II. CONFORTER LE FINANCEMENT DE LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE, DE LA RADIOPROTECTION ET DE LA TRANSPARENCE

Le contexte actuel paraît, par conséquent, appeler une rénovation du financement du contrôle et de la sûreté nucléaire ainsi que de la radioprotection et de la transparence , qui doit être menée sur la base de trois principes : l'indépendance du contrôle, la rationalisation du financement et la transparence démocratique.

Tout d'abord, votre rapporteur spécial estime que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) devrait bénéficier d' un financement mixte, composé de dotations budgétaires 55 ( * ) et d'une taxe affectée, acquittée par les exploitants des installations nucléaires .

Il apparaît, en effet, que les budgets de nombreuses autorités en Europe sont abondés, partiellement ou en totalité, par des taxes ou des redevances supportées par les exploitants . Ainsi, sont financés exclusivement par des taxes les autorités belge - l'Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) - et espagnole - le Conseil de sécurité nucléaire (CSN) ; l'agence britannique - l'Office for Nuclear Regulation (ONR) - tire, quant à elle, 98 % de ses ressources de taxes, la part restante de ses ressources étant fournie par l'État. L'Inspection fédérale de sécurité nucléaire (IFSN) suisse reçoit une redevance des opérateurs et l'Autorité suédoise de sûreté radiologique (SSM) perçoit une dotation de l'État qui repose sur les redevances payées par chaque exploitant à ce dernier.

Ainsi, le financement de l'ASN par une taxe acquittée par les exploitants ne ferait pas figure d'exception en Europe ; pour autant, votre rapporteur spécial estime que tout retour à la situation antérieure, au cours de laquelle la sûreté nucléaire française était financée par des redevances payées par les opérateurs (cf. supra ), devrait être exclu , afin de préserver l'indépendance de l'Autorité, voire d'éviter que celle-ci ne puisse être mise en doute.

La mise à la charge des exploitants de cette nouvelle contribution semble se justifier, au-delà des fortes contraintes budgétaires qui s'imposent aujourd'hui à l'État, par le fait que les choix effectués par ces derniers
- comme, par exemple, l'allongement de la durée de fonctionnement des réacteurs - expliquent une large part de l'intensification des activités de l'ASN et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). En outre, il convient de rappeler que les entreprises exploitant commercialement des installations nucléaires - soit EDF et Areva - bénéficieraient d'un renforcement du dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection , qui leur éviterait d'être confrontées aux coûts substantiels susceptibles de résulter d'un engorgement de l'Autorité de sûreté nucléaire. À ce titre, il a été indiqué à votre rapporteur spécial que l'arrêt d'un réacteur nucléaire représentait un coût de 1,2 million d'euros par jour pour EDF .

Quelle forme prendrait cette taxe nouvelle ? Votre rapporteur spécial estime que celle-ci, qui pourrait être dénommée contribution de sûreté et de transparence nucléaires (CSTN), devrait être conçue sur le modèle de la contribution additionnelle due par les exploitations des installations nucléaires de base perçue par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) (cf. supra ). Le montant de la contribution serait déterminé, pour chaque catégorie d'installation - réacteurs nucléaires de production d'énergie, usines de traitement de combustibles irradiés, etc. -, par application d'un coefficient multiplicateur à une somme forfaitaire. De cette manière, la contribution pourrait être modulée selon les installations concernées, permettant d'éviter d'accroître les charges des organismes de recherche financés à l'aide de crédits budgétaires, à l'instar du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA). Toutefois, à la différence notable de la contribution dont bénéficie l'IRSN, les coefficients appliqués dans le cadre de la CSTN seraient fixés par le Parlement , et non pas par arrêté ministériel. De cette manière, le Parlement retrouverait une marge de manoeuvre dans le pilotage des ressources dédiées à la sûreté nucléaire et à la radioprotection dont le prive en grande partie l'article 40 de la Constitution lorsqu'il s'agit de crédits budgétaires.

Pour autant, votre rapporteur spécial a parfaitement conscience des limites inhérentes à l'affectation de ressources fiscales , qui a fait l'objet d'une analyse approfondie par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans un rapport de juillet 2013 portant sur la fiscalité affectée 56 ( * ) . Aussi souhaite-t-il que le dispositif dont il propose la création évite les écueils identifiés par le rapport précité.

À ce titre, de manière à éviter une augmentation non contrôlée de la dépense publique en raison d'un « pilotage par les recettes », il serait opportun de plafonner le produit de la contribution affecté à l'ASN, l'excédent devant être reversé au budget général de l'État , suivant le mécanisme prévu par l'article 46 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 57 ( * ) .

Ainsi, dans un contexte budgétaire très contraint, la CSTN pourrait doter l'ASN de moyens supplémentaires pérennes qui lui permettraient de conforter son dispositif de contrôle, pour mieux répondre aux besoins engendrés par les grands enjeux susmentionnés.

Recommandation n° 2 : Assurer un financement pérenne de la sûreté nucléaire par la création d'une contribution de sûreté et de transparence nucléaires (CSTN) perçue par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et acquittée par les exploitants d'installations nucléaires, dont le produit est plafonné et l'excédent reversé au budget général de l'État.

Toutefois, il convient de préciser selon quelles modalités la contribution de sûreté et de transparence nucléaire serait « fléchée » vers les activités de l'ASN. Deux solutions paraissent, a priori , envisageables : la création d'un compte d'affectation spéciale (CAS) à cet effet ou l' affectation directe de la contribution à l'Autorité .

Si ces deux solutions auraient leur pertinence, une affectation directe à l'ASN serait de nature à conforter son indépendance . Néanmoins, pour qu'une telle opération soit juridiquement possible, il serait nécessaire de doter l'Autorité de la personnalité juridique et de transformer, par suite, cette autorité administrative indépendante (AAI) en autorité publique indépendante (API) , pourvue de la personnalité morale et de l'autonomie financière. Une telle solution a été retenue pour différentes autorités, comme l'Autorité des marchés financiers (AMF), l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), ou encore la Haute autorité de santé (HAS). Seulement, comme l'avait souligné le Conseil d'État dans un avis du 8 septembre 2005 58 ( * ) , l'attribution de la personnalité morale s'accompagne de celle de la responsabilité juridique - alors que dans le cas des autorités administratives indépendantes (AAI), qui ne disposent pas de personnalité propre, il revient à l'État de réparer les conséquences des fautes commises ; aussi votre rapporteur spécial estime que ce point devra, le cas échéant, faire l'objet d'une analyse approfondie.

Recommandation n° 3 : Doter l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de la personnalité morale.

Si, comme le souligne le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport sur la fiscalité affectée, « le lien entre la taxe affectée et l'indépendance de l'entité bénéficiaire n'est pas établi », dans l'esprit de votre rapporteur spécial, le renforcement de l'indépendance de l'Autorité de sûreté nucléaire ne découlerait pas de l'affectation de la contribution seule, mais de l'affectation de cette taxe sous le regard vigilant du Parlement , qui aurait à examiner chaque année son montant, afin de s'assurer que celui-ci est tout à la fois suffisant et non surévalué au regard des besoins réels de l'ASN.

D'ailleurs, dans cette même logique, votre rapporteur spécial considère que le régime juridique de la contribution perçue par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire 59 ( * ) (IRSN) (cf. supra ) devrait être modifié selon les principes qui viennent d'être énoncés : ses coefficients seraient déterminés par le Parlement et non plus par arrêtés des ministres chargés du budget, de l'énergie et de l'écologie, et son montant serait plafonné .

Recommandation n° 4 : Réformer le régime juridique de la contribution additionnelle due par les exploitants des installations nucléaires de base et perçue par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Enfin, s'agissant de la transparence nucléaire, votre rapporteur spécial estime que le financement des commissions locales d'information (CLI) et de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) devrait reposer sur la contribution de sûreté et de transparence nucléaires (CSTN) , dont il propose la création (cf. recommandation n° 2). En effet, les modalités actuelles de l'attribution des subventions de l'État, réalisée par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) selon une logique de financement sur projet, paraissent les plus à même de garantir l'efficacité et la rationalité de la dépense ; aussi devraient-elles être maintenues. Dans ces conditions, l'affectation de la CSTN à l'ASN viendrait se substituer à la possibilité, prévue par l'article L. 125-31 du code de l'environnement (cf. supra ), d'attribuer directement une part de la « taxe INB » aux CLI ayant opté pour un statut associatif ; ce mécanisme, particulièrement complexe et jamais mis en oeuvre, serait ainsi supprimé à des fins de rationalisation et de lisibilité.


* 55 Le maintien d'un financement sur crédits budgétaires de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) trouve sa justification, notamment, dans le fait qu'une part des compétences exercées par cette dernière ne peut être imputée à des activités nucléaires comme, par exemple, la radioprotection liée aux sources naturelles d'exposition aux rayonnements ionisants.

* 56 Cf. Conseil des prélèvements obligatoires, La fiscalité affectée. Constats, enjeux et réformes , juillet 2013.

* 57 Loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;

* 58 Cf. avis du Conseil d'État du 8 septembre 2005, Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCAMIP) (avis n° 371 558).

* 59 Cf. article 96 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.

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