B. ÉLABORER DES POLITIQUES AU NIVEAU NATIONAL QUI PERMETTENT À CES POPULATIONS D'INTÉGRER LE DROIT COMMUN

1. Promouvoir au niveau national des approches fondées sur l'intégration des populations roms au droit commun

L'objectif des politiques nationales en faveur des Roms doit être d'intégrer ces populations au droit commun. L'approche retenue en droit français, qui ne permet pas, par souci d'égalité républicaine, de fonder des politiques pour des groupes particuliers définis par leurs origines ethniques ou religieuses, paraît la plus appropriée. En effet, cette approche n'empêche pas pour autant de lutter contre les discriminations : elle replace seulement l'individu et non le groupe au coeur de la réflexion et autorise, de ce fait, la mise en place de politiques de rattrapage fondées sur des critères socio-économique objectifs. Il est clair que, dans le cas des Roms, cette approche peut présenter un double avantage. D'abord, elle leur permet de s'intégrer à part entière à la communauté nationale en tant qu'individus et non en tant que membres d'une communauté. D'autre part, elle montre qu'ils ne sont pas différents sur le plan des droits, mais bien des citoyens égaux aux autres.

De ce fait, la démarche prônée par la Commission européenne, qui souligne l'intérêt de mesures de discrimination positive destinées aux seuls Roms et l'octroi de fonds dédiés, ne paraît pas pertinente dans le contexte social actuel . La reconnaissance aux Roms de droits en tant que minorité spécifique peut être contreproductive. D'une part, en introduisant une différence entre les Roms et les non-Roms, on donne le sentiment que les Roms devraient bénéficier systématiquement d'un traitement différencié de la part des pouvoirs publics. Si l'objectif est de favoriser leur intégration, cette démarche atteint rapidement ses limites. D'autre part, il existe un risque qu'en leur appliquant des mesures spécifiques, on ne vienne encore nourrir le racisme et attiser le ressentiment à leur encontre parmi les populations également en grande précarité sociale, mais qui ne seront pas éligibles au bénéfice des politiques menées en faveur des Roms.

L'application du droit commun aux populations roms ne veut pas dire pour autant que les États n'ont aucune responsabilité vis-à-vis des Roms . Bien au contraire, il leur appartient de faire en sorte qu'ils puissent avoir accès à ces politiques de droit commun, en matière d'éducation, d'emploi, de santé ou de logement par exemple.

A cet égard, les États ont un rôle important à jouer pour s'assurer que les Roms sont sensibilisés à leurs droits. Le recours à des médiateurs dans le domaine social peut, à cette fin, se révéler très utile. Or, dans ce domaine, force est de constater que le nombre de médiateurs pour les Roms a parfois diminué au cours des dernières années. C'est le cas en particulier en Roumanie, où le nombre des médiateurs de santé avait dépassé les 600 pendant la période qui a précédé l'adhésion de 2007, sous l'effet des aides financières octroyées et des demandes de l'Union européenne, mais ont peu à peu diminué depuis à moins de 300, d'autant que la gestion en a été confiée aux collectivités territoriales, qui ne disposent bien souvent pas des ressources suffisantes ou qui ne considèrent pas ce dispositif comme prioritaire. En France aussi, le fait que les fonctions de médiateur ne soient pas reconnues comme une profession pose problème pour son développement. Il s'agit, la plupart du temps, de personnes bénévoles travaillant au sein d'associations, faisant peser des risques sur la pérennité du travail mené auprès des Roms, d'autant plus qu'il ne s'agit pas encore d'une profession pouvant offrir un déroulé de carrière.

Il appartient également aux États de mieux former les agents publics à la « problématique rom » afin d'éradiquer l'une des causes des discriminations dont ils sont victimes. Il n'est pas rare de constater, par exemple, qu'en matière de logement social, c'est presque toujours le dossier de la famille non-rom qui est privilégié au dossier de la famille rom - quand bien même les dossiers seraient, par ailleurs, strictement identiques, voire que le dossier déposé par la famille rom serait même plus ancien.

Les États doivent également engager une réflexion sur la question de la domiciliation, qui est souvent impérative pour l'accès à la plupart des mesures prévues par le droit commun. Dans ce domaine, on voit bien également les difficultés que peuvent créer les démantèlements des campements illicites roms lorsqu'aucune solution de relogement n'a été trouvée au préalable.

Enfin, des efforts doivent être faits dans les États membres afin de mieux utiliser les possibilités des fonds européens . Le Fonds social européen, en particulier, n'est pas aujourd'hui utilisé à la hauteur de son potentiel. Il convient de rappeler qu'une majorité d'États membres de l'Union européenne n'a pas communiqué aujourd'hui suffisamment d'informations permettant d'apprécier s'ils seront effectivement en mesure de mettre en oeuvre les mesures présentées dans la stratégie nationale qu'ils ont remise à la Commission européenne.

2. Mieux associer l'échelon local à la définition et à la mise en oeuvre des politiques à l'égard des Roms : quelques exemples d'actions menées au niveau local

L'échelon local est celui qui permet d'acquérir la meilleure connaissance des populations afin de définir les politiques les plus appropriées. C'est celui qui permet de répondre au mieux à la disparité des populations et des situations. C'est également l'échelon idéal pour les expérimentations.

Collectivités locales et territoriales, organisations politiques et syndicales, ONG, fondations, associations, simples citoyens : ce sont des centaines d'organisations et des milliers d'individus qui agissent quotidiennement et acquièrent une expertise très importante sur le sujet des Roms.

Ainsi votre rapporteur a-t-il pu rencontrer de nombreux acteurs locaux et avoir des informations sur un grand nombre d'actions en cours ou réalisées.

En voici quelques exemples, d'ambitions et d'ampleurs très différentes :

a) En Hongrie :

- A Bátonyterenye , dans la région de Nógrád, un couple Rom venu de Budapest s'est employé à développer, autour d'une ONG locale, une « Maison pour tous » depuis une quinzaine d'années dans cette ancienne cité minière. Grâce à l'activité industrielle, Roms et non-Roms avaient tissé des liens de bon voisinage. Mais les réformes économiques ont eu raison de l'activité minière, le chômage s'est fortement développé et les relations se sont tendues.

Cette Maison développe de nombreuses activités destinées aux enfants comme aux adultes. Concernant les enfants, ce sont principalement des activités périscolaires et d'accueil de loisirs qui sont organisées. La qualité des actions a permis d'atteindre un niveau de mixité particulièrement encourageant, 40 % d'enfants non-roms y prenant part. Concernant les adultes, l'action de la Maison prend la forme d'activités d'aide à la défense des droits pour les Roms en but à la discrimination. Des avocats y assurent des permanences régulières.

L'ONG a été soutenue au début de cette action par des subventions gouvernementales et des fonds européens. Puis, les aides gouvernementales se sont réduites à la prise en charge des permanences de juristes. A l'automne 2011, alors que la Hongrie assumait la présidence de l'Union européenne et apportait son soutien à la politique de définition de stratégies nationales, les aides gouvernementales ont été totalement supprimées.

Les permanences juridiques sont aujourd'hui assurées par des avocats bénévoles de l' Union Civile hongroise pour les Libertés dans le cadre du programme TASZPONTs. Celle-ci décrit ainsi ses objectifs : « Nous croyons que, dans le but d'améliorer la situation des Roms en Hongrie, il est essentiel qu'ils organisent leurs propres communautés et choisissent leurs propres dirigeants afin qu'ils deviennent d'ardents défenseurs de leurs communautés. L'inefficacité de l'auto-organisation des communautés roms provient principalement de la pression de la part des acteurs locaux - tels que la police et le gouvernement local - et elle est exacerbée par le manque général de connaissances dans les domaines social et juridique, qui tous deux sont essentiels. Compte tenu de la pression locale constante et du harcèlement par les autorités, dans la plupart des cas, leur énergie est gaspillée à tenter sans cesse de faire respecter leurs droits. Ainsi, notre objectif est de permettre - à travers les volets interdépendants de notre programme - aux Roms et à leurs communautés d'exercer leurs droits fondamentaux par l'acquisition de compétences de plaidoyer nécessaires pour prendre eux-mêmes les choses en mains . »

- La Fondation Autonomia a été créée en 1990 pour promouvoir le développement de la société civile. Elle soutient les initiatives civiles dans lesquelles les gens mobilisent les ressources locales disponibles pour atteindre leurs objectifs. Elle travaille, par conséquent, en partenariat avec des ONG à la fois roms et non-roms dans des actions destinées aux personnes marginalisées. Outre le travail de développement direct, de formation et de recherche, elle facilite l'efficacité des programmes gouvernementaux et européens visant l'amélioration des conditions du marché du travail des Roms et des pauvres, en s'appuyant sur son expérience longue de 20 ans dans ce domaine.

Elle est à l'origine de plusieurs dizaines d'actions locales en matière de développement agricole et commercial, de micro-épargne, d'aide à l'activité des femmes ou du bâtiment. Elle a acquis un énorme potentiel d'expériences au contact de populations extrêmement fragilisées. Il s'agit donc d'une organisation-ressources, qui contribue également au développement d'actions de caractère national. Elle a, de plus, acquis un grand savoir-faire dans la réponse aux appels d'offre européens, la gestion des programmes et des fonds européens.

b) En Roumanie

- L'ONG Romano Butik contribue à création de circuits de distribution pour la commercialisation de la production artisanale rom. Elle contribue à la valorisation du savoir-faire et de la culture rom dans les milieux universitaires ou dans des quartiers de catégories moyennes.

- Romani CRISS - Centre rom d'intervention et d'études sociales - est une ONG fondée le 4 avril 1993. Sa mission consiste à défendre les droits des Roms en Roumanie. Romani CRISS fournit une assistance juridique en cas d'abus et travaille à lutter contre la discrimination raciale envers les Roms dans tous les domaines de la vie publique, notamment l'éducation, le logement et la santé. L'action de cette association est particulièrement reconnue, comme en témoigne le prix pour la démocratie et la société civile que lui ont attribué l'Union européenne et les États-Unis lors du sommet UE / États-Unis qui s'est tenu à Londres le 18 mai 1998. L'ONG a également obtenu, en 2008, le statut économique et social (ECOSOC) de l'ONU : elle est ainsi devenue la première ONG roumaine spécialisée sur les questions relatives aux Roms et la cinquième ONG dans le pays à bénéficier de ce statut consultatif auprès de l'ECOSOC.

Depuis sa création en 1993, Romani CRISS a développé des relations à long terme avec les communautés roms, les autorités roumaines, les organisations intergouvernementales, la société civile en Roumanie et à l'étranger, et les donateurs.

Romani CRISS est divisée en départements, chacun étant chargé de développer différentes activités :

- le département des droits de l'homme a pour missions la lutte contre les abus de droit des représentants de l'État ; l'égalité d'accès à l'éducation (surveillance des procédures judiciaires en cas de violation du droit à l'éducation - par exemple les cas d'isolements scolaires) ; l'égalité d'accès aux droits à la santé (surveillance des procédures judiciaires en cas de violation des services de santé publique) ; l'égalité d'accès à un logement convenable (surveillance des procédures judiciaires en cas de violation du droit au logement) ; la lutte contre la discrimination dans l'emploi ; et la lutte contre le racisme dans les médias ;

- le département de la santé vise à encourager la médiation dans le secteur de la santé, e n collaboration avec le ministère de la Santé ; à nouer des relations avec personnels médicaux intervenant auprès des communautés roms ; et à combattre la discrimination contre les Roms en matière d'accès aux services de santé ;

- le département de l'éducation vise à développer les conditions pour une éducation de qualité à l'attention des enfants roms et pour la préservation de l'identité culturelle ; à améliorer l'accès à l'enseignement pour les enfants roms ; et à lutter contre la ségrégation scolaire des Roms.

- le département social met en oeuvre des activités visant à obtenir des documents d'identité pour les communautés roms en Roumanie ;

- le département de la coopération internationale a pour objectifs de participer à la définition des politiques à l'égard des Roms au niveau international par la création de partenariats et d'alliances entre les ONG, les Roms et les acteurs concernés dans d'autres pays.

Par son action, Romani CRISS a pu enregistrer de réels résultats.

Dans son activité de conseil juridique et de contentieux, elle est intervenue dans soixante cas de violation des droits de l'homme (abus de représentants de l'Etat ayant des responsabilités dans l'application des lois ; violation du droit à un logement, à la santé, à l'éducation, à la dignité humaine ; accès aux lieux publics ; question du racisme dans les médias et de l'extrémisme ; accès au marché du travail ; administration de la justice ; problématique des conflits ethniques) en portant les dossiers devant le Conseil national pour la lutte contre la discrimination (NCCD), les juridictions nationales en matière civile ou pénale, et la Cour européenne des droits de l'homme. La Roumanie a ainsi été sanctionnée pour la première fois par la Cour de Strasbourg sur le fondement de l'article 14 de la Convention suite à des mauvais traitements infligés à un Rom mineur pour raison raciale.

En matière d'accès à l'éducation, Romani CRISS souligne que son action a permis à plus de 12 000 enfants roms et à leurs parents de bénéficier de formations pédagogiques pendant une campagne d'information que l'ONG a menée auprès des écoles et des communautés. Elle a facilité l'inscription de plus de 2000 jeunes dans le secondaire. Elle a permis l'ouverture pendant l'été de 21 jardins d'enfants. Elle a également mené des actions afin d'encourager le développement des activités interculturelles dans les écoles. Elle a organisé des séminaires en direction des enseignants qui travaillent avec des enfants roms. Elle est surtout à l'origine, avec d'autres ONG, d'un Mémorandum de coopération pour assurer l'accès des enfants et jeunes Roms de Roumanie à une éducation de qualité à travers la déségrégation scolaire et promouvoir l'éducation à l'identité qui a été signé par le ministère de l'Éducation et de la Recherche roumain et le Conseil national roumain pour la lutte contre la discrimination.

Romani CRISS mène enfin une action importante afin de développer et de surveiller l'activité des médiateurs de santé.

c) en Bulgarie

A Plovdiv, depuis plusieurs années, une petite ONG locale s'est attachée à développer un programme de préscolarisation d'enfants roms.

Partant du constat que très peu d'enfants roms étaient préscolarisés et que beaucoup d'enfants roms se trouvaient très vite en situation d'échec scolaire dès les premières années de l'école élémentaire, ce qui amenaient les enseignants à les diriger vers des classes ou établissements d'enseignement spécialisé, cette ONG permet chaque année à une soixantaine d'enfants d'être préscolarisés 4 demi-journées par semaine. Les résultats sont très encourageants puisque pour les premières années où les enfants concernés ont rejoint l'école élémentaire, le taux de réussite constaté est de 70 %.

d) Quelques expériences d'intégrations réussies en France dans le département de Seine-et-Marne

Depuis 12 ans, des collectivités territoriales et des associations membres du collectif Romeurope ont oeuvré, selon les cas avec ou sans la participation de l'État, à la réussite de l'intégration de familles roms par l'emploi, le logement et l'éducation.

La principale opération a été conduite entre 2000 et 2007 dans la ville nouvelle de Sénart.

Voici comment l'AFP a rendu compte de cette action dans une dépêche datée du 20 février 2007, consacrée au travail d'accompagnement vers un emploi et un logement mené auprès de 32 familles roms à Lieusaint :

« Lieusaint (Seine-et-Marne) - L'expérience est unique et exemplaire selon Médecins du Monde : à Lieusaint, 32 familles roms qui vivaient dans un bidonville ont retrouvé travail et logement grâce à un programme d'accompagnement étalé de 2002 à 2007.

« Ce programme, impliquant la préfecture, le SAN de Sénart et les communes de Lieusaint et Combs-La-Ville, prend fin le 12 avril prochain.

En cinq ans, il aura permis à 32 familles, soit plus de 130 personnes, de quitter leurs caravanes pour s'intégrer à la population locale en obtenant cartes de séjour, travail et logement.

« Ce processus de longue haleine aura nécessité pendant cinq ans le travail de trois permanents de Sénart et un budget annuel de 180 000 euros, selon Philippe Chauveau, directeur général adjoint du SAN de Sénart.

« Auparavant de 1999 à 2002, la première étape du projet a consisté à installer les Roms sur un terrain convenable, avec point d'eau, sanitaires et ramassage régulier des ordures.

« C'est une expérience exemplaire », s'enthousiasme Bernard Moriau, chargé de la mission Roms de Médecins du Monde en Île-de-France. « Des expériences vont être menées à Bagnolet ou Saint-Denis, mais Lieusaint a 5 ans d'avance ».

« Michel Bisson, maire (PS) de Lieusaint, a largement oeuvré à la mise sur pied de ce projet. Poussé par un souci d'humanité, il est de plus convaincu de l'inanité d'une politique consistant à renvoyer les Roms en Roumanie.

« La majorité des familles concernées souhaite rester en France, tant la situation qui leur est faite en Roumanie est insupportable ; la plupart des personnes reconduites à la frontière reviennent en France presque immédiatement », soutient-il.

« Les Roms qui se sont installés ici n'étaient pas des nomades. La plupart ont quitté la Roumanie après la chute de Ceausescu. Certains n'y étaient plus les bienvenus, ayant servi d'informateurs au régime. Les élus se sont rendus compte qu'ils n'avaient pas affaire à un stationnement sauvage de gens du voyage et n'ont pas voulu répondre par une expulsion » analyse M. Chauveau.

« Le caractère exceptionnel et la réussite du programme de Sénart tient, selon Michel Bisson, à la participation étroite de l'État, qui a non seulement régularisé les Roms pour leur permettre de travailler, mais aussi financé la plus grosse part du budget.

« L'État pourtant n'a pas souhaité étendre le dispositif : « J'ai rencontré le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy pour lui proposer de reproduire ce modèle dans d'autres communes, en vain », déplore M. Bisson.

« Il est vrai que la mise en oeuvre du programme a été longue et difficile. Signé pour une durée trois ans, il a dû être prolongé de deux ans. Il a fallu faire un tri douloureux entre les familles, le bidonville de Lieusaint ayant pu compter jusqu'à « 350 à 380 personnes » en 2002, selon M. Chauveau.

« Sur les 39 familles entrées dans le programme, sept ont été exclues pour des problèmes de délinquance, ou parce qu'elles ne sont pas parvenues à se conformer à leurs obligations : scolarisation des enfants, arrêt de la mendicité ou paiement de leurs charges. »

Les 39 familles se composaient de 75 adultes (36 hommes et 39 femmes) et de 61 enfants (39 garçons et 22 filles).

La préfecture de Seine et Marne n'accompagnera effectivement plus de projets similaires et les communes de Cesson, Nangis, Chelles et Roissy-en-Brie vont devoir faire face seules, avec des associations, à des actions plus réduites d'intégration réussies de 4 à 5 familles roms.

Au total en 10 ans, la Seine-et-Marne aura intégré plus de 50 familles et scolarisé plus de 150 enfants, y compris dans le secondaire.

Mais, depuis 2010, la situation s'est encore compliquée. Les expulsions de camps conduisent à des réinstallations un peu plus loin de familles plus nombreuses et défiantes. Le nombre accru de familles sur chaque site ne permet plus le même type d'actions.

Ces différents exemples, ces diverses expériences montrent combien le niveau local est riche d'expertises. Il ne peut donc y avoir de définition de stratégies nationales sans une étroite concertation avec les acteurs locaux. C'est une évidence.

3. Remarques concernant la stratégie de la France à l'égard des Roms

Plusieurs des décisions qui ont été prises par le nouveau Gouvernement français depuis la fin du mois d'août laissent augurer d'un certain changement de cap dans notre pays à l'égard des Roms. Il convient de saluer en particulier la nomination d'un délégué interministériel en charge de la question rom en la personne d'Alain Régnier, de même que l'esprit de la circulaire du 26 août 2012, signée par sept ministres. Ils témoignent tous deux d'une volonté de ne plus aborder la question rom sous le seul prisme de la sécurité, mais bien d'adopter une approche interministérielle, associant tous les ministères concernés (ministère des affaires sociales et de la santé ; ministère de l'éducation nationale ; ministère de l'égalité des territoires et du logement ; ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; et ministère de l'intérieur) à la définition des politiques.

Cette évolution tout à fait positive mérite d'être soulignée. A cet égard, il faudra veiller à ce que les propositions qui seront formulées par le préfet Régnier, sans doute à la fin du premier trimestre 2013, dans le cadre de la mission que lui a confiée le Premier ministre, seront effectivement retranscrites dans notre législation. En ce sens, notre Parlement aura sans doute un rôle important à jouer au cours de l'année 2013, qui justifie que nous engagions notre propre réflexion sur le sujet dès à présent. En effet, il convient désormais d'aller plus loin dans nos efforts d'accompagnement des Roms vers l'intégration.

En matière d'accès au travail, la situation actuelle présente encore plusieurs insuffisances qui préviennent l'accès de ces populations au droit commun . La circulaire du 26 août 2012 a seulement supprimé, pour les ressortissants roumains et bulgares, les taxes dues à l'OFFII lors de la délivrance du titre de séjour ou de son renouvellement et annoncé l'élargissement de la liste des métiers qui leur sont ouverts. Une décision du 1 er octobre est venue confirmer l'élargissement de la liste à 291 métiers. Mais, les dispositions transitoires qui leur sont applicables n'ont, quant à elles, pas été supprimées. Concrètement, cela signifie que jusqu'à la fin de l'année 2013, les ressortissants de ces deux nationalités devront, à la différence des citoyens des autres pays de l'Union européenne, être en possession d'un titre de séjour et obtenir une autorisation de travail, au même titre que les ressortissants étrangers extra-européens, pour pouvoir accéder au marché du travail français. Or, ces procédures administratives constituent un obstacle majeur à leur intégration sur le marché du travail car elles sont longues - 9 mois en moyenne -, complexes et dissuasives pour les employeurs.

Le maintien des mesures transitoires apparaît comme profondément discriminatoire et guère compréhensible. D'abord, il paraît quelque peu hypocrite de refuser, au regard des tensions actuelles sur le marché du travail, l'accès à celui-ci à quelques 10 000 actifs roumains ou bulgares lorsqu'on lit que 330 000 salariés étrangers « à bas coût » travailleraient en France en 2012 dans le cadre d'opérations de sous-traitance confiés à des prestataires étrangers, comme le révélait une note du Ministère du travail il y a quelques semaines. Leur nombre aurait été multiplié par trois en l'espace de trois ans au motif d'une insuffisance de la main d'oeuvre française dans certains secteurs. Ensuite, en termes de gestion pour les services publics, il paraît lourd de mettre en place de nouvelles règles pour ces ressortissants dont l'application n'excédera pas quinze mois, puisque les mesures transitoires ne pourront pas se prolonger au-delà du 31 décembre 2013. Enfin, la Commission européenne a clairement mis en évidence, dans un rapport du 11 novembre 2011 sur le fonctionnement des dispositions transitoires, le rôle globalement positif qu'avaient joué les travailleurs roumains et bulgares dans l'économie des pays d'accueil qui les avaient levées. Elle indique qu'ils « participent au marché du travail dans la même mesure que la population moyenne, voire de manière plus importante » et que, dans l'ensemble, ils ont enrichi « l'éventail des qualifications » et ont accédé à des emplois « dans des secteurs et des professions où la pénurie de main-d'oeuvre devait être comblée ». Elle précise que les chiffres disponibles indiqueraient des répercussions positives sur le PIB et neutres sur le PIB par habitant des pays d'accueil, tandis qu'aucun impact sensible n'aurait été enregistré sur le chômage ou le montant des salaires des travailleurs locaux. Dans ses conclusions, la Commission souligne également que la levée des dispositions transitoires n'a pas créé d'appel d'air, constatant que les afflux de ressortissants roumains et bulgares sont, depuis l'adhésion, « nettement inférieurs à l'afflux des ressortissants de pays tiers » et que bon nombre de ceux qui voulaient émigrer l'ont déjà fait avant l'adhésion, « ce qui suggère un potentiel d'émigration plus faible ».

Dans ces conditions, les arguments contre la levée des dispositions transitoires ne tiennent pas et le Gouvernement devrait lever sans attendre les dispositions transitoires.

Des efforts substantiels doivent également être faits en matière d'accès au logement. La formule des villages d'insertion, qui semble parfois perçue par les autorités publiques, la Commission européenne et le Conseil de l'Europe comme une réponse prioritaire, doit surtout être relativisée. Ainsi, les villages qui ont été mis en place en région parisienne au milieu des années 2000 obéissent à des règles de vie très strictes : les habitants sélectionnés pour y vivre sont logés dans des terrains clôturés et surveillés ; ils doivent obtenir l'autorisation pour des visites et doivent s'engager dans un parcours d'insertion. Si l'effort est louable, il paraît clair que l'on est loin de l'objectif d'une intégration des populations roms dans le droit commun. Le danger de ces villages est en effet de maintenir une forme de ségrégation entre leurs habitants et le reste de la société, ce qu'Olivier Legros 24 ( * ) confirme lorsqu'il dit, à leur sujet, qu'ils ne sont que « la surface immergée de l'iceberg d'une politique majoritairement de rejet » à l'égard des Roms. Les villages d'insertion ne pourraient donc être acceptables que s'ils étaient envisagés, dès l'origine, comme une formule purement transitoire avant l'intégration définitive dans le droit commun et s'ils étaient, par ailleurs, ouverts à l'ensemble des personnes en situation de grande précarité, afin de mettre un terme à toute politique de ghettoïsation ethnique. En aucun cas, ils ne doivent être un moyen d'isoler le « problème rom » du reste de la société, dans l'attente que ne se concrétise l'espoir que ces populations finissent pas rentrer dans leurs pays d'origine. C'est pourquoi il faut également repenser les règles de vie qui s'appliquent aux habitants de ces villages, qui continuent de maintenir aujourd'hui un climat propice aux discriminations.

Concernant la politique en matière de sécurité et d'immigration mise en oeuvre par la France, plusieurs observations s'imposent.

Malgré la nouvelle approche du Gouvernement français à l'égard des Roms et un discours plus centré sur la question des droits humains, peu d'améliorations ont encore été enregistrées sur le terrain. Le Défenseur des Droits, Dominique Baudis, s'était inquiété en septembre de la reprise des expulsions de campements roms dans une lettre adressée au Premier ministre. De son côté, Amnesty International a estimé que les expulsions forcées se poursuivaient à un rythme alarmant. Dans un rapport rendu public le 29 novembre 2012 25 ( * ) , l'ONG rappelle le caractère traumatisant de ces expulsions et la situation de précarité dans laquelle elles plongent : perte du logement et des biens, rupture dans les soins de santé ou la scolarisation des enfants. Amnesty International estime qu'elles « anéantissent toute chance d'intégration et d'insertion sociale » et appelle, comme d'autres associations, le Gouvernement à mettre en place un moratoire sur les expulsions.

Il conviendrait, à tout le moins, de veiller à ce que l'approche définie par la circulaire du 26 août 2012 soit effectivement mise en oeuvre . Au regard des risques que ces expulsions font peser sur les populations, il est impératif que les décisions de justice ne soient exécutées par les préfets qu'à l'issue de l'établissement d'un diagnostic préalable des besoins des personnes menacées d'expulsion et, surtout, qu'une fois que des solutions de relogement appropriées leur auront été proposées.

Plusieurs remarques doivent également être formulées concernant la politique de retour volontaire . L'OFII accorde en effet, au titre de la circulaire du 7 décembre 2006, des aides aux étrangers en situation irrégulière ou sans ressources qui séjournent en France depuis plus de trois mois et souhaitent regagner leur pays. Il prend en charge les frais de retour, en particulier les frais de transport, et octroie une aide financière complémentaire. Pour les étrangers ayant la nationalité d'un État membre de l'Union européenne, cette aide est de l'ordre de 300 euros par adulte et de 100 euros par enfant.

Même si un contrôle est désormais opéré sur la base du fichier OSCAR de manière à s'assurer que les bénéficiaires ne puissent se voir octroyés l'aide plus d'une fois, on constate que ce dispositif d'aide au retour a créé un véritable appel d'air . Ce n'est guère étonnant quand on sait que le ticket de bus entre la Roumanie et la France se situe aux alentours de 60 euros ! Rien n'empêche donc à des familles de venir séjourner en France trois mois pour toucher l'aide au retour et, même de revenir en France immédiatement après en vertu du droit à la libre circulation qui s'applique à tous les ressortissants européens. En 2011, 10 608 personnes en auraient bénéficié, dont 7 284 Roumains et 1 429 Bulgares. La France dépenserait entre 5 millions et 10 millions d'euros par an pour ces rapatriements. Tous les interlocuteurs rencontrés confirment les effets pervers de l'aide au retour volontaire. En effet, au-delà du simple appel d'air, elle s'inscrit dans une logique douteuse : son objectif est avant tout d'accélérer les reconduites à la frontière et nombreux sont ceux qui s'interrogent sur son caractère véritablement « volontaire ». Ces éléments invitent à la supprimer sans attendre, au moins pour les ressortissants d'un pays de l'Union européenne .

En revanche, l'aide à l'insertion constitue une possibilité intéressante, qu'il conviendrait au contraire de développer . Cette aide peut être octroyée ponctuellement par l'OFII aux étrangers qui souhaiteraient créer une activité économique de retour dans leur pays d'origine. L'OFII accompagne alors les bénéficiaires au moyen d'aides au montage, au financement et au suivi de leur projet. Jusqu'ici, cette aide a été beaucoup plus circonscrite que ne l'est l'aide au retour. D'après des informations de Romeurope, 10 projets auraient été validés en 2011, pour un montant total de 36 000 euros. Par ailleurs, 80 familles devraient en bénéficier dans le cadre de l'accord franco-roumain signé le 12 septembre dernier. Il pourrait être intéressant, dans le cadre d'une réflexion sur la suppression de l'aide au retour pour les ressortissants de l'Union européenne, d'envisager la possibilité d'accroître en contrepartie les crédits alloués à l'aide à l'insertion. En effet, cette aide présente des avantages multiples. D'abord, elle apporte des garanties que le retour est effectivement choisi et s'inscrit dans un projet de vie pour les bénéficiaires. Ensuite, elle se fonde sur un véritable partenariat entre les pays « d'accueil » et les pays « d'origine ». Enfin, elle contribue au développement des pays « d'origine » et à l'amélioration de la situation des Roms dans ces pays.


* 24 Olivier Legros est géographe et enseignant-chercheur à l'Université de Tours. Il enquête sur les politiques en direction des migrants roms en situation précaire dans les villes françaises et a écrit un article sur Les « villages d'insertion » : un tournant dans les politiques en direction des migrants roms en région parisienne ? paru dans la revue Asylon(s) en juillet 2010.

* 25 Amnesty International, « Chassés de toutes parts - les expulsions forcées de Roms en Île-de-France », novembre 2012

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