B. L'EAU ET L'ASSAINISSEMENT AU CoeUR DU PROGRAMME DE REQUALIFICATION URBAINE : ASSURER L'ACCÈS DE TOUS AUX SERVICES PUBLICS DE BASE

1. Plaidoyer pour un nouvel urbanisme

Votre rapporteure spéciale a pu discuter des enjeux de l'urbanisme et de l'organisation municipale en Tunisie lors d'une rencontre avec des architectes.

L'organisation institutionnelle des territoires a ainsi été évoquée. Des conseils municipaux provisoires, nommés délégations spéciales, ont été désignés en attendant les élections locales qui doivent suivre les conclusions des travaux de l'assemblée constituante, puisqu'il revient au pouvoir législatif de définir les modalités de ces élections. Par ailleurs, les communes ont très peu de moyens, leurs budgets représentant 4 % de celui de l'Etat. Ainsi, il n'existe pas d'ateliers municipaux d'urbanisme.

Les architectes rencontrés ont déploré que les enjeux de l'aménagement et de l'urbanisme soient peu pris en compte. Ils ont cité l'exemple de la marina de Bizerte, visitée par votre délégation, dont un projet de réaménagement menacerait de défigurer la ville en modifiant son accès à la mer et au port.

L'aménagement urbain est actuellement géré par le gouvernement, non sans certaines lourdeurs institutionnelles en l'absence de réel processus de décentralisation. La formation et la reconnaissance des urbanistes restent problématiques, alors que 30 % des logements sont construits de manière spontanée, par des lotisseurs, sur des terrains souvent éloignés et mal desservis.

Les urbanistes rencontrés ont manifesté une certaine désillusion, alors qu'ils avaient fondé de grands espoirs dans la révolution. Leur vision est peu prise en compte, et ils doutent parfois du processus démocratique en cours. Amoureux de la Tunisie, ils s'y battent pourtant depuis de longues années pour partager leur vision qualitative de l'urbanisation, et faire reconnaître leur approche. Votre rapporteure spéciale a tenu à les assurer de l'universalité de leur combat, et de l'importance de leur action.

2. Les défis posés par l'habitat spontané

Les quartiers d'habitat spontané correspondent à des terrains cédés par leurs propriétaires à des particuliers ou des professionnels qui y bâtissent des maisons. Les règles générales de l'urbanisme ne l'autorisant pas, ce sont des constructions de fait .

Les maisons se construisent souvent dans le temps, au fur et à mesure de l'épargne de la famille, l'acquisition du terrain étant suivie de la construction du rez-de-chaussée. Le premier et éventuellement le second étages compléteront la construction quand les économies de la famille le permettront, ou pour installer la famille d'un enfant ou de proches.

Les maisons sont bien organisées dans l'espace, alignées, et il incombe à l'Agence de rénovation urbaine (ARRU) tunisienne d'assurer ultérieurement l'installation de l'électricité, de l'eau et l'assainissement, ainsi que l'aménagement des rues. Les aménagements publics sont peu anticipés, même si l'installation de cafés, de petits commerces et d'artisans s'opère spontanément, et donne un sentiment d'assez belle harmonie de vie.

Les terrains concernés sont en général séparés du reste de la ville : cette situation crée un habitat éclaté, éloigné des modes de transport collectifs, des pôles d'emploi et des lieux de formation. Ce phénomène correspond à un développement informel de logements, plutôt bien construits, mais entraînant un étalement urbain, ce qui est une constante dans les pays riches, pauvres ou intermédiaires, que l'on retrouve en Tunisie.

3. Des visites de terrain dans les quartiers populaires

Au cours de son déplacement à Bizerte, la délégation a eu l'occasion de commenter de nombreux enjeux d'aménagement, notamment celui des constructions souvent très étalées du fait des enjeux de propriétés, tandis qu'il doit être répondu aux défis de l'agriculture et de la protection de l'environnement, ainsi qu'aux enjeux d'assainissement et de valorisation des sols.

Lors de ses visites de terrain, votre rapporteure spéciale a été accompagnée par Mohamed Salah Arfaoui, président directeur général de l'Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine (ARRU), Fethi Mansouri, directeur général adjoint de l'ARRU, Khalil Attia, président directeur général de l'Office national d'assainissement (ONAS) tunisien, et des représentants de la Société nationale d'exploitation et de distribution des eaux (SONEDE).

La délégation s'est rendue dans le quartier Oued Roumine, situé dans le gouvernorat de Bizerte, qui s'inscrit dans le cadre du nouveau programme de réhabilitation et d'intégration de grands quartiers d'habitations, proposé au financement de l'Union européenne, de l'AFD et de la Banque européenne d'investissement. Votre rapporteure spéciale s'est ensuite rendue dans les quartiers Hached et Bir Massyougha, toujours dans le gouvernorat de Bizerte. Ces quartiers ont été réalisés en partie dans le cadre de la quatrième génération d'actions du programme de réhabilitation des quartiers populaires, financé par une subvention de l'AFD et un don de l'Union européenne pour la partie relevant de l'autofinancement municipal.

Le quartier de Oued Roumine est à l'écart du centre-ville et de son port, dont il est distant de plusieurs kilomètres. Typiques de l'habitat informel, ses logements abritent essentiellement des familles qui travaillent dans le secteur non déclaré. Pour l'ensemble de la Tunisie, on considère que l'habitat informel concerne 560 000 logements et 3 millions d'habitants, soit près d'un tiers de la population.

Les projets d'aménagement du quartier ont été présentés par l'ARRU et l'ONAS, dans les domaines de l'assainissement, de l'adduction d'eau, de l'électrification et la réalisation de la voirie. En particulier, les projets de sécurisation des capacités de production et d'adduction d'eau potable atteignent un montant sur cinq ans s'élevant à 40 millions d'euros, en complément des programmes conduits en milieu rural. Le programme d'assainissement des quartiers populaires (dit PNAQP 4.2), d'un montant également de 40 millions d'euros, couvre la période 2009-2014.

A l'invitation des habitants, votre rapporteure spéciale a pu visiter deux logements, très bien tenus, et où plusieurs générations cohabitent. Ce quartier est largement habité par des femmes seules, dont les conjoints travaillent en dehors de la Tunisie, et qui investissent progressivement leurs économies gagnées à l'étranger dans les quartiers populaires.

La délégation a également visité les quartiers de Hached et Bir Massyougha, situés non loin d'une cimenterie et de son tapis roulant qui porte les matériaux extraits. La poussière et le bruit caractérisent ce site à la fois proche de la ville et relégué dans un creux de vallon peu accueillant.

Si les quartiers populaires sont au final assez réussis en termes de qualité de construction et d'aménagement, ils accueillent peu d'activités économiques , en dehors des commerces et des artisanats, et offrent donc peu de possibilités de travail. Cette situation impose aux populations de ces quartiers, jeunes et touchées par un chômage important, des déplacements longs et difficiles vers les pôles d'emplois.

Les interlocuteurs rencontrés ont tous convenu de l'importance d'un travail de planification urbaine et d'anticipation, l'enjeu étant de prévenir des déplacements de populations trop importants à l'intérieur du pays, dont les régions sont confrontées à un véritable exode. Des éléments déterminants de cette planification sont la maîtrise du foncier et la production de logements sociaux de manière organisée, l'habitat informel constituant une production de logements sociaux de fait. L'intégration de l'habitat informel apparaît stratégique pour la cohésion du pays.

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