N° 607

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mai 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur l' amélioration de la transparence et de la régulation du système financier parallèle ,

Par M. François MARC,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

AVANT-PROPOS

L'expression « shadow banking », qui se traduit par « finance de l'ombre » ou « système financier parallèle », a été utilisée pour la première fois en 2007 par l'Américain Paul Mc Culley, économiste en chef dans l'entreprise PIMCO 1 ( * ) à l'occasion de la réunion annuelle de la Banque centrale du Kansas à Jackson Hole aux États-Unis. Paul Mc Culley identifiait ainsi des établissements financiers non bancaires qui pratiquaient la transformation 2 ( * ) mais sans avoir accès à une assurance des dépôts ou au refinancement des banques centrales. Ces institutions pratiquaient donc des activités similaires à celles des banques sans être soumises aux réglementations prudentielles bancaires : elles évoluaient dans l'ombre depuis plusieurs décennies.

Au même moment la crise révélait l'influence de ce système financier parallèle dans le processus de création excessive de crédit et de propagation des déséquilibres financiers. Le rapport Liikanen 3 ( * ) rappelle comment l'effondrement de pans entiers du système financier parallèle - tout d'abord les activités de titrisation sur les crédits immobiliers ( subprimes ) aux États-Unis, puis les retraits massifs sur les fonds monétaires qui s'en sont suivis - s'est propagé de façon massive au système bancaire entre 2007 et 2008.

Historiquement, le développement de la finance parallèle est lié à la libéralisation financière des années 1980 qui a conduit au développement des marchés et à une reconfiguration du système financier. Les établissements financiers, soumis progressivement aux normes prudentielles, ont engagé une transformation profonde de leurs activités traditionnelles qui, en s'appuyant sur une forte innovation financière, a conduit à un nouveau modèle de financement de l'économie par des acteurs non bancaires. Cette nouvelle forme d'intermédiation, qui englobe en réalité une très grande diversité d'acteurs, a tendance à se substituer de façon croissante aux banques dans leurs activités de financement traditionnel de l'économie, soutenue en cela par les évolutions technologiques.

Depuis quelques années, sous l'impulsion du G20, un large consensus international s'est constitué autour de la nécessité de mieux appréhender l'étendue et les implications du système financier parallèle, identifié comme une cause majeure d'instabilité. Les réflexions et travaux internationaux, tant académiques que réglementaires sur ce sujet, révèlent les difficultés rencontrées dans l'élaboration d'une définition pertinente et d'une correcte appréhension d'un phénomène qui semble prendre de l'ampleur dans un contexte de préoccupation grandissante au sujet de la stabilité financière internationale.

2014 (1 er octobre)

« Le FMI tire la sonnette d'alarme sur l'expansion menaçante du shadow banking » - Agence Ecofin

2015 (15 septembre)

« Shadow banking : pourquoi la Finance de l'ombre n'est toujours pas réglementée ? » - Le Figaro

2016 (16 février)

« La régulation bancaire par son intransigeance et sa volonté de normalisation du système bancaire pousse en réalité à la croissance de la finance dérégulée » - E. CAMPOS - Les Echos

C'est au regard de ces constats inquiétants que ce rapport cherche à apporter un premier éclairage sur une tendance qui, très probablement, prendra une importance croissante dans le paysage financier des prochaines années. Des éléments d'information pertinents doivent être rassemblés en réponse à quelques questions essentielles sur le sujet abordé, dont les principales peuvent être résumées comme suit :

- Quels sont les contours et les activités du système financier parallèle ?

- Quelle part occupe-t-il au sein du système financier international ?

- Quels sont les risques associés au système financier parallèle et ces risques se sont-ils accrus ? Si des avancées très importantes ont été réalisées sur la régulation prudentielle du secteur bancaire, qu'en est-il aujourd'hui de la supervision du système financier parallèle dont le rôle dans la crise financière est clairement avéré ?

- Persiste-t-il encore des zones d'ombre dans la surveillance de certaines pratiques du système financier parallèle qui pourraient compromettre la stabilité financière ?

- Quelles perspectives peuvent être tracées pour une meilleure prise en compte des risques liés à la finance parallèle au sein de l'Union européenne ?

QUELS SONT LES CONTOURS ET LES ACTIVITÉS DU SYSTÈME FINANCIER PARALLÈLE ?

LA COMPRÉHENSION GLOBALE DU PHÉNOMÈNE DU SYSTÈME FINANCIER PARALLÈLE RECOUVRE DES RÉALITÉS HÉTÉROGÈNES...

Malgré les nombreuses études menées ces dernières années, les contours et la croissance réels de la finance parallèle restent encore dans les faits assez mal maîtrisés. La compréhension globale du phénomène est toutefois relativement aisée. Le financement de l'économie, qui schématiquement consiste à rapprocher emprunteurs et prêteurs, peut se réaliser soit sous une forme désintermédiée c'est-à-dire par le recours direct aux marchés financiers, soit sous une formé intermédiée où le financement est géré soit par une banque soit par une institution non bancaire 4 ( * ) . Cette forme d' intermédiation non bancaire est le fait d'institutions ou d'activités très diverses qui peuvent être soumises partiellement à des régulations ou y échapper totalement. Il s'agit donc d'entités exerçant des activités d'intermédiation financière pas ou peu réglementées, non couvertes par des garanties publiques, ne pouvant recevoir de dépôts en tant que tels des épargnants et conduits à se financer directement sur les marchés financiers ou par divers autres canaux. C'est au sein de cette intermédiation non bancaire que se loge le phénomène de la finance parallèle identifié usuellement sous le vocable de shadow banking .

Au sens large, la finance parallèle peut donc être simplement présentée comme l'ensemble des institutions et des activités qui participent au financement de l'économie sans relever de l'activité bancaire « stricto-sensu ». D'ailleurs la variété des vocables utilisés, au-delà de l'anglicisme shadow banking , pour tenter de désigner ce phénomène en démontre la complexité et la multiplicité des perceptions. Ainsi peuvent être utilisés les termes de « finance parallèle », « finance de l'ombre », « système bancaire parallèle » et parfois même, par ceux qui contestent le caractère jugé trop péjoratif des termes précédents, « finance de marché » au sens large. D'ailleurs c'est sous cette dernière appellation que les activités de finance parallèle sont soutenues, notamment en Europe, mais dans un cadre plus sécurisé : Union des marchés de capitaux, relance du marché de la titrisation... Derrière la multiplicité d'appellations transparaît une ambiguïté sur la perception du phénomène qui renforce la nécessité de développer des outils de définition plus précis. Il apparaît toutefois illusoire de chercher à établir une liste définitive et exhaustive de ce qui pourrait constituer le système financier parallèle car les entités et les activités qui y participent sont hétérogènes et par nature évolutives. Il est en effet possible de considérer le crédit octroyé par une entreprise à ses clients comme une forme de finance parallèle au même titre que des opérations de titrisations complexes ou que des plateformes de financement participatif ( crowdfunding )... L'hétérogénéité des activités appartenant potentiellement au système financier parallèle et leur nature évolutive démontrent d'ailleurs qu'il s'agit en réalité plus d'une adaptation en réaction à la pression réglementaire croissante et aux opportunités de marchés que d'un système stable et homogène. Cependant pour ne pas être amené à considérer un ensemble d'activités non pertinent et à surévaluer ou simplement mal évaluer la réalité de la finance parallèle, il faut se garder d'une définition négative c'est-à-dire d'un raisonnement par exclusion de tout ce qui n'est pas du financement bancaire.


* 1 La société PIMCO (Pacific Investment Management Company) fait partie des 10 premiers gestionnaires d'actif mondiaux avec environ 1 500 Md$ d'encours sous gestion.

* 2 La transformation consiste dans le langage de la finance à emprunter à une échéance courte et à placer les fonds ainsi obtenus dans des actifs de plus longs termes créant de fait un risque de liquidité en cas d'impossibilité d'assurer dans le temps le refinancement court terme face à l'engagement long terme.

* 3 Erkki Liikanen: High-level expert group on reforming the structure of the European union banking sector -October 2012.

* 4 Source : BNP PARIBAS High level observations on EU Commission green paper on shadow banking.

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