AUDITION DE M. BERNARD ESAMBERT, ANCIEN PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA COMPAGNIE FINANCIÈRE EDMOND DE ROTHSCHILD, ANCIEN MEMBRE DU COLLÈGUE DE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

(mercredi 22 mai 2013)

M. François Pillet, président. - Monsieur Bernard Esambert, conformément à l'article 6 de l'ordonnance mai du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment ; tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal. Je vous demanderai donc de prêter serment en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Bernard Esambert. - Je le jure.

M. François Pillet, président. - Vous avez la parole pour un exposé liminaire sur le sujet qui nous occupe...

M. Bernard Esambert. - C'est la première fois que je participe à une réunion de cette nature, et suis très heureux d'être présent.

S'agissant de la déontologie des marchés financiers, j'utiliserai l'image du verre à moitié plein et du verre à moitié vide.

Du côté du verre à moitié plein, notamment concernant les paradis fiscaux, les places offshore, ou tout autre moyen d'échapper à la fiscalité et à la vigilance financière des Etats, un certain nombre de progrès ont été réalisés depuis un G 20 remontant à quelques années, et qui avait confié à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) la mission de mettre fin à un certain nombre de ces places offshore. Plus récemment, des mesures ont également été envisagées à Bruxelles par la Commission.

Ceci a conduit à une forte réduction du nombre de ces places offshore qui, selon certains commentateurs, ne sont plus qu'au nombre d'une dizaine. La liste noire de l'OCDE aurait disparu, et la liste grise s'est réduite.

Du point de vue des Etats mis en cause, des progrès certains ont été accomplis depuis quelques années. Les textes en préparation, les directives ou les mesures envisagées par le G 8, le G 20 et l'OCDE, vont encore accroître la pression, notamment en Europe, sur des pays comme l'Autriche et le Luxembourg...

C'est là un point positif, qui résulte de la conjonction d'une unité de vue des grands Etats de l'OCDE -États-Unis, Grande-Bretagne, France - sur ce thème. On n'aurait pas imaginé cette conjonction il y a un certain nombre d'années...

Sur d'autres plans, comme l'élaboration de fonds de gestion alternatifs par les banques ou, plus généralement, par le système financier -hedge funds- des progrès ont également été accomplis. Ces hedge funds sont mieux régulés que par le passé en termes de possibilités d'emprunts ou de liquidités.

Dans un autre domaine, celui des délits d'initiés -que je connais un peu moins mal que les autres, l'Autorité des marchés financiers (AMF) m'ayant confié une mission et demandé des propositions pour réduire ces délits - un certain nombre de mesures ont été prises il y a sept ou huit ans. Le délit d'initié est maintenant mieux codifié, et l'on peut donc plus facilement poursuivre ceux qui profitent de connaissances que n'a pas le grand public.

Pour ce qui est du verre à moitié vide, les paradis fiscaux renaissent à mesure que d'autres disparaissent. Le Botswana va ainsi créer un paradis fiscal. C'est aussi le cas du Panama, de Dubaï, et d'un autre Etat d'Afrique, dont le nom m'échappe. Il existe par ailleurs encore des Etats ou des îles non régulés. On a braqué les projecteurs sur un certain nombre d'îles proches des côtes européennes, mais on a négligé des îles plus lointaines. Le Vanuatu continue ainsi à profiter de la liberté qu'il s'est arrogé en ce domaine.

La chasse aux paradis fiscaux n'est donc pas terminée, et la pression sur les banques, qui en font profiter leurs clients, est à peine amorcée. Il existe bien des projets de loi dans ce domaine, mais ils demeurent dans les limbes.

Quant aux hedge funds, ils continuent à se développer et à utiliser les ventes à découvert, moyen diabolique pour faire perdre des quantités d'argent cataclysmiques dans certains cas...

Concernant les délits d'initiés, même si les choses ont été codifiées, les sanctions étaient, lorsque j'ai quitté l'AMF, il y a un certain nombre d'années, relativement faibles. J'avais préconisé de les renforcer sensiblement, en multipliant par dix le plafond des sanctions pécuniaires et par deux ou presque le nombre d'années d'emprisonnement. Je ne sais si mon rapport a été suivi d'effets.

Nous avons, en France, un problème général : nous appliquons des sanctions nettement plus faibles que dans les grands pays développés, notamment les Etats-Unis ou dans les pays anglo-saxons. Je n'en connais pas les raisons, même si je les devine...

En second lieu, l'application de ces sanctions n'a pas, en France, le même niveau que dans d'autres pays. Aux États-Unis, les sanctions pécuniaires sont très élevées. C'est un moyen de négociation pour les autorités américaines, afin de permettre à ceux qui ont enfreint la réglementation de ne pas être poursuivis pénalement. Ces sanctions sont donc sans commune mesure avec celles que nous connaissons en France.

J'ai fait partie de la commission des sanctions de la Commission des opérations de bourse (COB), avant la création de l'AMF. Ces sanctions étaient fort limitées, voire ridicules dans certains cas, par rapport à celles que permet le système anglo-saxon ! Cette sorte de tradition française est à revoir. Je crois d'ailleurs qu'il existe un texte de loi en préparation qui va en ce sens.

Les sanctions sont appliquées chez nous de façon très timide, sauf par la Commission de la concurrence, qui profite de façon spectaculaire des plafonds qui lui sont autorisés. Les autres organismes n'en profitent pas ou peu. C'est notamment le cas de l'AMF, maintenant dotée d'une commission des sanctions distincte de son collège.

Nous avons donc encore des progrès à faire. Je ne suis pas un adepte de la sanction, mais je ne pense pas que l'on puisse poursuivre sévèrement, dans des domaines mineurs, ceux qui ont volé une pomme à l'étalage si on n'applique pas aux financiers, qui ont volé l'équivalent de millions de pommes des sanctions adaptées et puissantes !

Plus généralement, au-delà des mesures qui sont enfin prises, au travers d'une sorte de consensus des grandes nations, il existe un problème de déontologie du libéralisme et du système du marché dans lequel nous vivons, sans foi ni loi, qui a conduit, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à un enrichissement moyen général de la planète énorme, laissant toutefois subsister des poches importantes de pauvreté, et permettant des enrichissements insolents, à l'autre extrémité du spectre.

Il y a, dans ce libéralisme formidablement efficace, un manque d'éthique et de déontologie. Le libéralisme est devenu, depuis la mort du communisme, une sorte de religion qui oriente tous nos comportements économiques. Ceci conduit les exclus de l'enrichissement que j'évoquais à aller vers les sectes ou l'extrémisme islamique, le libéralisme n'offrant pas à leurs yeux cet idéal qu'ils poursuivent, dans les voies que l'on sait et avec les conséquences que l'on sait.

Mon idée est probablement simpliste, mais j'essaye de la mettre en oeuvre et de faire créer ce code éthique du libéralisme par une structure apolitique, que l'on peut imaginer composée de représentants de toutes les grandes spiritualités, parmi lesquelles je place, en priorité, l'agnosticisme, les droits de l'homme, et autres modes de pensée...

Ce groupe pourrait être composé de représentants de ces spiritualités, de présidents d'ONG, de prix Nobel de la paix, et de quelques prix Nobel scientifiques. Je n'ose y inclure des prix Nobel de l'économie, généralement farouches défenseurs d'une économie de marché dans toute sa rigueur, mais sans ses vertus -sauf certains, comme Amartya Sen ou quelques autres...

J'essaye de mettre en place, sous l'égide de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), une sorte de concile d'une trentaine ou d'une quarantaine d'hommes et de femmes de cette nature. Réunis, ils établiraient ensemble les tables de la loi du libéralisme, supprimeraient définitivement le travail des enfants jusqu'à ce qu'ils soient autonomes, instaureraient l'égalité entre les hommes et les femmes, banniraient les enrichissements insolents et sans cause, etc.

Trente à quarante personnes, chargées de l'écriture d'un tel message, très bref, seraient choisies de telle sorte que chacun des sept milliards d'habitants de cette planète se sente représenté par l'un d'entre eux. L'élaboration d'un tel concile n'est donc pas forcément une tâche facile...

Je vous livre ces idées quelque peu fantasques pour attirer votre attention sur le fait que le thème de l'éthique dépasse à mes yeux celui des marchés financiers, qui reste cependant un signal fort qui, si on arrivait à la régler, permettrait au libéralisme d'être un peu moins mal perçu par tous ceux qui en sont exclus !

M. François Pillet, président. - Ces propos liminaires sont pleins d'espoir !

La parole est au rapporteur...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Votre propos fait le lien avec les ONG que nous avons auditionnées avant vous.

Vous présentez, à votre façon, avec votre vision du monde -que je respecte par ailleurs - un monde solidaire. C'est un peu ce qui sous-tend votre propos, et qui le rend intéressant.

Vous avez été l'un de nos banquiers d'affaires et avez travaillé en tant que régulateur pour l'AMF. Ceci vous a permis d'évoluer au coeur du système bancaire et financier, objet même de notre commission d'enquête, qui commence ses travaux aujourd'hui.

Notre souci est d'en comprendre les mécanismes, les ressorts et, en particulier, ce qui sous-tend les pratiques les moins avouables, que vous avez vous-mêmes décrites, légales ou illégales. Vous avez émis des critiques sur ce système dérégulé, déréglementé, sans foi ni loi, pour reprendre vos propres termes.

Dans d'autres lieux, vous avez eu l'occasion de mettre à l'index les salaires indécents, la corruption, l'absence de morale. On voit bien votre philosophie générale... Vous militez pour une forme de moralisation du système en place.

Selon votre expérience, quelles failles intrinsèques du système conduisent-elles à l'absence de morale de ce système ? Que doit-on entendre par l'idée de « moraliser le libéralisme » ? Quels sont les chantiers à entreprendre, les solutions éventuelles pour ce faire ?

On entend parler d'amnistie fiscale pour les auteurs de ces méfaits. Quelle appréciation portez-vous sur cette technique ?

Par ailleurs, la crise financière que nous vivons est aussi une crise économique, politique, démocratique. Vous dites qu'elle est née en 2007-2008, avec la crise des subprimes, aux États-Unis. Comment aurait-on pu l'éviter ?

A-t-il été répondu de manière satisfaisante aux problèmes identifiés, avec un recul de cinq années ? Dans le cas contraire, que convient-il de faire ?

Avez-vous été amené, en tant que banquier d'affaires à contribuer au montage de système offshore dont il est beaucoup questions ces temps-ci ? Si tel est le cas, de quel type de montages s'agissait-il, et pour quel type de clients ?

Vous avez évolué dans ce monde, il y a quelques décennies de cela. Y a-t-il eu, selon vous, une évolution nette des comportements du monde de la finance depuis les années 1970, date à laquelle vous avez pris la tête de la banque Rothschild ? En trente ou quarante, durant la période de dérégulation que l'on a vécue, où les choses se sont accélérées, automatisées, quels changements de comportements avez-vous pu analyser ?

Enfin, l'AMF est-elle allée assez loin en matière de reprise en main du contrôle des acteurs financiers ? Que devrait-elle faire de plus, au regard de l'actualité récente et de la situation dans laquelle nous nous trouvons ?

M. Bernard Esambert. - Pourquoi en est-on arrivé là en matière d'application du libéralisme ? C'est la nature humaine qui est ici en cause ! Elle est ainsi faite qu'elle est très imaginative. C'est pourquoi j'évoquais l'idée de forte régulation, d'une part, et l'usage de la coercition d'autre part. Je ne suis pas partisan du bâton mais, dans le domaine financier, je ne vois pas pourquoi on ne l'emploierait pas à l'échelle des profits indus suscités par des comportements immoraux. C'est pourquoi je ne suis pas de ceux qui condamnent la création d'un parquet financier, s'il permet d'éviter la répétition de fraudes que l'on constate tous les jours !

Il n'y a pas un mois, dans le monde, où il n'y ait pas une affaire Enron, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Chase, ou Libor ! C'est donc qu'il existe un problème de comportements de ceux qui travaillent dans le secteur financier. Il faut que ceux-ci aient la même morale que ceux qui ne s'y trouvent pas.

Les solutions sont celles que les Etats mettent en oeuvre en régulant, après avoir dérégulé, là où il le faut. Il ne s'agit pas de réguler partout, bien au contraire, mais de savoir réguler avec efficacité, là où c'est vraiment nécessaire, en appliquant des peines sévères, en recourant peut-être un jour au code éthique du libéralisme que je souhaite voir mis en oeuvre.

J'avais écrit, en exergue de mon rapport sur le délit d'initié, que plus on s'élève dans la hiérarchie des hommes, plus on doit être exemplaire. Ceux qui profitent du délit d'initié doivent l'être en conséquence, occupant le plus souvent un échelon élevé de la hiérarchie. Malheureusement, on n'apprend plus la morale à l'école, comme c'était le cas dans mon enfance. J'ai appris sur les bancs de l'école que, plus on s'élève, plus on doit être insoupçonnable et irréprochable. Le code éthique peut ranimer cette morale, comme je le souhaite ardemment.

Pour ce qui est de l'amnistie fiscale, je suis favorable au fait que ceux qui ont fait sortir des capitaux les fassent revenir et travailler en France, afin de stimuler l'investissement mais, si amnistie il doit y avoir, je plaide plutôt pour une amnistie pénale. Je verrais bien un système -qui, je crois, est d'ailleurs en préparation - où les pénalités seraient fortement accrues, la rentrée de ces capitaux permettant en même temps à ceux qui y recourent de ne pas être poursuivis pénalement. Le tout, bien sûr, devrait être fait dans la plus grande transparence, en laissant aux seuls fonctionnaires le soin d'appliquer les nouveaux textes.

Pour ce qui est de la crise financière, et pour être bref, le départ, vous le savez tous, réside dans la fameuse crise immobilière américaine des subprimes et dans le fait que les banques américaines, pour faire davantage de crédits hypothécaires, ont titrisé leurs crédits et libéré le ventre de leurs banques. Elles se sont mises à créer une sorte de bulle gigantesque, bien au-delà de leurs ratios. Tout ce qui était dans le ventre des banques, au travers des crédits consentis, a été sorti et vendu à des financiers qui, eux-mêmes, l'ont revendu partout à travers le monde, les incorporant dans différents produits.

Je le sais d'autant mieux que, m'occupant de nombreuses fondations et associations charitables ou médicales, dont je gère la trésorerie, j'ai failli incorporer ces produits financiers venant des États-Unis. Cela n'aurait pas obéré complètement le maigre pactole des fondations dont je m'occupe, mais aurait néanmoins réduit une partie des dons que je reçois chaque année, ce qui aurait été fâcheux !

La suspicion entre banques a commencé ; celles-ci ne se sont plus prêté d'argent. Les banques centrales ont dû faire l'appoint, puis on s'est aperçu que les Etats étaient très endettés, à la fois en pourcentage de leur PIB et en matière de dette extérieure. La crise immobilière a dégénéré en crise mondiale de l'endettement pour un certain nombre d'Etats.

Comment l'empêcher ? Aurait-on pu l'éviter ? Oui, si on n'avait pas créé cette bulle immobilière aux États-Unis, qui a consisté à financer des achats de maisons sans apport des souscripteurs, lesquels étaient généralement endettés à 120 %.

L'excès a atteint son comble en permettant d'emprunter à ceux qui, de toute évidence, n'aurait jamais les moyens de rembourser. Les banques pensaient détenir un gage dans les valeurs immobilières, qui leur paraissaient devoir continuer à monter, alors qu'elles se sont au contraire effondrées. Il aurait fallu faire en sorte de ne pas créer cette bulle à l'origine de tous nos problèmes.

On ne va certes pas titriser à nouveau des créances immobilières, mais la prochaine bulle est en train de se constituer quelque part. Il y en a eu une tous les sept ans, depuis quarante ans, en moyenne, la première remontant à la crise pétrolière de 1973. Cette bulle éclatera ; si elle est modérée, les conséquences en seront très limitées. Si elle met en lumière l'endettement d'un certain nombre de nations, comme la crise de 2009, on risque d'avoir à nouveau des problèmes.

L'un d'eux est d'ailleurs devant nous, et ce depuis trente ou quarante ans : il s'agit de l'endettement des États-Unis, dont il faudra un jour se préoccuper. C'est le plus élevé de tous les pays développés mais, les États-Unis battant monnaie, avec un dollar qui tient le haut du pavé, cela n'a pour le moment pas de conséquences. Il faudra bien un jour que les nations développées disent leur vérité aux États-Unis et fassent en sorte que ceux-ci prennent eux-mêmes à leur tour les mesures que nous nous imposons tous en Europe, avec la sévérité, les excès et les problèmes auxquels cela conduit. Cela peut arriver dans dix, quinze, vingt ans -voire même plus tôt.

Comment empêcher la montée de la bulle ? Je n'ai pas de solution miracle ! En revanche, il faut dès maintenant faire pression sur les Etats-Unis pour les amener à quitter leur statut d'observateur en Europe, et prendre les mesures qui conviennent chez eux, afin de réduire leur endettement et faire en sorte que, le jour où la bulle éclatera, elle ne se traduise pas par un cataclysme américain !

Ai-je réalisé des montages offshore lorsque j'étais banquier ? Non. A l'époque, il y en avait très peu. J'ai fait mes classes au Crédit lyonnais de 1973 à 1977, puis j'ai été banquier, de 1977 à 1993. Il y avait probablement des montages offshore dans d'autres banques, mais j'avais ma conception de la banque.

J'ai été le conseiller industriel et scientifique de Georges Pompidou. J'étais vraiment un industrialiste saint-simonien, au sens fort du terme. Je suis arrivé dans la banque en considérant qu'elles devaient appuyer l'industrie. J'ai fait en sorte que la Compagnie financière aide les industriels à se développer, à s'implanter à l'étranger, à exporter davantage. Je l'ai fait de différentes façons, en particulier en améliorant leur trésorerie. J'avais développé un produit de trésorerie, copié par les Américains et les autres banques françaises. J'ai également développé des produits à l'exportation. Je considérais que les banques devaient jouer le rôle de pompes qui aspiraient les dépôts des particuliers pour les prêter aux entreprises, notamment industrielles. Ce faisant, elles aidaient au développement de leur pays, ce qu'elles faisaient d'ailleurs pour l'essentiel à l'époque.

Il existait d'autres façons de les aider. J'ai passé plusieurs semaines à observer ce qui se déroulait dans la Silicon Valley. J'avais créé un observatoire des valeurs de haute technologie, ce qui était nouveau en 1979. Je rapportais aux cinq premiers groupes français -Aérospatiale, Renault, Alcatel, EDF et un cinquième dont le nom m'échappe- toutes les affaires qui se créaient dans leur domaine, de façon à ce qu'ils puissent éventuellement les racheter et avoir une avance technologique dans leur secteur.

Je n'ai, en quoi que ce soit, utilisé de montages offshore, n'en ayant pas eu l'occasion. L'aurais-je fait si j'en avais eu la possibilité ? Je ne sais... A priori, je pense que non -mais on n'est jamais à l'abri de la tentation !

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Dans le cadre de vos activités à l'AMF -époque bien plus récente, durant laquelle les montages offshore étaient largement en vigueur - avez-vous identifié des montages de ce genre ? Pourriez-vous nous les décrire ? Pour quel type de clients ? Qui en étaient bénéficiaires ?

M. Bernard Esambert. - Non, ce n'était pas le rôle de l'AMF de vérifier les montages offshore. Le législateur n'en avait pas décidé ainsi.

Faut-il lui confier cette tâche ? Les montages offshore sont le fait des structures financière et des banques. Je verrai donc plutôt ce rôle dévolu à la Commission bancaire -mais on peut aussi le confier à l'AMF. Je ne pense pas que ce soit encore le cas aujourd'hui...

L'AMF a pour objet de vérifier le bon fonctionnement des marchés intra-muros, les opérateurs devant respecter les régulations en cours mais ceci ne va pas jusqu'au montage des opérations offshore.

M. Francis Delattre. - J'ai le sentiment que vous êtes une exception puisque vous avez exercé dans le privé, puis à l'AMF. En France, c'est souvent la haute administration qui fournit les banques d'affaires en grands dirigeants. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous une d'idée des critères de recrutement ?

On nous explique souvent que les grands mécanos que les banques d'affaires organisent - prises de contrôle, fusions acquisitions - sont fait pour créer des richesses. Ces richesses correspondent-elles à l'économie réelle ?

Par ailleurs, pouvez-vous détailler ce que vous avez dû contrôler et vérifier lorsque vous exerciez à l'AMF ?

D'autre part, beaucoup de ministères, dans des opérations de restructurations, choisissent des banques d'affaires pour les conseiller. Trouvez-vous cette démarche utile ou discutable ?

Enfin, le Japon a décidé de laisser filer sa dette. Ne pensez-vous pas que les Etats-Unis, banquiers du monde, s'ils étaient mis au pied du mur, pourraient bien faire la même chose ?

Mme Nathalie Goulet. - Cette audition offre une image pacifiée, qui tranche sur la précédente, qui était plutôt dans le mouvement, l'agitation et la revendication. Cette alternance de n'est pas désagréable...

En tant qu'avocate, j'ai assisté à la création du Marché des options négociables de Paris (MONEP), auquel votre remarque sur les ventes à découvert m'a fait penser...

Je suis par ailleurs une grande adepte du film « Inside Job », documentaire que j'ai vu une bonne demi-douzaine de fois. Je suggère d'ailleurs d'organiser une projection pour la commission d'enquête. Cette autopsie de la crise des subprimes permet de mieux comprendre comment fonctionne tout le système, y compris en matière de conflits d'intérêts...

Au vu de votre expérience, pouvez-vous nous indiquer quels sont les conflits d'intérêts les plus importants dans le domaine bancaire et financier ?

D'autre part, en matière de gouvernance de la zone euro, la crise de Chypre -qui sera sûrement suivie de beaucoup d'autres- nous montre toutes les limites des dispositifs bancaires, que l'on pourrait soit améliorer, soit éviter les difficultés.

On est ici dans l'imprécation, mais aussi dans la réflexion, le conflit d'intérêts étant à mon sens un problème majeur. Que recommanderiez vous, au niveau européen, pour réguler une crise qui risque d'avoir un effet « domino » ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Quel est l'intérêt, pour les banques, d'être présentes dans les paradis fiscaux ? Je pense que vous ne nous l'avez pas vraiment dit...

Est-ce pour pouvoir y ouvrir une structure juridique intéressante ? S'agit il d'avoir de meilleures conditions d'exercice de l'activité bancaire ? A-t-on davantage accès à des fonds dans un paradis fiscal ? Peut-on prêter davantage et différemment ? Est-on hors fiscalité -je le crois. Les banques agissent-elles pour elles ou pour leurs clients ? Les techniques de titrisation sont-elles plus faciles à mettre en oeuvre dans un paradis fiscal ?

Il est très important pour les membres de cette commission d'enquête de comprendre l'intérêt des banques en la matière...

M. Bernard Esambert. - S'agissant du pantouflage, je l'ai écrit dans l'un de mes récents ouvrages, je suis contre, sous toutes ses formes, ou bien pour des pantouflages modestes, avec des hauts fonctionnaires -j'en ai fait partie - qui fassent leurs classes dans le groupe dans lequel ils envisagent de faire carrière, à un niveau très subalterne, à l'étranger, autant que faire se peut, afin de ne pas bénéficier de l'environnement de leur corps. On les jugera sur la façon dont ils auront su gérer une filiale, à 10 000 kilomètres du siège parisien où sévissent leurs petits camarades ! Ils pourront gravir, ce faisant, la hiérarchie de leur entreprise et accéder au poste suprême, s'ils font preuve des qualités nécessaires.

Je suis violemment contre les pantouflage des inspecteurs des finances, des ingénieurs du corps des mines, du corps des Ponts, de la Cour des comptes, qui arrivent immédiatement à la tête d'une entreprise qu'ils ne connaissent pas, dont ils n'ont pas le professionnalisme, ne connaissent pas les produits, la sensibilité de ceux-ci sur le marché mondial, puisqu'il faut maintenant raisonner mondialement !

Ce phénomène, sous sa forme actuelle, ne concerne d'ailleurs que la France...

M. Francis Delattre. - Les commissions constituent donc selon vous un paravent...

M. Bernard Esambert. - Vous pensez là à des pantouflages dans des structures qui auraient pu être liées à l'activité antérieure. Je considère qu'en général, les commissions en question font preuve d'un laxisme excessif. Dans beaucoup de cas, elles ne devraient pas accepter ce qu'elles ont accepté !

S'agissant des opérations de fusion acquisition, les banquiers ont deux motivations. La première est de toucher des commissions importantes -elles sont proportionnelles aux opérations. La deuxième réside dans la gloire qui s'attache à avoir fusionné deux grands groupes, et à apparaître comme le banquier qui a eu l'idée de la fusion, ou qui l'a organisée au mieux.

Quand on étudie le bilan de toutes les opérations de fusion acquisition des grands groupes qui ont eu lieu depuis quarante ans en France, on s'aperçoit qu'environ une sur deux s'est traduite par un échec. Elle a été bien menée sur le plan du montage qui a conduit à la fusion et s'est ensuite avérée être un échec, les deux entreprises ne devant pas se marier, n'ayant pas en commun ce qui aurait permis à ce mariage d'être fructueux.

C'est un reproche que l'on peut faire aux banquiers d'affaires. Il faudra que vous leur posiez la question : ont-ils prêté suffisamment d'attention à l'avenir des groupes fusionnés lorsqu'ils ont organisé l'opération de rapprochement ? Un échec sur deux c'est un nombre important.

M. Francis Delattre. - Cela signifie que l'on détruit des emplois et des richesses !

M. Bernard Esambert. - L'échec peut être partiel, mais seule une opération sur deux, en moyenne, donne lieu à la création d'un champion important, qui porte haut ses couleurs dans la compétition mondiale.

Quant aux manipulations de cours, je n'ai pas souvenir d'en avoir vu passer devant l'AMF. Il y en a bien eu quelques-unes, mais il s'agissait de manipulations mineures. Elles ne sont pas nombreuses. Toutes les opérations de salles de marché étant enregistrées, on peut ensuite retrouver ce qui s'est dit. Cela permet, en cas de manipulation, d'en poursuivre les auteurs. Je n'en ai pas vécu beaucoup, mais les plus sournoises, les plus importantes, sont les opérations comme celles qui ont eu lieu sur le Libor. Quasiment invisibles, elles portent sur des masses gigantesques, représentant des montants énormes.

Par ailleurs, l'Etat, quand il organise une privatisation ou une nationalisation, fait toujours appel aux banquiers d'affaires. L'un se trouve du côté du groupe, l'autre du côté de l'Etat.

L'Etat fait concourir les banquiers. J'ai concouru plusieurs fois, comparaissant devant une équipe de hauts fonctionnaires, qui m'ont torturé pour savoir si ma banque aurait les compétences nécessaires pour conseiller l'Etat. J'ai été choisi dans deux ou trois cas. J'ai gagné un concours sur sept ou huit. Je n'ai rien à dire sur la façon dont ce choix s'effectue. Les gens en face de moi étaient des gens que je ne connaissais pratiquement pas. Il n'y avait pas de conflit d'intérêts. Les questions posées étaient en général assez judicieuses. J'espère n'avoir pas été trop mauvais.

S'agissant des banques japonaises, le Japon vit depuis dix ans dans une crise provoquée par son système bancaire. Auparavant avait eu lieu la crise de certains autres pays d'Asie du Sud-Est -Corée du Sud, Malaisie, Indonésie. Il faut surveiller les banques comme le lait sur le feu. La vigilance de la commission bancaire et des nouveaux organismes qui se sont créés depuis doit être totale. C'est absolument essentiel, la crise bancaire étant vraiment la mère de crises capitales de toute nature. Les Japonais, dont l'économie stagne pour ces raisons, en savent quelque chose !

Un mot de l'euro. Abaisser de moins de 10 % le taux de notre monnaie ferait gagner plus d'un point de croissance à toutes les économies de la zone, ce qui prouve bien que l'euro joue un rôle énorme dans la solution de nos problèmes actuels. Nous avons plusieurs problèmes. Le premier est celui de la situation de la zone euro, à laquelle nous appartenons, face au reste du monde, d'où l'intérêt de faire baisser notre monnaie. Le second problème est celui de pouvoir cohabiter avec l'Allemagne et de nous confronter économiquement à elle.

Nous sommes actuellement dans la zone mark, telle que les Allemands l'imaginent et peuvent la supporter, compte tenu de leur économie. Nous n'avons plus la possibilité d'avoir une monnaie qui s'adapte à l'état de notre économie. Un ouvrage collectif, auquel j'avais participé avant la création de l'euro, conseillait, en substance, de vérifier que la convergence économique des nations soit suffisante pour que celles-ci n'aient pas à souffrir un jour de l'euro, au travers d'évolutions divergentes. Cet ouvrage estimait alors que ce jour-là, il serait trop tard, sauf à sortir de l'euro. Nous n'en sommes pas là, et je ne pense d'ailleurs pas que nous sortirons. Quelques-uns de mes amis le pensent, mais je ne le crois pas. Toutefois, si l'euro baissait de 10 %, 1,5 point de croissance en plus serait le bienvenu !

Cependant, on ne baisse pas l'euro ainsi. Le cours des monnaies relève, à chaque instant, de la loi de l'offre et de la demande. Or, sur le marché où s'échangent ces monnaies, la loi de l'offre et de la demande est liée à des phénomènes comme le taux à court terme. Pour lors, comme le disait le général de Gaulle : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant : « L'Europe ! L'Europe ! L'Europe ! », mais cela ne mène à rien ». Seuls les taux d'intérêt de l'euro, comparés aux taux d'intérêt des autres monnaies fortes -dollar essentiellement - peuvent y parvenir !

Si notre taux d'intérêt est beaucoup plus faible que celui du dollar, l'euro peut baisser ; si notre taux d'intérêt est plus attractif, les gens achèteront de l'euro et le feront monter. Tout le reste n'est qu'incantation, mais sans résultat.

Les conflits d'intérêts sont par ailleurs un domaine essentiel. Goldman Sachs nous l'a prouvé de façon aveuglante ! C'est un sujet sur lequel les régulateurs doivent veiller. Il faut interdire tout transfert d'informations d'un département bancaire à un autre. Cela conduit à évoquer le problème de la séparation entre les activités de banque d'affaires et de banques de dépôt...

M. Éric Bocquet, rapporteur. - L'AMF y veille-t-elle ?

M. Bernard Esambert. - Oui, c'est sa vocation.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - A-t-elle repéré des cas de non-conformité ?

M. Bernard Esambert. - Je n'ai pas souvenir de cas importants. Nous n'avons condamné que des cas mineurs.

Par ailleurs, le Glass-Steagall Act, en 1933, aux États-Unis, a séparé les activités de banque d'affaires des activités de banque de dépôt, que l'on souhaite réintroduire régulièrement. Une loi est actuellement en débat devant le Parlement sur la filialisation des activités des banques d'affaires. Je pense personnellement que l'on ne va pas assez loin pour séparer les deux types d'activité. En fait, les activités de banque d'affaires sont déjà séparées dans les banques et filialisées. Ce n'est donc pas une novation. Ce qui est nouveau, c'est la rigueur avec laquelle on va étudier les ratios de la filiale traitant de ces activités d'opérations pour comptes propres. Ces derniers, qui sont très dangereuses, amènent la banque à prendre des risques importants, qu'elle peut faire supporter à ses déposants au-delà de 100 000 euros.

M. Francis Delattre. - Vous estimez donc que la banque doit pouvoir effectuer des opérations pour ses clients, quels que soient les marchés, mais vous pensez que le fait qu'elle engage ses fonds propres est critiquable...

M. Bernard Esambert. - En effet. Que les banques aient des salles de marché pour rendre service à leurs clients - achats de devises ou prises de garanties de change à terme - est normal : ces produits dérivés sont le service à rendre aux entreprises, notamment exportatrices. En revanche, acheter pour son compte propre ou souscrire des emprunts d'Etat, comme l'ont fait les grandes banques françaises, qui détenaient toutes de l'emprunt grec, chypriote ou autres, était destiné à gagner des marges sur des taux d'intérêt élevés. Enrichir la banque en cash-flow est normal ; ce qui ne l'est pas, c'est de prendre des risques aussi importants sans que le déposant le sache !

On peut parfaitement conserver l'activité de banque d'investissement pour compte propre et l'activité de banque de dépôt à condition de prévenir le déposant. Il faut que la clarté règne. Je suis favorable à une séparation plus nette, mais si l'on ne veut pas aller jusque-là, je plaide au moins pour la transparence vis-à-vis du client !

M. François Pillet, président. - Pourquoi une banque a-t-elle des filiales dans un paradis fiscal ? Quel en est l'intérêt ?

M. Bernard Esambert. - Cela lui procure des revenus très importants. Prenez l'exemple de la Société générale. Tout le monde savait il y a quelques années que celle-ci était observée attentivement par la BNP, qui voulait l'absorber par une offre publique d'achat (OPA).

Le réflexe de l'équipe dirigeante -on ne peut le lui reprocher - a été d'augmenter la capitalisation boursière de la banque, afin que sa valeur devienne telle qu'elle ne puisse plus faire l'objet d'une OPA de la BNP. Il a fallu pour cela qu'elle double ou triple instantanément ses résultats. Comment y parvenir en deux ans ? Ce n'est pas en ouvrant des comptes de dépôt qu'on peut y parvenir ! C'est coûteux et ce n'est pas d'un rapport financier extraordinaire... La seule façon de gagner beaucoup d'argent en deux ou trois ans, c'est de se lancer sur les marchés financiers. C'est ce qu'a fait la Société générale. Elle a en effet doublé son résultat, mais elle en a subi les conséquences. Dans de tels cas, une affaire Kerviel intervient de temps en temps. Elle n'a toutefois consommé qu'une année de résultats, sans mettre complètement à mort la Société générale.

Pour en revenir à la séparation complète des activités pour compte propre des activités pour compte de tiers, je suggère que l'on surveille de très près les filiales en faisant en sorte qu'une perte importante ne condamne pas le résultat de la maison mère, et que tous les clients soient informés des risques que la banque envisage de prendre ou a déjà pris. Ceci devrait être communiqué sous forme de plaquette, à chaque ouverture de compte.

M. Yvon Collin. - Quel est le statut de la Compagnie financière Edmond de Rothschild ? Avait-elle des filiales dans les paradis fiscaux ?

M. Bernard Esambert. - La Compagnie financière Edmond de Rothschild est une banque de dépôt, ayant comme activité la gestion de patrimoine et la gestion de trésorerie pour le compte des entreprises. J'avais inventé un produit consistant à permettre aux trésoriers de connaître le « float » des chèques émis mais non encore perçus, et de gérer ainsi leurs trésoreries avec une très grande finesse. C'est grâce à ce produit que nous avons ouvert les comptes de toutes les grandes entreprises françaises. Nous ne leur faisions pas crédit, n'en ayant pas les moyens, mais nous leur offrions ce service, que nous étions les seuls à proposer. Seule une banque américaine faisait de même. Trois ans plus tard, les banques françaises ont bien évidemment mis le même produit en place.

La Compagnie financière Edmond de Rothschild accompagnait également ses clients en leur offrant des crédits export. Nous avons ainsi réalisé tout le montage des deux premières centrales nucléaires de Daya Bay, en Chine, vendues par Framatome, en réussissant à passer entre les mailles du filet du client chinois et du fournisseur français.

Nous avions par ailleurs créé un produit d'observation des hautes technologies américaines pour le compte de grandes sociétés françaises.

Tous ces produits accompagnaient la vie de l'entreprise dans sa mondialisation, à l'exportation, pour l'implantation à l'étranger, dans le rachat de sociétés un peu partout dans le monde, mais nous ne faisions pas de comptes offshores. Je n'en ai jamais ouvert un. Je ne savais pas ce que c'était...

M. Francis Delattre. - Daya Bay a été financée par une joint-venture, la moitié de l'électricité allant à Hong Kong, l'autre à Canton...

M. Bernard Esambert. - Il y avait également des banques de Hong Kong dans l'affaire, mais la directrice des opérations chinoises de la Compagnie financière Edmond de Rothschild était la descendante du directeur de cabinet de Sun Yat-sen. Même sous le régime communiste, elle avait droit au tapis rouge quand elle allait en Chine ! Grâce à elle, nous avons bénéficié d'informations. Nous avons fait notre métier vis-à-vis des Chinois, et c'est ainsi que Framatome a emporté ce marché.

M. Francis Delattre. - A l'époque, l'Assemblée nationale a dû envoyer un représentant de chaque parti à Hong Kong signer la joint venture, à la demande des Chinois, qui ne comprenaient rien à notre démocratie ! J'ai fait partie de cette aventure...

M. Bernard Esambert. - Je rentre de Chine, où plusieurs groupes, ainsi que les autorités chinoises, m'ont demandé de venir haranguer deux mille cadres pour leur expliquer la politique industrielle gaullo-pompidolienne, notamment en souvenir de l'opération de Daya Bay !

M. Michel Bécot. - Vous avez évoqué les pertes importantes des banques ayant acheté des produits grecs. N'existait-il pas un moyen de l'éviter, en donnant la possibilité à la Grèce -ou à l'Espagne- d'étaler leur dette d'Etat sur quarante ou cinquante ans, sans obliger une banque comme le Crédit agricole ou autres à subir une perte sèche ?

N'est-on pas allé trop vite -ou trop loin ? On étrangle la population grecque et on est en train de s'étrangler nous-mêmes ! Quel est votre sentiment ?

M. Bernard Esambert. - Je ne puis répondre avec précision, ne connaissant pas les modalités de l'endettement grec, ni sa durée. Je crois que celle-ci était déjà très longue. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles on n'a pu aller plus loin... Je pense qu'il fallait, pour aider la Grèce, en venir à un système par lequel une partie de la dette était abandonnée. Allonger le remboursement aurait donné un peu d'oxygène, mais en annuler un bon tiers a donné à ce pays un ballon d'oxygène bien plus important.

M. François Pillet, président. - Les États-Unis mettent en avant leur rôle majeur dans la lutte contre l'évasion fiscale. Or, il existe des Etats comme le Delaware et le Wisconsin... Par ailleurs, la crise des subprimes a pris naissance dans l'ingénierie de la puissance financière américaine, et les États-Unis ne taxent pas les plus-values réalisées dans certains paradis fiscaux, les favorisant ainsi indirectement. Comment analysez-vous l'action financière des États-Unis ? Quelles sont les ambitions réelles de ce pays donneur de leçons ?

M. Bernard Esambert. - Je suis embarrassé pour vous répondre... Les Américains, comme toujours, font à la fois preuve de réalisme et d'idéalisme. Leur politique est gouvernée par un mélange des deux -peut-être encore davantage sous la présidence de M. Obama qu'auparavant, où le réalisme dominait j'imagine davantage...

En ce moment, leur politique est claire : elle vise à faire rentrer fiscalement un certain nombre de montants importants, dont les États-Unis connaissent le chiffre, ayant des moyens d'investigation supérieurs aux nôtres en ce domaine. Cela leur fait miroiter des horizons budgétaires glorieux. Dans ces cas-là, on sait que, lorsque l'Amérique déclenche un mouvement, elle le fait avec grande vigueur !

M. François Pillet, président. - Ils ont tout de même leurs paradis fiscaux !

M. Bernard Esambert. - Cela permet une conjonction extraordinairement favorable pour moraliser quelque peu le paysage de l'offshore, au moins trois grands pays -États-Unis, Grande-Bretagne et France - étant d'accord pour aller de l'avant et faire pression sur la Suisse et autres pays. Je me réjouis de l'attitude américaine, mais je suis plus étonné de celle des Britanniques. M. Cameron agit dans le même sens, ce à quoi je ne m'attendais pas du tout ! Je n'ai pas d'explications à la nouvelle tendance vertueuse des gouvernants britanniques. Tant mieux ! Ils y trouvent sûrement leur intérêt, ayant certainement des problèmes de déficits budgétaires importants !

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