II. SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET RESPONSABILITÉ DES EXPLOITANTS

En France, l'approche générale de sûreté applicable à toute installation nucléaire repose sur la responsabilité première de l'exploitant 9 ( * ) ; ce principe fondateur est, à ce jour, inscrit à l'article L. 593-6 du code de l'environnement qui dispose que l'« exploitant d'une installation nucléaire de base est responsable de la sûreté de son installation », de même que dans les conventions internationales auxquelles la France est partie 10 ( * ) .

Par suite, l'essentiel des dépenses en matière de sûreté nucléaire échoit aux exploitants d'installations nucléaires . Le programme de « Grand carénage », engagé par Électricité de France (EDF) en vue d'intégrer aux réacteurs électronucléaires les mesures de sûreté « post-Fukushima » et de remplacer les gros composants des centrales dans la perspective de la prolongation de leur durée d'exploitation au-delà de 40 ans (cf. infra ), permet d'illustrer cet état de fait. En effet, une part substantielle des investissements prévus dans ce cadre, qui avaient été estimés en 2011 à 55 milliards d'euros pour la période 2011-2025 11 ( * ) , devrait être consacrée à un renforcement du niveau de sûreté des installations nucléaires. Bien que cette part soit difficile à isoler, il convient de relever qu'EDF a évalué à 10,6 milliards d'euros les investissements consécutifs à la mise en oeuvre des prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), formulées à la suite des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) réalisées au lendemain de l'accident de Fukushima (cf. encadré ci-après). Les dépenses consenties du fait de ces prescriptions s'élèveraient à 200 millions d'euros pour Areva ; le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA), quant à lui, a prévu une enveloppe de 289 millions d'euros à cet effet pour les années 2012 à 2019.

Les montants susmentionnés font clairement apparaître que le « coût » de la sûreté nucléaire repose, avant tout, sur les exploitants des installations nucléaires , qui ont à leur charge la réalisation des travaux répondant aux exigences de sûreté. Pour autant, le principe de responsabilité première de l'exploitant doit nécessairement faire l'objet d'un encadrement par l'État , qui exerce cette compétence par l'intermédiaire de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), notamment, avec l'aide de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Les évaluations complémentaires de sûreté (ECS)

À la suite d'une saisine du Premier ministre le 23 mars 2011, soit quelques jours après l'accident de Fukushima, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a procédé à des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) des installations nucléaires françaises . Ces évaluations ont porté sur la résistance des installations aux séismes, aux inondations, aux pertes de source froide - qui alimente le circuit de refroidissement -, aux pertes d'alimentation électrique, ainsi que sur la gestion opérationnelle des situations accidentelles. Ainsi, 79 installations nucléaires jugées prioritaires ont fait l'objet d'une évaluation .

Dans son avis du 3 janvier 2012 sur les évaluations complémentaires de la sûreté des installations nucléaires prioritaires 12 ( * ) , l'ASN a considéré que « les installations examinées présent[aient] un niveau de sûreté suffisant pour qu'elle ne demande l'arrêt immédiat d'aucune d'entre elles », tout en précisant que « la poursuite de leur exploitation nécessit[ait] d'augmenter dans les meilleurs délais, au-delà des marges de sûreté dont elles disposent déjà, leur robustesse face à des situations extrêmes ». Les préconisations formulées par l'Autorité à cette occasion ont été précisées - en cohérence avec les conclusions de la Commission européenne sur les tests de résistance réalisés sur les réacteurs nucléaires présents au sein de l'Union européenne 13 ( * ) - par différentes décisions, notamment des 26 juin 2012 et 23 janvier 2014, parmi lesquelles figurent en particulier la mise en place :

- d'une force d'action rapide nucléaire (FARN), composée de moyens humains et matériels permettant de secourir un réacteur accidenté en eau et en électricité 14 ( * ) ;

- d'une alimentation électrique supplémentaire sur chaque réacteur (les « diesels d'ultime secours ») 15 ( * ) ;

- de « noyaux durs » de dispositions matérielles et organisationnelles permettant de maîtriser les fonctions fondamentales de sûreté des situations extrêmes soit, en quelque sorte, la « bunkérisation » des fonctions essentielles 16 ( * ) .

Les décisions de l'ASN, juridiquement contraignantes pour les exploitants, impliquent la réalisation de travaux importants pour ces derniers, mais également un investissement particulier en matière de ressources humaines et de compétences . La mise en oeuvre des différentes mesures préconisées suit un calendrier arrêté par l'Autorité et est contrôlée par cette dernière ; selon le Gouvernement, les « exploitants répondent de manière globalement satisfaisante aux prescriptions de l'ASN ».

Source : réponses du Gouvernement au rapporteur spécial


* 9 La responsabilité première de l'exploitant est distincte de la responsabilité civile de ce dernier. La responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire relève d'un régime juridique spécifique. Si la responsabilité civile nucléaire est engagée sans qu'une faute ait à être démontrée, ont été fixés des plafonds de durée et de montants d'indemnisation des dommages causés aux personnes et aux biens. Les conventions internationales en vigueur à ce jour - la convention de Paris du 29 juillet 1960, la convention complémentaire signée à Bruxelles le 31 janvier 1963 et leurs protocoles additionnels - prévoient trois tranches cumulatives d'indemnisation, incombant à l'exploitant (dans la limite de 91,5 millions d'euros) puis, le cas échéant, à l'État de l'exploitant (109,8 millions d'euros) et, enfin, aux États parties aux conventions (143,7 millions d'euros). Le protocole signé le 12 février 2004 portant modification de la convention de Paris a relevé ces plafonds d'indemnisation, notamment en ce qui concerne les exploitants (700 millions d'euros) ; toutefois, ce protocole n'est pas encore entré en vigueur, n'ayant pas été ratifié par certains États signataires.

* 10 À titre d'exemple, l'article 9 de la convention de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) du 17 juin 1994 sur la sûreté nucléaire stipule que « Chaque Partie contractante fait le nécessaire pour que la responsabilité première de la sûreté d'une installation nucléaire incombe au titulaire de l'autorisation correspondante et prend les mesures appropriées pour que chaque titulaire d'une autorisation assume sa responsabilité ».

* 11 Le montant des investissements de maintenance prévus dans le programme de « Grand carénage » est désormais évalué à 62,5 milliards d'euros pour la période 2011-2025 ; néanmoins, ce montant relève d'un périmètre différent des 55 milliards d'euros précités, près de 13 milliards d'euros de charges opérationnelles ayant été requalifiés en investissements.

* 12 Cf. avis n° 2012-AV-0139 de l'Autorité de sûreté nucléaire du 3 janvier 2012 sur les évaluations complémentaires de la sûreté des installations nucléaires prioritaires au regard de l'accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.

* 13 Cf. Communication de la Commission du 4 octobre 2012 au Conseil et au Parlement européen sur les évaluations globales des risques et de la sûreté (« tests de résistance ») des centrales nucléaires dans l'Union européenne et les activités y afférentes (COM(2012) 571 final).

* 14 La force d'action rapide nucléaire (FARN) est en mesure d'intervenir sur un réacteur depuis la fin de l'année 2012.

* 15 58 « diesels d'ultime recours » devront être mis en place en 2018, les sites commençant à en être équipés à compter de 2016.

* 16 Pour les centrales nucléaires, le « noyau dur » a commencé à être déployé en 2014.

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