Audition de Mme Mireille FAUGÈRE, directrice générale et du Pr Loïc CAPRON, président de la commission médicale d'établissement d'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (mardi 27 novembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons, avec l'audition de Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), accompagnée du Pr Loïc Capron, président de la Commission médicale d'établissement (CME), nos auditions des responsables des grandes institutions et administrations compétentes en matière de santé.

Nous avons pris connaissance d'un rapport tout récent de l'AP-HP faisant état d'une pratique courante des médecines dites complémentaires dans les groupes hospitaliers de l'AP-HP, tant par des professionnels que par des bénévoles intervenant dans un cadre associatif.

Il est donc important pour notre commission de faire le point avec vous de ces évolutions, tant ces pratiques alternatives, dont certaines peuvent éventuellement apporter un réel réconfort aux patients, semblent parfois porteuses de risques de dérives sectaires.

Je précise que cette audition n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'en viens à notre réunion.

Je rappelle à l'attention de Mme Mireille Faugère et du Pr Loïc Capron que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Mireille Faugère et au Pr Loïc Capron de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Mireille Faugère et monsieur Loïc Capron, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président. - Après votre exposé introductif, M. Mézard, rapporteur, ainsi que les autres membres de la commission, vous poseront quelques questions.

Madame la directrice générale, Monsieur le président, vous avez la parole.

Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'AP-HP de Paris. - L'AP-HP est un très grand établissement d'Ile-de-France qui compte trente-sept hôpitaux, organisés en douze groupes hospitaliers, essentiellement dans Paris intra-muros et la première couronne. Quelques anciens sanatoriums situés à Berck, Hendaye et dans le Var à Hyères (hôpital San Salvadour), sont aujourd'hui spécialisés dans le polyhandicap.

Nous comptons 7 millions de patients par an, 5 millions en consultation, un peu plus d'un million en hospitalisation et un million en urgence. Nous disposons d'environ 22 000 lits pour 20 000 médecins et 70 000 personnels non médicaux qui peuvent être affectés aux soins ou dans les secteurs administratifs et techniques.

L'AP-HP travaille en lien avec sept universités d'Ile-de-France ; il s'agit de sept unités de formation et de recherche en médecine, pharmacie et odontologie.

En matière d'enseignement, l'AP-HP accueille et forme chaque année 3 000 internes par an, 5 000 étudiants en médecine et près de 8 000 étudiants répartis dans dix instituts et centres de formation spécialisée. Il peut s'agir aussi bien d'infirmières que d'aides-soignants ou de cadres administratifs.

En matière de recherche et d'innovation, l'AP-HP a un poids considérable puisque nous représentons 10 % de l'hospitalisation française et 40 % à 50 % de la recherche clinique.

Dans le cadre des investissements d'avenir, l'AP-HP a été distinguée par trois instituts hospitalo-universitaires et deux projets prometteurs. Nous sommes fort bien représentés pour ce qui est du grand emprunt et avons également, en matière de recherche, pris l'initiative de développer des départements hospitalo-universitaires.

Nous faisons évidemment partie de centres de recherche thématique importants sur la psychiatrie ou la santé mentale comme FondaMental, sur la prématurité comme Prem-Up ou sur la greffe, comme Centure.

Nous sommes donc au coeur de sujets modernes et de projets, d'innovation et très attentifs aux besoins des patients et à toutes les initiatives que nos professionnels peuvent prendre en matière de recherche.

Notre ambition est d'exercer pleinement les missions de CHU d'Ile-de-France, de jouer le rôle que l'agence régionale de santé (ARS) et les tutelles attendent de nous en matière d'organisation du soin sur le territoire mais nous voulons également jouer notre rôle en matière de formation, notamment de médecins, de soignants et de recherche dans nos sept universités.

Nous désirons bien évidemment conserver notre rayonnement international, nos médecins étant toujours intéressés et motivés par cette compétition. Nous sommes donc attentifs aux patients et à nos personnels. Nous sommes un employeur très important sur le territoire et très responsable dans nos politiques.

Nous occupons une position très importante également en matière de formation professionnelle à l'intérieur de notre maison et disposons de parcours qualifiants, particulièrement pour nos personnels non médicaux.

Je voudrais maintenant en venir aux médecines complémentaires. Considérant la triple mission qui est la nôtre, celle du soin, de l'enseignement et de la recherche, nous avons engagé, lors de notre plan stratégique 2010-2014, une réflexion stratégique sur les médecines complémentaires.

Le sujet n'est pas nouveau. Le Pr Capron avait déjà établi une revue bibliographique en 1987 dans la Revue du praticien . Aujourd'hui, la demande des malades qui recourent à des traitements non conventionnels va croissant.

30 % à 50 % des malades traités contre le cancer dans nos hôpitaux ont, selon nos études, recours ou voudraient avoir recours aux médecines complémentaires. Nous sommes donc face à un besoin, nos patients y ayant de toute manière recours. En tant qu'hôpital universitaire public, nous avions donc intérêt à nous pencher sur ce sujet. Pouvions-nous offrir de tels soins ? Nous avons choisi de répondre positivement à cette question...

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les « médecines alternatives et complémentaires » sont définies comme un « groupe d'approches, de pratiques, de produits de santé et médicaux qui ne sont pas habituellement considérés comme faisant partie de la médecine conventionnelle », la médecine conventionnelle étant chez nous la médecine occidentale. Ces médecines « complémentaires » sont utilisées en complément de la médecine conventionnelle. L'OMS parle également de médecines « alternatives ».

Cela dit, la définition de la médecine alternative, sur laquelle M. Blisko était revenu dans son rapport au nom de la Miviludes, est de remplacer le soin conventionnel. C'est là une médecine que nous ne pratiquons pas. Il n'existe pas de médecine alternative à l'AP-HP mais des médecines complémentaires. Je ne retiendrai donc dans mon propos que la médecine complémentaire au sens strict du terme, celle-ci ne remplaçant pas le soin mais l'accompagnant.

Aujourd'hui, à l'AP-HP, une quinzaine de médecines complémentaires sont identifiées et concentrées sur quelques traitements. Il s'agit de l'acupuncture, l'hypnose, la relaxation, l'ostéopathie et le toucher-massage.

L'activité de soins en médecine complémentaire est réalisée pour des patients ambulatoires, en consultation externe ou pour des patients hospitalisés, toujours dans des structures de soins organisées à l'intérieur de l'hôpital et placées sous la responsabilité d'un chef de service. Il peut s'agir de structures de soins variées. On y traite plus particulièrement la douleur. Les soins palliatifs, la gynéco-obstétrique et la cancérologie sont les disciplines dans lesquelles on retrouve le plus les médecines complémentaires.

L'enquête que nous avons réalisée a également été menée dans d'autres CHU, via la Conférence des directeurs généraux de CHU. Seize CHU ont répondu à ce jour au questionnaire et pratiquent des médecines complémentaires à des degrés plus ou moins importants.

Les praticiens qui exercent ces médecines sont des professionnels de santé, personnels de l'Assistance publique dans la quasi-totalité des cas. Ce sont des médecins titulaires, des contractuels ou des sages-femmes. Ce peut être également des personnels paramédicaux, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, aides-soignants ou psychologues.

Quelques praticiens qui ne sont pas des professionnels de santé peuvent intervenir à l'hôpital en tant que bénévoles. Leur intervention se fait dans un cadre associatif ; une convention est systématiquement passée avec l'association en question. A chaque fois, le soin est dispensé sous la responsabilité du chef de service.

On peut dire que la prescription des médecines complémentaires est plutôt préconisée par les autorités de santé dans des contextes thérapeutiques que j'ai rappelés. Les indications validées sont assez peu nombreuses.

Pour ce qui est de l'enseignement, des formations universitaires de troisième cycle sont réalisées en médecine complémentaire ; elles sont le plus souvent réservées à des médecins - chirurgiens-dentistes ou sages-femmes. On recense aujourd'hui vingt-cinq diplômes universitaires ou interuniversitaires qui couvrent l'ensemble des médecines complémentaires que l'on rencontre à l'AP-HP.

Les autres médecines complémentaires ou les professionnels de santé autres que les médecins cités peuvent être formés par des organismes privés sans agrément ministériel ; quelques écoles d'ostéopathie sont cependant agréées par le ministère de la santé. Nous sommes toutefois assez stricts en matière de formations et de diplômes validés.

Concernant la recherche, nous bénéficions d'une recommandation du fait de notre statut de CHU, dans lequel règne une discipline et un état d'esprit très scientifiques.

La littérature scientifique médicale recommandant toujours une évaluation, nous avons souhaité pouvoir étudier la littérature produite. Elle est relativement abondante et rarement concluante, pour des raisons très souvent méthodologiques. On sait en effet le faire pour la médecine conventionnelle mais beaucoup moins en matière de médecine complémentaire.

Cette production de littérature est néanmoins en augmentation. Les équipes françaises sont assez peu présentes sur ces sujets mais, au cours des quatre dernières années, certains projets de recherche clinique ont été menés à bien sous la promotion institutionnelle de l'AP-HP.

Pour que ces médecines complémentaires soient reconnues comme « scientifiques », elles doivent faire l'objet des méthodes que nous employons à l'AP-HP et de programmes de recherche clinique, ce que nous nous appliquons à faire.

Les orientations que nous avons retenues dans le rapport sont d'encadrer les pratiques existantes. Cela signifie qu'il ne faut pas de flou sur la manière dont elles sont pratiquées. Celles pratiquées à l'AP-HP doivent l'être par des professionnels de santé titulaires d'un diplôme agréé par un comité hospitalo-universitaire, pour des indications validées.

Les médecines complémentaires doivent être destinées en priorité aux patients pris en charge ou suivis à l'AP-HP.

La deuxième recommandation consiste à encourager des recherches rigoureuses sur l'intérêt de ces traitements pour les malades. Nous serons amenés à les développer si elles sont efficaces. Cette efficacité doit être étudiée dans le cadre de recherches académiques sur les médecins complémentaires.

Un appel à projet annuel a été lancé ; le premier d'entre eux a été publié en septembre dernier ; il ciblait les traitements les plus répandus à l'AP-HP : l'acupuncture, l'hypnose, le toucher-massage et l'ostéopathie.

Nous attendons les résultats de cet appel à projets. Il faudra cependant un peu de temps pour en mener l'évaluation.

La troisième recommandation consiste à maîtriser le développement de cette offre de soins. Toutes nos recommandations doivent être suivies.

Nous avons décidé de mettre en place une comitologie particulière avec, au niveau central, un comité hospitalo-universitaire dédié aux médecines complémentaires. Ce comité sera installé le 17 décembre prochain. Sa composition est suggérée dans le rapport ; il sera chargé de définir les orientations stratégiques, les autorisations d'exercice pour l'activité de soins, l'agrément des diplômes et l'organisation de la recherche.

Ce comité sera démultiplié par un niveau décentralisé, avec un réseau de référents en médecines complémentaires dans les hôpitaux.

Enfin, toutes les associations de bénévoles et de malades qui interviennent à l'AP-HP passent une convention obligatoire avec la direction de l'hôpital, qu'il s'agisse des médecines complémentaires ou non. Leurs interventions se font dans les services, sous la responsabilité du chef de service.

Toutes les demandes de convention remontent à la direction générale et à la direction du service aux patients qui, en cas de doute, peut vérifier soit auprès de la Miviludes, soit auprès de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi). Si le moindre doute existe, la convention n'est pas signée.

Cela fait quelques années que nous n'avons pas déconventionné d'associations du fait de remontées de terrain. Dans chaque hôpital, nous disposons d'une personne chargée des relations avec les usagers et les associations. Un comité est consacré dans chaque hôpital aux relations entre usagers et associations. Il existe deux niveaux de médiation : les médiateurs-médecins et les médiateurs non-médecins. Ils peuvent être alertés par les usagers et faire remonter des inquiétudes à propos de pratiques douteuses.

Les acteurs sont tous informés qu'ils peuvent saisir la Miviludes pour vérifier si la structure visée y est signalée ou non. Ils sont aussi invités à répercuter l'information à la direction centrale et à la direction du service aux patients.

Si nos patients demandent à accéder à une médecine complémentaire qui n'est pas accessible dans l'hôpital auquel ils s'adressent, nous les orientons vers les consultations de médecines complémentaires existantes. On compte ainsi treize consultations d'acupuncture, dix consultations d'hypnose et dix consultations de médecine manuelle-osthéopathie.

Nous avons souhaité en la matière adopter une démarche « qualité » fixant un cadre le plus scientifique possible à ces pratiques, fondé sur une médecine par les preuves. C'est encore un challenge pour ce type de médecine très nouvelle et non conventionnelle. Nous devons démontrer son efficacité par des démarches scientifiques. Le sujet est sensible, même parmi nos professionnels.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - L'objectif de notre commission d'enquête est d'étudier la situation de certaines dérives sectaires dans le domaine de la santé. Nous respectons bien évidemment la liberté de conscience et d'expression mais nous constatons cependant, comme d'autres, qu'un certain nombre de nos concitoyens sont amenés à mettre leur santé et parfois leur vie en danger du fait de certains comportements qui peuvent s'apparenter à des dérives sectaires.

Nous avons relevé que vous employez, semble-t-il à dessein, le terme de « médecine complémentaire », en évitant d'utiliser celui de « médecine alternative ». Vous considérez donc, pour celles qui sont employées au sein de l'AP-HP, que ces pratiques complémentaires sont bien des médecines.

Avez-vous, dans la grande institution que vous dirigez, constaté des pratiques déviantes ? Si tel est le cas, quelles ont été vos réactions ? Qu'en est-il des questions de transfusion ou de vaccination ?

Mme Mireille Faugère. - Nous avons très peu de remontées ; celles que nous avons pu avoir concernaient des associations. Sur la période 2010-2012, cinq alertes ont été diffusées par l'ensemble de nos réseaux et de nos services de soins ; celles-ci n'ont pas été suivies d'un déconventionnement de ces associations. Le système de veille fonctionne donc bien.

Quant au refus de soins, je laisse le Pr Capron s'exprimer...

M. Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement d'AP-HP de Paris. - Les refus de transfusion sanguine sont des cas particuliers que chaque médecin traite à sa façon mais nous suivons tous à peu près les mêmes règles. Quand il s'agit d'un mineur, nous pratiquons la transfusion et, si nécessaire, pouvons faire un signalement à la police.

Quand il s'agit d'un majeur responsable de ses actes, nous faisons tout pour éviter la transfusion tout en respectant la volonté de l'individu. Nous avons eu, au cours des vingt dernières années, la chance de voir se développer l'autotransfusion sanguine, qu'acceptent la plupart des témoins de Jéhovah. On les prélève, on conserve leur sang et l'on peut de cette façon le leur réinjecter quand ils en ont besoin. Il s'agit là de cas pour lesquels on peut préparer la transfusion, comme par exemple une intervention cardiaque. Cela se passe bien en général.

Lorsque la transfusion s'impose en urgence et qu'on a affaire à un majeur qui exprime sa volonté de ne pas être transfusé, les choses se compliquent. J'ai personnellement vécu des drames - mais il s'agit d'une question de respect de l'individu. Lorsque la famille le demande, les choses sont différentes. D'autres, quand ils se sentent partir, changent d'avis. On sait être persuasif mais on ne sait pas violer les consciences !

Quant à la vaccination, il s'agit essentiellement d'un travail de médecine de ville, d'omnipraticien. Dans ma longue expérience d'interniste et de médecin polyvalent, je n'ai jamais rencontré d'opposition à la vaccination. Je ne crois pas que les médecins de l'AP-HP aient connu une telle expérience. Quand on vient se faire vacciner, c'est qu'on le veut ! Ceux qui ne le veulent pas ne viennent pas nous voir !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous n'avez donc constaté que peu de comportements pouvant relever de dérives sectaires au sein de vos établissements...

Mme Mireille Faugère. - En effet, nous en constatons très peu. Cela dit, dans la mesure où la demande de médecine complémentaire est en train d'augmenter, nous avons adopté un dispositif très encadré. Il s'agit de médecine pratiquée par des médecins et des soignants diplômés. Quand des associations interviennent, elles le font dans le cadre d'un service.

A l'hôpital, on est dans un espace collectif, sous la responsabilité d'un chef de service. C'est ce qui nous garantit la possibilité de regards croisés. Nous sommes très organisés sur ce point.

M. Alain Milon , président. - Le président de la Haute Autorité de santé (HAS), que nous avons auditionné avant vous, nous a expliqué que l'établissement de procédures d'évaluation de ces pratiques visait le remboursement de celles-ci par la sécurité sociale.

Il nous a également fait part de grandes difficultés à évaluer les médecines complémentaires. Or, l'AP-HP représente environ 10 % de l'Ondam, ce qui est considérable. Comment pouvez-vous intégrer ces médecines complémentaires dans la tarification ?

Mme Mireille Faugère. - C'est un sujet très délicat. La volumétrie est encore faible mais si elle devient significative, il faudra impérativement parvenir à une codification précise de ces pratiques.

Nous avons donc recommandé une description et une codification très précises de ce que nous faisons pour pouvoir les intégrer ensuite dans des dispositifs d'évaluation. C'est pourquoi nous avons lancé des démarches de recherche clinique sur les quatre disciplines les plus importantes en volume - acupuncture, toucher-massage, etc. C'est l'assurance maladie qui finance la structure de recherche et c'est la raison pour laquelle nous sommes encore en amorçage. Il faudra néanmoins arriver à quelque chose de beaucoup plus clair pour que la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) nous rembourse.

M. Alain Milon , président. - Comment vous financez-vous actuellement ?

Mme Mireille Faugère. - L'acupuncture et l'hypnose existent déjà dans la nomenclature. Nous les repérons, les codifions et sommes payés pour cela. En 2011, dans ces disciplines, nous avons recensé 5 000 actes. Les autres disciplines qui ne figurent pas dans la nomenclature ne sont pas rémunérées. Ce processus est en train de se mettre en place. Si nous n'obtenons pas de réponse, nous ne continuerons pas.

M. Alain Milon , président. - Quelle somme cela représente-t-il ?

Mme Mireille Faugère. - Ce n'est guère important : 5 000 actes à 25 euros en 2011. Il ne faut pas compter là-dessus pour nous enrichir !

M. Stéphane Mazars . - Comment expliquez-vous cette demande croissante de médecine complémentaire ?

Mme Mireille Faugère. - Le Pr Capron et moi n'avons pas la même sensibilité à ce sujet...

Les malades nous disent qu'ils ont besoin d'une prise en charge globale de leur maladie et de leur personne. Or, la médecine conventionnelle est très centrée sur l'acte et la prise en charge de la maladie mais peu sur celle de la personne.

Les patients nous expliquent que l'acupuncture permet de mieux supporter certains traitements. C'est pourquoi nous mettons en oeuvre cette pratique. Probablement n'a-t-on pas trouvé tous les moyens d'accompagnement et que ceux-là sont considérés comme des moyens plus doux, moins chimiques et susceptibles d'aider le malade.

Le fait que l'hôpital public ne propose pas de médecines complémentaires constitue un véritable problème d'accessibilité tarifaire à ce type de soins. Cela nous place aussi face à notre responsabilité en matière de délivrance de soins.

De toute manière, le patient ira chercher ces soins ailleurs s'il ne les trouve pas à l'hôpital. Toutes les enquêtes le démontrent : si l'on essaye de convaincre un malade du peu de sérieux de ces médecines complémentaires dans le cadre de l'hôpital, il n'en parle pas et le médecin n'a alors pas toutes les informations pour juger de la façon dont le patient prend en charge sa maladie. L'hôpital me semble donc devoir répondre à cette demande de la manière la plus sérieuse possible !

M. Loïc Capron. - Nous n'avons en effet pas exactement la même sensibilité sur le sujet. J'ai été élevé dans le culte du savoir. Mes études médicales et scientifiques - je suis aussi docteur ès-sciences - reposent sur le savoir. Le « croire » n'y a pas sa place. Je me souviens que mon directeur de thèse de sciences m'a fait retirer le mot « croire », que j'avais laissé filer dans un texte... C'était un positiviste convaincu - ce que je ne suis pas - mais cela m'a servi de leçon !

Ces médecines ont toujours attisé ma curiosité. Très tôt, en 1987, je me suis longuement penché sur le rapport intitulé : Alternative therapy , réalisé par la British medical association, pour qui alternative et complémentaire signifient la même chose. Je n'adhère pas à la nuance sémantique qui est contenue dans ce rapport. « Alternative », en anglais, signifie « autre ». Il s'agit donc des autres thérapies, des autres médecines que celles que compte la médecine orthodoxe, la médecine du savoir, où le « croire » n'a pas de place.

D'où vient ce précieux rapport ? Il a été inspiré par le Prince de Galles, président de la British medical association en 1982-1983, qui a demandé aux médecins britanniques - qui partagent la même culture que moi - de s'intéresser à ces médecines qui, selon lui, pouvaient représenter l'avenir. On a obéi au prince. Le rapport, paru quatre ans plus tard, est d'une sévérité extrême. Il est parfaitement rédigé et laisse place à quelques rares îlots au milieu d'un champ de ruines.

Tout y est étudié ; une part minuscule est accordée à l'homéopathie, l'acupuncture, l'ostéopathie, la chiropractie et l'hypnothérapie, dans des indications pour lesquelles les médecins orthodoxes disposent d'approches nettement plus puissantes et d'une efficacité avérée.

Depuis, j'ai étudié ce qui paraissait dans les journaux mais je n'ai jamais changé d'opinion. Ce que j'ai écrit en 1987, je l'écrirais à nouveau aujourd'hui.

Or, l'AP-HP s'intéresse aujourd'hui à ces médecines qui ne m'intéressent pas ! Cela s'est passé au moment de la discussion du projet médical du plan stratégique 2010-2014. J'étais alors simple élu de la CME. Il fallait avoir lu le projet médical pour se rendre compte qu'une page entière était consacrée à ces médecines, ce qui était une innovation extravagante pour nous. Je n'ai pas manqué de protester mais, malgré ma désapprobation, ce sujet est demeuré inscrit dans le plan, d'où l'existence du présent rapport et des mesures que vous a décrites Mme la directrice générale.

Ce n'est pas pour autant que je suis converti ! Ce que j'ai lu du témoignage de mon confrère Serge Blisko n'a fait que me conforter un peu plus dans mon doute ! Il cite des situations extrêmes mais parle aussi de l'hôpital, réservant un long développement aux dérives qui y sont possibles. Pour moi, le dérapage qui peut exister entre médecines complémentaires, charlatanisme, voire sorcellerie - Serge Blisko donne des exemples qui en relèvent - est le même que celui qu'il peut y avoir entre religion et pratiques sectaires. Nous abordons là des domaines de foi qui gênent beaucoup un esprit scientifique et rationnel...

J'aurais très bien compris que l'AP-HP ne s'intéresse pas à ces médecines qui ne sont pas les médecines orthodoxes sur lesquelles l'AP-HP est construite. Mais faisons contre mauvaise fortune bon coeur. La décision a été prise. Je suis maintenant président de la CME. On ne m'a pas demandé si je voulais bloquer cette décision ou non. J'ai simplement prié ma commission de veiller à respecter la liberté de penser des médecins, qu'on n'impose ces pratiques à personne et qu'on veille à ce que les malades ne soient pas trompés. J'espère que ces préconisations seront respectées.

Quand on lit ce rapport assez court, on se rend compte que trois intentions se détachent : recenser, encadrer et développer ces méthodes. Je suis d'accord pour les recenser. Il est intéressant de savoir ce qui se passe dans nos murs. Je suis également d'accord pour améliorer notre contrôle mais je suis tout à fait contre le fait de développer ces pratiques. Nous avons autre chose à faire de notre argent et des hémisphères cérébraux de nos médecins !

La « Collaboration Cochrane », dont les travaux font autorité dans le monde entier, est une organisation anglaise un peu maniaque et obsessionnelle qui étudie tout ce qui a été publié sur les sujets scientifiques. 598 de leurs études portent sur les médecines complémentaires. C'est dire s'il existe une recherche sur ce sujet qui, je le répète, constitue un champ de ruines dont il ne reste rien ! Je veux bien qu'on s'acharne mais je n'y crois pas et n'y croirai pas davantage lorsque tout sera fini. Je trouve que l'argent de la recherche serait mieux dépensé dans d'autres domaines !

Existe-t-il des pratiques douteuses dans nos hôpitaux ? Je suis sûr que oui ! Je pense qu'on ne s'en rend pas toujours compte mais un système de contrôle plus poussé serait une bonne chose.

Il existe deux manières de dévier en médecine... On peut tout d'abord inventer des systèmes abracadabrants, avec des thérapies parfaitement imaginaires et parfois toxiques. Ceci est assez facile à dépister. Une autre lubie de certains praticiens consiste à employer de manière non conventionnelle des médecines conventionnelles, à l'encontre de l'avis de la HAS et des préconisations internationales. Comment sérieusement contrôler ces pratiques ? Je ne suis pas sûr que nous en ayons les moyens mais elles existent bel et bien !

M. Stéphane Mazars . - Est-il déjà arrivé à la direction de l'hôpital de ne pas laisser entrer à l'AP-HP certaines médecines complémentaires n'ayant pas fait leurs preuves ? Existe-t-il de la part de ces médecines complémentaires des tentatives d'y pénétrer coûte que coûte ?

M. Loïc Capron. - Personnellement, je ne connais pas d'exemple de pratiques que je désapprouve qui aient voulu s'imposer dans les services que j'ai dirigés.

Lors d'une de mes consultations, un médecin a pratiqué l'acupuncture. Je ne l'ai pas arrêté. C'est bien le seul cas dans ma carrière où j'ai croisé directement ces « médecines »... On doit également jouer avec la liberté de prescriptions du médecin, dans la mesure où sa pratique n'est pas répréhensible. L'homéopathie, l'acupuncture, l'hypnose ne sont pas illégales. Il est très difficile d'interdire...

Mme Mireille Faugère. - Je n'ai pas de remontées m'informant que les médecines complémentaires que nous pratiquons sont de nature différente de celles que j'ai citées tout à l'heure...

M. Alain Milon , président. - Que sont le Qi gong et le snoezelen ?

Mme Mireille Faugère. - Il s'agit d'une gymnastique de détente...

M. Alain Milo n , président. - Ce sont des pratiques qui ne sont pour l'instant pas reconnues par la HAS.

On demande à l'AP-HP de respecter le budget de l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). On peut admettre un certain déficit lorsqu'on exerce la médecine traditionnelle et remboursée mais comment le coût de la médecine complémentaire se répercute-t-il et comment ? Qui prend en charge le déficit et les emprunts vis-à-vis des générations futures ?

Mme Mireille Faugère. - Le Qi gonq est réalisé à l'hôpital, par l'intermédiaire d'associations bénévoles, à l'intérieur de nos services.

M. Alain Milon , président. - Ces associations bénévoles travaillent donc à l'intérieur de l'hôpital, avec la caution de l'AP-HP ; à l'extérieur, elles peuvent utiliser cette caution pour détourner des malades du traitement habituel - kinésithérapie ou autres...

Mme Mireille Faugère. - Je ne sais pas ce qu'ils font à l'extérieur.

M. Alain Milon , président. - Ils se servent de l'image extrêmement respectable des services médicaux dans lesquels ils travaillent. Ils utilisent cette image à des fins financières, voire d'emprise mentale.

Mme Mireille Faugère. - Nous repérons ces associations et passons avec elles une convention...

M. Alain Milon , président. - Les contrôlez-vous ensuite ?

Mme Mireille Faugère. - Dès qu'il y a doute, l'information remonte dans le système.

M. Alain Milon , président. - Le doute doit être systématique !

Mme Mireille Faugère. - Dans le service, la façon dont pratique le bénévole est contrôlée au moins une fois par an par le chef de service. Si un doute existait dans le cadre de l'hôpital, l'information remonterait par les associations chargées de recueillir les remarques des patients, de leur famille ou du personnel. Nous portons un regard médical sur ce qui se passe, certains médecins n'étant absolument pas acquis à ces techniques.

Je ne ressens aucun laisser-aller s'agissant de ces médecines « marginales », qui représentent un faible volume de soins par rapport aux soins conventionnels. Je comprends que l'on puisse être tenté de vouloir se servir de notre notoriété, comme le font les médecins qui réalisent quelques consultations à l'hôpital et qui indiquent sur leur plaque qu'ils travaillent à l'AP-HP. C'est en effet une référence. Si l'association commettait des dérives sectaires ou offrait une médecine alternative coupée des soins classiques et à l'origine d'abus, il faudrait y être très attentif.

Si une association était considérée comme dangereuse, on la déconventionnerait. Cela ne nous est encore jamais arrivé pour l'instant.

M. Alain Milon , président. - Vous nous avez dit que les patients réclamaient ces méthodes. N'est-il pas plus logique que ce soient les médecins et l'hôpital qui guident le patient et non le patient qui guide le marketing de l'hôpital ?

Mme Mireille Faugère. - Ce sont des médecins de l'AP-HP qui pratiquent ces médecines complémentaires parce qu'ils y trouvent un bénéfice pour leurs patients. Il ne s'agit pas de marketing.

Les patients qui souffrent des effets indésirables de leur maladie et des médicaments à trop haute dose se sentent aidés par ces méthodes, dans lesquelles ils peuvent trouver un soulagement. C'est pourquoi il faut être attentif et encadrer l'évaluation. Comme le dit M. Capron, il faut que ce soit prouvé...

M. Alain Milon , président. - Les psychiatres et les associations de patients que nous avons auditionnés nous ont souvent dit que les patients ne sentaient pas toujours auprès du médecin ou du personnel un soutien suffisant, faute de temps ou de formation.

N'aurait-on pas intérêt, plutôt que de dépenser de l'argent dans ce genre de médecine, à former le personnel afin qu'il soit plus près des malades et puisse accompagner les patients ?

Mme Mireille Faugère. - C'est ce que disent en effet les patients qui désirent être pris en charge de manière globale et bénéficier d'une certaine attention de la part des personnels. Je ne puis que constater l'importance de ce facteur.

Le toucher-massage est, la plupart du temps, pratiqué par les soignants eux-mêmes et compris dans le soin qu'ils apportent. On le rencontre beaucoup dans les services de gériatrie. Cela fait partie des prises en charge des patients souffrant d'Alzheimer. Pour l'acupuncture, c'est un peu différent...

Je ne puis qu'être d'accord avec vous sur le fait qu'on doit répondre pleinement aux besoins d'attention du patient.

M. Loïc Capron. - Une patiente m'a dit un jour que je n'avais qu'un seul défaut, celui de ne pas exister en comprimés ! C'est le plus bel hommage qu'un malade m'ait rendu. J'ai trouvé cela très beau et très profond. Je n'ai pas réussi à avoir une relation pareille avec tous les malades mais quand on réussit cela, on est fier de soi et on n'a pas besoin de poudre de perlimpinpin pour améliorer le sort des malades !

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