentaires, en faisant passer pour telles ce qui ne l'est pas ; un autre syndicat qui dit avoir vu, sur un bateau, disparaître des marchandises censées être vendues - pensons au nord de la France. Nous exploitons bien entendu toutes ces données. ».

Depuis trois ou quatre ans, l'administration hésite moins à alourdir certaines sanctions fiscales pour les rendre plus exemplaires en affrontant des recours juridictionnels plus nombreux .

Ainsi M. Olivier Sivieude, tout en rappelant qu'il est extrêmement difficile de démanteler les schémas d'optimisation fiscale des grandes entreprises, a convenu que traditionnellement il n'était pas fréquent que les services aillent au-delà d'un rappel avec des intérêts, les poursuites pénales nécessitant d'apporter au juge la preuve de l'intentionnalité du manquement aux obligations fiscales : « désormais, nous appliquons des sanctions chaque fois que nous le pouvons, c'est-à-dire lorsque nous estimons qu'il y a eu intentionnalité. Cela change le monde ! Et ce n'est pas facile, car les réactions sont extrêmement dures, les entreprises se défendent et engagent des contentieux. Toutefois, nous continuons parce que nous pensons jouer ainsi notre rôle d'exemplarité. ».

La commission d'enquête approuve cette stratégie d'aggravation des sanctions, tout particulièrement dans le domaine de l'évasion fiscale en rappelant que statistiquement, la DVNI obtient gain de cause dans 60 % à 70 % des contentieux.

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