DEUXIÈME PARTIE - ITALIE : UN ENCADREMENT ANCIEN DES FINANCES LOCALES ET UN OUTIL ORIGINAL DE MESURE DES CHARGES DES COLLECTIVITÉS

I. LES FINANCES LOCALES ITALIENNES ET FRANÇAISES : DES PROBLÈMES COMMUNS, DES RÉPONSES SIMILAIRES

A. UNE RÉGIONALISATION DE L'ITALIE QUI N'EMPÊCHE PAS DE GRANDES SIMILITUDES AVEC L'ORGANISATION TERRITORIALE FRANÇAISE

1. Un secteur local italien comparable à celui de la France
a) Une organisation territoriale proche malgré la « régionalisation » de l'Italie

L'organisation territoriale italienne est relativement proche de celle de la France , avec trois niveaux d'administration locale, mais se distingue par un nombre de communes beaucoup plus limité.

Le pays compte ainsi :

- 8 071 communes et 466 intercommunalités ( unioni di comuni ) ;

- 107 provinces, correspondant à nos départements, dont 10 « villes métropolitaines » qui exercent sur leur territoire les compétences des communes et des provinces : Rome, Turin, Milan, Venise, Gênes, Bologne, Florence, Bari, Naples et Reggio Calabria ;

- 20 régions, parmi lesquelles cinq à statut particulier : la Sicile, la Sardaigne, le Trentin-Haut-Adige, le Frioul-Vénétie julienne et la Vallée d'Aoste.

Chiffres clés de l'économie italienne

PIB (2014) : 1 572 milliards d'euros

Taux de croissance (2014) : - 0,4 % (prévisions 2015 : entre 0,6 % et 0,7 %)

Taux de chômage (au sens du BIT) (2014) : 12, 7 % (prévisions 2015 : 12,4 %)

Déficit public (en % du PIB) (2014) : - 3,0 % (prévisions 2015 : - 2,6 %)

Solde commercial (2014) : + 42,8 milliards d'euros

Exportations de la France vers l'Italie (2014) : 30,8 milliards d'euros

Importations françaises depuis l'Italie (2014) : 36,2 milliards d'euros

Source : ministère des affaires étrangères

Carte des régions italiennes

Source : Ministère des affaires étrangères

Historiquement centralisé, l'État italien a récemment mué pour adopter une organisation régionale . Créées dès la fin de la deuxième guerre mondiale, les régions italiennes n'ont acquis d'importantes compétences qu'à partir des années 1970, renforcées encore à la fin des années 1990 avec les lois dites « Bassanini », jusqu'à ce que le pays prenne une voie véritablement régionale, voire fédérale, avec la révision en 2001 du titre V de la Constitution, relatif aux collectivités territoriales, approuvée par referendum.

L'article 117 de la Constitution italienne prévoit ainsi désormais que « le pouvoir législatif est exercé par l'État et les Régions » . Il identifie un domaine de compétence exclusif pour l'État (politique étrangère, immigration, défense, monnaie, justice, etc.), un domaine partagé (relations avec l'Union européenne, énergie, grandes infrastructures de transport, etc.) et une compétence législative « résiduelle » pour les régions.

Cette grande autonomie des régions italiennes n'empêche pas de qualifier ce projet de « fédéralisme fortement solidaire » 10 ( * ) , dans la mesure où l'État est chargé de déterminer « les niveaux minimums des prestations relatives aux droits civils et sociaux qui doivent être garantis sur l'ensemble du territoire national » et qu'il prévoit des mécanismes de péréquation.

La répartition des compétences est quant à elle basée sur le principe de subsidiarité.

Compétences des collectivités territoriales en Italie

Communes

Provinces

Régions

Urbanisme et logement social

Aides aux handicapés

Transports publics locaux et entretien des routes

Police locale

Écoles pré-élementaires, primaires et professionnelles (construction et entretien des bâtiments, rémunération des enseignants)

Culture

Sports

Assainissement et élimination des déchets

Maintien des pharmacies en zone rurale

Transports et entretien des routes

Enseignement secondaire (construction des bâtiments)

Environnement

Patrimoine culturel

Ordures ménagères et assainissement

Certains services de santé

Enseignement professionnel

Développement économique

Gestion des services et des subventions concernant l'emploi

Santé

Centres de santé et hôpitaux

Formation professionnelle

Culture

Urbanisme

Réseaux routiers, travaux publics et transports ferroviaires régionaux

Agriculture

Aménagement du territoire et développement économique

Environnement

Services sociaux

Enseignement

Source : Alan Lemangnen, « Fédéralisme fiscal : l'Italie à la croisée des chemins », Flash économie Natixis, n°  120, février 2013

L'article 118 de la Constitution prévoit ainsi que les fonctions sont attribuées aux communes à l'exception des fonctions qui, « afin d'en assurer l'exercice unitaire, sont attribuées aux provinces, aux villes métropolitaines, aux régions et à l'État, sur la base des principes de subsidiarité, différenciation et adéquation ». Sur la base de ce principe, il appartient aux lois de l'État ou des régions de répartir les compétences.

Les régions se voient attribuer notamment l'éducation et la formation professionnelle, la compétence économique, les transports ferroviaires et le réseau routier et jouent un rôle fondamental dans le secteur de la santé, qui représente une part considérable de leurs dépenses.

Les Provinces ont des compétences notamment en matière d'environnement (traitement des déchets) et de transports.

Malgré ces principes juridiques différents, on constate que la répartition des compétences n'est pas si différente qu'en France, si l'on exclut le rôle que jouent les régions en matière de santé en Italie , et ce d'autant plus si on l'analyse à la lumière de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) 11 ( * ) qui vise à accroître le poids des régions.

b) Un poids financier du secteur local équivalent en France et en Italie

Cette similitude se retrouve dans la part que représentent les collectivités territoriales italiennes dans la dépense publique.

Dépenses totales des administrations publiques italiennes en 2013
(nettes des transferts entre administrations)

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données de l'Istituto per la finanza e l'economia locale (Ifel)

Comme le montre le graphique ci-avant, les dépenses des collectivités dans leur ensemble représentent 25,6 % de la dépense publique. Ce chiffre s'élevait à 20,8 % pour les collectivités territoriales françaises en 2012. Le poids du secteur local dans la dépense publique est donc comparable en France et en Italie , sachant que les dépenses publiques représentent respectivement 57,2 % et 51,1 % du PIB.

En revanche, le poids relatif des différents blocs diffère de façon importante : les régions italiennes représentent ainsi, même en excluant le secteur de la santé, près de 40 % des dépenses des administrations locales, contre un peu plus de 12 % pour leurs homologues françaises. S'agissant des départements, ce constat est inversé, avec un poids bien plus important (plus de 30 %) comparé aux provinces italiennes (8 %).

Poids de chaque niveau de collectivité dans la dépense publique locale

France

Italie

Régions (hors santé)

12,3 %

39,9 %

Départements / Provinces

31,0 %

8,0 %

Bloc communal

56,7 %

52,2 %

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données de l'observatoire des finances locales et de l'Ifel

*

Cette organisation est cependant en train de connaître des évolutions importantes, dont l'objet est notamment de réaliser des économies de fonctionnement.

La loi dite « Delrio » 12 ( * ) , d'avril 2014, prévoit ainsi, une « dévitalisation » des départements ( svuota province ), qui ne seront pas supprimés mais verront leurs compétences fortement réduites, tandis que leurs assemblées délibérantes ne seront plus élues mais seront composées d'élus des communes de la province. Les provinces continueraient à être compétentes notamment en matière de construction scolaire. Toutefois, un projet de loi constitutionnelle 13 ( * ) , actuellement en discussion, prévoit leur suppression.

On note donc la proximité sur ces sujets entre l'Italie et la France, que ce soit sur le débat relatif la suppression ou la « dévitalisation » des départements, sur la mise en place - dès 2001 - de villes métropolitaines, proches du modèle lyonnais , ou sur les autres dispositions de la loi « Delrio », qui prévoient un développement de l'intercommunalité et des fusions de communes .

2. L'évolution des ressources des collectivités territoriales : un « fédéralisme fiscal » interrompu par la crise
a) L'esprit du « fédéralisme fiscal »

Jusqu'à une date relativement récente, les ressources des collectivités italiennes consistaient principalement en des transferts de l'État.

Un premier renforcement de l'autonomie financière des collectivités territoriales italiennes a eu lieu au cours des années 1990, s'agissant en particulier des régions, grâce à la mise en place en 1997 d'une surtaxe régionale sur l'impôt sur le revenu et d'un impôt régional sur les entreprises 14 ( * ) .

En 2000 15 ( * ) , ce mouvement est confirmé avec la suppression de la quasi-totalité des transferts de l'État aux régions, compensée notamment par une part du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et une augmentation de la surtaxe régionale sur l'impôt sur le revenu. Un fonds de péréquation régionale est créé, alimenté par une partie des recettes de TVA.

La réforme constitutionnelle de 2001, dans son volet financier, s'inscrivait dans la continuité de ces réformes, en annonçant un « fédéralisme fiscal » : l'article 119 de la Constitution prévoit dès lors une plus grande autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales italiennes, et non plus des seules régions, en leur assurant des ressources fiscales propres et des ressources partagées avec l'État, appelées à se substituer aux dotations de l'État. Le même article prévoit également un fonds de péréquation pour les territoires « avec une plus faible capacité fiscale par habitant ».

L'esprit du fédéralisme fiscal réside dans l'idée que l'ensemble de ces ressources doit permettre aux collectivités de financer l'ensemble de leurs compétences.

Par ailleurs, le dernier alinéa de l'article précité inscrit dans la Constitution que l'endettement des collectivités est réservé à leurs dépenses d'investissement. Cette « règle d'or » existait déjà mais n'avait pas valeur constitutionnelle.

Autonomie fiscale des collectivités territoriales italiennes

(en pourcentage des recettes de fonctionnement)

Transferts financiers publics

Recettes fiscales de fonctionnement

Source : Corte dei conti

Il faut cependant attendre 2009 pour que la révision constitutionnelle connaisse une traduction législative, avec la loi du 5 mai 2009 16 ( * ) . Celle-ci confirme l'objectif de donner plus d'autonomie fiscale aux collectivités, dans une logique de responsabilité. Elle prévoit également la mise en place d'un nouvel indicateur pour la distribution des concours de l'État, les « besoins de financement standard », calculés en fonction des besoins et des contraintes réels de chaque territoire (cf. infra ).

La mise en oeuvre de la loi de 2009 s'est cependant révélée laborieuse, du fait notamment des nombreuses mesures règlementaires nécessaires. La crise des finances publiques à partir de 2010 s'est par ailleurs traduite par une relative « recentralisation » et une diminution de l'autonomie fiscale, si bien que le fédéralisme fiscal n'est pas encore véritablement mis en place.

b) Les ressources des collectivités territoriales italiennes aujourd'hui

La fiscalité locale italienne se décompose entre trois types de ressources :

- les « coparticipations » à certains impôts nationaux : l'État reverse à la collectivité une part définie par lui des recettes encaissées au titre de cet impôt.

Il s'agissait notamment d'une « coparticipation » au produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui représentait environ 2,7 milliards d'euros pour les communes en 2011 ;

- les « additionnels » à certains impôts nationaux : la collectivité peut alourdir un impôt national, dans une limite fixée par l'État, afin de percevoir la différence entre le taux national et le taux pratiqué sur son territoire.

Il s'agit notamment d'une taxe additionnelle à l'impôt sur le revenu (jusqu'à 0,8 % en plus pour les communes et jusqu'à 1 % de plus pour les régions), qui a représenté 2,7 milliards d'euros pour les communes et 8,5 milliards d'euros pour les régions en 2011 ;

- la fiscalité propre : l'impôt est alors - en principe - exclusivement local, même si la variation du taux peut être fortement encadrée par la loi.

Il s'agit notamment de l'impôt municipal unique (IMU), qui porte sur le foncier, et qui représentait 9,6 milliards d'euros en 2011 17 ( * ) , soit un tiers des ressources fiscales des communes, ou encore de la taxe sur les assurances pour les provinces (2,3 milliards d'euros en 2011) ou bien de l'impôt régional sur les activités productives (IRAP) pour les régions (33 milliards d'euros en 2011).

Principales ressources fiscales
des collectivités territoriales italiennes en 2011

(en milliards d'euros)

Régions

Taxes sur les automobiles

6,4

Impôt régional sur les activités productives

33,0

Coparticipation à l'impôt sur le revenu

8,5

Droit d'accise régional sur les carburants

4,0

Provinces

Taxe sur les assurances

2,3

Communes

Imposition communale sur les immeubles 1 (ICI)

9,6

Coparticipation à l'impôt sur le revenu

2,7

Source :IRES Piemonte et al., La finanza territoriale in Italia , Milano : Franco Angeli, 2012

Les collectivités ont donc un relatif pouvoir de taux, mais fortement encadré.


* 10 Luciano Vandelli, « Du régionalisme au fédéralisme ? », Pouvoirs , n° 103, 2002.

* 11 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 12 Legge n° 56 del 7 aprile 2014 « Disposizioni sulle citta' metropolitane, sulle province, sulle unioni e fusioni di comuni ».

* 13 Disegno di legge costituzionale n° 1543 « Abolizione delle province » presentato il 20 agosto 2013.

* 14 Decreto legislativo n° 446 del 15 dicembre 1997« Istituzione dell'imposta regionale sulle attivita' produttive, revisione degli scaglioni, delle aliquote e delle detrazioni dell'Irpef e istituzione di una addizionale regionale a tale imposta, nonche' riordino della disciplina dei tributi locali ».

* 15 Decreto Legislativo n° 56 del 18 febbraio 2000 « Disposizioni in materia di federalismo fiscale, a norma dell'articolo 10 della legge 13 maggio 1999, n. 133 ».

* 16 Legge n° 42 del 5 maggio 2009 « Delega al Governo in materia di federalismo fiscale, in attuazione dell'articolo 119 della Costituzione».

* 17 En 2011, il s'agissait de l'ICI (impôt communal sur les immeubles), depuis remplacé par l'IMU.

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