2. La communication en temps de crise

En situation de crise, l'efficacité de l'alerte et des secours dépend à la fois de la fiabilité des moyens de communication et de la qualité des messages, une communication efficace étant celle qui déclenche le comportement souhaité par celui auquel le message est destiné : décideurs et population. Comme l'a expliqué M. Thierry Libaert devant la mission : « il semble donc nécessaire de travailler non seulement sur la capacité à donner l'alerte, mais également sur la boucle de rétroaction. Il faut en effet veiller à ce que l'alerte soit prise en compte par les décideurs, parfois occupés par d'autres urgences. »

a) Le durcissement indispensable des réseaux

Le retour d'expériences du Var a montré la vulnérabilité aux perturbations météorologiques des liaisons téléphoniques fixes et mobiles non sécurisées. Le durcissement des moyens de communication est d'autant plus nécessaire que la direction des secours est centralisée, comme c'est le cas en France. Il serait donc de bon sens d'en faire une priorité, d'éviter d'installer les systèmes d'accès des services de secours aux réseaux sécurisés dans des locaux inondables et de faire reposer une partie aussi importante de la conduite des opérations sur des réseaux grand public, techniquement fragiles et rapidement saturés en périodes de crises.

Autre rappel de bon sens : si les postes de commandement et centres opérationnels ne sont pas situés dans des zones sécurisées, prévoir le déplacement de leurs moyens vitaux dans des lieux qui le sont en cas d'alerte et des circuits de communications alternatifs.

Par ordre d'urgence : étendre la couverture filaire du territoire par le réseau hertzien (en prévoyant une alimentation électrique de secours des relais), augmenter le nombre de téléphones satellitaires ainsi que le nombre de responsables pouvant avoir accès au réseau Antares.

- Rendre les systèmes de transmission plus robustes

b) La qualité des messages

S'il faut reconnaître la qualité des prévisions diffusées par Météo-France - les contrôles a posteriori effectués par la DGSCGC montrent qu'en 2010 le taux de fausses alarmes constaté s'élevait à 14 %, tandis que le taux de non détection était limité à 2 % -, c'est dans leur précision, leur exploitation et leur compréhension par les responsables et la population 118 ( * ) que des améliorations pourraient être apportées. Autrement dit, moins le message est précis, plus il est fiable, mais moins il est utilisable. Plus le message est rédigé en termes techniques, moins il est lisible.

À l'évidence, la portée d'un message dépend de sa qualité. Le fait qu'en juin 2010 Météo-France n'ait pas été en mesure d'apprécier un phénomène « hors norme », qui ne rentrait pas dans ses modèles de prévisions, a conduit à la diffusion d'un message d'alerte orange reçu comme banal et anodin. Et d'autant plus qu'il ne disait rien de la zone précise où la perturbation pouvait constituer un risque grave. Comme l'a souligné Mme Corine Orzechowski, aujourd'hui préfète de la Mayenne et sous-préfète de Draguignan à l'époque des intempéries , « les prévisions météorologiques départementales n'avaient aucunement évoqué un semblable scénario : les autorités publiques ont donc subi un véritable effet de surprise, comme les populations. »

L'exemple ci-dessous extrait du retour d'expériences de la tempête Xynthia, réalisé par l'expert néerlandais M. Slomp (Conseiller au service de la gestion de l'eau du Rijkswaterstaat), entendu par la mission, pose aussi ce problème de la conception des messages d'alerte quant à leur précision et de leur lisibilité. Autrement dit, on est d'autant plus sensible à un message qu'il annonce ce que l'on craint, autant dire, ce que l'on connaît. Autant dire que ce qu'on ne connaît pas n'existe pas.

Extraits du document « Retour d'expériences après la tempête Xynthia
en France - Leçons pour les Pays-Bas » - Septembre 2010

« Avant l'arrivée de Xynthia, il était clair qu'une forte tempête était imminente. Chez Météo-France, le risque d'inondation était également connu. Les centres régionaux des préfets n'ont pourtant pas cartographié le danger d'inondation. Ils n'ont pas identifié le risque pour les tiers, dont les citoyens. En définitive, la population a reçu des avertissements pour le vent et ces avis sont bien parvenus aux citoyens. Ce ne fut guère, voire pas du tout, le cas pour le risque potentiel d'inondation. Il ressort du rapport de la commission du Sénat français que les prévisions de Météo-France pour le vent et les conditions hydrauliques en haute mer étaient correctes. Les outils, la connaissance et les responsabilités visant à traduire ces prévisions en risques locaux d'inondation ont néanmoins fait défaut. C'est la raison pour laquelle Météo-France a été dans l'impossibilité de lancer des alertes inondations localisées. C'est notamment pour cette raison que la communication relative aux risques d'inondation a été noyée sous le flot d'alertes au vent plus spécifiques. C'est pourquoi la communication des responsables régionaux et locaux s'est uniquement axée sur les alertes au vent. Ceci démontre qu'il importe de désigner où la connaissance sur les contraintes hydrauliques (niveaux des eaux et vagues possibles) et la résistance actuelle des digues doit être organisée. Les alertes inondation, quand il y en a eu, étaient trop techniques. Suite aux alertes, les citoyens ont estimé que la meilleure attitude à adopter était de « se calfeutrer » chez eux pendant la tempête. Ils n'étaient pas suffisamment préparés à l'éventualité d'une inondation. Les mesures de précaution qu'ils ont prises étaient efficaces pour lutter contre la tempête mais ont précisément aggravé le danger en cas d'inondation. Ainsi, le fait d'avoir baissé les volets électriques a transformé certaines maisons en cercueils ».

Pour que les messages d'alerte soient appréciés à leur juste valeur, ils doivent non seulement être précis mais adaptés à l'univers mental du destinataire, ce qui exclut largement le langage technique, sauf cas particulier.

COMMUNIQUER

M. Patrick Lagadec

« La communication doit être précise quant aux menaces, spécifique quant aux destinataires et directement utile dans les préconisations, rapide dans sa diffusion, adaptée dans les moyens de cette diffusion, émise par une source crédible et respectueuse des inquiétudes de la population, plurielle, pensée dans une logique de mise en responsabilité personnelle et en phase avec une qualité de pilotage. Enfin, la transparence ne suffit pas : le problème numéro un est celui du pilotage... On préfère souvent une communication défensive. Le pilotage importe d'ailleurs plus que la communication qui est seconde. »

Un exemple de communication efficace : M. Gilles Duval, un maire de l'Île de Ré, informé de l'arrivé d'un fort coup de vent, a demandé à ses administrés, via trois associations locales de tourisme, de monter à l'étage : au lieu d'une demi-information, il a donné un conseil simple, que tout le monde était prêt à appliquer. Pour ceux qui n'avaient pas Internet, il a fait du porte-à-porte. Les outils ne suffisent pas : il faut savoir les piloter.

M. Thierry Libaert 119 ( * )

« Tout dépend de la manière dont est communiquée l'information. Il apparaît par exemple que le discours alarmiste ne fonctionne pas. En outre, pour diffuser une information, il ne faut pas se contenter d'envoyer un message. Plusieurs outils doivent être employés concomitamment. Par ailleurs, il convient d'éviter d'adopter un discours trop scientifique. Le message, le plus simple possible, doit permettre aux personnes de visualiser les conséquences de l'événement. Ainsi, dans le cas des inondations, est-il préférable d'évoquer l'ampleur de la montée des eaux que le débit du fleuve. Il faut aussi utiliser les bons outils. Selon une récente étude réalisée sur les outils en cas de crise naturelle, la radio locale d'information est le vecteur bénéficiant de la meilleure audience, devant la télévision ou les radios nationales.

Enfin, selon une étude réalisée sur six catastrophes naturelles dans le monde liées à des phénomènes météorologiques, il convient de répondre aux questions que se posent les populations :

- Que se passe-t-il ?

- Comment suis-je impacté ? (Quelle est la conséquence immédiate pour moi ?)

- Que dois-je faire ? Quelles consignes dois-je mettre en oeuvre immédiatement pour me protéger ?

- Qu'en est-il de ma famille et de mes proches ?

- Que va-t-il se passer ensuite ?

- Sur qui puis-je compter, qui peut m'aider ? »

Cette nécessaire adaptation du message suppose que la communication utilisée lors des crises fasse l'objet d'une évaluation, ce qui suppose que les élus et la population y soient associés.

- Améliorer la qualité des messages d'alerte par l'évaluation de leur impact et intégrer la question de la communication dans les programmes de formation

c) La rumeur

Au-delà de la crise météorologique stricto sensu , les autorités publiques peuvent être confrontées aux boursouflures de la communication ellemême, alimentée par les réseaux sociaux, la rumeur en étant l'exemple le plus courant.

Ainsi, en novembre 2011, a couru dans le Var la rumeur d'une rupture de barrage de Carcès, situé sur le Caramy, affluent de l'Argens. Si la communication institutionnelle de la préfecture a permis d'y mettre fin assez rapidement, elle n'en a pas moins engendré suffisamment d'affolement chez les parents d'élèves pour les amener à venir retirer leurs enfants des établissements scolaires, comportement qui pouvait être catastrophique en cas de rupture effective du barrage.

Plusieurs initiatives se font d'ores et déjà jour pour assurer une plus grande cohérence et une meilleure unité de la communication publique en de semblables circonstances : ainsi, comme il a été indiqué, pour la première fois lors des inondations de 2011, sous la coordination du préfet de zone, les préfectures des Bouches-du-Rhône, de la Lozère, du Gard, de l'Hérault, du Var et des Alpes-Maritimes ont communiqué de concert. De surcroît, la préfecture de zone a assuré - autre innovation majeure - une communication interdépartementale, en se chargeant spécifiquement d'adresser des prévisions météorologiques actualisées trois fois par jour à chacun des préfets de département concerné.

- Mettre en place des dispositifs de surveillance des réseaux sociaux en situation de crise

- Élaborer un protocole de réponses et d'action pour contrebattre les fausses informations susceptibles de créer des rumeurs


* 118 Le rapport du CGEDD et de l'Inspection générale de l'administration « Retour d'expériences des inondations survenues dans le Var les 15 et 16 juin 2010 » - Octobre 2010, note p. 21 « un décalage entre l'effectivité de la transmission d'alerte aux maires et la perception de cette alerte ». On ne saurait moins dire.

* 119 Professeur à l'Université de Louvain, président du Laboratoire d'Analyse des Systèmes de Communication d'Organisation (LASCO-Louvain).

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