B. L'INSTABILITÉ DE LA TAXATION DES PLUS-VALUES IMMOBILIÈRES A DES CONSÉQUENCES NÉFASTES

La seconde caractéristique de l'action de l'État sur la fiscalité du foncier est son instabilité , préjudiciable aux acteurs du marché qui subissent ces évolutions, mais également aux collectivités qui ont des difficultés à intégrer une donnée permanente dans leur politique foncière de long terme.

1. Un va-et-vient fiscal

Les dernières années ont connu une accélération sensible du rythme des réformes et une succession de mesures contradictoires, dont la complexité s'est accrue.

Avant la loi du 19 juillet 1976 (loi n° 76-660 portant imposition des plus-values et création d'une taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité), les plus-values immobilières n'étaient pas imposables 50 ( * ) . La loi de 1976 les soumet à l'impôt sur le revenu, selon un régime qui distingue les plus-values à court terme, réalisées depuis moins de deux ans après l'acquisition du bien (entièrement intégrées au revenu global imposable) et les plus-values à long terme réalisées après plus de deux ans de détention (soumises à l'impôt sur le revenu selon des modalités de calcul et de paiement particulières comportant de nombreuses exonérations). La loi de 1976 exclut les résidences principales et crée, dès la deuxième année de détention, un droit à abattement annuel de 5 % sur la plus-value. Il en résulte une exonération totale des plus-values immobilières lorsque le bien a été détenu depuis plus de vingt-deux ans. Elle prévoit également, pour le calcul de la plus-value, une réévaluation du prix de revient sur la base d'un coefficient d'érosion monétaire.

La loi de finances initiale pour 2004 (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004) modifie ces dispositions avec pour objectif de simplifier le régime des PVI (application d'un taux unique, rapprochement du régime des plus-values mobilières, exonération pour durée de détention ramenée de vingt-deux ans à quinze ans).

Ce régime de taxation se trouve profondément corrigé par la loi du 19 septembre 2011 (loi n° 2011-1117 de finances rectificative pour 2011). Le Gouvernement entend alors à la fois dégager un rendement fiscal supplémentaire (qu'il estime à 2,2 milliards d'euros en année pleine) et « participer à la relance de l'offre immobilière en neutralisant l'incitation actuelle pour les propriétaires à conserver leurs biens à la seule fin d'être exonérés sur leurs plus-values » 51 ( * ) . Il propose initialement de supprimer l'abattement dérogatoire pour durée de détention de 10 % par an au-delà de la cinquième année et de prendre en compte l'inflation dans le prix d'acquisition servant au calcul de la plus-value. Le texte finalement adopté par le Parlement sera très différent puisqu'il rétablit le principe d'un abattement pour durée de détention portant l'exonération totale des biens immobiliers de quinze ans à trente ans et, en contrepartie, supprime la prise en compte de l'inflation dans la détermination du prix d'acquisition.

Dès la fin de la même année, cette architecture est modifiée par plusieurs articles des lois du 28 décembre 2011 (loi n° 2011-1977 de finances pour 2012 et loi n° 2011-1978 de finances rectificative pour 2011). Des dispositions particulières sont ainsi prévues qui écartent l'application du régime général et exonèrent les plus-values de cession :

• dans le cas d'une première cession d'un logement autre que la résidence principale, lorsque le cédant n'a pas été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession ;

• pour les cessions de logements qui ont constitué la résidence principale du cédant et n'ont fait l'objet depuis lors d'aucune occupation, lorsque ce dernier est désormais résident d'un établissement mentionné aux 6° ou 7° de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ;

• pour les cessions de terrains nus devenus constructibles pour lesquelles une promesse de vente a été enregistrée avant le 25 août 2011 et la vente est conclue avant le 1 er janvier 2013 ;

• pour les cessions de droits de surélévation effectuées au plus tard le 31 décembre 2014 en vue de la réalisation de locaux destinés à l'habitation.

Le projet de loi de finances pour 2013 prend le contrepied des précédentes réformes et institue également un régime différencié selon la nature du foncier concerné (foncier bâti ou à bâtir, terrains nus). Il propose enfin un régime transitoire , « mixant l'incitation et la pénalisation » , censé déclencher un « choc d'offre ».

Il prévoit ainsi :

• pour les terrains à bâtir , de supprimer immédiatement tout abattement pour durée de détention et de taxer, à compter de 2015, les plus-values au barème de l'impôt sur le revenu ;

• pour les propriétés bâties , de conserver le régime de la loi du 19 septembre 2011 mais d'appliquer, en 2013, un abattement supplémentaire de 20 % sur les plus-values nettes imposables.

Ces dispositions ont été déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012.

Elles illustraient non seulement la poursuite du mouvement d'aller-retour fiscal sur la durée de détention , engagé en 2011, mais aussi la complexification des règles fiscales que renforce encore l'apparition de régimes de taxation des PVI au profit des collectivités territoriales dans les années 2000 ( voir infra ).

Cette tendance se confirme et, dès le 14 juin 2013, le Gouvernement, avant la présentation du projet de loi de finances pour 2014 52 ( * ) , a annoncé une nouvelle réforme des PVI, inspirée des déclarations du Président de la République en faveur d'un raccourcissement de la durée d'exonération à vingt-deux ans.

Ce nouveau régime de taxation reposerait sur les principes suivants :

• un raccourcissement de trente à vingt-deux ans de la durée de détention donnant droit à exonération d'impôt sur le revenu pour les plus-values réalisées, étant entendu que l'exonération d'impôt interviendra selon le rythme suivant : 6 % pour chaque année de détention à compter de la sixième année et jusqu'à la vingt-et-unième (soit un abattement total de 96 % à la fin de la vingt-et-unième année), 4 % au terme de l'année suivante, pour porter l'abattement total à 100 % ;

• une durée et un rythme différents pour l'exonération au titre des prélèvements sociaux (CSG et CRDS) 53 ( * ) qui interviendra de manière progressive chaque année à raison de 1,65 % pour chaque année de détention à compter de la sixième année et jusqu'à la vingt-et-unième (soit un abattement à la fin de cette période de 26,4 %), puis de 1,6 % pour la vingt-deuxième année et enfin de 9 % pour chaque année de détention à compter de la vingt-troisième, pour une exonération totale au bout de trente ans ;

• un régime exceptionnel et transitoire réservé aux immeubles bâtis , sous la forme d'un abattement exceptionnel de 25 % pour les cessions réalisées entre le 1 er septembre 2013 et le 31 août 2014 ;

• la suppression des abattements pour durée de détention sur les terrains à bâtir.

Selon les déclarations du Gouvernement 54 ( * ) , il s'agit par ces mesures d'atteindre plusieurs objectifs : « fluidifier le marché de l'immobilier, favoriser les transactions, favoriser les travaux, favoriser ainsi une baisse des prix, favoriser les ventes pour atteindre l'objectif de développement de l'activité autour du secteur du bâtiment et pour faire en sorte de favoriser l'accessibilité au logement [mais aussi] réduire l'incitation à la rétention du foncier disponible pour la construction de logements »

Dans le même temps, cependant, une autre annonce fiscale était intervenue dont les effets pourraient être contradictoires et peser sur le niveau d'activité du marché immobilier. Le Gouvernement a, en effet, accordé aux départements, dans le cadre de la négociation sur la répartition des baisses de dotations aux collectivités territoriales et de la conclusion du cadre du Pacte de confiance et de responsabilité, la possibilité d' augmenter les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) , le plafond maximum passant de 3,8 % à 4,5 % pour les exercices 2014 et 2015 55 ( * ) . Cette faculté fait l'objet de l'article 58 du projet de loi de finances pour 2014.

On notera également que, les cessions de résidences principales étant exonérées de taxation des plus-values, les mesures « incitatives » visant le foncier bâti seront essentiellement profitables aux territoires qui comptent des résidences secondaires et donc peu aux zones urbaines denses.

Proposition n° 11

Mieux garantir la cohérence des mesures fiscales de l'État en matière immobilière et foncière, et le droit du Parlement à débattre de la loi fiscale conformément à l'article 34 de la Constitution qui dispose que la loi fixe les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

2. Des conséquences négatives sur le marché foncier et immobilier

Tous les interlocuteurs rencontrés par le groupe de travail ont déploré l'instabilité des régimes fiscaux touchant le foncier. Plus encore que le poids des prélèvements, c'est la modification permanente de la « règle du jeu » qui déstabilise les acteurs et gèle les marchés .

On observe alors un phénomène de rétention foncière , que l'on regrettait lorsque la condition de durée de détention était de quinze années, mais qui s'est confirmé avec son allongement à trente ans.

Ce phénomène induit une rareté du foncier et donc sa cherté . De plus, comme l'ont signalé les représentants du notariat, les augmentations de la pression fiscale (par allongement de la condition de durée) sont répercutées sur les prix de vente.

Proposition n° 12

Mettre un terme à l'instabilité fiscale dans le domaine de la fiscalité foncière et établir un moratoire d'une durée minimale de cinq années.


* 50 Les tentatives de taxation des plus-values en 1962 et 1963 se sont traduites par des échecs. Voir sur ce point l'étude sur la modernisation des outils de l'action foncière publiée par le groupement de recherche sur les institutions et le droit de l'aménagement (GRIDAUH) en janvier 2012.

* 51 Exposé des motifs de la lettre rectificative du 31 août 2011 au projet de loi n° 3713 de finances rectificative pour 2011.

* 52 Une instruction fiscale a déjà été publiée le 2 août 2013. Elle ne fait pas mention de réserve quant à l'adoption par le Parlement de ces dispositions. Les orientations de la réforme annoncée ont été confirmées par l'article 18 du projet de loi de finances pour 2014, adopté en conseil des ministres le 25 septembre 2013.

* 53 Il s'agit là d'un nouveau raffinement dans la complexité...

* 54 Réponse de Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du Budget, lors de la séance de questions au gouvernement au Sénat, jeudi 18 juillet 2013.

* 55 Sous réserve, là encore, du vote du Parlement ...

Page mise à jour le

Partager cette page