C. LE TOURNANT DES ANNÉES 1980

Les années 1980 marquent le début d'un renouvellement profond de l'approche de la lutte contre les inondations. D'un côté, l'approche scientiste de l'époque précédente se renforce avec le perfectionnement continuel des techniques de prévision météorologique et des crues, le développement de la technoscience des modèles et la même volonté de l'État de continuer à jouer le premier rôle dans la protection contre l'inondation (et les risques majeurs en général), qu'il s'agisse de la gestion de crise ou de la réglementation. D'un autre côté, la mise en place d'un régime de réparation de type assurantiel qui allège sa responsabilité financière et la décentralisation, réforme qui, sans avoir pour objet spécifique la question des inondations, a eu avec le transfert de la compétence urbanisme des effets indéniables sur elle. Entre les deux, serait-on tenté de dire, la professionnalisation et la départementalisation des services de secours assurés par les pompiers qui permet à l'État de disposer de moyens d'intervention de plus en plus puissants financés par les collectivités territoriales.

Scientisme, juridisme, transfert de la charge financière des services d'incendie et de secours et de la politique de prévention des inondations aux collectivités territoriales, transfert de l'essentiel des coûts de la réparation et d'une partie de la politique de prévention aux particuliers, par le biais d'un régime assurantiel tout en conservant la maîtrise théorique de l'ensemble de la politique de lutte contre l'inondation, ainsi peut-on caractériser la dernière étape de l'histoire.

1. La décentralisation de l'urbanisme
a) L'urbanisme, compétence de droit commun du bloc communal

Si, de 1943 à 1983, l'urbanisme en France a été une affaire d'État, il devient à partir des lois du 7 janvier 1983 et du 18 juillet 1985 une compétence communale.

La commune - ou, par transfert, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - se voit attribuer la compétence non seulement d'établir les documents d'urbanisme mais également d'assurer la délivrance, au nom de la commune, des autorisations qui en découlent 36 ( * ) . Cette compétence a été si bien adoptée qu'elle apparaît aujourd'hui consubstantielle au pouvoir municipal, même dans un contexte de montée en puissance de l'intercommunalité.

Ce pouvoir est pour les élus locaux un levier essentiel pour peser, à moyen et long termes, sur l'aménagement de leur territoire et le développement économique de leur commune. L'élaboration des documents d'urbanisme est également l'occasion pour eux de consulter la population sur les grandes orientations de l'aménagement du territoire lors de l'enquête publique obligatoire avant toute adoption ou modification d'un plan local d'urbanisme (PLU) ou d'un schéma de cohérence territoriale (SCOT) 37 ( * ) . Le transfert de l'urbanisme aux communes, ou à leur EPCI, représente donc aussi un acquis indéniable de la décentralisation en termes de participation du public et d'adaptation de la règle au niveau local.

b) L'ombre tutélaire de l'État

En matière d'urbanisme, l'État n'est pourtant pas dénué de moyens d'intervention que ce soit à travers les procédures de droit commun ou spécifiques.

(1) Les contrôles de droit commun : beaucoup d'ambition, peu de moyens

Le représentant de l'État assure, via le contrôle de légalité qui lui donne la faculté de déférer au juge administratif les actes qui lui paraissent illégaux, l'application des lois et règlements sur l'ensemble du territoire. Son rôle est facilité par l'obligation faite aux autorités locales de transmettre au représentant de l'État les autorisations d'urbanisme, sous peine de leur retirer tout caractère exécutoire 38 ( * ) .

Outre le contrôle des autorisations d'urbanisme, le préfet, très présent dans le processus d'élaboration des documents d'urbanisme (PLU notamment), peut les déférer au juge administratif s'il les juge illégaux.

Régulièrement, les circulaires ministérielles rappellent que ce contrôle est une priorité, notamment « dans des périmètres ou des zones concernés par des plans de prévention de risques naturels ou technologiques, approuvés ou à venir. 39 ( * ) » Selon l'objectif gouvernemental, ces actes prioritaires devraient être, à partir de 2015, soumis à un contrôle systématique de légalité.

Au besoin, rappelle la circulaire du 25 janvier 2012, reprenant en substance les recommandations n° 36 et 37 de la mission commune d'information du Sénat sur les conséquences de la tempête Xynthia de juillet 2010, les préfets peuvent assortir leur déféré d'une requête en référé-suspension. Celui-ci permet au juge de suspendre l'acte pour un délai maximal d'un mois, évitant ainsi la réalisation irréversible d'une opération (construction, démolition...) qui s'avèrerait par la suite illégale.

Ceci dit, il y a loin de ce volontarisme affiché à la réalité du contrôle. Il est devenu à cet égard traditionnel de signaler l'insuffisance des moyens du contrôle de légalité qui se limite souvent à un contrôle plus formel qu'au fond. La délégation aux collectivités territoriales du Sénat relevait ainsi, dans un rapport d'information 40 ( * ) publié en février 2012, que les moyens affectés au contrôle de légalité avait été réduits entre 2009 et 2011 globalement de 20 % et que l'essentiel des personnels de l'État affectés au contrôle d'actes généralement élaborés par des fonctionnaires territoriaux de catégorie A relevait de la catégorie B et C. Le contrôle de légalité actuel laisse donc planer des doutes sur sa crédibilité et son efficacité.

Ce constat est corroboré par le faible usage que les préfets font de leurs prérogatives, préférant recourir à un pouvoir d'influence voire de négociation basé sur l'expertise technique de leurs services pour prévenir les situations à risque, lorsqu'ils bénéficient encore du personnel suffisant.

Cette situation renvoie-t-elle à « un manque de volonté » des préfets, comme le disent les censeurs qui n'ont pas leurs problèmes, ou au fait qu'il n'y a pas de solution satisfaisante à un problème mal posé ? Telle est la question à laquelle nous tenterons de répondre.

(2) Le plan de prévention des risques d'inondation (PPRI)

Au nom de la sécurité des personnes et des biens, les représentants de l'État conservent, par ailleurs, un pouvoir renforcé de contrainte sur les choix locaux. La forme de cette faculté, c'est le plan de prévention des risques naturels (PPRN) qui se déclinera en plans de protection particuliers selon le risque concerné : inondation, incendies de forêts, risques technologiques... Créé par la loi du 2 février 1995 41 ( * ) , dite loi Barnier, cet outil juridique spécifique a pris le relais des anciens documents de prévention des inondations 42 ( * ) : plans de surfaces submersibles (PSS), plan d'exposition aux risques naturels prévisibles (PER), etc.

Le ministère chargé de l'environnement s'est fixé pour objectif la couverture, en 2013, de 12 500 communes par un PPRN 43 ( * ) . Constatons cependant que les PPRI sont essentiellement élaborés par vagues successives, au gré des événements dramatiques médiatisés, méthode qui ne semble pas vraiment de nature à apaiser les débats autour de ces plans et à produire des documents consensuels.

Les PPRI est donc le moyen pour l'État de marquer, à peu de frais, sa détermination en matière de prévention des inondations. Ce faisant, il devient un moyen d'orienter les choix urbanistiques des collectivités territoriales, ce qui n'est pas sa première vocation. Lors de son audition par la mission, M. Jean-François Carenco, préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée-Corse, l'exprimait sans ambiguïté : « comme je le dis souvent aux maires, les PPRI sont un outil d'urbanisme dont je dispose 44 ( * ) . » Résultat : la résistance des élus locaux face à ce qu'ils considèrent, non sans raison, comme un retour à l'État de leur compétence en matière de développement économique, un sacrifice sur l'autel de la sécurité publique au nom d'un principe qu'ils ne contestent pas en soi mais dont ils discutent la traduction sur le terrain. Le plus étonnant, c'est que les fonctionnaires de l'État s'étonnent de cette résistance. Conclusion, elle ne saurait procéder que de l'aveuglement ou d'une volonté perverse.

En définitive, décentralisation de l'urbanisme ou pas, l'État se veut toujours le gardien en dernier ressort de la sécurité publique, censé disposer des moyens juridiques, scientifiques et techniques lui permettant d'assurer cette mission. En réalité, les PPRI représentent « une utilisation a minima des possibilités offertes 45 ( * ) . » Ils requièrent souvent une technicité telle qu'ils échappent à la compréhension des élus locaux, du public et même du juge, quand ce n'est pas à leurs concepteurs eux-mêmes. Comme on le verra, l'indispensable adhésion des citoyens et des élus locaux à la démarche de protection de leur territoire et à ses conclusions passe par la mise en place de procédures d'élaboration plus coopératives, plus transparentes et donc plus convaincantes.


* 36 Les autorisations d'urbanisme regroupent, depuis l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005, les permis de construire, les permis d'aménager, les permis de démolir et les déclarations préalables de travaux.

* 37 Héritier des schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme, les SCOT ont été créés par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).

* 38 Article L. 424-7 du code de l'urbanisme.

* 39 Circulaire du 25  janvier 2012 du ministre de l'intérieur et du ministre délégué aux collectivités territoriales, fixant une définition nationale des actes prioritaires en matière de contrôle de légalité - NOR : IOCB1202426C.

* 40 Sénat - Rapport d'information n° 300 (2011-2012) de M. Jacques Mézard, au nom de la délégation des collectivités territoriales, Prendre acte de la décentralisation : pour une rénovation indispensables des contrôles de l'État sur les collectivités territoriales.

* 41 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement.

* 42 L'article L. 562-6 du code de l'environnement maintient en vigueur et confère à ces documents adoptés ou en cours d'élaboration la valeur d'un PPRI.

* 43 Au 1 er août 2009, 7 500 communes étaient déjà couvertes par un PPRN dont 85 % par un PPRI.

* 44 Compte rendu de l'audition de M. Jean-François Carenco, préfet coordonateur de bassin pour le Rhône, du 30 mai 2012.

* 45 Pierre Cambot, Inondation et droit de l'urbanisme, Mélanges en l'honneur de Franck Moderne, Dalloz, 2009.

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