Audition du Pr Jean-Louis GÉRARD, secrétaire général, et du Pr Isabelle RICHARD, doyen de la faculté de médecine d'Angers, Conférence des doyens de faculté de médecine (mardi 11 décembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Nous entendons aujourd'hui les représentants de la Conférence des doyens de faculté de médecine. M. le Pr Jean-Louis Gérard en est le secrétaire général, Mme le Pr Isabelle Richard, doyen de la faculté de médecine d'Angers, représente la Conférence des doyens à la Commission scientifique indépendante qui est en train de se mettre en place et qui aura pour mission de statuer sur la validation des diplômes universitaires proposés dans le cadre des études de médecine.

La commission d'enquête a souhaité que cette réunion soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport et son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Jean-Louis Gérard et madame Isabelle Richard, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Jean-Louis Gérard, secrétaire général de la Conférence des doyens. - Merci au Sénat d'avoir souhaité nous entendre. La Conférence des doyens est consciente de sa responsabilité tant dans l'organisation de la recherche que dans la formation initiale ou continue des médecins et autres professionnels de santé. Cette question est cruciale au regard du sujet de cette commission d'enquête. Le Pr Dominique Perrotin, son président, n'ayant pu se libérer, nous a confié le soin de représenter la Conférence, et vous prie de bien vouloir l'excuser. Je suis doyen de la faculté de médecine de Caen et secrétaire de la Conférence. Le Pr Isabelle Richard est doyen de la faculté d'Angers. S'il est vrai que la faculté de médecine d'Angers a été mise en cause dans une récente campagne de presse, la désignation du Pr Richard ne saurait cependant soulever d'ambiguïté, puisque sa présence aujourd'hui est liée à sa fonction de représentant de la Conférence des doyens auprès de la Commission scientifique indépendante du développement professionnel continu. Cette instance, qui se met en place, aura notamment à évaluer dans quelle mesure les diplômes d'université, (DU), qui sont des formations de troisième cycle, peuvent être accréditées dans le cadre du développement professionnel continu (DPC), nouvelle forme de l'obligation de formation continue des médecins et des autres professionnels de santé.

Les inquiétudes récemment relayées par la presse engagent à articuler la réflexion selon trois axes.

Il s'agit, en premier lieu, de savoir s'il faut ou non aborder la question des médecines « complémentaires » ou « parallèles » en formation initiale ou continue. Informer les étudiants et les médecins de l'existence de ces médecines et du fait que les patients y recourent nous semble utile pour que les médecins puissent exercer pleinement leur rôle de prévention et de protection des patients. Cette information doit s'appuyer sur des notions de psychologie et d'épistémologie. En formation initiale, les sujets suivants peuvent être évoqués dans le cadre du programme national du second cycle des études médicales : la relation médecin-malade ; l'annonce d'une maladie grave ; la personnalisation de la prise en charge médicale ; les bases de la communication avec le malade ; l'établissement avec le patient d'une relation empathique, dans le respect de sa personnalité et de ses désirs ; le comportement approprié lors de l'annonce d'un diagnostic de maladie grave, d'un handicap ou d'un décès ; l'élaboration d'un projet individualisé pour l'éducation thérapeutique d'un malade porteur d'une maladie chronique en tenant compte de sa culture, de ses croyances.

Un enseignement plus spécifique pourrait être envisagé dans le cadre des séminaires de second cycle. Ces questions pourraient être abordées dans le cadre des formations de spécialités particulièrement confrontées à des patients vulnérables - gériatrie, psychiatrie, médecine physique et réadaptation, cancérologie, douleurs et soins palliatifs - ce qui n'est pas systématiquement le cas aujourd'hui.

L'enseignement des méthodes de ces médecines « parallèles » ou « complémentaires » n'est, en revanche, pas au programme de la formation médicale initiale, constituée du socle commun à tout exercice médical, et n'a pas lieu de l'être. En formation continue, des diplômes d'université (DU) abordent certaines de ces techniques : homéopathie, ostéopathie, médecine chinoise, hypnose. Les conseils de gestion des facultés de médecine et les conseils des études et de la vie universitaire sont chargés de valider les programmes de ces DU, le choix des intervenants et les modalités de contrôle des connaissances. Les doyens des facultés de médecine veillent au respect de ces procédures. Reste qu'il n'est pas prévu, à l'heure actuelle, d'évaluation périodique de ces DU, laquelle serait pourtant hautement souhaitable. Cela pourrait se faire avec les nouvelles modalités de la formation médicale continue et du développement professionnel continu. Il sera bon que les doyens des facultés de médecine se saisissent de cette occasion pour analyser l'ensemble de l'offre, ce qui pourrait les amener à constater que certains intitulés, ou certains intervenants, appellent la vigilance et que certaines de ces formations ne devraient plus être organisées dans les universités. L'établissement d'un tel panorama, certes très utile, pourrait être coordonné par notre conférence. Car certaines formations à risque pourraient échapper au contrôle de la CSI, sachant que la demande d'accréditation ne sera pas obligatoire pour que la formation perdure, mais seulement pour que le cursus puisse être validé comme formation continue. Certaines de ces formations ont déjà été interrompues par nos collègues doyens de plusieurs facultés, notamment celle de Bobigny.

La Conférence des doyens, et c'est le second axe de réflexion, a rappelé son attachement à un enseignement de sciences humaines dans l'ensemble du premier cycle des études médicales, conformément à l'annexe de l'arrêté du 28 octobre 2009 définissant les épreuves de la Paces (première année commune d'enseignement en santé) et aux recommandations de la Commission pédagogique nationale des études médicales concernant les enseignements de deuxième et troisième année. Cet enseignement, complémentaire de l'enseignement scientifique et clinique, est légitime et utile à la formation de médecins conscients de leurs responsabilités et de ce que doit être une pratique humaniste de la médecine. Cet enseignement doit être placé sous la responsabilité d'universitaires, qu'il s'agisse d'hospitalo-universitaires ayant une compétence spécifique, par exemple en éthique, ou d'universitaires des disciplines concernées. Cet enseignement pourrait aborder les médecines préscientifiques et les représentations qu'a le patient de sa maladie, ses croyances, y compris magiques et irrationnelles.

La demande de formation, notamment continue, sur la relation soignante, est importante, y compris chez les professionnels non médicaux. Cette offre de formation étant pratiquement absente des facultés de médecine, des officines, plus facilement infiltrables que nos institutions, occupent le marché. Il ne serait pas mauvais que nos facultés de médecine, en lien avec les acteurs du système de santé, développent une offre qui fasse contre-feu. Un travail conjoint avec les organisations de formation continue des fédérations hospitalières pourrait être utile.

La recherche, et principalement la recherche clinique, doit nous être un troisième axe de réflexion. Elle peut porter sur les croyances des patients, leur recours à telle ou telle pratique, l'efficacité de ces pratiques. Aucune question n'est illégitime mais toute recherche doit répondre aux exigences de la raison. L'hypothèse de recherche doit être définie. La méthode utilisée, qui doit user de critères de jugement précisés et vérifiables, doit être validée. Les conditions réglementaires, en particulier l'approbation par le comité de protection des personnes, doivent être réunies. Les résultats doivent être publiés.

Les facultés de médecine et les universités ne sont généralement pas au centre de cette activité de recherche clinique, leur financement provenant de fonds liés au secteur de la santé, notamment les financements PHRC (programme hospitalier de recherche clinique), d'appels d'offre internes des hôpitaux et structures de santé, de fonds associatifs. Elles sont en revanche concernées au premier chef par l'approbation donnée aux travaux de thèse - thèses d'exercice ou thèses d'université - qui peuvent découler de ces recherches : l'autorisation de soutenance requiert un avis conjoint du directeur de travail, du président du jury, du doyen de la faculté de médecine et du président d'université. La vérification du contenu complet de chaque travail reste cependant difficile.

Mme Isabelle Richard. - En somme, la Conférence des doyens a le sentiment qu'elle pourrait agir sur les formations de troisième cycle, les DU et diplômes interuniversitaires, la question de l'enseignement des sciences humaines et celle des thèses.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre exposé est fait de raison. Vous visez ces points fondamentaux que sont la formation, l'enseignement des sciences humaines et la recherche clinique, via les thèses. Nous avons apprécié votre synthèse.

Il s'agit pour nous, sans aller à l'encontre de la liberté de conscience ou d'expression, de veiller à éviter des dérives qui peuvent aller jusqu'à l'emprise mentale et avoir des conséquences néfastes sur la santé.

Plusieurs articles de presse récents ont pointé le problème de l'introduction, dans les formations universitaires, d'enseignements qui posent problème, tant par leurs objectifs que par leurs méthodes. Un journaliste a répertorié pas moins de dix-sept thèses sur la fasciathérapie et ses dérivés. Il y a là de quoi s'interroger. Comment, en dépit du contrôle qu'exerce l'Université, dans les formes que vous avez rappelées, de tels travaux peuvent-ils aboutir et être reconnus ? D'autres articles alertent sur le fait que des enseignements sont dispensés par des gens dont on se demande comment ils ont pu devenir professeurs associés dans nos universités. Fasciathérapie et hypnose ericksonnienne ont-ils bien leur place dans nos facultés ?

Mme Isabelle Richard. - Pour ce qui est des thèses, il est bien possible que certaines contiennent des allégations problématiques, car il est difficile de contrôler tous les contenus. Une procédure se met en place, faite pour améliorer le taux de publication des thèses, mais qui pourrait aussi garantir une plus grande qualité scientifique : l'idée est qu'un comité des thèses examine en amont les méthodes de l'étudiant quand il dépose son sujet.

Sans doute trouve-t-on dix-sept thèses dans la base de données des thèses sous le mot-clé « fasciathérapie », mais cela demande à être interprété. Il peut s'agir, au moins pour certaines, d'analyses sur le nombre de patients ayant recours à telle technique et sur les raisons pour lesquelles ils y recourent. Ce n'est pas absurde en soi. Il faut bien distinguer entre le prosélytisme et ce type de recherche.

Il est vrai que certains DU ne devraient pas exister. Nous n'avons pu mener une enquête exhaustive, mais cela est faisable. Les procédures en cours seront sans doute l'occasion d'une évaluation. Pour mettre en route un diplôme, il faut passer par de stricts contrôles, mais, une fois qu'il existe, il n'y a plus ni évaluation, ni recertification, si bien que les choses peuvent dériver : le responsable change, le programme est modifié et de fil en aiguille, le projet n'a plus aucun rapport avec celui qu'avait examiné le conseil de gestion de la faculté. Il faudrait donc une procédure de certification régulière.

M. Jean-Louis Gérard. - A Bobigny, une procédure d'évaluation a été mise en place et des DU ont été fermés, qui dataient de plus de vingt ans.

Mme Muguette Dini , présidente. - Dans quels domaines ?

M. Jean-Louis Gérard. - En naturopathie, notamment.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus sur ces formations qui ont été fermées ?

M. Jean-Louis Gérard. - Cela m'est difficile. L'enquête que nous avons menée auprès des facultés de médecine en vue de cette audition a fait ressortir l'action menée par le doyen de la faculté de Bobigny.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Retenons donc que vous avez indiqué tout à l'heure qu'un certain nombre de DU ne devraient pas exister.

Autre chose nous alerte : il semblerait que certains qui se prévalent de diplômes obtenus à l'étranger arrivent à se faire nommer enseignants en France. Avez-vous connaissance de tels cas ?

M. Jean-Louis Gérard. - Ne sont autorisés à organiser un enseignement que des universitaires. Or, dans l'université française, les gens dont vous parlez ne sont pas universitaires. C'est tout ce que je puis vous dire.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quid des professeurs associés ?

M. Jean-Louis Gérard. - Ils sont essentiellement nommés en médecine générale. A ma connaissance, il y a fort peu de professeurs associés dans d'autres disciplines. Dans nos facultés de médecine, les professeurs associés sont en lien avec les sous-sections du Conseil national des universités.

Mme Isabelle Richard. - Les candidatures des professeurs associés sont validées par le CNU. Il est difficile, en revanche, de maîtriser les recrutements de vacataires au sein des formations et peuvent se prévaloir du titre d'enseignant d'université, ce qu'ils ne sont pas. Mais la confusion est vite faite dans l'esprit du public. D'où la nécessité d'être vigilants sur les intervenants.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il suffit de consulter Internet. Un certain nombre de ces intervenants, sur la qualité scientifique desquels on peut s'interroger, se prévalent d'avoir enseigné à l'université. Certains ont même pu ainsi créer des doctorats reconnus par l'État, ce qui est bien paradoxal.

M. Jean-Louis Gérard. - Il y a là, très clairement, usurpation d'un titre. Les vacataires ne peuvent se prévaloir d'aucun titre universitaire : le terme de professeur associé est parfaitement inadapté.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Mais il est largement utilisé.

Vous avez évoqué la nécessité de l'enseignement des sciences humaines. De fait, on a le sentiment que nombre de patients vont chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas à l'hôpital en terme d'accueil, de relation de confiance. Loin de nous l'idée d'écarter tout ce qui n'est pas purement cartésien dans l'enseignement médical.

M. Jean-Louis Gérard. - Les sciences dures ne suffisent pas, à notre sens, à sélectionner les médecins, dont le métier est pour beaucoup fait de relation avec le patient. C'est pourquoi on ne peut concevoir de formation médicale sans les sciences humaines et sociales. Une réflexion est en cours sur l'évolution des formations, y compris de deuxième cycle : une approche par compétences pourrait être privilégiée, qui inclurait communication et relation avec le patient. A l'heure actuelle, les modes de sélection écartent les étudiants qui ont une formation littéraire ; on peut le regretter.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nos concitoyens sont très nombreux à recourir à des thérapies alternatives ou complémentaires, dont certaines peuvent parfois faire autant de bien qu'un placebo et, si elles ne font pas de bien, ne font pas de mal, mais dont d'autres peuvent avoir des conséquences dramatiques, jusqu'au risque vital. Mauvaise qualité de l'accueil, manque d'empathie, craintes suscitées dans la presse sur le médicament, quelles qu'en soient les raisons, le phénomène prend de l'ampleur. Comment assurer une information plus systématique ?

Mme Isabelle Richard. - La réponse passe par trois voies. L'enseignement en sciences humaines et en psychologie médicale, qui doit aider le futur professionnel à mieux connaître les mécanismes psychiques qui animent le patient et peuvent le conduire, à un moment, à rompre la relation thérapeutique pour en nouer une d'une autre nature. Ces questions sont peu abordées, la logique des concours n'y porte guère. Ces disciplines mériteraient d'être revalorisées.

La deuxième piste, pragmatique, irait à l'organisation de séminaires stratégiques, sur le modèle de ce qui a été fait pour le dépistage des risques de maltraitance. Les documents de la Miviludes pourraient servir de support à des formations destinées à aider les médecins à détecter, en consultation, les fragilités possibles d'un patient.

La troisième piste consisterait à dispenser un enseignement sur ces méthodes dites alternatives. Mais les choses sont bien difficiles à doser. Où s'arrête l'information, où commence la promotion ? On parle assez peu de ces méthodes en formation initiale, au motif que ce n'est pas de la science, donc pas de la médecine. C'est peut-être une erreur. Peut-être faudrait-il associer un tel enseignement à une stratégie claire d'information et de dépistage.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Mais il y a un vrai hiatus. D'un côté, on n'en parle pas aux étudiants, de l'autre, on tolère des enseignements plus que douteux. Ce n'est guère cohérent.

Mme Isabelle Richard. - Ces enseignements ne font pas partie du cursus exigé des étudiants pour l'obtention de leur diplôme : c'est à ce cursus que je me référais, au sein duquel, c'est la politique du moment, on ne veut pas en parler. Les formations optionnelles, comme les DU, ne font pas partie du cursus.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Mais vous savez l'usage qui peut être fait d'un diplôme universitaire : nous en sommes tombés d'accord. Il faudrait y remettre un peu d'ordre.

Autre question, que pensez-vous de l'introduction de thérapies complémentaires dans les hôpitaux publics parisiens ?

Mme Isabelle Richard. - Je ne connais pas précisément ce dossier. Certaines de ces thérapies complémentaires, comme vous l'avez dit, ne sont pas dangereuses et relèvent d'une forme particulière de la relation clinique, en particulier en fin de vie. Le massage peut être un élément de la qualité de vie en fin de vie, et l'on doit pouvoir faire un protocole de recherche clinique sur la question.

Reste que les hôpitaux et les CHU sont des institutions puissantes. Certaines techniques ne doivent pas y être proposées, au risque de leur donner une caution. Mais on ne peut pas les mettre toutes dans le même sac.

M. Jean-Louis Gérard. - Il y a sans doute des temps particuliers en médecine, notamment celui de la fin de vie, avec les soins palliatifs. Des accompagnements qui peuvent apporter un peu de chaleur humaine n'y sont peut-être pas inadaptés. Je ne parle évidemment pas de thérapeutiques mais bien de simples accompagnements.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Les facultés de médecine font-elles, à votre connaissance, l'objet de tentatives d'infiltration de la part de mouvements sectaires ?

Mme Isabelle Richard. - A ma connaissance, non. Mais chacun sait que les sectes avancent masquées. Ne pas en avoir connaissance ne prouve pas que cela n'existe pas. Ce qui protège un peu nos institutions, c'est la rigidité de nos règles comptables. Il serait impossible d'organiser, à l'université, des circuits de formation aux fins de récupérer d'importantes sommes d'argent, par exemple.

M. Yannick Vaugrenard . - On parle peu, dites-vous, des risques de dérives dans la formation des médecins : ne croyez-vous pas que le moment est venu d'en parler beaucoup ? Une telle formation ne permettrait-elle pas aux futurs médecins, lorsqu'ils exerceront, d'informer leurs patients sur ces risques ? Il n'est mauvais, ni pour le patient, ni pour la sécurité sociale, que les généralistes se mêlent de prévention.

Introduire des thérapies parallèles à l'hôpital, sachant qu'entre thérapie parallèle et thérapie alternative, la barrière peut être poreuse, et qu'une thérapie alternative peut être mortelle pour un patient, n'est-ce pas périlleux, puisque c'est une manière de les légitimer ?

Un article de Sciences et avenir a mis en cause la faculté d'Angers à propos de la refonte des enseignements de sciences humaines en première année de médecine. Il indique que ces disciplines sont déterminantes pour l'examen de premier semestre, puisqu'elles représentent 200 points sur 500. Or, ajoute l'auteur de l'article, les étudiants sont requis de s'appuyer sur un ouvrage collectif où l'on découvre les vertus supposées des pratiques chamaniques et où la médecine par les preuves est régulièrement dénigrée. Comment est-ce possible ?

M. Jean-Louis Gérard. - Tout est question de dosage, comme l'a rappelé Mme Richard. Parler trop des thérapies alternatives dans le cursus, c'est s'exposer à les valoriser, c'est devoir aborder la question de leurs méthodes au risque de s'éloigner de la méthode médicale. Il est cependant indispensable d'en parler, pour protéger les malades du risque d'éloignement de la médecine classique. D'où l'importance de la recherche clinique, qui doit passer par toutes les exigences de la démonstration et être publiée.

Il faut aussi prendre en compte la vulnérabilité des étudiants. Mieux vaut aborder ces questions en troisième cycle, où ils sont mieux armés. D'autant que du côté des patients, le problème se pose surtout dans certaines spécialités, gériatrie, psychiatrie, cancérologie, soins palliatifs.

Il faut revenir sur les fondements de l'exercice médical. Il est des médecins généralistes qui n'entrent pas dans le circuit de la médecine générale conventionnelle, au nom d'un exercice dit particulier : mésothérapie, homéopathie ou que sais-je. Tous les médecins ne doivent-ils pas être impliqués dans une médecine classique, conventionnelle et remboursée ?

Mme Isabelle Richard. - Nous considérons l'article que vous citez, d'ailleurs repris dans un récent numéro de Paris Match , comme diffamatoire, et nous avons déposé une plainte. L'université d'Angers a exigé un droit de réponse. L'article comporte des inexactitudes : les sciences humaines représentent 200 points sur 1 000 et non sur 500. L'ouvrage mis en cause comprend un premier chapitre sur la médecine préscientifique ; c'est là qu'est évoqué le chamanisme, dont il n'est nullement fait l'apologie. Le chapitre en question a été mis en ligne sur le site de l'université d'Angers, afin que chacun puisse en juger. L'enseignement en sciences humaines dispensé en première année répond parfaitement aux objectifs, faisant appel à l'épistémologie, au droit, à la sociologie, à l'histoire, pour aider les étudiants à comprendre le contexte dans lequel se situe la médecine.

Mme Catherine Deroche . - Avez-vous observé un désir particulier chez les étudiants de recevoir un enseignement sur les médecines non conventionnelles ?

M. Jean-Louis Gérard. - Je n'ai pas ce sentiment.

Mme Isabelle Richard. - Les étudiants en médecine ne sont pas différents du reste de la société. Ils ne sont pas plus à l'abri de l'irrationnel que les autres. D'où l'intérêt d'une information solide. En revanche, je n'ai pas observé de recrudescence.

Mme Gisèle Printz . - Des malades se sont-ils plaints d'avoir été contactés ou soignés par des médecins qui pratiquent des thérapies parallèles ?

Mme Isabelle Richard. - C'est toute la difficulté, qui complique aussi la tâche de qui veut élaborer une formation pour les étudiants. Le médecin doit savoir protéger son patient contre lui-même, contre la situation dans laquelle son état de faiblesse et l'abus de certains interlocuteurs peuvent le mettre. Or les patients, dans les situations les plus graves, rompent le contact avec leur médecin traitant. D'où l'intérêt d'une formation construite sur le modèle de ce qui a été fait pour le dépistage de la maltraitance.

M. Alain Fauconnier . - Peut-on établir une corrélation entre ces dérives et la forte densité médicale de certains lieux ?

Mme Isabelle Richard. - Nous sommes l'un et l'autre à la tête de facultés de médecine qui souffrent plutôt d'être environnées de déserts médicaux. Je n'ai pas de réponse à votre question.

Mme Hélène Lipietz . - N'est-ce pas, à l'inverse, parce qu'il y a des déserts médicaux, des failles dans la couverture médicale, que ce type de thérapies a pu prospérer ?

M. Jean-Louis Gérard. - Faut-il parler de désert médical ou de désert d'aménagement du territoire ? La question est posée. On ne peut tout rejeter sur nos jeunes collègues. L'histoire de nos régions montre qu'il y avait autrefois des guérisseurs. Cela fait partie de nos cultures. J'ai souvenir d'avoir fait profondément remanier une thèse sur les sources guérisseuses en Basse-Normandie, dont les conclusions ne me paraissaient pas totalement factuelles. Nous sommes confrontés et à l'histoire, et à la renaissance du passé. Je ne suis pas sûr que dans la ruralité, cependant, il y ait place pour des médecines qui restent très spirituelles. Non pas que nos campagnes ne soient pas spirituelles, mais elles sont marquées par un fort pragmatisme. Beaucoup tient, pour moi, à l'histoire de nos pays.

M. Alain Fauconnier . - Je visais, quant à moi, la boboïsation de certains centres urbains, où la densité médicale est importante.

M. Jean-Louis Gérard. - Il est vrai que si l'on regarde la répartition des médecins à exercice particulier, on constate qu'on les trouve essentiellement dans les zones urbaines.

Mme Muguette Dini , présidente. - Merci d'avoir répondu à nos questions.

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