B. LA SITUATION DES DÉFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME DANS LES ETATS ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L'EUROPE

La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a tenu à rappeler les difficultés et les entraves à leur action rencontrées par les défenseurs des droits de l'Homme, qu'il s'agissent d'individus, d'associations, d'organisation non gouvernementales, d'avocats et de journalistes, au sein d'États membres du Conseil de l'Europe. La commission souligne, à cet égard, les obstacles constatés en Arménie, en Azerbaïdjan, en Bosnie-Herzégovine, en Géorgie, en Russie, Serbie, en Turquie et en Ukraine.

Les défenseurs des droits de l'Homme y subissent des atteintes à leur intégrité physique et psychologique, des arrestations et détentions arbitraires, des procès dépourvus d'équité, des poursuites pénales fondées sur des accusations fantaisistes, des entraves administratives, la diffamation publique, ainsi que des restrictions imposées à leur liberté de circulation et à l'accès au financement de leurs activités. Les autorités de certains pays exercent même des pressions illégales sur les avocats des requérants qui saisissent la Cour européenne des droits de l'Homme. La commission attire l'attention sur les difficultés particulières rencontrées par les défenseurs des droits de l'Homme, dès lors qu'ils se mobilisent contre la corruption et l'impunité ou en faveur des minorités sexuelles ou ethniques.

La résolution adoptée par l'Assemblée invite en conséquence les autorités concernées à faire cesser immédiatement les atteintes à l'indépendance et à l'intégrité des défenseurs des droits de l'Homme. Des programmes d'assistance doivent, à cet égard, être mis en oeuvre. Le texte insiste sur le fait que les législations censées protéger les défenseurs des droits de l'Homme dans ces États soient conformes aux normes internationales en la matière.

C. LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES ET LES DROITS DE L'HOMME EN EUROPE

L'Assemblée a décidé d'organiser en son sein un débat d'actualité suite à la décision du Conseil Affaires étrangères de l'Union européenne du 25 juin dernier de créer un poste de représentant spécial des droits de l'Homme, destiné à améliorer l'efficacité et la visibilité de l'Union européenne en matière de droits de l'Homme. Une telle initiative semble en décalage avec le mémorandum d'accord du 23 mai 2007 entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. Le Conseil de l'Europe y était alors présenté comme la référence en matière des droits de l'Homme, les deux Organisations devant chercher à éviter les doubles emplois, à favoriser les synergies et procéder à une meilleure utilisation des ressources existantes.

L'Assemblée s'interroge de fait sur le risque de chevauchement entre le Représentant spécial et le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. L'apparition de doubles standards est, notamment, à craindre.

La création, dès 2007, de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne à Vienne avait déjà mis à mal l'idée d'une coopération entre les deux Organisations. Le budget de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne s'élève, pour 2012, à 22 millions d'euros. Celui du Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe atteint 3 millions d'euros.

Comme l'a rappelé M. Jean-Pierre Michel (Haute-Saône - SOC) , l'Agence européenne des droits fondamentaux a été suivie de nombreuses autres initiatives de l'Union européenne qui peuvent paraître concurrencer les organes du Conseil de l'Europe :

« Au printemps dernier, l'Union européenne a mis en en place un Fonds européen pour la démocratie, dont le budget annuel s'élève à 100 millions d'euros. Ce fonds devrait accorder des financements à des partis politiques, des organisations non gouvernementales et d'autres institutions impliquées dans le soutien aux processus démocratiques, à la protection des droits de l'Homme et des minorités défavorisées, au journalisme indépendant et au développement des organisations de la société civile au sein d'États extérieurs à l'Union européenne.

L'institution de ce fonds n'est pas sans susciter des interrogations. De nombreux programmes de l'Union existent déjà dans ce domaine, à l'image de l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme, de l'Instrument de coopération au développement pour les acteurs non étatiques et les autorités locales, de l'Instrument de stabilité ou de la facilité pour la société civile.

Outre le contexte budgétaire actuel des différents États de l'Union, dont nous discuterons encore en fin de semaine, la création de ce fonds laisse songeur au regard de la coopération supposée entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, qui dispose à la fois de la légitimité et de l'expertise en matière de soutien à la démocratie.

Le Mémorandum d'accord signé entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe en mai 2007 avait d'ailleurs jeté les bases d'une collaboration approfondie entre les deux Organisations, en s'appuyant notamment sur le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. Or, depuis 2007, il semble que l'Union européenne ait oublié ses engagements puisqu'elle a créé une Agence des droits fondamentaux - dont le budget dépasse, il faut le rappeler, celui de notre Assemblée -, un Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes et une Assemblée parlementaire multilatérale, EuroNest , dans le cadre du partenariat oriental de l'Union européenne.

Le Conseil européen qui se tient en ce moment devrait, quant à lui, déboucher sur la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'Homme. Je croyais pourtant que le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe était considéré comme l'interlocuteur de référence unique de l'Union européenne. Peut-être que la diplomatie de l'Union européenne, aux balbutiements desquels nous avons assisté et qui n'a pas été capable d'être présente au Moyen-Orient ni même dans les États arabes au moment du Printemps arabe, peut-être que cette diplomatie, disais-je, connaîtra un sursaut supplémentaire impulsé par son ambassadeur des droits de l'Homme. J'en doute, quand on connaît le budget dont dispose cette diplomatie européenne qui, jusqu'à aujourd'hui, de mon point de vue, n'a servi à rien dans le monde. En un jour, l'Union européenne dépense autant que nous en un an. Pour quels résultats ? En ce qui concerne les droits de l'Homme et la diplomatie européenne, on peut s'interroger.

Tout cela traduit une volonté de l'Union européenne de concurrencer directement le Conseil de l'Europe, au mépris des acquis et de l'histoire de notre Organisation. Je m'interroge donc, comme d'autres orateurs avant moi, sur notre avenir. Certes, c'est à nous de travailler encore plus et mieux - tel est l'objet de la réforme que vous avez initiée, Monsieur le Président, avec le Secrétariat général - pour démontrer notre identité et notre expertise, pour participer à une nouvelle construction de l'Europe. Non pas d'une Europe fédérale, car je ne suis pas pour le fédéralisme, mais d'une Europe qui intégrerait les différents organismes de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe, voire qui ferait participer, dans le cadre de forums et de conventions, des États très importants non encore membres de l'Union européenne, à l'instar de la Fédération de Russie ou la Turquie, qui, à mon sens, devraient le devenir très rapidement, étant donné le rôle important qu'elles jouent aujourd'hui au Moyen-Orient et dans les pays du Printemps arabe.

Par ailleurs, alors que les États membres du Conseil de l'Europe, dont les 27, soulignent régulièrement que cette Organisation doit s'imposer une cure d'austérité budgétaire, je constate que cette politique de rigueur ne s'applique pas dès lors qu'il s'agit de créer un nouvel outil communautaire qui concurrence très directement les nôtres et dont le coût à lui seul représenterait bien plus que les économies demandées au Conseil de l'Europe. »

M. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC) a, quant à lui, souligné les risques d'une absorption à terme du Conseil de l'Europe par l'Union européenne :

« Il y a quatre ans, j'avais alerté le Comité des Ministres sur les risques croissants de chevauchement entre les activités du Conseil de l'Europe et celles de l'Union européenne. Celle-ci venait alors de créer un groupe chargé de réfléchir au rôle de l'Union européenne à l'horizon 2030. De fait, le rapport remis par ce groupe en 2010 insiste sur la question des valeurs communes aux pays de l'Union et la nécessité de promouvoir l'État de droit à travers le monde.

Cette évolution me paraît inquiétante. Non que je réprouve le fait que l'Union européenne souhaite défendre la démocratie et les droits de l'Homme ; nous sommes les premiers à reconnaître qu'il s'agit de valeurs universelles qu'il convient de promouvoir sans relâche. Mais je crains qu'une telle stratégie ne conduise à terme l'Union européenne à absorber purement et simplement le Conseil de l'Europe, de la même façon que l'UEO a disparu.

Dès à présent, je constate que nous évoquons de plus en plus les actions conduites par l'Union européenne dans nos débats, alors que les commissaires ou les parlementaires européens ne font jamais ou quasiment jamais allusion au Conseil de l'Europe. D'un côté, le Conseil de l'Europe met en avant le partenariat avec l'Union européenne et, de l'autre, celle-ci montre quotidiennement qu'elle n'en a cure.

Je prends un exemple. Le site internet du Conseil de l'Europe évoque l'idée que les deux organisations ne doivent pas se faire concurrence : « Chaque organisation bénéficie des atouts, connaissances et compétences de l'autre, tout en évitant que les activités se chevauchent ». Franchement, chers collègues, quelle ironie quand on sait que, au cours des dernières années, l'Union européenne a multiplié à un degré sans précédent le doublonnement par rapport aux activités du Conseil de l'Europe sur tous les sujets : Agence des droits fondamentaux, Fonds européen pour la démocratie, création d'un « partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de la Méditerranée ». La création d'un « représentant spécial des droits de l'Homme », en fin de compte, n'a guère de quoi surprendre. Elle n'est malheureusement que la suite logique de l'étouffement du Conseil de l'Europe entamé par l'Union européenne.

Ce n'est pas parce que cette annonce n'est pas surprenante que nous ne devons pas y réagir. Notre silence serait interprété comme une caution. Au contraire, il me paraît important de rappeler que, depuis quelques années, le Conseil de l'Europe a commencé sa mue, sous l'impulsion de M. Jagland, mais également du Président de notre Assemblée, M. Mignon. Cette réforme, qui permet peu à peu de recentrer le Conseil de l'Europe sur son coeur de métier, devrait permettre de redonner à notre Organisation toute sa pertinence. Pourquoi ne pas en profiter pour renforcer la visibilité de notre Organisation et promouvoir auprès de l'Union européenne l'idée selon laquelle la question des droits de l'Homme est vraiment la responsabilité du Conseil de l'Europe ? Je rejoins la thèse de M. Gross : nous sommes aussi le Sénat européen.

L'absorption du Conseil de l'Europe par l'Union européenne, vers laquelle nous allons, ne me paraît pas souhaitable à plus d'un titre. Est-il utile de rappeler que les finalités de ces deux organisations ne sont pas les mêmes et que leur composition ne sera jamais identique ? Pourquoi devrions-nous nous priver d'un forum de dialogue avec de grands pays tels que la Russie ou la Turquie, pourtant essentiels à la stabilité et au progrès du continent européen ? Serait-il sensé de balayer d'un revers de main tout l'héritage du Conseil de l'Europe et le rôle central joué par la Cour ? Allons, soyons raisonnables !

J'espère que les négociations avec l'Union européenne sur son adhésion à la Convention européenne des droits de l'Homme pourront prochainement être relancées, car je persiste à penser qu'elles pourront permettre de franchir un pas important dans la prise en considération par l'Union européenne de la légitimité de notre Organisation. En attendant, veillons à ne pas franchir les lignes rouges.

Le Conseil européen se réunit sous peu. Monsieur le Président, vous avez toute l'autorité, sauf opposition des membres de notre Assemblée, pour faire savoir à la presse la teneur de ce débat et en informer chaque membre du Conseil européen.

Vous pouvez également, Monsieur le Président, faire quelques rappels relatifs aux coûts. Le Parlement européen dispose d'un budget de 1,2 milliard d'euros : quel parlement national dispose d'un tel budget ? Comparons-le également avec celui du Conseil de l'Europe ! Il faut également rappeler le chiffre de 100 millions d'euros pour les droits de l'Homme, évoqué par M. Michel. Où va cet argent ? Nul ne le sait !

Au mois de novembre prochain, lors de l'examen du prochain budget français, j'interviendrai sur cette question au Sénat.

Monsieur le Président, si l'Assemblée est d'accord, je vous propose de rappeler par un communiqué ou par une conférence de presse à tous les membres du Conseil européen, avec une lettre spéciale à tous les chefs d'État et de gouvernement qui s'y réuniront, la question de la répartition des compétences entre le Parlement européen et le Conseil de l'Europe en matière de droits de l'Homme, ainsi que celle des coûts afférents.

Le débat du Conseil européen va essentiellement tourner autour des économies budgétaires à réaliser par les différents pays : nous pourrions y entrer par ce biais. »

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