DU FINANCEMENT D'UN SERVICE PUBLIC À UNE FISCALITÉ COMPORTEMENTALE

I. LE CHOIX DU MODE DE FINANCEMENT DU SERVICE

Il existe trois modes de financement du service public de gestion des déchets :

- le recours au budget général ;

- la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ;

- la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM).

En 2012, seules 3 % des communes (regroupant 3 % de la population) finançaient le service public de gestion des déchets grâce au budget général 6 ( * ) .

A. LA TEOM : UNE TAXE ADDITIONNELLE À LA TAXE FONCIÈRE, ASSISE SUR LES VALEURS LOCATIVES

1. Un impôt visant d'abord à financer le service public d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères

L'article 1520 du code général des impôts (CGI) prévoit que les communes assurant au moins la collecte des déchets ménagers peuvent instituer une TEOM, « destinée à pourvoir aux dépenses du service dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal ».

Néanmoins, si la commune a conservé la seule compétence « collecte » et a transféré celle relative à l'élimination des ordures ménagères à un établissement de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, elle peut reverser une partie du produit de la TEOM à l'EPCI (après délibérations concordantes).

Il convient de noter que, s'agissant des métropoles et des communautés urbaines (CU), la TEOM relève nécessairement du niveau intercommunal. C'est également le cas des communautés de communes (CC), des communautés d'agglomération (CA) et des syndicats d'agglomération nouvelle (SAN) exerçant la compétence « collecte et traitement des ordures ménagères » et qui assurent au moins la collecte 7 ( * ) .

Chaque année, la collectivité ou l'EPCI détermine le produit de TEOM attendu, qui est transmis aux services fiscaux afin de calculer le taux d'imposition correspondant.

L'article 1521 du CGI dispose enfin que sont assujetties à la TEOM les propriétés soumises à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ; la TEOM est assise sur 50 % de la valeur locative cadastrale, comme la TFPB dont elle est une taxe additionnelle.

La TEOM est donc un impôt dû par le contribuable - contrairement à une redevance, versée par un usager en fonction du service rendu.

Ses partisans considèrent souvent que la TEOM permet de financer un service public d'hygiène et de santé publique et qu'à ce titre, il ne convient pas de concevoir ce service dans une logique de prestations individualisées.

2. Un système souple permettant une utilisation pragmatique

Le principe d'un impôt dû par le contribuable, quel que soit son utilisation du service, souffre néanmoins plusieurs exceptions, qui offrent aux collectivités une souplesse appréciée pour adapter le dispositif en fonction de la situation locale.

Selon l'article 1521 du CGI, d'une part, sauf délibération contraire, les locaux situés dans une zone où le service d'enlèvement des ordures ménagères ne fonctionne pas sont exonérés de TEOM et, d'autre part, les collectivités territoriales peuvent exonérer de TEOM les immeubles « munis d'un appareil d'incinération d'ordures ménagères ».

En outre, l'article 1636 B undecies du CGI permet aux communes ou EPCI compétents de définir des zonages de TEOM : ils peuvent en effet définir « des zones de perception (...) sur lesquelles ils votent des taux différents en vue de proportionner le montant de la taxe à l'importance du service rendu apprécié en fonction des conditions de réalisation du service et de son coût ».

Cette faculté est principalement utilisée dans des EPCI constitués à la fois d'un centre urbain très dense nécessitant des collectes fréquentes et porte à porte et d'une zone rurale moins dense.

Les conséquences des exonérations de TFPB sur la TEOM

L'exonération de TFPB bénéficiant aux personnes âgées aux revenus modestes (articles 1390, 1391 et 1391 A du CGI), compensée par l'État, n'affecte pas l'assiette de la TEOM : les personnes concernées sont redevables de la TEOM.

Cependant, des exonérations de TEOM sont prévues : les usines et les bâtiments publics affectés à un service public ou d'intérêt général sont exonérés ; les locaux à usage industriel et commercial d'une part et les locaux situés dans une partie de la commune où le service d'enlèvement des ordures ménagères ne fonctionne pas d'autre part, peuvent également être exonérés. Enfin, il est également possible d'accorder une réduction ou une exonération de TEOM pour les « immeubles munis d'un appareil d'incinération d'ordures ménagères ».

Mais les exonérations de TEOM, qu'elles soient de droit ou facultatives, ne sont pas compensées par l'État .

Enfin, il faut noter que des modalités particulières (lissage dans le temps et zonage) ont été prévues afin que la TEOM ne constitue pas un frein au développement de l'intercommunalité.

Ainsi, pendant dix ans au maximum, un EPCI ayant institué la TEOM peut voter des taux différents sur son territoire ; il ne s'agit pas de tenir compte d'une différence de service, mais « de limiter les hausses de cotisations liées à l'harmonisation du mode de financement. Cette dérogation peut également être mise en oeuvre en cas de rattachement d'une ou plusieurs communes » (article 1636 B undecies du CGI).

Grâce à ces souplesses, la TEOM s'avère particulièrement adaptée, en particulier pour les EPCI. Selon l'ADEME, la REOM disparaîtrait à mesure que l'intercommunalité se développe.

3. Des critiques qui ne ternissent pas l'attrait de la TEOM
a) Une absence de visée incitative résultant de la construction initiale de la TEOM et de ses objectifs

Dans sa version initiale, la TEOM ne vise donc aucunement à inciter à la réduction de la quantité de déchets produits ; au sein d'une même commune, le montant de TEOM acquitté par le contribuable ne varie pas en fonction de la quantité de déchets produits. En effet, la TEOM a d'abord été conçue comme un moyen destiné uniquement à procurer des ressources aux collectivités, afin notamment de financer le service public de traitement et de collecte des ordures ménagères.

L'absence de visée incitative a justifié la mise en place, pour les communes et EPCI qui le souhaitent, d'une part incitative à la TEOM (cf. infra ) .

b) Une taxe assise sur des bases obsolètes et injustes, comme d'autres impôts locaux

La TEOM étant une taxe additionnelle à la TFPB, elle est assise sur les valeurs locatives cadastrales, considérées comme obsolètes - en raison de l'absence de révision générale depuis 1971 - et injustes.

Cependant, cette critique n'est pas propre à la TEOM et concerne également la taxe d'habitation (TH) ou la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).

Elle devrait d'ailleurs s'éteindre grâce à la révision des valeurs locatives. Cette réforme d'ampleur est en cours, s'agissant des locaux professionnels et en préparation pour ce qui concerne les locaux d'habitation - la loi de finances rectificative pour 2013 8 ( * ) a en effet prévu une expérimentation de la révision dans plusieurs départements en 2014 et 2015.

Par ailleurs, la TEOM étant assise sur la taxe foncière, aucune exonération ni aucun abattement en fonction du revenu ou des charges de famille n'est possible. La TEOM peut alors être considérée comme injuste, en particulier pour des personnes seules habitant de grands logements.

Cependant, il est fréquent que la valeur locative d'un logement soit corrélée au niveau de revenu de son occupant : dans ce cas, la TEOM prendrait en compte - certes, indirectement - le revenu du ménage.

De plus, l'article 1522 du CGI prévoit que les communes et EPCI ont la possibilité de plafonner les valeurs locatives 9 ( * ) afin d'éviter que des personnes seules - et productrices d'une quantité faible de déchets - mais habitant dans un logement grand ne doivent acquitter un montant de TEOM très élevé.

Un rapport 10 ( * ) a été remis au Parlement en 2011 sur l'opportunité d'asseoir la TEOM sur la taxe d'habitation plutôt que sur la taxe foncière. Il met en évidence le fait qu'une TEOM assise sur la taxe d'habitation permettrait une facturation directe du service aux occupants (c'est-à-dire aux producteurs de déchets) et de tenir compte de la taille de la famille (grâce aux abattements). Mais le nombre d'assujettis à la taxe d'habitation serait inférieur à celui de la TFPB. En effet, seuls les ménages - et non les entreprises - sont assujettis à la taxe d'habitation ; en outre, les ménages exonérés de taxe d'habitation (environ 5 millions de ménages) seraient également exonérés de TEOM.

Aussi, « si elle peut apporter, pour les collectivités locales, les mêmes avantages que la TEOM actuelle (...), ce sera au prix d'un important transfert de charges entre d'une part les ménages et les artisans/commerçants/professions libérales d'une part, et entre les ménages au revenu modeste et les autres ménages d'autre part ».

En définitive, vos rapporteurs spéciaux considèrent que la possibilité de plafonner les valeurs locatives permet aux collectivités qui le souhaitent d'éviter les injustices excessives ; leur prochaine révision générale devrait rétablir une certaine équité dans les bases d'imposition.

c) Des frais de gestion importants correspondant à une assurance contre les risques d'impayés

L'État établit et recouvre la TEOM, comme les autres impôts directs locaux. Aussi, selon l'article 1641 du CGI, il perçoit des frais de gestion, composés d'une part des frais de dégrèvement et de non-valeurs et d'autre part des frais d'assiette et de recouvrement qui s'élèvent respectivement, s'agissant de la TEOM, à 4,4 % et 3,6 %, soit 8 % du produit total.

À titre de comparaison, les frais de gestion relatifs à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) s'établissent à 1 % du produit, à 3 % s'agissant de la cotisation foncière des entreprises (CFE), à 1 % pour la taxe d'habitation perçue sur les résidences principales et à 3 % pour les résidences secondaires.

Les frais de gestion perçus par l'État au titre de la TEOM sont donc particulièrement élevés. En contrepartie, la collectivité est assurée de percevoir l'intégralité du produit voté .

Aussi, selon l'Association des maires de France (AMF), ce prélèvement correspond à l'assurance, pour les collectivités, de percevoir l'intégralité du montant voté par l'assemblée délibérante , alors que le taux d'impayés est estimé entre 1 % et 2 %.

d) Un dispositif partiellement mis en oeuvre : l'insuffisante institution de la redevance spéciale et la prise en charge des déchets assimilés par les assujettis à la TEOM

Certaines collectivités territoriales ayant institué la TEOM assurent la collecte et le traitement de déchets non ménagers, appelés « déchets assimilés » (déchets d'origine tertiaire ou artisanale) « qui, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, peuvent être collectés et traités sans sujétions techniques particulières ». Dans ce cas, les collectivités territoriales doivent mettre en place une redevance spéciale due par les producteurs de tels déchets, qui peut alors s'ajouter à la TEOM (sauf exonération facultative décidée par la collectivité territoriale).

La redevance spéciale est en effet considérée comme un complément de financement du service de traitement et de collecte des déchets et elle permet une participation au financement du service par des producteurs de déchets n'ayant pas de foncier bâti.

Cette redevance, dont les modalités sont fixées à l'article L. 2333-78 du CGCT, pourtant obligatoire depuis le 1 er janvier 1993, n'a été que rarement instituée par les collectivités territoriales (12 % des collectivités selon un rapport de la Cour des comptes de 2011 11 ( * ) ). Par conséquent, l'élimination des déchets non ménagers est souvent supportée par l'ensemble des contribuables assujettis à la TEOM (ménages et entreprises).

Cette réticence des collectivités territoriales résulte des difficultés, notamment pratiques, propres à toute redevance : établir une grille tarifaire prenant en compte le service rendu, identifier les producteurs et contrôler la quantité de déchets présentée à chaque collecte, assurer le recouvrement et le suivi des impayés.

En 2012, les communes et leurs groupements percevaient au total 148 millions d'euros au titre de la redevance spéciale - à comparer au montant de 6,088 milliards d'euros perçus au titre de la TEOM.

Néanmoins, le produit de la redevance spéciale a beaucoup augmenté depuis 2002 (deux fois plus vite que la TEOM), notamment au profit des EPCI. Selon l'Association des communautés de France (AdCF), la redevance spéciale permettant de procurer des recettes non négligeables aux EPCI, ceux-ci, lors du transfert de compétence, auraient de plus en plus tendance à l'instaurer ou à la généraliser sur leur territoire.

Source : commission des finances du Sénat à partir des données de la DGFiP

e) Une information peu transparente

L'association de consommateurs « UFC-Que choisir » s'est prononcée 12 ( * ) en faveur de l'instauration d'un budget annexe pour la TEOM, afin de faciliter l'accès à l'information relative au coût de collecte et de traitement des déchets ménagers.

Cependant, des règles strictes encadrent les budgets annexes, qui doivent notamment être équilibrés en recettes et en dépenses.

Or, dans les plus grandes agglomérations notamment, une part du produit de TEOM peut être reversée au budget général et financer des politiques publiques distinctes de la collecte et du traitement des ordures ménagères ; au contraire, dans d'autres collectivités, les recettes perçues au titre de la TEOM sont insuffisantes pour couvrir l'ensemble des coûts résultant de ce service, qui est donc en partie financé par le budget général.

Par conséquent, les collectivités qui le souhaitent peuvent mettre en place un budget annexe pour assurer la transparence des coûts du service d'enlèvement des ordures ménagères, mais cette décision doit demeurer un choix et non une obligation.

Il faut par ailleurs souligner que, depuis la loi de finances rectificative pour 2004 13 ( * ) et en raison d'un amendement adopté par le Sénat, l'article L. 2313-1 du CGCT prévoit que les communes et leurs groupements de plus de 10 000 habitants retracent « dans un état spécial annexé aux documents budgétaires », d'une part, le produit de la TEOM et, d'autre part, « les dépenses, directes et indirectes, afférentes à l'exercice de la compétence susmentionnée ».

La restriction aux seules communes et intercommunalités les plus peuplées se justifie par la nécessité, pour les collectivités, de se doter d'outils de comptabilité analytique permettant de déterminer le coût complet du service. Cette information gagnerait cependant à être harmonisée - afin notamment de permettre des comparaisons entre collectivités - grâce aux outils de comptabilité analytique développés par l'ADEME .

Enfin, l'article L. 2224-5 du CGCT prévoit que le maire ou le président de l'EPCI présente chaque année un rapport sur le prix et la qualité du service public de collecte et de traitement des ordures ménagères.

Par conséquent, vos rapporteurs spéciaux considèrent que les outils existants sont suffisants et qu'il n'est pas souhaitable d'alourdir les contraintes pesant sur les collectivités.


* 6 Rapport de l'Observatoire des finances locales, les finances des collectivités locales en 2013.

* 7 Article 1379-0 du code général des impôts.

* 8 Article 74 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013.

* 9 Dans la limite d'un montant qui ne peut être inférieur à deux fois le montant de la valeur locative communale des locaux d'habitation.

* 10 Rapport au Parlement « Opportunité d'asseoir la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur la taxe d'habitation », en application de l'article 43 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

* 11 Rapport public thématique de la Cour des comptes, Les collectivités locales et la gestion des déchets ménagers et assimilés, septembre 2011.

* 12 Analyse de la gestion des ordures ménagères par les collectivités, UFC-Que Choisir, octobre 2011.

* 13 Article 64 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004.

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