II. STRATÉGIE UE 2020 POUR LES RUP ET ARTICLE 349 DU TFUE : POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE LA SINGULARITÉ DE LA GUYANE

A. LA RECONNAISSANCE DE LA SPÉCIFICITÉ DE LA GUYANE

1. La stratégie UE 2020 pour les RUP : une avancée vers la reconnaissance de la spécificité guyanaise

Dans sa communication du 20 juin 2012 2 ( * ) , la Commission européenne a présenté une avancée intéressante qui pourrait marquer un tournant dans la politique européenne à l'égard de l'outre-mer à la condition qu'elle ne reste pas virtuelle : la reconnaissance de la diversité des situations de chaque RUP . Elle déclare dans son introduction que « chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d'entre elles » .

Les RUP ne constituent pas en effet un ensemble homogène : l'ensemble des RUP françaises présentent ainsi la caractéristique commune d'un important éloignement de l'Europe continentale alors que les RUP espagnole et portugaises bénéficient d'une plus grande proximité d'accès au marché européen ; les RUP françaises elles-mêmes offrent des différences notables, en termes de niveaux de développement comme de situation géographique : l'immensité du territoire guyanais et son insertion continentale s'opposent à l'étroitesse territoriale et au caractère insulaire des autres régions ; enfin, l'entrée de Mayotte dans la catégorie des RUP vient compléter la palette des modes d'organisation sociale et des niveaux de vie.

La Commission ajoute que « chaque RUP doit trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités », tout en estimant que les RUP « sont parfois mieux soutenues par des adaptations des règles de l'UE ou la prise en compte de leurs besoins spécifiques au moment de la mise en oeuvre ». Or, les rapporteurs ont constaté que dans plusieurs secteurs, une meilleure prise en compte des besoins spécifiques de la Guyane est nécessaire. Et un moyen existe pour y parvenir, c'est l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

2. L'article 349 du TFUE est un outil pertinent mais sous-employé, en dépit des efforts français

Les traités européens reconnaissent depuis longtemps maintenant que les RUP sont caractérisées par des facteurs permanents - éloignement, relief et climat difficile, dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits- qui, combinés, freinent leur développement. Et, en conséquence, l'article 349 du TFUE prévoit que des mesures spécifiques peuvent être prises pour aménager l'application des règles et normes européennes dans ces régions.

Article 349
(ex-article 299, paragraphe 2, deuxième, troisième et quatrième alinéas, TCE)

Compte tenu de la situation économique et sociale structurelle de la Guadeloupe, de la Guyane française , de la Martinique, de la Réunion, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement, le Conseil , sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application des traités à ces régions, y compris les politiques communes. Lorsque les mesures spécifiques en question sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, il statue également sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen.

Les mesures visées au premier alinéa portent notamment sur les politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans les domaines de l'agriculture et de la pêche, les conditions d'approvisionnement en matières premières et en biens de consommation de première nécessité, les aides d'État, et les conditions d'accès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux de l'Union.

Le Conseil arrête les mesures visées au premier alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique de l'Union, y compris le marché intérieur et les politiques communes

Les élus des régions ultrapériphériques n'ont eu de cesse d'appeler à une initiative sur le fondement de l'article 349, tant au Parlement européen que lors de la Conférence des présidents des RUP. Le Sénat, par ses résolutions européennes 30 et 31 du 19 novembre 2012 3 ( * ) , s'est lui aussi prononcé résolument en faveur de l'emploi de l'article 349 , dénonçant sa sous-utilisation. L'exposé des motifs de la proposition de résolution, devenue résolution du Sénat le 19 novembre 2012, sur la communication de la Commission européenne relative à stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020, présente un exposé clair et pertinent des manques et des enjeux en ce domaine.

Extraits :

« L'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), un outil à mobiliser davantage au bénéfice des RUP

Reflétant l'attachement de la Commission à marginaliser les dispositifs spécifiques et à maintenir les RUP dans le cadre commun, la stratégie décrite dans la communication du mois de juin vise à « exposer la manière dont les RUP peuvent trouver leur place parmi les nombreuses initiatives contribuant à mettre en oeuvre la stratégie «Europe 2020 » ».

Cette communication ne fait en conséquence que de rares références à l'article 349 du TFUE .

Cet article est insuffisamment utilisé du fait de l'opposition de la Commission européenne , comme cela est unanimement constaté :

- le rapport Solbes relève ainsi que « l'article 349 du TFUE doit permettre de tenir compte des spécificités des RUP lors de la mise en oeuvre des politiques européennes. Cela étant, cette disposition n'a pas été pleinement mise en oeuvre jusqu'ici . Les particularités communes à toutes les RUP, mais aussi leurs réalités hétérogènes, ne sont pas toujours complètement prises en compte dans des domaines tels que les transports, l'énergie ou le commerce extérieur » . Il estime par ailleurs que, « dans le cadre de la fixation d'une nouvelle stratégie pour le marché unique , il convient (...) de s'assurer de l'utilisation adéquate et systématique de l'article 349 du TFUE » ;

- le Parlement européen a souligné quant à lui en 2012 que « l'article 349 du TFUE, qui prévoit l'adoption de mesures spécifiques visant à atténuer l'impact des caractéristiques de l'ultrapériphérie, devrait être plus utilisé et se voir conférer la portée juridique, institutionnelle et politique nécessaire pour assurer aux RUP une intégration juste et permettant leur développement économique et social au sein du marché intérieur et plus largement au sein de l'Union » ;

- la Conférence des Présidents des RUP, enfin, réunie en septembre 2012 aux Açores, « exige l'application de la lettre et de l'esprit de l'article 349 du TFUE , base et fondement premier des interventions adaptées dans toutes les politiques de l'Union en faveur de nos Régions ; et s'inquiète particulièrement de sa faible mise en oeuvre ».

Cet article a servi de fondement à la mise en place du Programme d'option spécifique à l'éloignement et à l'insularité ( POSEI ) au début des années 1990. Conçu dans une logique plurisectorielle, le champ de ce programme a ensuite été restreint à l'agriculture . Il s'agit, aux yeux de la Délégation générale à l'outre-mer (DéGéOM), d'un « instrument qui a fait ses preuves et constitue un exemple à suivre en matière de prise en compte des spécificités des RUP dans les politiques de l'Union ». Le bilan de ce programme est positif, comme le reconnaît elle-même la Commission européenne .

Très peu de dispositifs spécifiques aux RUP ont été mis en place et très peu de textes européens visent l'article 349 du TFUE . Il est révélateur que la proposition de règlement visant à refondre le POSEI ne mentionne pas initialement cet article, tout comme le fait que la France n'ait pas encore obtenu, dans le cadre des négociations au sein du Conseil, l'inscription de la référence à l'article 349 dans les visas du projet de règlement relatif au Fonds européen relatif aux affaires maritimes et à la pêche (FEAMP).

Sur ce sujet, il importe de remarquer que le Gouvernement français est déterminé à obtenir une meilleure utilisation de l'article 349 :

Lors de la Conférence des présidents des RUP de septembre 2012, M. Victorin LUREL , ministre des outre-mer, a appelé à la mise en place d'un « cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP » , qui pourrait prendre la forme d'un « règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d'avenir dans les RUP », à savoir des filières identifiées comme stratégiques et contribuant à leur désenclavement telles que les énergies renouvelables, les technologies de l'information et de la communication (TIC), les transports, le tourisme ou encore une filière bois en Guyane. Ce mécanisme pourrait comprendre un programme de type POSEI d'aides aux entreprises et couvrant ces secteurs porteurs de croissance.

Cette initiative rejoint ainsi les préoccupations exprimées dans le mémorandum de 2010 qui indiquait : « pour l'avenir, et en particulier dans les secteurs dans lesquels les progrès ont été insuffisants (transports, insertion régionale, environnement, changement climatique, recherche et innovation...), un cadre d'intervention spécifique devrait être conçu, semblable à l'approche POSEI » 4 ( * ) .

Le ministre a par ailleurs appelé de ses voeux la multiplication des déclinaisons sectorielles de l'article 349 afin de permettre l'adaptation des politiques européennes aux réalités des RUP.

Cette prise de position, déjà martelée dans les négociations en voie d'aboutir sur la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), semble devoir marquer un point. En effet, le Conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne du 24 octobre 2012 a adopté une orientation générale sur les mesures susceptibles de bénéficier du soutien financier du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) sur la période 2014-2020 qui inclut dans ces mesures les « aides publiques à la flotte, et notamment des aides à la modernisation des navires », ainsi que des « aides à l'installation des jeunes pêcheurs et aquaculteurs ». A également été obtenue une avancée majeure pour les RUP : « l'extension à tous les DOM français du régime de compensation des coûts additionnels supportés par les pêcheurs et les aquaculteurs ultramarins en raison de leur éloignement ». Ces avancées, qui sont déterminantes pour l'avenir du secteur de la pêche dans nos outre-mer, doivent désormais recueillir l'assentiment du Parlement européen. Rappelons que la Délégation sénatoriale à l'outre-mer s'était engagée en faveur de ces évolutions permettant la prise en compte des réalités des RUP dans la réforme de la politique commune de la pêche en proposant à la Haute assemblée une résolution devenue résolution du Sénat le 3 juillet 2012 5 ( * ) .

Hormis le domaine de la pêche, secteur d'activité traditionnel qui joue un rôle économique et social essentiel dans les outre-mer, il apparaît nécessaire, pour compenser les handicaps structurels auxquels sont confrontés les acteurs économiques, de faire des aides d'État , un levier plus efficace. L'article 107, paragraphe 3, du TFUE permet la prise en compte des spécificités des RUP . Compte tenu de l'éloignement géographique et de l'étroitesse de leurs marchés, les aides aux entreprises des RUP ne peuvent en effet être considérées comme des menaces à la libre concurrence. Il apparaît donc indispensable que les taux actuels d'intensité et l'éligibilité des aides au fonctionnement valables dans les RUP soient maintenus et il serait même utile d'aller plus loin en introduisant un seuil de minimis spécifique à ces régions.

La prise en compte des contraintes spécifiques aux RUP sur le fondement de l'article 349 du TFUE doit également pouvoir se décliner dans les programmes européens horizontaux , tels que l'instrument financier pour l'environnement (LIFE) ou le programme « Horizon 2020 » pour la recherche. Il apparaît nécessaire, pour rendre effectif l'accès des RUP à ces programmes, d'assurer : un accompagnement spécifique des porteurs de projet issus des RUP ; des appels à projets spécifiques à ces régions.

L'accès des RUP à certains programmes horizontaux reste en effet aujourd'hui théorique, faute pour ces régions de pouvoir répondre aux critères d'éligibilité qui ne tiennent pas compte de certaines contraintes telles que, par exemple, l'éloignement. C'est ainsi que la jeunesse des RUP françaises se trouve largement privée du bénéfice du programme Erasmus dans la mesure où celui-ci ne permet pas la prise en charge financière du transport de l'étudiant originaire d'une RUP entre sa région et la capitale de son État membre.

Au-delà de l'action du ministre des outre-mer, le Gouvernement français a lui aussi pris toute la mesure du manque de mobilisation de cet outil. Le ministre des affaires européennes, Bernard Cazeneuve a maintes fois fait part à la commission des affaires européennes du Sénat de l'attention particulière qu'il porte au traitement des outre-mer dans les négociations européennes.

Par lettre du 12 novembre 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a souligné l'insuffisance de la prise en compte de l'article 349 du Traité de Fonctionnement de l'Union européenne dans la mise en oeuvre des politiques européennes et a confié au député Serge Letchimy une mission afin de proposer au Gouvernement des pistes concrètes permettant d'utiliser au mieux les possibilités juridiques offertes par cette disposition du Traité propre aux régions ultrapériphériques. Ce rapport, qui devrait être rendu très prochainement pourrait, s'il est bien exploité, être à l'origine d'une initiative de la Commission européenne sur le fondement de l'article 349.

Enfin, il convient de saluer la prise de position récente , le 5 février dernier, du Parlement européen concernant l'adoption du nouveau POSEI 6 ( * ) . Pour la première fois, l'article 349 a été introduit comme base juridique de ce règlement. Cette résolution du Parlement européen 7 ( * ) intervient après un compromis trouvé avec le Conseil et la Commission européenne. Il y a donc de fortes chances que, lors du passage du texte au Conseil européen, celui-ci ne soit pas modifié.

C'est une avancée importante pour les régions ultramarines françaises. Elle ouvre la porte vers d'autres décisions prises sur ce fondement. Pour la Guyane, c'est essentiel. Les rapporteurs ont pu le constater, il est des cas précis et concrets où des aménagements des normes européennes sont nécessaires et parfois vitaux.


* 2 Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive - COM(2012) 287 final

* 3 Voir annexes 2 et 3

* 4 « Une vision rénovée de la stratégie européenne à l'égard de l'utrapériphérie », Mémorandum de l'Espagne, de la France, du Portugal et des régions ultrapériphériques, Las Palmas de Gran Canaria, 7 mai 2010.

* 5 Voir annexe 4

* 6 Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 5 février 2013 en vue de l'adoption du règlement (UE) n° .../2013 du Parlement européen et du Conseil portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union et abrogeant le règlement (CE) n° 247/2006 du Conseil

* 7 Résolution législative du Parlement européen du 5 février 2013 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union - COM(2010) 498 final

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