AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La loi de finances rectificative pour 2014 a bouleversé de façon subite et imprévue le régime fiscal des monuments historiques. À cette occasion, votre rapporteur spécial a pu constater que les données sur les dépenses fiscales liées au patrimoine historique étaient rares et souvent obsolètes. En outre, le Gouvernement a procédé à cette réforme sans étude d'impact préalable et sans en chiffrer le coût ou le gain éventuel.

Si l'utilisation des crédits est retracée dans les documents budgétaires de la mission « Culture » avec un niveau de détail satisfaisant, ce n'est pas le cas des dépenses fiscales en faveur du patrimoine monumental des particuliers. Elles n'ont pas été évaluées depuis plusieurs années, malgré des évolutions importantes intervenues depuis 2009.

C'est pourquoi votre rapporteur spécial a souhaité procéder, dans le cadre de notre programme de contrôle, à une analyse des principales niches fiscales relatives au patrimoine historique bâti appartenant à des particuliers.

Ce contrôle poursuit deux objectifs : proposer un état de lieux aussi complet que possible et identifier les points de blocage qui mériteraient d'être examinés afin d'assurer l'efficacité de la dépense publique.

I. LA PROTECTION DU PATRIMOINE : UNE PRÉOCCUPATION ANCIENNE, QUI MOBILISE DE NOMBREUX ACTEURS ET S'APPUIE SUR DES SOURCES DE FINANCEMENT DIVERSES

A. UNE NOTION DE PATRIMOINE ÉVOLUTIVE ET POLYSÉMIQUE

La France est l'un des premiers pays, dans les dernières années du XVIII e siècle, à voir émerger la notion de patrimoine national. Celle-ci se matérialise notamment dans la commission des monuments , créée par décret du 13 octobre 1790 - et ce alors même que la période révolutionnaire connaît d'importantes destructions de bâtiments et de mobiliers considérés comme autant de symboles d'un ancien régime qu'il s'agit d'effacer, conduisant à l'invention du terme de « vandalisme » par l'abbé Grégoire.

L'idée même de patrimoine national semble dès lors indissociable de l'affirmation d'une nécessaire protection des bâtiments et des meubles qui le constituent , comme en témoigne la création en 1793 du musée des monuments français, placé sous la direction d'Alexandre Lenoir. Pour protéger un bâtiment ou une oeuvre, encore faut-il connaître leur existence : s'esquissent ainsi au début du XIX e siècle les prémisses d'une démarche de recensement , qui conduiront à la publication en 1816 d'un premier inventaire des monuments. L'existence même d'une liste publique recensant des lieux jugés méritant une attention particulière favorise l'apparition d'un tourisme associé aux monuments, sous la forme d'excursions organisées par de petits groupes d'érudits.

Ces deux mouvements parallèles, protection et recensement, se poursuivent et se renforcent dans le courant du XIX e siècle : d'une part, les inventaires sont complétés et poursuivent désormais un objectif d'exhaustivité, à la suite de l'instruction du 10 août 1837 de Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, enjoignant aux préfets de faire connaître les monuments situés dans leurs départements. D'autre part, la protection apportée par l'État est renforcée : la commission des monuments historiques, créée en 1837, est chargée de conduire les travaux à réaliser, dont les plus importants sont confiés, à partir de 1840, à des architectes recrutés en ce but.

C'est dans ce cadre que l'architecte français Eugène Viollet-le-Duc est choisi pour assurer la restauration de la basilique de Vézelay en 1840, suivant les principes théorisés dans son « Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XI e au XVI e siècle ». En effet, selon Viollet-le-Duc, le strict respect de l'histoire du monument n'est pas nécessaire ni même souhaitable dans la mesure où « restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné 1 ( * ) ». Si les conceptions de Viollet-le-Duc feront l'objet d'intenses débats, voire de vives critiques, et seront profondément remises en cause, commence à la même époque à émerger l'idée plus consensuelle selon laquelle les monuments historiques nécessitent des compétences et un savoir-faire spécifiques, ce qui explique que la première loi relative à la protection des monuments historiques, votée le 30 mars 1887, mette également en place le corps des architectes en chef des monuments historiques .

La loi de 1887 est remplacée en 1913 par un nouveau texte législatif, demeuré un des piliers fondateurs du régime des monuments historiques - non sans avoir été modifié plusieurs fois . La notion de monument historique autour de laquelle le texte s'articule réunit à la fois les immeubles et les objets mobiliers. Elle dépasse même les catégories de propriété privée et de propriété publique : la loi de 1913 prévoit en effet des exceptions importantes au principe de respect de la propriété privée, un immeuble privé pouvant être classé d'office dès lors que sa conservation présente un intérêt public du point de vue de l'art ou de l'histoire. L'État peut également se substituer au propriétaire privé d'un monument historique classé et procéder d'office à des travaux de restauration. L'absence d'opposition à cette loi s'explique au moins en partie par des considérations d'ordre pratique, comme l'explique dans ses mémoires Paul Léon (1874-1962), alors chef de la division d'architecture du sous-secrétariat aux Beaux-Arts 2 ( * ) : « c'est ainsi que la loi de 1913 sur les monuments historiques qui eût soulevé d'insolubles controverses à propos de la restriction du droit de propriété fut votée dans la nuit du 31 décembre 1913 au 1 er janvier, peu d'instants avant la clôture de la session et devant des banquettes vides ». La loi de 1913 crée également le dédoublement de la notion de monuments historiques selon que ceux-ci sont « classés » ou « inscrits » sur l'inventaire supplémentaire des immeubles. La loi sur les monuments historiques marque donc l'aboutissement d'une logique de préservation des monuments historiques , témoins de l'histoire de France suivant Hippolyte Taine, selon lequel « les monuments, [...], sont les accumulateurs qui emmagasinent ce que l'âme des peuples a conçu de plus beau, de meilleur, de plus profond au cours des temps et de ces énergies concentrées jaillit l'étincelle qui donne un élan nouveau aux aspirations de la nation » ( Philosophie de l'art , 1865 et 1882).

Mais elle constitue aussi le point de départ d'un élargissement des politiques publiques patrimoniales à des domaines nouveaux, environnementaux surtout, dont les régimes de protection sont parfois inspirés de celui des monuments historiques . Ainsi, monuments naturels et sites sont protégés à partir de 1930, les parcs nationaux sont créés en 1960, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est institué en 1975 et des dispositions particulières relatives aux zones de montagne sont introduites dans le code de l'urbanisme à la suite de la loi du 9 janvier 1985.

En février 2004, une ordonnance crée le code du patrimoine qui rassemble un certain nombre de textes épars sur la protection du patrimoine. Celui-ci est défini comme l'ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique.


* 1 Tome 8, article « Restauration ».

* 2 Paul Léon, Du Palais-Royal au Palais Bourbon. Souvenirs , Paris, Albin Michel, 1947, p. 223.

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