N° 146

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur le financement pérenne des allocations sociales de solidarité ,

Par Mme Jacqueline GOURAULT,

Sénatrice.

(1) La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation est composée de : Mme Jacqueline Gourault, présidente ; MM. Claude Belot, Christian Favier, Yves Krattinger, Antoine Lefèvre, Hervé Maurey, Jean-Claude Peyronnet, Rémy Pointereau et Mme Patricia Schillinger, vice-présidents ; MM. Philippe Dallier et Claude Haut, secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Yannick Botrel, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. François-Noël Buffet, Raymond Couderc, Jean-Patrick Courtois, Michel Delebarre, Éric Doligé, Jean-Luc Fichet, François Grosdidier, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Georges Labazée, Joël Labbé, Gérard Le Cam, Jean Louis Masson, Stéphane Mazars, Rachel Mazuir, Jacques Mézard, Mme Renée Nicoux, MM. André Reichardt, Bruno Retailleau, Ala in Richard et Jean-Pierre Vial.

Mesdames, Messieurs,

Les coûts incombant aux conseils généraux du fait du transfert par l'Etat des trois allocations personnelles de solidarité que sont, par ordre d'importance financière décroissante : le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), et la prestation de compensation du handicap (PCH), n'ont cessé de croître. Dans le même temps, les ressources dégagées par l'Etat pour compenser ces dépenses sont loin d'avoir suivi cette évolution, entraînant un « effet de ciseaux » dénoncé avec une vigueur croissante par les exécutifs départementaux.

Cette compensation, en constante régression, suscite des difficultés de gestion pour les conseils généraux, amenés à puiser dans d'autres lignes budgétaires pour financer ces allocations, dont l'augmentation découle, en large partie, de décisions prises par l'Etat, et qui donc leur échappent.

À la suite d'une entrevue entre le Président de la République, le Premier ministre et une délégation de l'Association des départements de France (ADF), une déclaration commune Etat-départements a été rendue publique le 22 octobre 2012 au Palais de l'Elysée. Ce texte récapitulait « Dix engagements pour la croissance, l'emploi et la solidarité dans les territoires », dont le premier point évoquait « le soutien aux publics les plus fragiles [qui] est au coeur de la vocation des départements » et reconnaissait que « depuis une décennie, les conseils généraux font face à un déséquilibre croissant entre les recettes dont ils bénéficient pour financer les trois allocations individuelles de solidarité qu'ils versent au titre d'une mission de solidarité nationale et le coût réel de ces prestations. Pour faire face à cette situation, ils ont dû mobiliser largement leurs propres ressources ».

Ce constat conduisait à l'engagement suivant, placé en tête des dix points énumérés :

« L'Etat s'engage à créer les conditions de mise en place, à compter de 2014, de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face, dans un cadre maîtrisé, au financement des trois allocations individuelles de solidarité dont la loi leur confie la charge.

Sous l'autorité du Premier ministre, et en concertation avec le président de l'Assemblée des départements de France, un groupe de travail sera installé avant la fin de l'année 2012 pour étudier les moyens d'assurer ce financement ».

Le groupe de travail évoqué 1 ( * ) a été installé par le Premier ministre le 28 janvier 2013, pour analyser, sur la base d'un diagnostic de la situation des trois allocations, « les solutions possibles quant aux modalités de financement futures ». Le communiqué de presse publié à cette occasion précise que « l'Etat a confié aux départements la charge de financer les prestations sociales en 2002 pour l'APA, 2004 pour le RMI (transformé en RSA « socle » en 2008) et en 2006 pour la PCH. Pour couvrir ces charges, le transfert de compétences a été accompagné d'une compensation financière qui, au fil des années, n'a plus suffi aux conseils généraux pour faire face au déséquilibre croissant entre les recettes et le coût réel de ces prestations ».

Le groupe de travail a abouti, le 16 juillet 2013, à un accord qui doit permettre aux conseils généraux de bénéficier de ressources nouvelles pour financer ces allocations de solidarité.

Le Gouvernement s'est ainsi engagé à leur transférer chaque année le montant des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), prélevés jusqu'alors par le ministère des Finances pour rémunérer son rôle de collecte de cette taxe. Relevons que le MINEFI garantit également le versement de l'intégralité de la taxe foncière, en se substituant si nécessaire aux contribuables défaillants.

Ces frais de gestion, évalués à 827 millions d'euros en 2013, ont l'intérêt de représenter une ressource dynamique, amenée à croître.

Les départements sont également autorisés à relever, en 2014 et 2015, le plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 3,8 % à 4,5 %.

I. BREF HISTORIQUE DES TROIS ALLOCATIONS PERSONNELLES DE SOLIDARITÉ

A. DU REVENU MINIMUM D'INSERTION (RMI) AU REVENU DE SOLIDARITÉ ACTIVE (RSA)

1. Le RMI

Instauré par la loi du 1 er décembre 1988, le revenu minimum d'insertion, dont la compétence a été transférée en 2004 aux conseils généraux, confortés ainsi dans leur rôle de garant de la solidarité de proximité, s'est révélé être d'un coût supérieur aux prévisions.

Les dépenses consacrées à la gestion et au versement du RMI ont été estimées, au 31 décembre 2003, à 4,9 milliards d'euros , par les services de l'Etat. En conséquence, l'Etat a compensé cette charge , conformément à la Constitution, par l'attribution aux départements d'une nouvelle recette fiscale, une fraction de la Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), d'un montant équivalent.

Cependant, un décalage est apparu dès 2004 entre les dépenses effectives des départements et le montant de la compensation, et s'est progressivement accru.

Les allocataires du RMI sont ainsi passés de 1,1 million en mars 2003, à 1,25 million en mars 2007, pour revenir à 1,12 million fin 2008, et l'aide apportée par les départements est devenue leur principal poste de dépense. De 5,43 milliards d'euros en 2004, il a crû à 6,25 milliards en 2008, soit une augmentation de 15% en euros constants.

L'Etat a accompagné cette progression en complétant la compensation initiale de 4,9 milliards d'euros. Pour 2004, il a attribué aux départements une somme de 457 millions d'euros destinée à couvrir l'ensemble de leurs dépenses supplémentaires.

La création, en 2006, du Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI) prolonge le versement de 500 millions d'euros effectué en 2005. Ce dispositif est reconduit ultérieurement : au total 2,5 milliards d'euros ont été versés de 2005 à 2009 par l'Etat, pour compléter la compensation initiale par la TIPP, qui s'est révélée insuffisante.

Ce déséquilibre a été analysé en 2007 dans un rapport de notre collègue Michel Mercier intitulé : « Financement du RMI : sortir de l'impasse par une plus grande responsabilité sur les dépenses », rédigé au nom de l'Observatoire de la décentralisation 2 ( * ) .

Son introduction en présente clairement les termes :

« Le présent rapport [...] a pour but de suivre la départementalisation du RMI, exclusivement sous l'aspect de son financement.

Votre rapporteur tient préalablement à rappeler :

- qu'il ne s'agit pas de juger le RMI, son régime, ses conséquences sociales ;

- ni de mettre en cause sa décentralisation, qui est une bonne politique, gage d'efficacité et de proximité.

Le problème posé par le financement du RMI n'a pas fondamentalement évolué depuis 2004. Le RMI est une dépense de fonctionnement obligatoire des départements. En application des principes budgétaires applicables aux collectivités locales, elle doit être financée par une recette permanente d'un montant sensiblement égal. La situation actuelle de déséquilibre ne peut perdurer.

Or les conditions de ce déséquilibre sont aujourd'hui maintenues.

Les départements doivent gérer une dépense dont les principes sont déterminés centralement par la loi et le règlement. Ils n'ont quasiment pas de marge de manoeuvre. Cette dépense d'assistance sociale a tendance à progresser avec les difficultés économiques.

Pour y faire face, la recette choisie, une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), a vocation à durablement diminuer du fait d'une politique environnementale cherchant à réduire la consommation d'hydrocarbures. En outre, cette recette, dénuée de lien logique avec la dépense à financer, a tendance à se comporter de façon inverse à celle-ci : lorsque la conjoncture est maussade, la dépense de RMI augmente, la recette de TIPP diminue.

Il n'est pas utile de polémiquer davantage sur la compensation de la compétence transférée : le Gouvernement a respecté, et même au-delà, ses obligations constitutionnelles. Mais il y a la lettre de la loi, et il y a aussi son esprit. L'esprit de la décentralisation est de permettre aux collectivités de gérer librement les compétences qui leur sont confiées, et de disposer d'un financement suffisant. C'est l'enjeu pour le RMI aussi : donner des marges de manoeuvre pour maîtriser la dépense, et adapter la recette. »

2. Le RSA

Le revenu de solidarité active (RSA) a été instauré, à titre expérimental, par la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (loi TEPA).

La loi de finance pour 2007 a offert aux départements la faculté d'expérimenter un dispositif d'incitation financière au retour à l'emploi auprès des allocataires du RMI.

L'expérimentation a été menée dans des zones ciblées de 34 départements , selon des modalités définies par les conseils généraux, et variables d'un département à l'autre. Elle a bénéficié d'un cofinancement paritaire des départements et de l'Etat , qui y a affecté 30 millions d'euros pour l'année 2008.

La loi du 1 er décembre 2008 instaurant le RSA précise que l'ensemble des décisions individuelles (attribution, suspension, radiation) touchant les ayants-droit, ainsi que le versement du RSA « socle », destiné à un foyer sans revenu d'activité, sont à la charge des départements, qui poursuivent la tâche qui leur avait été confiée lors de la création du RMI. Initialement, la charge financière liée au RSA « socle » semblait inférieure à celle découlant du RM I 3 ( * ) .

L'article 18 de la loi prévoyait que le Gouvernement devait, dans un délai de trois ans à compter de sa publication, réunir une conférence nationale associant des représentants des collectivités territoriales , des organisations syndicales de salariés et d'employeurs, des associations de lutte contre l'exclusion, et des représentants des bénéficiaires du RSA. Elle devait évaluer la performance du nouveau dispositif en matière de lutte contre la pauvreté, et établir un bilan financier des coûts induits par cette prestation.

Cette conférence n'a pas été organisée. Elle aurait sans doute permis d'attirer l'attention sur la divergence croissante entre les dépenses induites pour les conseils généraux par le RSA et les compensations allouées par l'Etat.

Les tableaux qui suivent récapitulent l'évolution du nombre d'allocataires du RSA de 2008 à 2012, ainsi que les dépenses induites pour les départements et les compensations apportées par l'Etat.


• Nombre d'allocataires :

RMI/RSA « socle » seul

2008

1 148 052

2009

1 131 534

2010

1 168 174

2011

1 359 291

2012

1 435 740

Source : CNSA, CNAF, DREES, DGCL


• Dépenses allocations :

RMI/RSA

2008

5 974 575 000

2009

6 503 861 000

2010

7 355 024 000

2011

7 772 365 000

2012

8 126 732 863

Source : CNSA, DGCL


• Compensations :

RMI/RSA

2008

5 441 824 000

2009

5 803 007 000

2010

6 202 998 000

2011

6 343 071 000

2012

6 343 071 000

Source : CNSA, DGCL (y compris FMDI pour le RSA)


• Source des compensations :

TICPE 4 ( * )

FMDI

2008

4 941 824 000

500 000 000

2009

5 303 007 000

500 000 000

2010

5 702 998 000

500 000 000

2011

5 843 071 000

500 000 000

2012

5 843 071 000

500 000 000

Source : DGCL (y compris FMDI pour le RSA)


* 1 Composition en annexe 1.

* 2 Rapport d'information n°206, 2006-2007.

* 3 Rapport pour avis de M. Éric Doligé, au nom de la commission des Finances, sur le projet de loi généralisant le RSA (n° 32, 2008-2009).

* 4 Taxe intérieure sur les produits énergétiques (a remplacé la TIPP au 1 er janvier 2013).

Page mise à jour le

Partager cette page