N° 87

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 17 octobre 2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2013

Dépôt publié au Journal Officiel - Édition des Lois et Décrets du 18 octobre 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l' évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l' efficacité du dispositif législatif , juridique et administratif destiné à la combattre (1),

Tome II : Auditions.

Président

M. François PILLET,

Rapporteur

M. Éric BOCQUET,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. François Pillet , président ; M. Éric Bocquet , rapporteur ; Mme Corinne Bouchoux, MM. Jacques Chiron, Yvon Collin, Mme Nathalie Goulet, vice-présidents ; MM. Michel Bécot, Michel Berson, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Christophe-André Frassa, Joël Guerriau, Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Roland du Luart, Charles Revet, Mme Laurence Rossignol et M. Richard Yung.

AUDITION DE MME MATHILDE DUPRÉ, CHARGÉE DE PLAIDOYER AU COMITÉ CATHOLIQUE CONTRE LA FAIM ET POUR LE DÉVELOPPEMENT, (CCFD)-TERRE SOLIDAIRE, COORDINATRICE DE LA PLATE-FORME PARADIS FISCAUX ET JUDICIAIRES ; DE MM. GÉRARD GOURGUECHON, MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'ASSOCIATION ATTAC ET JEAN MERCKAERT, MEMBRE DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE L'ASSOCIATION SHERPA

(mercredi 22 mai 2013)

M. François Pillet, président . - Nous allons procéder aux premières auditions de cette première commission d'enquête, autant légitime par son sujet que par l'actualité qui la sous-tend. Toute personne entendue par une commission d'enquête doit prêter serment, lequel n'est pas uniquement formel puisque le Code de Procédure pénale et le Code Pénal prévoient des sanctions lorsqu'il apparaît que les informations délivrées sous serment sont fausses.

Madame Mathilde Dupré, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, et rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD)-Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - Je le jure.

M. François Pillet, président . - Monsieur Gérard Gourguechon, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, et rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».

M. Gérard Gourguechon, Membre du conseil scientifique de l'association ATTAC . - Je le jure.

M. François Pillet, président . - Monsieur Jean Merckaert, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, et rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».

M. Jean Merckaert, Membre du conseil d'administration de l'association Sherpa . - Je le jure.

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD)-Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - La plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires est une organisation de la société civile créée il y a bientôt 10 ans. Elle regroupe 18 organisations qui s'intéressent aux questions des paradis fiscaux, judiciaires et réglementaires, ainsi qu'à l'opacité financière, l'évasion fiscale et la corruption. Nous rassemblons des ONG de développement, des organisations environnementales ou de lutte contre la corruption, mais également des mouvements citoyens et des syndicats, tous acteurs de la société civile qui travaillent sur ces sujets depuis longtemps ; ils ont décidé de joindre leurs efforts pour partager l'expertise, comprendre ces phénomènes assez complexes, et surtout essayer de dégager ensemble des propositions puis les faire connaître auprès des parlementaires et des décideurs. L'impact des flux financiers illicites sur les pays en développement équivaut dix fois ce qu'ils reçoivent en aide publique au développement de la part des pays riches. C'est sur la base de ce constat que nous avons commencé à travailler sur les paradis fiscaux.

Toutes les recommandations que nous avons formulées et portées depuis dix ans sont actuellement largement reprises à la faveur de différentes révélations dévoilées aujourd'hui. Notre souci est de savoir comment les pays en voie de développement pourront récupérer les recettes fiscales qui leur font cruellement défaut pour financer leur politique publique de développement en santé, éducation, etc.

C'est aussi un vrai sujet, pour rétablir les comptes publics en France et dans tous les pays européens qui connaissent une crise de la dette.

M. Jean Merckaert, Membre du conseil d'administration de l'association Sherpa . - C'est un véritable honneur d'être une nouvelle fois invité en tant que représentant de la société civile. L'enquête que le Sénat a menée l'année dernière, notamment, a permis l'élaboration d'un rapport très impressionnant de plus de 1 000 pages. Un projet de loi sera par ailleurs bientôt à l'étude à l'Assemblée nationale. Notre espoir est que des recommandations soient faites, grâce auxquelles la France pourra avancer sans nécessairement attendre un consensus de l'ensemble de ses partenaires au niveau international.

Beaucoup de nos concitoyens ont été très surpris, en ouvrant leur journal cette semaine, d'apprendre que des millions de données tombées dans les mains de journalistes avaient échappé jusqu'à présent aux radars des autorités de contrôle. Pour notre part, nous ne disposions pas de ces données, tout simplement parce que le secret est devenu une industrie, avec ses places fortes. Les montants des fortunes détenues offshore sont difficiles à estimer et sont évalués entre 5 900 milliards de dollars et 32 000 milliards de dollars. La Suisse représenterait environ 28 % de ce marché, suivie de l'Angleterre ainsi que ses satellites et l'Irlande - un quart du marché - puis des Caraïbes et Panama, avec 13 % du marché. Hong Kong et Singapour représenteraient également 13 % de ce marché. Les Etats-Unis et le Luxembourg complètent le tableau.

Selon une étude de Tax Justice Network, réseau international auquel nous appartenons, une poignée de banques - UBS, Crédit Suisse, City Group, SSB, Morgan Stanley, Deutsche Bank, Bank of America, Merrill Lynch, JP Morgan Chase, BNP Paribas, HSBC, Pictet & cie, Goldman Sax, ABN AMRO, Barclays, Crédit Agricole, Julius Baer, Société Générale, Lombard Odier - gérerait entre 62 et 74 % de la fortune privée détenue offshore.

Depuis 25 ans maintenant, la communauté internationale montre du doigt un certain nombre d'Etats récalcitrants ; elle doit continuer à le faire. On ne peut pas tolérer qu'Encore aujourd'hui encore, au sommet européen, des petits Etats parviennent à bloquer des négociations à 27. Mais cela ne suffit pas. Nous considérons dès lors indispensable de s'attaquer aux leaders de cette industrie. Il existe notamment des paradis fiscaux qui bien souvent ne constituent que les terrains d'atterrissage d'une activité menée ailleurs et qui les dépasse largement. Il suffit de voir la densité des banques par paradis fiscal. Ainsi, pour 10 000 habitants, on compte en France 0,1 banque, 2,5 au Luxembourg 13 à Monaco, mais et 45 aux Iles Caïman. ! Cette activité est donc exercée dans certains Etats de façon largement fictive.

Cette industrie du secret est dommageable à la fois pour nos finances publiques, pour celles des pays en voie de développement et pour la cohésion sociale. Nous recommandons donc de la démanteler parce qu'elle est nocive pour la société. En témoigne

Un rapport d'un think tank britannique (A Bit Rich, 2009), la New Economics Foundation qui a essayé de mesurer l'utilité sociale de quelques professions. Il apparaît que pour chaque euro reçu en guise de rémunération, un employé de crèche crée 9 euros de valeur sociale, quand un banquier de la City en détruit 7 et un comptable fiscaliste 47.

Nous avons donc affaire à des professionnels qui se sont structurés, enrichis par la recherche d'évitement de l'impôt et par le contournement des règles qui s'appliquent chez nous. Nous connaissons bien les grands leaders de cette industrie, ils ont pignon sur rue en France et dans les grands pays voisins. Aujourd'hui, nos deux grandes attentes portent sur la transparence et sur la répression de la fraude.

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD)-Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - L'année dernière, nous vous avions présenté des chiffres sur la concentration des filiales des entreprises multinationales dans les paradis fiscaux. Ce rapport, publié en 2010 par le CCFD-Terres solidaires, traitait des 50 premières entreprises multinationales européennes. Il démontrait qu'une filiale sur cinq était présente dans les territoires opaques, c'est-à-dire une moyenne de 100 filiales pour chaque entreprise. La concentration était par ailleurs supérieure pour le secteur bancaire, puisqu'un quart des filiales des institutions financières européennes étaient localisées dans les paradis fiscaux.

Nous avons réédité l'exercice en mai-juin 2012 et avons publié un rapport en juillet 2012 : à notre grande surprise, non seulement cette concentration n'avait pas diminué, mais le nombre absolu de filiales dans certains territoires avait même un peu augmenté, malgré les déclarations de la Fédération française bancaire et des dirigeants des principales banques françaises qui avaient pris l'engagement dès 2009 de se retirer des paradis fiscaux. La législation française avait d'ailleurs été un peu durcie sur la base de la liste des paradis fiscaux établis par la France, par des surtaxes sur certaines activités en provenance et en direction de ces territoires. En juillet 2012, nous avions ainsi montré que pour BNP Paribas, 360 filiales sur 1 409 étaient situées dans les territoires opaques, dont 61 au Luxembourg, 22 aux Iles Caïmans, 7 aux Bermudes, 2 à Chypre, 8 à Singapour, 10 en Suisse. Pour le Crédit Agricole, le nombre était de 104 filiales sur 5258, pour la Société Générale, 49 sur 276  filiales. La concentration des banques sur ces territoires est donc forte.

Nous ne sommes pas les seuls à avoir procédé à ce type d'enquête. En effet, le Conseil des prélèvements obligatoires a également rédigé un rapport publié en janvier 2013 sur la fiscalité des entreprises dues secteurs financiers. Deux chercheurs du CEPII ont notamment mis à jour des informations sur les filiales jusqu'au 10e rang (filiales de filiales). La concentration y apparaît encore plus forte que ce que l'on pouvait observer à partir des documents publics, puisqu'elle atteint 330 % de filiales de plus au Luxembourg, 300 % en Irlande et à Singapour, 240 % en plus à Hong Kong, 460 % de plus en Suisse. Les enquêteurs montrent en outre que la taxation des banques françaises a été divisée par trois en presque 20 ans, et que le taux d'imposition implicite moyen dans le secteur bancaire français est bien plus faible que dans les autres pays. Ainsi pour les grandes banques commerciales françaises, le taux s'élève à 8 % d'imposition en moyenne entre 2002 et 2009 alors qu'il se situait à 37 % entre 1988 et 1994. A l'étranger, le taux effectif pour les établissements financiers allemands entre 2002 et 2009 s'élevait à 50 %, à plus de 30 % pour les Américains et les Anglais et à 25 % pour les Danois et les Italiens.

M. Gérard Gourguechon, Membre du conseil scientifique de l'association ATTAC . - Je suis membre d'ATTAC depuis 1998. Auparavant, j'étais au syndicat des impôts « Solidaires finances publiques ». Compte tenu de mon âge, j'ai déjà entendu beaucoup de commissions d'enquête à l'Assemblée nationale et au Sénat portant sur ces questions de première importance. Toutefois, même si les travaux parlementaires aboutissent à des résultats intéressants, ils sont souvent négligés par la suite. Nous souhaitons cette fois-ci qu'ils débouchent sur des résultats tangibles. Toutes les banques importantes au niveau mondial et notamment les banques françaises sont fortement implantées dans les paradis fiscaux, compte tenu d'une part de l'importance de la finance qui y transite, d'autre part de la concurrence entre les banques. C'est donc tout le système qu'il faut modifier.

Pour autant, récemment, lorsque le gouvernement français a essayé de réguler le système par le biais de la loi, le lobby bancaire a fait pression arguant de la concurrence avec les banques étrangères. Ainsi, chaque gouvernement, pour défendre sa place financière, répond aux sollicitations plus ou moins pressantes et prégnantes du lobby bancaire. Les paradis fiscaux qui permettent une évasion fiscale énorme expliquent quant à eux, en partie, les déficits publics et le fait que les pouvoirs publics soient dépendants des prêteurs et des marchés financiers.

Les banques françaises ne sont plus imposées que de 8 %.L'impôt sur les sociétés, qui s'élevait à 50 % il y a 15 ou 20 ans n'est plus que de 33 % aujourd'hui - 25 à 27 % pour les PME, d'où une concurrence déloyale entre les entreprises. En outre, la plupart des paradis fiscaux sont dépendants des places financières importantes. La City rayonne ainsi sur 50 % des paradis fiscaux - en tout cas de ceux que l'on recense, pas forcément ceux qui sont indiqués dans les listes noires ou grises. C'est pour cela qu'elle demeure une place financière prépondérante au niveau mondial, alors que la Grande-Bretagne n'est plus un pays dominant au niveau économique et financier.

Les législations financières, fiscales, sociales, judiciaires, policières et environnementales des paradis fiscaux sont souvent faites sur mesure par des experts, des avocats d'affaires, des hommes d'affaires. Une partie de la législation de la Barbade a notamment été rédigée par des Canadiens, pour la place financière de Toronto. Démanteler ce système implique donc de lutter à la fois sur les territoires et consécutivement sur les places financières, mais également sur les principaux clients - multinationales et riches particuliers - et les intermédiaires plus ou moins complices du système, tels que les banques et avocats d'affaires.

M. François Pillet, président . - L'aboutissement des commissions d'enquête est un sujet qui nous préoccupe. Nous y porterons une attention particulière, notamment lors des prochaines auditions.

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD) . - - Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - Nous souhaitons proposer à nouveau une mesure déjà évoquée l'année dernière, et sur laquelle des progrès ont été accomplis. Nous estimons en effet que la transparence comptable exercée pays par pays permettra de définir précisément les motifs de concentration des filiales dans les paradis fiscaux. L'objectif est de déterminer si les niveaux d'activité, de chiffre d'affaires, de bénéfices déclarés et d'impôts versés paraissent cohérents par rapport à la répartition géographique des activités.

Nous espérons pour notre part que la réforme introduite dans la loi bancaire française passera lors de sa deuxième lecture. Quoi qu'il en soit, elle a été dupliquée immédiatement au niveau européen. Ainsi, un accord a été trouvé entre le Conseil et le Parlement européen dans le cadre de la directive CRD 4 qui transpose les règles de Bâle 3 en matière de ratio de fonds propres par rapport à ce que les banques peuvent prêter. La règle doit maintenant être appliquée afin que nous puissions nous servir des données et que ces dernières soient rendues publiques en annexe des rapports des banques.

Cette séquence a permis de montrer qu'en dépit des difficultés, un pays comme la France est capable d'enclencher une dynamique au niveau européen et d'engager des réformes européennes pourtant dont on nous avait souvent dit qu'elles étaient vouées à l'échec. C'est une belle leçon pour l'action politique ; elle affirme le poids que peut avoir notre pays dans des décisions européennes en matière de régulation financière.

Une deuxième mesure évoquée l'année dernière mais sur laquelle il reste des progrès à faire concerne la transparence et l'échange automatique de la part des banques. La loi FATCA, votée en 2010 par les Etats-Unis de façon unilatérale, a notamment une portée extraterritoriale importante. Elle prévoit ainsi que les institutions financières du monde entier présentes sur les marchés financiers américains sont obligées de donner au fisc américain des informations sur les détenteurs américains de comptes bancaires, qu'ils soient entreprises ou particuliers. La sanction prévue en cas de non-respect de cette mesure est d'un montant exorbitant et de nature à exclure les établissements financiers des marchés financiers américains. Elle se traduirait par une retenue de 30 % à la source pour tous les revenus issus des marchés financiers américains, que ce soit pour compte propre de la banque ou pour le compte de ses clients. La loi FATCA est donc une mesure forte pensée par l'administration américaine; elle lui permettra de récupérer les noms et les données des comptes bancaires des Américains partout dans le monde.

Dans la foulée de cette mesure, les USA se sont lancés dans des négociations d'accords bilatéraux sur l'échange automatique d'informations. En effet, un certain nombre de pays dont la France, l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Espagne ont demandé à l'OCDE de réfléchir à un modèle d'échange bilatéral automatique d'informations. L'objectif était d'encadrer la transmission d'informations relatives aux institutions financières en passant par leurs administrations fiscales et non plus que les données soient adressées directement au fisc américain.

Ces accords sont en cours de signature dans une cinquantaine d'Etats. La réciprocité est effective dans certains pays mais ne l'est pas en Suisse ou au Japon qui ne sont pas intéressés par une information sur leurs propres résidents. Mais le FATCA va continuer de s'appliquer aussi aux pour les banques situées dans les Etats qui n'auront pas signé d'accord bilatéral d'échange d'informations avec les USA. Toutes les institutions financières de ces pays seront ainsi tenues de transmettre leurs informations au fisc américain sous peine de retenues à la source très importantes.

Aujourd'hui, une règle Fatca à l'européenne est évoquée mais son objectif diffère en réalité. En effet, les pays qui signeront ces accords avec les Etats-Unis prévoient d'échanger entre eux les informations recueillies. Nous sommes cependant encore loin d'une règle qui stipulerait que toutes les institutions financières du monde entier doivent rapporter de façon automatique au fisc de tous les pays européens les informations relatives aux comptes bancaires basés à Singapour ou aux Iles Caïmans. Nous pensons que pour aller plus loin, et pour construire à terme un standard d'échange automatique d'informations entre tous les pays, il est fondamental que l'Union européenne - et au premier chef la France - annonce son intention de mettre en place une règle de type Fatca, avec obligation pour les banques de déclarer les informations dont elles disposent. Une proposition de loi allant dans ce sens et nous paraissant intéressante a notamment été présentée par le Groupe Europe écologie les verts à l'Assemblée nationale ; elle nous paraît de nature à déclencher des négociations prometteuses au niveau européen sur ce sujet. Les Etats-Unis ont réalisé la partie la plus difficile de ce programme ; nous devons maintenant réclamer les mêmes mesures pour nos propres résidents.

Les moyens permettant l'échange automatique d'informations ne suffiront pas néanmoins ; il convient en également de déterminer comment collecter efficacement les informations échangées, tant en France qu'à l'étranger. Nous avons effectué une étude sur les différents registres des comptes bancaires existants. A ce titre, le FICOBA - registre des comptes bancaires français - est réputé être un très bon outil. Pourtant, comparer les mécanismes similaires existant dans d'autres pays a permis de faire apparaître une incertitude relative aux détenteurs réels des comptes bancaires puisqu'il n'existe pas d'obligation explicite de chercher le bénéficiaire ultime du compte. A l'inverse, cette contrainte est spécifiée au Danemark par exemple.

M. Eric Bocquet, sénateur. - Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'évasion fiscale internationale a été voté à l'unanimité mais, de l'avis général, une suite doit lui être donnée. Notre très grande détermination nous amène notamment à lancer cette deuxième commission d'enquête sur le rôle plus particulier des banques et des acteurs financiers d'une part, sur la régulation d'autre part.

Le contexte est toutefois un peu différent par rapport à l'année dernière. Votre audition a en effet beaucoup marqué nos travaux et avait fait référence, tant par son contenu que par votre dynamisme dont vous témoignez encore aujourd'hui. Le chantier est immense et nous le savions. Il faudra y mettre beaucoup d'énergie, du temps, de la volonté et beaucoup de détermination, ce dont nous ne manquons pas.

Nous sommes d'accord sur le constat. Vous parliez de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux, dont le nombre est au mieux stabilisé, au pire en progression. J'ai en tête également une audition de Monsieur Saint Amans à la commission des finances il y a quelques semaines, qui faisait état de l'augmentation du nombre de schémas d'optimisation, estimé à 350 il y a un an et à 400 cette année. Le phénomène n'est donc pas du tout à l'arrêt, d'autant que dans le même temps, l'opinion publique a été sensibilisée et que le sujet est à l'ordre du jour des travaux menés à l'Assemblée nationale.

Pour ma part, je souhaite quelques précisions.

Tout d'abord, vous avez indiqué qu'une filiale sur quatre des banques dont vous avez examiné la structure était implantée dans un paradis fiscal. Pensez-vous à certaines banques en particulier ? Selon vous, quel est l'intérêt de cette présence dans les paradis fiscaux ?

Il existe par ailleurs dans les banques des moyens de contrôle et d'audit interne. Ces services jouent-ils leur rôle ou se rendent-ils complices de l'évasion fiscale ? Si oui, de quelle manière ?

Egalement, avez-vous pu identifier le rôle des banques et autres opérateurs financiers dans la diversion des ressources financières ? Je pense notamment aux holdings financiers et aux trusts, qui sont aussi des outils de l'opacité.

Enfin, dans vos recherches, quelles ont été les principales résistances et obstacles à l'avancée vers la transparence que vous et nous avons appelée de nos voeux ?

M. Jean Merckaert, Membre du conseil d'administration de l'association Sherpa . - Nous serons assez modestes dans nos réponses ; en effet, aucun de nous n'est banquier de profession.

Que font les banques dans les paradis fiscaux ? Elles seules pourraient fournir une réponse précise. Plusieurs motifs clairs apparaissent toutefois. Ainsi, dans certains territoires que nous considérons comme des paradis fiscaux, peut exister une activité de crédit classique et une véritable clientèle de banque. Ensuite, il existe potentiellement des activités pour compte propre de contournement des législations prudentielles. Jean Pierre Jouyet, que j'ai interviewé pour la Revue Projet sur la question de la lutte contre les paradis fiscaux lorsqu'il était à la tête de l'AMF, avait notamment reconnu le manque patent d'avancée sur le sujet. Enfin, il existe aussi, à en croire les banques, un certain nombre d'activités ou de schémas financiers que seuls les paradis fiscaux permettent. Par exemple, les Iles Caïman sont spécialisées dans le leasing et dans les montages financiers pour le secteur aérien - c'est l'une des justifications de BNP-Paribas sur sa présence sur ce territoire. Nous savons également que le Luxembourg permet des montages financiers spécifiques, parfois pour des activités d'intérêt général comme le financement des micro-crédits.

Les moyens de contrôle s'améliorent toutefois de manière importante depuis plus de dix ans, afin de lutter contre le blanchiment de l'argent. Depuis l'affaire du Sentier et après que Monsieur Bouton ait été menacé de se retrouver derrière les barreaux, les équipes dédiées à ces contrôles ont été renforcées ; elles font preuve d'une vigilance accrue quant à la provenance des fonds. Est-ce pour autant satisfaisant ?

Dans les statistiques de Tracfin, qui recueille les déclarations de soupçons, les banques apparaissent comme les bons élèves. En effet, sur 19 000 déclarations de soupçons reçues en 2010 par Tracfin, 13 000 proviennent des banques. Pour autant, depuis la troisième directive anti-blanchiment, les établissements financiers doivent théoriquement effectuer une déclaration lorsqu'elles soupçonnent certains fonds d'être le fruit de la fraude fiscale. Or, les déclarations de soupçons reçues par Tracfin n'ont un motif fiscal que dans 8,6 % des cas (chiffres de 2010), un taux estimé comme faible.

Quels sont les contrôles effectués dans les banques sur l'effectivité des contrôles anti-blanchiment ? Il serait intéressant de poser la question à la Banque de France. Je souhaite par ailleurs revenir sur un exemple sur lequel a travaillé SHERPA ces dernières semaines. Il apparaît notamment que selon un rapport interne à la BNP, la filiale monégasque de BNP-Paribas a reçu entre 2008 et 2011, en provenance de plusieurs pays d'Afrique ainsi que de Madagascar, des milliers de chèques libellés en euros, détournés de leur raison économique à l'insu des autorités de contrôle des changes. Nous pouvons donc imaginer qu'il existe à la base une fraude fiscale. Les personnes qui ont intérêt à rapatrier des fonds sans que les autorités le sachent cherchent peut-être à cacher les bénéfices de leur entreprise. Pour autant, à aucun moment, BNP Paribas-Monaco n'a fait de déclaration de soupçon à Sicfin, équivalent monégasque de Tracfin. Nous voyons bien ici qu'il y a encore des progrès à faire en matière de vigilance sur la provenance des fonds. J'ajouterais que dans cette affaire, la justice monégasque que nous avons alertée dès la mi-avril 2013, n'a pas jugé bon, à ce jour, d'ouvrir une information judiciaire.

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD) . - Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - Pour compléter ce propos, une enquête avait été menée par l'autorité des services financiers britanniques en 2011, montrant que dans 70 % des banques, les contrôles internes étaient insuffisants, y compris dans les plus grandes banques britanniques. Nous pensons qu'il faudrait contrôler non seulement la qualité des procédures, mais aussi effectuer des contrôles aléatoires sur des dossiers clients pour vérifier que les procédures affichées et mises en avant sont réellement mises en oeuvre.

A travers une série d'articles parus dans la presse et les médias sur l'utilisation des paradis fiscaux - principalement concernant la BNP - nous pouvons toutefois constater différentes finalités. Parfois, l'objectif est de réduire la facture fiscale de la banque elle-même, c'est le cas par exemple la filiale monégasque de BNP-Paribas. Dans d'autres cas, il s'agit de montages pour leurs clients. Nous avons essayé d'interroger la BNP à plusieurs reprises sur les documents révélés par Libération le 22 mai 2012 mais nous n'avons jamais obtenu de réponse. J'imagine que vous aurez plus de moyens que nous le faire. Par ailleurs, les dernières révélations d'Offshore Leaks dans Le Monde sont très claires sur l'utilisation de filiales notamment asiatiques par la BNP et le Crédit Agricole pour créer des sociétés « écrans » pour le compte de clients.

Le recours à des sociétés écrans dans les paradis fiscaux peut permettre notamment de dissimuler l'identité réelle des clients et pour, d'une part, aux banques d'échapper aux règles de prudence financière, d'autre part, aux clients d'échapper au fisc ou aux autorités judiciaires et/ou aux banques de réduire leur facture d'impôt ou de contourner les règles de prudence financière.

Lorsqu'elles sont interrogées, les banques affirment néanmoins avoir mis fin à ces pratiques.

Toutefois, le code de conduite fiscale développé par la Société générale en 2010 montre que les engagements pris pourraient être contrôlés et renforcés. Par exemple, cette banque s'engage à « ne pas faciliter ou soutenir des opérations avec les clients dont l'efficacité repose sur la non-transmission d'informations aux autorités fiscales », à « ne pas mettre en place ou proposer des opérations à but exclusivement fiscal ». Autant d'engagements difficiles à mesurer. Nous pouvons dès lors nous interroger sur ce qu'il advient du « partiellement » fiscal ?

Longtemps, les banques n'ont pas eu à rendre compte de leurs activités et de leur code de conduite dans ce domaine. Aujourd'hui, elles commencent à le faire. L'activité de conseil qu'elles exercent pour leurs clients reste néanmoins une question délicate. Officiellement, elles affirment ne pas vouloir l'exercer ; elles déclarent même parfois qu'elles ne facturent pas ce service mais qu'elles l'offrent à leurs clients, ou encore qu'il n'est pas accessible à leurs clients français mais uniquement aux clients étrangers.

M. Gérard Gourguechon, Membre du conseil scientifique de l'association ATTAC . - Si les banques ne sont pas présentes dans les paradis fiscaux, elles ne peuvent être reconnues au niveau mondial ni bénéficier de l'importante masse financière offshore. Ainsi, les fonds russes qui échappent au fisc russe reviennent en partie par Chypre, les banques y étant installées participant à ce blanchiment de l'argent. Chypre est l'un des premiers investisseurs en Russie, à l'instar de l'Ile Maurice en Inde, ou du Luxembourg en France.

Par ailleurs, des montages financiers s'effectueraient parfois dans les bureaux des banques à Paris, le client entrant dans une pièce spécifique pratiquement extraterritoriale afin d'être mis en relation avec une filiale basée à Hong Kong ou à Singapour.

Depuis une vingtaine d'années, en France et dans beaucoup d'autres pays, nous constatons une tendance lourde, consistant à laisser les entreprises s'autoréguler et s'autocontrôler dans beaucoup de secteurs d'activité. Ce processus, qui existe autant en matière de sécurité, de santé, et dans le domaine bancaire, permet de supprimer quelques emplois de fonctionnaires et d'augmenter la liberté des entreprises. Ainsi, le système politique aujourd'hui accorde plus ou moins sa confiance aux entreprises ; il revient ensuite aux organismes publics, neutres et indépendants, de s'assurer simplement de l'existence de ce contrôle interne.

M. François Pillet, président . - Concernant la rémunération des personnes en charge du contrôle interne des banques, pensez-vous d'une part qu'elle est nettement supérieure à celle des agents du fisc, d'autre part qu'elle leur permet de garantir leur indépendance ?

M. Gérard Gourguechon, Membre du conseil scientifique de l'association ATTAC . - Je connais la rémunération des agents du fisc, mais pas celle des personnes en charge du contrôle interne des banques. Il y a 15 ou 20 ans, les jeunes inspecteurs élèves passaient par l'Ecole des impôts, restaient quelques années dans l'Administration fiscale, puis étaient sollicités pour être embauchés dans le privé. Le critère financier intervenait de manière importante dans ce choix individuel. Le problème de l'indépendance des contrôleurs se pose pour le système bancaire, comme dans d'autres domaines.

M. Jean Merckaert, Membre du conseil d'administration de l'association Sherpa . - Au Royaume-Uni, depuis 2004, la une loi (dite DOTAS) oblige les intermédiaires juridiques et financiers à déclarer aux autorités fiscales l'ensemble des montages qu'ils commercialisent pour éviter l'impôt. D'après un ancien inspecteur du fisc britannique, cette seule mesure aurait apporté à l'administration fiscale 12,5 milliards de livres sterling en quelques années. C'est une mesure qui est aussi appliquée au Canada, aux Etats-Unis, en Australie, en Irlande. En France, une mesure semblable fut envisagée par le Premier Ministre en septembre 2005, mais n'a jamais abouti.

M. Francis Delattre, sénateur . - Il me semble que cette procédure existe aussi en France, mais de façon embryonnaire, avec la possibilité de soumettre à l'administration fiscale un montage financier pour qu'il évite l'abus de droit.

M. Jean Merckaert, Membre du conseil d'administration de l'association Sherpa . - Deux autres pistes existent en la matière. L'une d'entre elles a été suivie par les Etats Unis au moment de l'affaire UBS. À l'issue d'un bras de fer avec la Suisse, les États-Unis on tobtenu 4 450 noms d'UBS. Ils ont ensuite menacé les fraudeurs et leur ont demandé de venir non seulement se dénoncer eux-mêmes, mais aussi expliquer au fisc les montages qui leur avaient été vendus. Résultat, près de 15 000 personnes sont venues se dénoncer et les États-Unis disposent aujourd'hui d'une cartographie très fine des schémas d'optimisation ou d'évasion fiscale.

Une loi va par ailleurs être débattue à l'Assemblée nationale ces prochains jours. Elle prévoit de créer le délit de fraude fiscale en bande organisée, lequel peut être mis en parallèle avec le délit de vol en bande organisée qui existe déjà. Ainsi, selon l'article 330 311-9-1 du code pénal, toute personne qui a tenté de commettre un vol en bande organisée est exemptée de peine si, ayant averti l'autorité administrative et judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation de l'infraction. En outre, lorsque l'infraction est en cours, le complice qui la dénonce et qui permet de stopper la réalisation de l'infraction, peut voir sa peine divisée par deux. Nous pourrions ainsi nous inspirer de ces mesures dans le cadre de cette nouvelle loi sur la fraude fiscale en bande organisée.

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD)-Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - Aujourd'hui, les sanctions et les amendes financières à l'encontre des banques mises en cause au niveau international pour des défaillances sérieuses ou systémiques dans leur système de contrôle interne sont souvent très faibles. Dans le cas par exemple d'une filiale de la Royal Bank of Scotland, la sanction s'était élevée seulement à 2 % des profits avant impôts. Dans ce contexte, il reste très rentable de ne pas être trop regardant sur l'origine des fonds et sur l'application du droit. Il faut donc absolument proportionner des sanctions financières aux gains retirés de ce type d'activité.

M. Yvon Collin, vice-président . - Monsieur le Président, je partage votre sentiment, comme celui de notre rapporteur, sur le fait que cette commission et le rapport qui suivra ne resteront pas lettre morte. C'est la moindre des choses dans le cadre d'une telle démarche.

Hasard du calendrier, nous débutons notre enquête le jour d'un sommet dont on nous dit qu'il est prometteur. J'ai toutefois bien compris que certains Etats étaient prêts à faire des concessions, à condition que d'autres suivent, ce qui peut nous condamner à l'immobilisme.

Je remercie nos interlocuteurs de la qualité de leurs réponses, et de la continuité dans les efforts qu'ils mènent au sein de leurs organismes respectifs. J'ai pour ma part trois questions à leur poser.

Tout d'abord, il existe des études montrant que l'aide publique au développement est dépourvue d'efficacité, en raison d'un détournement de cette aide. Avez-vous examiné cette hypothèse ?

Considérez-vous ensuite que la France et l'Europe sont assez vigilantes sur cette question, ou qu'il faudrait prendre davantage de garanties, et si oui, lesquelles ?

Enfin, avez-vous examiné les conditions concrètes du fonctionnement du système bancaire en Afrique ?

Mme Nathalie Goulet, vice-présidente . - Vous êtes intervenus devant notre commission en 2012. Vous aviez effectué des interventions très complètes auxquelles votre audition d'aujourd'hui apporte peu d'éléments nouveaux. Dès lors, elle paraît moins complète. Vous manifestez notamment des attentes et vous nous questionnez par rapport à notre volonté d'action dans la lutte contre l'évasion fiscale. Nous avons quand même obtenu de haute lutte la mise en place de quelques dispositions législatives. Le Président, le Rapporteur et les membres, à chaque fois qu'il a été possible de le faire, ont rappelé les travaux de la commission d'enquête. Je ne crois pas que cette maison ait montré sur bon nombre de sujets plus de ténacité dans un délai aussi court. Ainsi, si nous prenons l'exemple de la sécurité du médicament, après le Viox et le Mediator, la loi sur le médicament est loin d'avoir apporté toutes ses solutions.

J'ai, quant à moi, également quelques questions à vous poser. Pourriez-vous tout d'abord effectuer un point sur les améliorations que vous avez constatées cette année ? Ensuite, en tant qu'associations très actives - vous êtes un peu les « justiciers » de la fiscalité - avez-vous effectué des saisines du parquet ou déclenché des déclarations de soupçons ? Par ailleurs, avez-vous une action directe sur les acteurs que vous dénoncez justement ? Enfin, comment êtes-vous financés ?

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD)-Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - Il existe plusieurs canaux par lesquels l'aide publique au développement peut être détournée. Aujourd'hui, nous constatons qu'une grande partie de celle accordée par la France passe par le soutien au secteur privé pour encourager la croissance et le dynamisme économique ; dès lors, les règles déterminant les conditions d'accès à des subventions de l'Agence française de développement ou de sa filiale PROPARCO doivent encore être renforcées dans le domaine de la responsabilité fiscale. L'Agence Française de Développement vient tout juste de se doter à ce sujet d'une règle interne stipulant que l'aide ne doit plus transiter par les paradis fiscaux. Aujourd'hui plus de la moitié de l'intervention de PROPARCO passe par des intermédiaires financiers (banques ou fonds d'investissements) localisés notamment dans des centres financiers offshore. La France vient donc d'établir une liste de territoires des centres désormais interdits, à partir d'une compilation de plusieurs listes (celle de l'OCDE utilisée par la Banque centrale, et la liste ETNC française, etc.). Ce texte de mesure a été annoncé hier par le ministre du Développement.

Nous pourrions aussi demander plus de transparence fiscale aux entreprises bénéficiant de ces soutiens et de ces financements publics, afin de s'assurer qu'elles paient effectivement des impôts à la hauteur de leur activité et de la richesse qu'elles créent dans les pays en développement. Nous avons porté cette proposition pendant la campagne présidentielle et législative, mais nous avons du mal à la faire passer. Les liens entre fiscalité et développement constituent des sujets traités par les Nations Unies, l'UE ou l'OCDE sur lesquels la France a été en pointe.

Je n'ai, par ailleurs, pas particulièrement travaillé sur le thème du fonctionnement bancaire en Afrique, je ne me hasarderai donc pas à vous répondre sur ce point.

En termes de points d'amélioration, nombre d'événements sont notables depuis l'année dernière. En quelques mois, les déclarations se sont considérablement accélérées. Parmi les avancées, nous retenons évidemment le reporting par pays qui représente l'aboutissement de dix ans de mobilisation de la société civile. Nous avons entendu les annonces du Président de la République et du Premier ministre sur l'importance de l'étendre à d'autres secteurs d'activité et nous serons bien sûr vigilants sur ces sujets.

Notons également que l'OCDE a ouvert un processus BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), relatif aux érosions des assiettes fiscales et aux transferts de profits. Pour la première fois, l'OCDE reconnaît qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème spécifique aux pays en développement, en raison de leur administration fiscale qui serait corrompue, mal formée ou mal payée. Un pré-rapport publié en février 2013 détecte en effet un véritable problème avec la fiscalité des entreprises multinationales au niveau mondial, pensée dans les années 1920 et qui n'est plus adaptée à notre époque. Ainsi, aujourd'hui, le contournement de l'impôt est devenu la règle. Les accords qui permettent d'éviter la double imposition aboutissent à ce que les entreprises ne paient plus d'impôt nulle part. En conséquence, tout le monde est perdant, sauf les paradis fiscaux qui attirent des activités artificielles pour enregistrer des profits en réalité générés ailleurs. Sur ces questions, nous commençons à rencontrer un écho favorable. Reste à savoir quelles seront les mesures concrètes retenues.

Nous sommes toutefois un peu inquiets. En effet, au niveau français, à travers les discussions menées avec Bercy, nous sentons une volonté d'agir sur le secteur du numérique, mais pas forcément sur l'ensemble des secteurs d'activité. Je pense pourtant que les mêmes dispositifs prévalent pour Google et les grandes multinationales françaises lorsqu'elles tentent de contourner l'impôt.

En dernière avancée, il apparaît clairement que tout le monde partage désormais ce sentiment qu'il faut développer les échanges automatiques d'informations. Cette contrainte pourrait constituer un nouveau critère d'évaluation des pays dans le Forum fiscal mondial. La liste française des paradis fiscaux pourrait aussi reprendre ce critère-là.

Enfin, concernant le financement du CCFD, il est assuré à hauteur de 9180 % environ par des dons privés individuels, et en partie par un financement public, notamment pour soutenir l'activité de nos partenaires dans des pays africains, asiatiques, et d'Amérique Latine. Nous ne menons pas d'action directe en justice, parce que ce n'est pas notre mandat.

M. Charles Revet, sénateur . - En tant que doyen, j'avais félicité le président et le rapporteur pour le premier rapport qui avait été établi et que nous souhaitons, comme les autres, voir aboutir à des actions concrètes. Nous devons dès lors bénéficier des éléments sur lesquels nous appuyer pour proposer des orientations ou des amendements.

Avez-vous eu ainsi la possibilité de conduire des investigations en profondeur ? De même, avez-vous obtenu des éléments vous permettant de bien connaître le fonctionnement et les objectifs des personnes ou des organismes bancaires qui interviennent dans les paradis fiscaux ?

Vous nous avez par ailleurs confié n'avoir pas obtenu de réponse à certaines questions que vous aviez posées au système bancaire. La différence, dans le cadre d'une audition au Sénat, c'est que les intervenants devront prêter serment. Ils prennent donc le risque de sanctions s'ils nous fournissent des informations erronées ou s'ils ne répondent pas aux questions posées alors même qu'ils disposeraient d'éléments de réponse. Dès lors, avez-vous des questions qui vous paraissent importantes et que nous pourrions poser nous-mêmes, avec plus de garantie quant à leur réponse ?

M. Gérard Gourguechon, Membre du conseil scientifique de l'association ATTAC . - Je rappelle que j'ai été secrétaire général du syndicat des impôts. Il y a une vingtaine d'années, vous disposiez chaque année d'informations détenues par l'administration fiscale sur le nombre et les résultats des contrôles fiscaux de l'année précédente, profession par profession. Vous pouviez par exemple connaître le nombre de bouchers charcutiers inscrits en France, ainsi que le nombre de contrôles fiscaux dans cette profession et leurs résultats. Ces informations permettaient de faire apparaître que les cultivateurs étaient contrôlés en moyenne tous les 102 ans, et les multinationales l'étaient tous les 18 ans, souvent de façon très partielle. Par exemple, la totalité des factures d'achat sur une année pour un groupe comme Total représentait trois camions ; or nous ne disposions que de quelques semaines pour tout vérifier.

Vous n'avez plus accès à ces informations, et nous souhaiterions qu'elles vous soient communiquées à nouveau. Elles sont importantes en termes de transparence et permettraient de déceler que la fraude fiscale, dont la fourchette haute est actuellement estimée à 80 milliards d'euros, est en réalité beaucoup plus importante. Le contrôle fiscal rapporte aujourd'hui environ 10 à 15 milliards, respectivement 10 milliards pour le contrôle fiscal externe, 5 milliards pour le contrôle fiscal du bureau. En contrôlant les entreprises tous les 50 ans, nous pourrions ainsi récupérer 15 ou 20 % de la fraude.

Concernant les améliorations apportées, le Conseil des Ministres du 10 avril a fait des annonces intéressantes, notamment quelques créations d'emplois d'inspecteurs vérificateurs, et un renforcement des sanctions pénales. Cependant, il ne s'agissait que d'annonces. Si elles se transforment en textes mis en application, elles participeront aux résultats positifs engrangés depuis 12 mois.

Je terminerai sur le fonctionnement d'ATTAC. Nous sommes une petite association de 12 000 à 15 000 membres financée par des cotisations, et bénévoles.

M. Jean Merckaert, Membre du conseil d'administration de l'association Sherpa . - Portons-nous plainte sur ces affaires fiscales ? Aujourd'hui, seule la commission fiscale de Bercy a le monopole de la transmission des dossiers fiscaux au Parquet, ce qui pose une vraie question. En matière de corruption le problème était similaire. Il existait notamment un monopole de l'action publique, réservée à l'Etat, jusqu'à ce qu'un arrêt de la Cour de Cassation du 9 novembre 2010 (dans l'affaire dite des biens mal acquis) estime que des associations anti-corruption pouvaient engager l'action publique.

Il est important, concernant ces affaires de fraude fiscale, de ne pas compter uniquement sur l'administration fiscale pour déclencher l'action judiciaire. Aujourd'hui, il existe environ un millier de condamnations pénales dans des dossiers fiscaux. Pour autant, une soixantaine seulement aboutit à des peines de prison. Je m'interroge quant à moi sur le nombre d'intermédiaires condamnés chaque année.

Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ? Nous entendons le Premier ministre britannique déclarer qu'il n'est plus acceptable d'avoir une structure juridique au monde dont on ne connaisse pas le propriétaire. Sans doute y a-t-il une part d'hypocrisie importante dans ce propos sachant la prospérité que le Royaume-Uni doit au trust mais faisons-lui confianceprenons-le au mot ! Si le Luxembourg, la Suisse et l'Autriche, pour leur part, résistent à céder sur l'échange automatique d'information, c'est qu'ils ont peur que le marché parte au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Ce serait une grande hypocrisie si le G8 ne s'achevait pas avec l'engagement de chacun des Etats à disposer d'un registre public des trusts. Les banques jouent un rôle important dans ce contrat à trois que constitue le trust.

Concernant les moyens d'investigation, nous sommes une petite équipe ; nous n'avons pas mené d'investigation approfondie au sein des banques. En revanche, j'ai trouvé très intéressante l'annonce de l'autorité allemande des marchés financiers (la BaFin) relative à la mise en place d'inspections au sein des banques sur leurs activités dans les paradis fiscaux, notamment l'activité de gestion de patrimoine. Si les autorités allemandes le font, rien n'empêchera le les autorités françaises de les `imiter !

Quant aux moyens de l'administration fiscale, depuis des années, nous constatons une réduction assez sévère des postes de vérificateurs. Pourtant, selon les chiffres du syndicat des impôts, chaque vérificateur rapporterait environ 2,3 millions d'euros. Même si on peut penser que ce syndicat est un peu juge et partie, le renforcement des équipes pourrait s'avérer très rentable.

Dernier point, que peut-on faire au niveau français ? Depuis le début de l'Offshore Leaks, et avec l'affaire Cahuzac, le gouvernement semble renvoyer le problème au niveau européen. Je n'ai entendu aucun argument qui justifierait de ne pas mettre en place la loi Fatca en France. Les Etats-Unis l'ont fait, pourquoi la France ne pourrait-elle pas le faire également ? L'échanges d'informations au niveau international est intéressant, mais un échange franco-français semble également une piste intéressante. Par exemple, si l'on en croit les déclarations d'Antoine Peillon sur l'affaire UBS, la DCRI elle-même non seulement n'aurait pas transmis les informations à l'administration fiscale mais les aurait détruites pour ne pas qu'elles lui parviennent.

Concernant le financement de SHERPA, nous sommes une petite équipe et nous recevons des fonds de la part de fondations allemandes, françaises, américaines ou africaines. Moi-même je suis bénévole.

M. Nathalie Goulet, sénateur. - Nous disposons quand même d'un rapport de la division des enquêtes fiscales nationales et internationales qui me semble assez complet sur le nombre de contrôles et leurs résultats. Notamment, pour la division internationale, plusieurs chapitres traitent de la difficulté des agents à cerner le prix des produits et du fait qu'ils ne sont pas en capacité de contrôler des données dont ils ne maîtrisent pas techniquement la teneur.

M . Yvon Collin, sénateur . - Vous paraît-il pertinent que la commission auditionne Proparco et l'AFD pour avoir leur avis ?

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD)-Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - J'ai rencontré le directeur de la direction des risques à l'AFD, qui m'a présenté les nouvelles procédures de contrôle interne en vigueur dans l'Agence. En effet, l'AFD ayant le statut de banque, elle est également soumise aux mêmes règles en matière de blanchiment de l'argent. Je pense donc que cela peut être intéressant de l'interroger - d'autant plus que l'AFD est habilitée a à agir en tant qu'intermédiaire financier pour distribuer l'aide européenne.

M. Jean Merckaert, Membre du conseil d'administration de l'association Sherpa . - A l'heure de penser notre contribution au développement, nous nous pensons souvent en tant que contribuables français : nous regardons souvent les flux qui sortent de France, et nous souhaitons savoir si ces fonds servent effectivement au développement des pays. Du point de vue des pays en question, la principale question n'est pas seulement l'évaporation des flux d'aides mais plus généralement celle des ressources du pays liées à la fraude fiscale. Le ministre de la Coopération a raison d'insister sur le fait que l'on aide ces pays encore plus en s'attaquant aux flux illicites sortants. Afin de parvenir à les réduire, il faut que l'échange automatique d'informations ne s'établisse pas seulement entre pays européen mais que nous en fassions bénéficier les pays du sud.

M. Eric Bocquet, sénateur . - Nous sommes demandeurs des réponses écrites aux questions que je vous ai adressées et que nous n'avons pas eu le temps d'évoquer ici. En matière de liste des paradis fiscaux, vous évoquez de votre côté 60 territoires ou pays. Il existe également la liste de la France pour laquelle, à la date d'aujourd'hui et à ma connaissance, l'arrêté n'a pas été pris alors que ce processus emporte des conséquences juridiques. Nous connaissons aussi la liste des Etats-Unis et celle de l'OCDE. Autant de listes différentes représentent un vrai problème puisque nous n'avons pas de base commune. Ne faudrait-il pas retenir votre propre liste pour aboutir à une base fiable ?

Mme Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD)-Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires . - Le Président de la République et le Premier ministre ont fait des déclarations concernant la mise à jour de la liste cette année et le fait qu'un certain nombre de pays qui n'auraient pas été efficaces dans la transmission et l'échange d'informations puisse y figurer. Nous avons progressé puisque nous disposons maintenant du rapport du gouvernement qui fournit le nombre de requêtes et le nombre d'informations transmises. Il sera malgré tout difficile d'établir une liste correcte, d'autant que la France s'interdit, de même que l'ensemble des pays de l'Union européenne, de désigner des pays de l'Union comme paradis fiscal. Nous savons également que le Forum fiscal mondial sur l'échange d'informations et la transparence publiera d'ici la fin de l'année une nouvelle liste sur la base des rapports d'évaluation produits depuis maintenant trois ans. Les critères existent. Le problème est d'une part la volonté politique d'avancer, d'autre part la capacité de nommer ses propres paradis fiscaux et ses dépendances politiques. Les Britanniques ont commencé cette démarche avec la lettre de Monsieur Cameron envoyée à toutes les dépendances de la Couronne et dans les territoires d'Outre-mer. A nous de faire de même avec Monaco, Andorre, et certains territoires d'Outre-mer.

Nous vous enverrons par écrit la liste des mesures qui peuvent être mises en oeuvre dès maintenant au niveau de la France, telles que la loi Fatca, la transmission des schémas d'optimisation fiscale par les intermédiaires, les registres des comptes bancaires, les registres des trusts, la proportionnalité des sanctions, l'effectivité des contrôles anti-blanchiment, etc.

M. François Pillet, président . - Au nom de notre Commission, je vous remercie vivement de vos témoignages, de votre expertise et de votre enthousiasme.

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