IV. QUELQUES PROPOSITIONS POUR MIEUX RELEVER LE DÉFI DE L'INTÉGRATION DES ROMS EN EUROPE

Nonobstant la préoccupation grandissante dont fait l'objet le « problème rom », la situation de ces populations ne s'est guère améliorée au cours des dernières années. La défiance et le rejet qu'elles inspirent ne se sont pas réduits. Bien au contraire, ils se sont accrus dans plusieurs pays, comme en témoignent le succès croissant de certains discours populistes qui les ciblent. Les discriminations dans tous les aspects de la vie sociale restent nombreuses et fortes. Tout se passe, dans nos pays, comme s'ils n'étaient toujours pas pleinement entendus, ce que dénonçait d'ailleurs le prix Nobel de littérature allemand, Günther Grass, en les désignant, dans un ouvrage paru en l'an 2000 sous le terme de « sans voix » (« ohne Stimme ») 23 ( * ) .

En dépit des initiatives récentes, en particulier au niveau européen, une plus grande implication des différents acteurs concernés à tous les échelons - européen, national et local - apparaît encore nécessaire. Une meilleure répartition des responsabilités serait aussi appréciable, tant l'on a pu constater, au cours des dernières années, que certains échelons avaient eu tendance à reporter la responsabilité de l'intégration sur les autres. En outre, une meilleure coordination entre eux et, en particulier entre les pays « d'accueil » et les pays « d'origine » de ces populations, figure parmi les axes de travail prioritaires.

Les propositions formulées ci-après concernent la question de l'intégration des Roms migrants en Europe et comportent des développements spécifiques sur le cas particulier des ressortissants communautaires d'origine rom.

La question des Gens du voyage français, en tant que tels, n'est pas abordée. En effet, même s'il s'agit de l'approche retenue tant par la Conseil de l'Europe que par la Commission européenne, la confusion ainsi entretenue entre ces deux catégories de populations paraît préjudiciable. Si les difficultés auxquelles elles sont confrontées sont parfois proches, elles ne sont pas, pour autant, totalement identiques : les Gens du voyage sont, pour la plupart, des nationaux, tandis que les Roms sont, bien souvent, des migrants ; les deux groupes ne partagent pas toujours le même mode de vie, le nomadisme étant principalement l'apanage des Gens du voyage .

Sur le sujet des Gens du voyage, le rapport que le sénateur Pierre Hérisson a remis au Premier ministre en juillet 2011, intitulé « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun » constitue une solide base de réflexions et de propositions. On ne peut d'ailleurs que souscrire à ses conclusions, même si certaines réserves méritent néanmoins d'être formulées, notamment en ce qui concerne la proposition du Président de la commission nationale consultative des Gens du voyage de maintenir le plafond de 3 % de Gens du voyage autorisés à être domiciliés sur une même commune, qui paraît profondément discriminatoire.

Le rapport de la Cour des comptes « L'accueil et l'accompagnement des Gens du voyage » publié en octobre 2012, moins ambitieux que le précédent s'attache cependant à faire un bilan précis des insuffisances de l'application de la loi du 5 juillet 2000, dite « Besson 2 », et formule des recommandations très utiles pour améliorer sa mise en oeuvre.

Il est également important de noter que le Conseil constitutionnel a rendu, le 5 octobre 2012, une décision de censure partielle de la loi du 3 janvier 1969 relative à la circulation des Gens du voyage. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par Jean-Claude Peillex, un artisan forain du sud de la France, il devait se prononcer sur la conformité à la Constitution des titres de circulation imposés aux personnes se trouvant en France depuis plus de six mois sans domicile fixe.

La haute juridiction a considéré que le principe du titre de circulation n'était pas contraire à la Constitution, étant donné qu'il a pour but de permettre « l'identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés à un domicile » et n'institue « aucune discrimination fondée sur une origine ethnique » . Il n'y a donc pas lieu de l'abroger.

Le Conseil constitutionnel n'en a pas moins censuré trois dispositions. En effet, la loi du 3 janvier 1969 avait instauré deux types de titre - le livret ou le carnet du voyageur -, selon que les personnes disposent ou non de ressources régulières. Les personnes ne justifiant pas de revenus suffisants devaient faire viser leur titre - un carnet - tous les trois mois. Le Conseil a jugé cette différence de traitement, entre Gens du voyage selon le niveau de leurs ressources, contraire à la Constitution. Le Conseil a également abrogé la peine d'emprisonnement encourue par les itinérants en cas de manquement à leurs obligations. Enfin, il a censuré la nécessité de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu à la même commune pour permettre l'inscription sur la liste électorale.

Cette décision du Conseil ne devrait satisfaire que très partiellement les associations de défense des droits de l'homme, et les représentants des diverses communautés des Gens du voyage, qui espéraient une abrogation totale de la loi, jugée discriminatoire.

Il reviendra donc au Parlement de se saisir de cette question pour faire disparaître en France les discriminations notables dont sont encore victimes les Gens du voyage. Plusieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens à l'Assemblée nationale et au Sénat.

A. CONFORTER LE RÔLE DES ORGANISATIONS EUROPÉENNES ET ENCOURAGER LES RÉPONSES COORDONNÉES

1. Soutenir le Conseil de l'Europe dans son combat contre l'anti-tsiganisme en Europe

Il est clair qu'aucune avancée substantielle ne pourra être enregistrée tant que les Roms continueront de souffrir d'une image négative au sein de nos sociétés. L'ensemble des interlocuteurs rencontrés en conviennent, à commencer par les organisations représentatives des Roms elles-mêmes. Le Forum européen des Roms et des Gens du voyage a clairement indiqué que la lutte contre l'anti-tsiganisme devait être un préalable, faute de quoi les actions entreprises ne sauraient porter pleinement leurs fruits, conduisant, de surcroît à un gaspillage d'argent public.

Or, il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui, les préjugés et les stéréotypes sur les Roms ne sont pas tombés, mais qu'ils sont même constamment entretenus par l'image qui est véhiculée d'eux dans les médias et dans le discours politique. Comme le relevait fort justement un interlocuteur, l'on entend généralement parler des Roms que lorsqu'ils posent un problème - généralement, un problème de sécurité, comme lorsqu'un réseau criminel auquel des Roms étaient associés a été démantelé ou lorsque les occupants de campements illicites sont expulsés. Jamais ou presque, les médias ne se font l'écho d'un fait susceptible de valoriser l'image de ces communautés. C'est à peine si l'on a, par exemple, entendu parler du fait que deux jeunes femmes rom ont reçu, respectivement en 2010 et 2011, le prix de la meilleure apprentie de France. Ces exemples seraient pourtant profitables, tant pour les Roms que pour les non-Roms, afin de changer le regard sur l'autre et démontrer que les possibilités d'une intégration réussie ne sont pas illusoires.

Les stéréotypes associés aux Roms étant assez identiques d'un pays européen à l'autre, même s'ils sont présents à des degrés divers, il paraît assez naturel de confier à l'échelon dont le champ de compétences géographique est le plus vaste la responsabilité de coordonner la lutte contre l'anti-tsiganisme dans tous les pays. Le Conseil de l'Europe s'est déjà beaucoup investi sur cette question au cours des dernières années et il convient que son action soit poursuivie et encouragée.

En effet, la lutte contre l'anti-tsiganisme doit être un axe prioritaire de travail du Conseil de l'Europe, tant ce dernier, par ses valeurs et son étendue géographique, est en mesure d'apporter une réelle valeur ajoutée par rapport aux autres organisations ou à la seule action individuelle des États. De ce fait, il importe que l'ensemble des organes du Conseil de l'Europe conserve cette préoccupation à l'esprit afin que, par le biais des résolutions ou des recommandations qu'ils peuvent adopter, une pression continue de s'exercer sur les États dans ce domaine. Il appartiendra également au nouveau Commissaire aux droits de l'homme, Niels Muiúnieks, de poursuivre sur la voie tracée par ses prédécesseurs, en continuant à faire de cette question l'une de ses priorités, notamment à l'occasion des visites bilatérales. Des premiers déplacements qu'il a entrepris depuis sa prise de fonction en avril dernier, tout porte à croire que ce sera le cas, comme en témoignent les communiqués qu'il a publiés à l'issue de ses visites en Italie en juillet dernier ou en République tchèque en novembre. Le Commissaire a également lancé un cri d'alarme, le 22 novembre dernier, en dénonçant le maintien de politiques répressives à l'encontre des Roms dans plusieurs pays européens (France, Italie, République tchèque, Royaume-Uni, Serbie) et la persistance de propos stigmatisants de certains responsables politiques. Il a appelé les États membres à « trouver des solutions adaptées aux problèmes de logement des Roms », soulignant qu'« aucune expulsion ne devrait intervenir en l'absence d'une possibilité de relogement adéquate et abordable », et à s'attaquer de toute urgence « aux causes profondes qui poussent les Roms à migrer, au rang desquelles figurent la discrimination institutionnalisée, la ségrégation, la répression et la pauvreté dans leurs pays d'origine ».

En matière de lutte contre l'anti-tsiganisme, il convient de souligner que les objectifs de la campagne Dosta ! , lancée par le Conseil de l'Europe en coopération avec la Commission européenne afin de lutter contre les préjugés et les stéréotypes sur les Roms, restent très pertinents. Aussi cette campagne gagnerait-elle à être encore renforcée. D'une part, le Conseil de l'Europe pourrait encourager de nouveaux États à rejoindre cette campagne, qui ne touche aujourd'hui que quatorze États membres du Conseil de l'Europe. En effet, on peut déplorer que plusieurs États dans lesquels les populations roms représentent pourtant une part importante de la population ou souffrent de discriminations avérées, ne soient pas aujourd'hui parties à cette campagne. D'autre part, il paraîtrait également profitable d'accroître la force de frappe de la campagne afin qu'elle gagne en visibilité et en efficacité. A cet égard, le prix Dosta ! , remis chaque année par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux aux municipalités qui ont conduit un projet destiné à favoriser l'intégration des populations roms, mériterait sans doute d'être davantage médiatisé. En effet, ce prix peut non seulement permettre de faire émerger certaines bonnes pratiques, qui peuvent ensuite être transposées par d'autres collectivités, mais également encourager l'émulation entre les collectivités, dans une direction plus favorable aux Roms. En ce sens, ce prix pourrait servir la réflexion engagée ces derniers mois par le Représentant spécial du Secrétaire général pour les questions relatives aux Roms sur les bonnes pratiques devant figurer dans la base de données qu'il vient de mettre en place. Le prix pourrait également être pris en considération par le Représentant à l'heure de renforcer l'action du Conseil de l'Europe en direction des collectivités territoriales sur la question des Roms.

Enfin, il conviendrait de mieux faire connaître aux collectivités territoriales les possibilités offertes par le programme ROMED de formation des médiateurs. La médiation peut en effet permettre de sensibiliser davantage les institutions publiques au « problème rom » et de surmonter les inégalités auxquelles les Roms restent confrontés en matière d'accès à l'éducation, à l'emploi, aux services de santé et au logement.

2. Encourager l'Union européenne à accroître sa capacité d'action
a) Raffermir le rôle de l'Union européenne

L'implication de l'Union européenne ces dernières années en faveur de l'intégration des Roms doit être saluée. On peut bien sûr regretter que l'Union ait mis beaucoup de temps avant de s'investir pleinement sur cette question, alors même que les mouvements de population avaient conféré, depuis longtemps déjà, un caractère manifestement transnational au problème. Néanmoins, les mesures qui ont été prises au niveau de l'Union depuis l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'Union le 1 er janvier 2007 et, surtout, depuis les évènements marquants de l'été 2010, sont très encourageantes.

Il n'est pas inutile d'insister sur ce point car l'action forte engagée par la Commission européenne au cours des années écoulées porte certes en elle la conséquence des évènements, mais elle est aussi le fruit de certaines personnalités, parmi lesquelles la Vice-présidente de la Commission en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, Viviane Reding, ou le Commissaire chargé de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion, László Andor, soutenus par le Président de la Commission lui-même, José Manuel Barroso. Certains interlocuteurs à Bruxelles n'ont pas caché leurs craintes que le prochain collège des Commissaires, qui succèdera à l'actuel collège à la fin de l'année 2014, ne soit pas forcément aussi attentif à la question des Roms que ne l'est aujourd'hui la Commission dite « Barroso II ». C'est pour cette raison qu'il convient d'indiquer, dès à présent, qu'il existe, parmi les États membres, des voix qui s'accordent à dire que la Commission européenne a eu raison d'intervenir pour protéger les Roms et doit poursuivre à l'avenir dans cette voie. La Commission peut et doit jouer un rôle en matière d'impulsion et de coordination de l'action des États membres en faveur de l'intégration des Roms sur leur territoire . A cet égard, la proposition de recommandation qu'envisagent de présenter conjointement Viviane Reding et László Andor au printemps prochain, si elle était confirmée, permettrait sans doute d'ancrer plus solidement le rôle de l'Union européenne en direction des Roms et d'en renforcer l'efficacité, sur la base des propositions formulées par le groupe pionnier d'États membres constitué dans ce domaine.

En effet, par rapport aux actions que les États membres peuvent mener seuls, l'Union européenne peut apporter une valeur ajoutée dans deux domaines.

D'une part, l'Union européenne peut faciliter, dans un domaine sur lequel les enjeux transnationaux sont forts, la coordination entre les États et accompagner l'échange de bonnes pratiques. Elle pourrait, par exemple, faire progresser la réflexion, dans un contexte marqué par la montée des discours xénophobes et des mouvements d'extrême-droite à travers l'Europe, sur la manière de conjuguer les rôles des pays dits « d'origine » et ceux dits « d'accueil » des populations Roms. Elle peut également, sur la base des informations dont elle dispose, identifier certaines bonnes pratiques qui lui paraissent transposables dans d'autres États membres ou, tout au moins, encourager le dialogue entre les États membres pour qu'ils fassent émerger eux-mêmes certaines bonnes pratiques. C'est d'ailleurs l'une des missions qui a été assigné au groupe pionnier.

D'autre part, l'Union a clairement un rôle à jouer pour inciter les États à prendre des mesures en faveur de l'intégration des Roms et surveiller les résultats qu'ils enregistrent, les éventuelles défaillances et pratiques discriminatoires. C'est l'objet du « Cadre de l'Union européenne pour les stratégies nationales d'intégration des Roms pour la période allant jusqu'à 2020 », adopté en avril 2011. Il est vrai qu'on pourrait objecter à l'Union européenne qu'elle duplique, avec l'adoption de ce cadre, certaines actions qui étaient déjà conduites par le Conseil de l'Europe, comme celles du MG-S-ROM. Mais, force est de constater qu'en dehors des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, les recommandations, résolutions et rapports du Conseil de l'Europe ne jouissent généralement pas de la même visibilité que les demandes émanant de l'Union européenne. Dans les vingt-sept États membres, la contrainte de l'Union européenne oblige sans doute davantage.

C'est pourquoi il paraît essentiel que la Commission européenne, dans les années à venir, dispose d'une véritable capacité de suivi afin de s'assurer que les stratégies nationales remises par les États membres n'en restent pas au stade du simple affichage. La Commission s'est engagée à remettre un rapport chaque année au Parlement européen et au Conseil pour évaluer les progrès accomplis par les États membres. Des visites dans les différents États membres apparaissent, de ce point de vue, essentielles, de même que des contacts avec les organisations de la société civile intervenant en faveur des Roms et avec les différents échelons de collectivités territoriales afin d'avoir une vue la plus exacte possible de chaque situation nationale.

Il paraît également nécessaire que la Commission fasse preuve d'une plus grande fermeté à l'égard des États membres qui ne respecteraient pas leurs engagements . Force est de constater que, jusqu'à présent, la Commission n'est jamais allée au-delà de la simple mise sous surveillance, alors même que les discriminations qui frappent les Roms sont manifestement contraires aux valeurs de l'Union. Il reste à espérer que les stratégies nationales constitueront désormais la référence à la lumière desquelles la Commission pourra juger les résultats effectivement enregistrés par les États membres, et les sanctionner si nécessaire. A cet égard, il faut sans doute relever la récente proposition de la Commission de conditionner l'octroi des fonds structurels européens aux États membres à l'existence et la mise en oeuvre de ces stratégies. Il n'en demeure pas moins que cette proposition peut également soulever des interrogations : si la Commission retirait à un État membre le bénéfice des fonds européens, les premières victimes en seraient, en premier lieu, les Roms.

Le rôle que jouera l'Union européenne dans les années à venir sur la question des Roms sera déterminant afin de relever le défi posé par leur intégration. Il convient que, dans ce domaine, l'Union européenne ne faiblisse pas, tant elle est investie d'une réelle responsabilité, au même titre que les États. Comme le soulignait la députée européenne Hélène Flautre, le Parlement européen estime que la politique mise en oeuvre par l'Union européenne sur ce dossier aura valeur de test sur sa capacité à agir dans l'intérêt des citoyens.

b) Améliorer l'utilisation des fonds européens

Se pose la question du rôle que peuvent jouer les fonds européens , dans un contexte marqué, de surcroît, par de fortes contraintes pesant sur les budgets au niveau national.

Plusieurs instruments peuvent être mobilisés par les États pour financer leurs actions en faveur des Roms :

- le Fonds social européen (FSE), qui peut permettre de soutenir les actions destinées à améliorer les conditions de vie et d'emploi des Roms ;

- le Fonds européen de développement régional (FEDER), qui peut servir à promouvoir le développement régional, la mutation économique, la compétitivité et la coopération territoriale. En France, il est utilisé en particulier pour la construction des villages d'insertion ;

- le programme PROGRESS, qui finance, au travers de la campagne d'information « Pour la diversité, contre les discriminations », diverses activités de sensibilisation visant à combattre les discriminations envers les Roms et qui soutient le travail en réseau des associations défendant les droits des Roms.

D'autres mécanismes de financement, prévus dans le cadre de politiques européennes sectorielles, peuvent également être utilisés, comme les fonds alloués dans le cadre du Programme pour l'éducation et la formation tout au long de la vie, du programme Jeunesse en Action, du programme Culture, du Programme d'action communautaire dans le domaine de la santé publique. Le Fonds européen agricole pour le développement rural et l'instrument d'aide de pré-adhésion ont également ponctuellement servi à financer des actions en faveur des Roms.

Malgré l'existence de ces mécanismes, les acteurs se plaignent régulièrement de difficultés rencontrées dans l'utilisation des fonds.

Plusieurs principes président en effet à l'utilisation des fonds européens. D'abord, ils ne sont pas versés à l'avance, mais au fur et à mesure que des projets sont présentés et reçoivent l'aval de Bruxelles. Ensuite, le pays receveur doit cofinancer les projets, cette part variant de 15 % pour les fonds de cohésion à au moins 20-25 % pour les fonds structurels. Enfin, la règle de dégagement N+2 oblige à consommer les fonds versés à un projet dans les deux ans qui suivent son approbation, sous peine de voir la somme lui être retirée. Ces règles strictes ont conduit les acteurs à formuler plusieurs revendications.

D'une part, il existe une demande forte de simplification des règles relatives à l'obtention des fonds .

Les associations françaises ont indiqué avoir renoncé, ces dernières années, à demander l'obtention de fonds européens. Elles soulignent la complexité du montage des dossiers, pour lesquels elles ne disposent pas des capacités suffisantes, et la lourdeur de la procédure de contrôle a priori , qui les conduit à différer la mise en place de certains projets dans l'attente de l'accord des autorités publiques. Elles ajoutent que la lenteur du versement des fonds, qui peut parfois prendre plus d'une année, met en danger leur stabilité financière et, par conséquent, leur existence même, étant obligées d'avancer les fonds dans l'attente du versement.

Les collectivités territoriales elles-mêmes, qui constituent pourtant aujourd'hui les principaux utilisateurs des fonds structurels, déplorent également la complexité et la lourdeur des procédures. Cinq agents d'un conseil général auraient ainsi été sollicités à plein temps pendant six mois pour parvenir à mettre en place un projet en faveur des Roms sur son territoire.

La situation dans les nouveaux États membres, la Roumanie en particulier, est encore plus dramatique . Ces pays ne disposent pas toujours des capacités administratives suffisantes pour leur permettre de monter les dossiers de financement, avec pour conséquence une sous-utilisation criante des fonds européens qui leur sont alloués : le taux d'utilisation serait inférieur à 10 % en Roumanie, il se situerait aux alentours de 10 % en Bulgarie et de 20 % en Hongrie. Ces difficultés, auxquelles s'ajoutent des problèmes de corruption, ont d'ailleurs conduit la Commission à décider, en octobre dernier, la suspension des paiements pour certains programmes de l'Union (transports, politique régionale, renforcement de la compétitivité économique) à la Roumanie. Il paraît donc impératif que les nouveaux États membres adoptent des mesures afin d'améliorer l'absorption des fonds européens. La Commission envisage de renforcer son assistance technique à la Roumanie et lui a proposé de prendre en charge, à sa place, la gestion des fonds européens qui lui sont alloués. La Roumanie n'a pas encore fait connaître sa décision concernant cette proposition. Cette technique présenterait l'avantage de faciliter l'acceptation par les populations de la manière dont les ressources sont affectées. Le Forum européen des Roms et des Gens du voyage se plaint aujourd'hui d'une captation des fonds destinés aux Roms par les autorités publiques et les associations à leur profit. La gestion directe par la Commission européenne permettrait d'éviter ce type de difficultés. En Hongrie, une fondation propose d'assumer la gestion des fonds européens pour le compte de différentes ONG locales.

D'autre part, une réflexion doit être menée concernant les obligations en matière de cofinancement . En effet, le cofinancement demandé aux États pour débloquer les fonds européens peut paraître particulièrement lourd, quand, dans le même temps, il est demandé aux États membres de mettre en place des politiques d'austérité. La Commission européenne en est elle-même consciente, puisqu'elle a décidé, l'an dernier, de relever, pour certains États (Grèce, Irlande, Portugal, Roumanie, Lettonie, Hongrie), le taux de cofinancement du FSE à la hauteur maximale de 95 % afin de les aider à surmonter leurs difficultés financières. On peut se demander si cette décision ne mériterait pas d'être généralisée à l'ensemble des États membres pour les projets favorisant l'intégration des Roms , même si, dans le cas de la France, une telle approche pourrait soulever des difficultés juridiques. Une telle annonce aurait un rôle incitatif certain et constituerait un signal fort de l'engagement de l'Union européenne dans la lutte en faveur du respect des droits des Roms.

Par ailleurs, les négociations actuellement en cours sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 laissent planer des doutes quant au montant qui sera alloué à la politique de cohésion dans les prochaines années , du fait de la volonté des États de contenir la croissance du budget européen. Même si plusieurs États membres ont indiqué leur souhait de préserver cette politique, le montant octroyé in fine sera bien inférieur aux propositions formulées par la Commission en juillet 2012 (379 milliards d'euros 2011), comme le laisse entendre la dernière proposition de compromis présentée par le Président du Conseil, Herman Van Rompuy (320 milliards d'euros 2011).

La Commission s'inquiète également du refus de certains États membres que 20 % des fonds du FSE soient obligatoirement affectés à l'objectif d'inclusion sociale et de lutte contre la pauvreté . En effet, cet objectif sert à financer des actions en faveur des communautés marginalisées, auxquelles sont rattachés les Roms. Il convient donc de veiller à ce que ce taux soit effectivement préservé dans les négociations pour la période 2014-2020.

3. Améliorer la coordination entre les pays dits « d'accueil » et les pays dits « d'origine »

Si l'Union européenne peut jouer un rôle de facilitateur entre les pays « d'accueil » et les pays « d'origine » des Roms, rien n'empêche aux États de se coordonner également sur une base bilatérale. La montée des discours populistes dans les pays dits « d'accueil » qui donnent à croire que la faute incomberait uniquement aux pays dits « d'origine », comme les difficultés structurelles en matière économique et sociale que rencontrent plusieurs pays dits « d'origine » appellent une nécessaire coordination.

Les études disponibles aujourd'hui n'établissent pas clairement si les Roms qui ont immigré au cours des dernières décennies dans les pays d'Europe occidentale ont l'intention de s'y implanter définitivement ou si leur ambition est de retourner à terme dans leur pays d'origine. Le Forum européen des Roms et des Gens du voyage souligne que la plupart des Roms souhaitent rester dans leur pays d'origine, mais que les discriminations dont ils sont victimes et la situation de désespérance économique et sociale les contraignent à l'émigration. Des entretiens avec des Roms migrants en France, il ressort que la plupart souhaitent désormais s'intégrer au pays dans lequel ils ont émigré, mais cette décision est aussi dictée par le fait que les conditions de vie dans leur pays d'origine n'ont pas suffisamment évolué pour permettre leur retour.

Il résulte de ces différents éléments deux idées-forces : d'une part, l'importance d'améliorer les conditions d'accueil dans les pays d'Europe occidentale, afin de faciliter l'intégration de ces populations qui ont probablement vocation à rester ; d'autre part, la nécessité de créer des conditions de vie dans les pays « d'origine » qui puissent permettre à ces populations de rester ou d'y retourner si elles le souhaitent. Cela suppose de mettre fin à la ségrégation dont ils sont victimes et de faciliter leur intégration dans la société. Cela nécessite également de promouvoir le développement social et économique du pays. Il convient d'ailleurs de noter que l'amélioration des conditions de vie réservées aux Roms peut aller de l'intérêt de certains de ces pays « d'origine ». Comme le relevait l'ambassadeur de Roumanie en France, son pays devrait connaître, dans les prochaines années, des problèmes démographiques liés à une croissance négative de la population et à l'émigration. La croissance économique pourrait donc profiter de la main d'oeuvre rom et d'un éventuel retour des populations en âge de travailler.

La collaboration des pays « d'accueil » et des pays « d'origine » sur une base bilatérale peut être utile pour améliorer la situation des Roms en Europe.

C'est à cette fin que le Ministre de l'intérieur, Manuel Valls, et le Ministre délégué chargé des affaires européennes, Bernard Cazeneuve, se sont rendus en Roumanie les 12 et 13 septembre dernier, à l'invitation des autorités roumaines, afin de discuter avec elles de la question de l'intégration des populations roms. Le Premier ministre roumain a rappelé à cette occasion que la Roumanie avait « besoin du soutien de l'Union européenne et de ses États membres pour mener une politique alliant persévérance et mesures concrètes ». Les deux pays sont convenus de poursuivre l'envoi de policiers roumains en France afin qu'ils participent à des patrouilles communes ainsi qu'aux enquêtes contre les réseaux qui exploitent les populations roms. La France a également indiqué qu'elle renforcerait son aide pour améliorer les capacités de l'administration préfectorale roumaine.

L'accord qui a été signée entre l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et les autorités roumains à l'occasion de cette visite apparaît comme un bon exemple de coopération bilatérale destinée à favoriser l'intégration des Roms. Il vise à mettre en place, à titre expérimental, une aide à la réinsertion pour 80 familles roumaines roms rentrées de France avec une aide au retour octroyée par l'OFII. Ces familles devraient recevoir de la France une aide à la réinsertion économique, comprenant une aide financière pour la création d'une entreprise et une formation adaptée aux besoins spécifiques de ce projet d'entreprise. De leur côté, les autorités roumaines auront notamment la charge de les suivre et de faciliter l'accès au logement et l'intégration des enfants dans le système éducatif roumain.

Il convient de saluer une telle initiative. Même si elle ne peut toucher qu'un nombre restreint de familles en raison de son coût élevé, l'aide à l'installation est susceptible d'avoir des effets très positifs pour l'intégration des familles roms à la différence de l'aide au retour, dont l'efficacité reste sujette à caution, puisqu'elle permet surtout de reporter la responsabilité de l'intégration sur le pays d'origine. Aussi sera-t-il important d'en évaluer les résultats, lorsque l'accord-cadre arrivera à échéance, c'est-à-dire deux ans après son entrée en vigueur.

Ces exemples doivent être développés. La coopération bilatérale permet en effet d'apporter une réponse plus adaptée que le cadre européen général au défi de l'intégration des Roms. Elle doit constituer également un instrument privilégié pour développer les échanges avec les pays « d'origine » qui ne sont pas membres de l'Union européenne, ou pas encore, en particulier les pays des Balkans occidentaux. A cet égard la situation des Roms du Kosovo devrait nécessiter une attention toute particulière.


* 23 Günther Grass, Ohne Stimme : Reden zugunsten des Volkes des Roma und Sinti

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