IV. UN PACTE D'ACTIONNAIRES RÉEL MAIS AUSSI QUELQUES DIVERGENCES DE VUES

À l'occasion des entretiens qu'il a pu conduire et des documents dont il a pu prendre connaissance, votre rapporteur a constaté que les trois actionnaires ont des visions divergentes du développement de l'entreprise en fonction de leur propre intérêt social . En effet, le dispositif public articulé autour de la SFIL résulte, comme il a été indiqué en première partie, d'un compromis entre les différents acteurs en présence. Or cette situation ne semble véritablement satisfaire aucun d'entre eux, d'autant que la société n'a pas encore réussi à dégager des bénéfices 29 ( * ) .

1) L'État recherche en priorité l'équilibre financier de la société, afin de ne pas être obligé de procéder à une coûteuse recapitalisation. Il cherche également à ce qu'une solution rapide soit trouvée au problème des emprunts sensibles en vue de diminuer le risque auquel il est exposé.

La direction de la SFIL, appuyée en cela par son actionnaire majoritaire, vise un développement autonome de l'entreprise, ce qui est notable dans le cas de la mise en place de la nouvelle activité.

2) La Caisse des dépôts, actionnaire à 20 %, dispose d'actions de préférence, ce qui signifie qu'elle ne serait pas appelée en cas de recapitalisation. Elle est donc d'abord préoccupée par la ligne de liquidité de l'ordre de 10 milliards d'euros qu'elle octroie à la SFIL. Cette ligne est rémunérée selon des « conditions de marché ». Par conséquent, elle ne « coûte » pas à la Caisse des dépôts. En revanche, elle immobilise ses fonds propres à hauteur de 200 millions d'euros et elle est significative dans le total de son endettement qui atteint 16 milliards d'euros. En outre, comme l'a souligné Antoine Saintoyant, directeur de participations à l'Agence des participations de l'État, lors de son audition par votre rapporteur, même si cette ligne de liquidité est correctement rémunérée, l'exposition à un tel niveau d'une institution financière vis-à-vis d'une contrepartie constitue une anomalie.

Lors de son audition par votre rapporteur, Franck Silvent, directeur du pôle « Finances, stratégies et participations » de la Caisse des dépôts, a souligné que la Caisse des dépôts envisage « tous les projets de la SFIL avec l'objectif que cela n'accroisse pas l'exposition de la Caisse des dépôts à la SFIL ». C'est ainsi qu'un nouvel avenant a été signé entre la SFIL, LBP et la Caisse des dépôts en vue du financement de la liquidité nécessaire à la conduite de la nouvelle activité.

De même, la Caisse des dépôts considère que, si cette ligne de liquidité était nécessaire au début de l'activité de la SFIL puisqu'elle n'avait pas encore accès aux marchés obligataires 30 ( * ) , cette situation « extra-ordinaire » ne peut être que temporaire. À terme, la SFIL doit sortir de cette situation de « dépendance » vis-à-vis de la Caisse des dépôts pour se financer normalement sur les marchés.

La Caisse des dépôts a également rappelé que le dispositif mis en place autour de la SFIL est atypique. Normalement, la banque « sponsor » d'une société de crédit de foncier lui apporte une ligne de liquidité en contrepartie du refinancement de ses prêts. Or, dans le cas de SFIL/CAFFIL, les prêts refinancés sont ceux de La Banque postale tandis que la liquidité est apportée par la Caisse des dépôts. Cette dernière, contrairement à La Banque postale, ne « bénéficie » donc pas de l'existence même de la SFIL. Il lui semble par conséquent nécessaire que La Banque postale participe plus directement à l'apport de liquidités afin d'aligner les intérêts de tous les acteurs. Dans le cas contraire, la Caisse des dépôts serait exposée à un risque vis-à-vis de la SFIL plus important que celui de LBP.

3) La Banque postale, enfin, est préoccupée par l'état du marché caractérisé par une augmentation de la concurrence et une baisse des marges. En particulier, elle a particulièrement insisté sur la concurrence des dispositifs publics de financement du secteur public local, à savoir les prêts de la Banque européenne d'investissement (3 milliards d'euros par an) et les prêts sur Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts (20 milliards d'euros sur cinq ans). À cet égard, il convient de relever que c'est bien l'État qui a décidé, dans une période de contraction forte sur le marché bancaire, de lancer les financements sur Fonds d'épargne.

Lors de son audition par votre rapporteur, les représentants de la Caisse des dépôts ont admis « une petite compétition, un frottement » entre leur offre et celle de LBP. Ils ont néanmoins souligné la complémentarité des financements distribués par la Caisse des dépôts :

- ceux-ci portent sur des durées très longues (au-delà de vingt ans) pour lesquelles le marché bancaire est inexistant ;

- la Caisse des dépôts est associée avec un partenaire bancaire puisqu'elle n'accorde par principe pas 31 ( * ) plus de 50 % de l'enveloppe demandée 32 ( * ) .

Pour sa part, LBP constate que, en tout état de cause, cette offre réduit de 5 milliards d'euros par an son marché potentiel dans un contexte concurrentiel déjà difficile.

En outre, La Banque postale s'inquiète du partage de la marge avec la SFIL. Celui-ci obéit à un accord conclu entre les deux établissements, qui porte notamment sur la rémunération des services de « back-office » rendus par la SFIL à LBP dans le cadre de la commercialisation des prêts 33 ( * ) . Or, d'après LBP, « ce partage de marge est favorable à la SFIL car l'essentiel de la valeur est transférée à CAFFIL. Avec la baisse des marges du marché, une renégociation de ce partage de marge risque de devenir nécessaire pour garantir les conditions de pérennité de l'activité pour LBP (couverture des frais de distribution notamment) ».

LBP admet qu'un certain niveau de marge est nécessaire pour assurer la pérennité de la SFIL. Il faut également relever que si LBP a soutenu avec force l'idée d'une extension du champ d'intervention de la SFIL, elle a plaidé pour un choix différent de celui de l'activité de refinancement export. Dans la réponse au questionnaire de votre rapporteur, elle écrit : « l'élargissement du périmètre d'activité est positif dans le développement de CAFFIL même si nous aurions souhaité que soient étudiées plus en détail nos propositions visant à élargir le périmètre d'intervention de CAFFIL à tous les prêts éligibles à une [obligation foncière] . Ainsi, pour les bailleurs sociaux LBP ne peut pas être refinancée par SFIL/CAFFIL. Il en est de même pour les entités liées aux collectivités territoriales (sociétés d'économie mixte notamment).

« Par ailleurs, le fait que notre outil de refinancement devienne un outil de place soumis aux aléas de l'activité export est quelque chose que nous allons garder sous surveillance ».

Toute extension du périmètre d'intervention de la SFIL doit faire l'objet d'une validation par la Commission européenne. Celle-ci n'accordera une dérogation à sa décision initiale du 28 décembre 2012 que si elle constate qu'il existe une défaillance de marché que la SFIL pourrait combler. Or, la SFIL et l'État ont estimé que les propositions de LBP ne répondaient pas à ces critères, contrairement à l'activité de refinancement export.

Votre rapporteur note surtout que LBP tend à vouloir garder dans son « giron » l'ensemble SFIL/CAFFIL (« notre outil de refinancement »), tandis que celui-ci semble chercher une voie de développement plus autonome vis-à-vis de LBP.

Pour autant, à court terme, LBP n'entend pas se substituer à l'État en tant qu'actionnaire de référence dès lors que les risques liés aux emprunts sensibles ne sont pas éteints. Elle indique en effet, dans la réponse au questionnaire de votre rapporteur, que « la séparation entre l'activité nouvelle avec des produits sains (LBP) et le réaménagement des prêts sensibles avec des contentieux (SFIL) doit être maintenue, ne serait-ce que pour des raisons commerciales, tant que la situation des prêts sensibles ne sera pas apurée.

« Il s'agira aussi de s'assurer que la situation de liquidité et les risques financiers liés à l'activité historique de Dexia sont maîtrisés, afin de ne pas compromettre la situation financière de LBP.

« Enfin, nous observons avec intérêt et vigilance les impacts de la nouvelle activité export. Si SFIL devient un outil de place sur cette activité, au service des autres banques, le rationnel pour LBP d'en devenir l'actionnaire de référence sera peut-être plus faible » 34 ( * ) .

*

Votre rapporteur constate que le dispositif public fonctionne malgré les divergences d'approche entre actionnaires qui ont probablement vocation à se résoudre à moyen terme. Dans l'intervalle, les différents acteurs sont liés par un pacte d'actionnaires les obligeant à travailler en bonne intelligence. À terme, il conviendra cependant de s'interroger sur le maintien d'une organisation complexe qui met en présence des intérêts aussi divergents .

À cet égard, il va de soi que l'atteinte de l'équilibre financier est de nature à apaiser les désaccords. Par exemple, il semble d'ores et déjà acquis que, si le plan d'affaires se déroule comme prévu, la Caisse des dépôts diminuera progressivement son exposition sur la SFIL au cours des prochaines années. De même, LBP serait moins préoccupée par le partage des marges entre elle et la SFIL.

En tout état de cause, le développement de la nouvelle activité de refinancement export ne semble avoir pas épuisé la question de l'élargissement du périmètre d'intervention de la SFIL afin d'améliorer encore sa rentabilité. Si la société, sous l'impulsion de certains actionnaires, pourrait en effet s'engager sur d'autres voies de développement, celles-ci doivent cependant rester compatibles avec les intérêts sociaux de tous les actionnaires.


* 29 Il faut cependant relever que la décision de la Commission européenne a interdit la distribution de dividendes aux actionnaires de la SFIL.

* 30 Il s'agit des marchés obligataires normaux dits « non sécurisés » par opposition aux marchés des obligations foncières, dits sécurisés.

* 31 En effet, sur l'enveloppe des prêts au secteur public local des fonds d'épargne, la règle a été assouplie : la quotité de financement est de 50 % maximum pour des projets de plus de 2 millions d'euros, mais peut être portée à 75 % maximum pour des projets entre 1 et 2 millions d'euros, et jusqu'à 100 % pour les projets inférieurs ou égaux à 1 million d'euros ; la règle est encore plus souple pour les nouveaux « prêts croissance verte », qui peuvent bénéficier d'un financement à 100 % jusqu'à 5 millions d'euros.

* 32 Réponse écrite de la Caisse des dépôts au questionnaire de votre rapporteur : « Ce positionnement, tant en durée qu'en volume, laisse une large place aux autres acteurs bancaires tout en permettant, par la présence rassurante de la CDC, d'amorcer la réalisation des projets ».

* 33 LBP est par ailleurs satisfaite des prestations assurées par la SFIL.

* 34 Conformément au point 2 de l'annexe III de la décision de la Commission européenne, repris dans le pacte d'actionnaires liant l'État, la CDC et LBP, cette dernière pourra monter au capital de la SFIL, afin que sa participation au capital soit égale à la part des prêts LBP « chargés » dans la CAFFIL par rapport à l'ensemble des encours de celle-ci.

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