C. LE DÉFI DU NUMÉRIQUE

Le Sénat a beaucoup travaillé sur cette question 36 ( * ) . L'Union européenne ne peut pas être une simple consommatrice. Elle doit aussi être productrice sur le marché unique numérique. La coopération franco-allemande pourrait jouer un rôle important à cette fin. Le Sénat se préoccupe de la perte de souveraineté de l'Union européenne sur ses données. Nous devons veiller à préserver la diversité de la culture européenne en ligne. C'est donc un véritable enjeu de civilisation qui se joue dans le monde numérique.

C'est par ailleurs l'ensemble de la gouvernance de l'Internet qui est à réformer et même à construire. L'Europe doit promouvoir un Internet conforme aux valeurs démocratiques et aux droits et libertés fondamentaux.

Le Sénat est également attentif au rôle des grandes plateformes dont l'influence est de plus en plus importante dans l'économie. Ces plateformes occupent une position dominante qui peuvent leur permettre d'imposer leurs vues à des PME sous-traitantes. Il faut donc armer les PME pour leur permettre de combattre des pratiques déloyales.

Le numérique offre aussi une opportunité de promouvoir un « principe d'innovation » qui contrebalancerait le principe de précaution qui s'est imposé de façon souvent excessive.

La Commission a rendu public, le 6 mai 2015, le projet de stratégie européenne pour le marché unique du numérique. Le projet de la Commission est présenté par le vice-président Andrus Ansip comme le résultat d'un important travail « inclusif » prenant en compte les contributions de l'ensemble des États membres. Le vice-président Andrus Ansip a d'ailleurs souligné le rôle actif de la France sur le volet du numérique européen et mentionné notamment les prises de position commune des ministres français et allemands sur les plateformes numériques et l'Internet industriel. La Commission place la stratégie numérique au coeur de la politique de croissance de l'Union. Il s'agit, selon le vice-président Andrus Ansip, de permettre à l'Europe d'être non seulement consommatrice mais aussi productrice de contenus numériques et de mettre en place une véritable gouvernance européenne du numérique. D'ailleurs, comme il le souligne, les travaux du Parlement européen estiment le coût de la non Europe dans le numérique à 415 Mds€ par an.

Au-delà des aspects liés au respect des conditions d'une concurrence équitable, la stratégie pour un marché unique du numérique se fonde sur deux axes principaux à savoir l'accès aux biens et services numériques et le développement des infrastructures.

1. La libre circulation des biens et des services numériques

Le premier pilier concerne la libre circulation des biens et des services au sein de l'Union européenne. Le vice-président Andrus Ansip a souligné à la délégation de la Commission des affaires européennes l'importance qu'attache la Commission à la meilleure circulation des oeuvres et à faciliter l'accès des consommateurs européens aux contenus numériques.

Parmi ses axes d'action, figure la volonté d'améliorer l'accès aux biens et services numériques dans toute l'Europe pour les consommateurs et les entreprises. Ceux-ci se heurtent encore trop souvent au problème du « blocage géographique », qui permet à des vendeurs en ligne d'empêcher les consommateurs d'accéder à un site internet sur la base de leur localisation. Une location de voiture peut ainsi être plus chère depuis un État membre que depuis un autre, pour un véhicule identique et au départ du même endroit. Cette question a un volet réglementaire, mais pas seulement. La commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, a annoncé mercredi le lancement d'une grande enquête sur le commerce en ligne afin d'identifier d'éventuels obstacles érigés par les entreprises elles-mêmes, et déterminer s'il y a lieu d'envisager des sanctions.

Il convient, selon le vice-président Andrus Ansip, de lutter contre la fragmentation du marché intérieur européen car c'est une situation très complexe et coûteuse notamment pour les PME qui ont des difficultés à faire face à des réglementions nationales diverses. 11,7 Mds€ pourraient être économisés annuellement par l'adoption de règles adaptées et harmonisées en ce qui concerne les achats en ligne. La Commission envisage ainsi d'élaborer un droit des contrats modernisé et harmonisé afin d'assurer aussi une meilleure protection des consommateurs. Le constat porté par la Commission sur les services de livraison des colis souligne aussi que les consommateurs européens sont confrontés à des prix trop élevés et très hétérogènes en Europe. Dans certains cas, indique le vice-président Andrus Ansip, la différence entre des envois nationaux et internationaux peut varier de 1 à 22 au sein de l'Union. La Commission veillera, dans le cadre du plan stratégique, à créer les conditions en Europe d'un marché des services de livraisons des colis plus efficace et moins onéreux.

La Commission souhaite privilégier l'accès des consommateurs aux contenus et pour cela mettre fin au « géoblocage » qui est présenté par le vice-président Andrus Ansip comme un obstacle significatif à la réalisation d'un marché unique du numérique. Le « géoblocage » ne concerne pas seulement, par exemple, l'impossibilité d'accès, lorsqu'on se déplace au sein de l'Union, à la plateforme vidéo à laquelle on est abonné mais pose plus généralement la question de la diversité des prix pour un même service en fonction du lieu d'achat. Le problème du blocage géographique est d'ailleurs souvent lié à des pratiques commerciales comme par exemple pour la location de voiture dans un pays en fonction de la nationalité du consommateur. La Commission souhaite que les consommateurs européens puissent acheter en ligne au même prix partout en Europe. Au-delà de l'aspect purement réglementaire, ce sujet est aussi traité sous l'angle de la politique de la concurrence puisque la Commission a annoncé l'ouverture d'une enquête portant sur les éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur du commerce en ligne.

Interrogé par la délégation sur le nécessaire équilibre entre renforcement des droits et consommateurs et protection des auteurs, le vice-président Andrus Ansip précise que la Commission ne souhaite pas supprimer le lien entre droit d'auteur et territorialité mais plutôt fournir un accès transfrontière aux contenus numériques ainsi que la portabilité des contenus. Il a indiqué à la délégation qu'une proposition législative sur la réforme du droit d'auteur à ce sujet serait vraisemblablement présentée d'ici la fin de l'année avec comme objectifs de réduire les disparités entre les régimes et de faciliter l'accès aux contenus numérique que l'ensemble du territoire de l'Union européenne. Le vice-président Andrus Ansip a précisé que la Commission allait examiner la question de l'application du taux TVA réduit aux journaux et livres numériques et qu'il soutenait le principe d'un taux réduit pour les livres numériques et la presse en ligne.

2. Le développement de plateformes européennes dans un environnement de concurrence équitable

Le deuxième pilier de la stratégie de la Commission vise à créer un environnement propice aux infrastructures. Des plateformes innovantes existent en Europe mais il faut désormais soutenir leur développement en trouvant le juste équilibre entre innovation et principe de précaution.

La Commission présentera l'année prochaine un projet de réforme de la réglementation européenne en matière de télécommunications afin notamment mieux coordonner l'allocation du spectre radioélectrique et d'inciter à l'investissement dans l'ultra-haut débit. Le vice-président Andrus Ansip a rappelé le retard de l'Europe en matière de 4G, de 5G qui doit impérativement être coordonnée au niveau européen et d'internet des objets.

La Commission a aussi annoncé le lancement d'une consultation sur le rôle des plateformes numériques afin d'effectuer une analyse détaillée du rôle et du fonctionnement des plateformes en ligne, de leurs politiques tarifaires, de l'utilisation des informations qu'elles collectent... La réforme sur la protection des données au sein de l'Union européenne doit évoluer dorénavant aussi vers la prise en compte des aspects liés à la propriété des données personnelles et au traitement des ressources que sont ces données.

La Commission souhaite garantir une concurrence équitable et a lancé une enquête sur des soupçons d'abus de position dominante dans la recherche en ligne. L'« européanisation » des politiques numériques et le développement des possibilités de financement d'infrastructures numériques sont des réponses à opposer aux plateformes et à leurs pratiques. Pour la Commission, le thème de l'émergence de champions européens est crucial et il convient non seulement de créer des conditions de concurrence équitables mais aussi de s'attaquer à la question de l'investissement et des difficultés d'accès au capital pour ces PME.

Interrogé par la délégation de la Commission des affaires européennes sur les dispositifs de sécurité numérique du plan stratégique européen, le vice-président Andrus Ansip indique qu'une véritable croissance du marché unique numérique ne peut passer que par une confiance des utilisateurs qui doivent être rassurés quant à la sécurité des données numériques. C'est à ses yeux une absolue nécessité et la Commission souhaite progresser sur la directive sur la sécurité des réseaux et de l'information (NIS). La Commission envisage de développer des partenariats avec les industriels sur la cybersécurité et d'encourager le partage d'informations et la coopération entre les pays.


* 36 Rapport d'information de Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la commission des affaires européennes (n° 443, 2012-2013) : « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? » ; rapport de Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la mission commune d'information sur la gouvernance de l'Internet (n° 696, 2013-2014) : « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet ».

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