TROISIÈME PARTIE - UNE PROCÉDURE AUX MULTIPLES ACTEURS CRÉANT DILUTION DES RESPONSABILITÉS ET LENTEUR DE MISE EN OEUVRE

I. UNE PROCÉDURE LONGUE ET SEGMENTÉE

A. DIFFÉRENTES ÉTAPES REPOSANT À LA FOIS SUR LES RECTORATS, LES CROUS, LES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LES DIRECTIONS RÉGIONALES DES FINANCES PUBLIQUES

La gestion des bourses de l'enseignement supérieur fait intervenir un nombre important d'acteurs : les rectorats, les CROUS, les établissements d'enseignement supérieur et les directions régionales des finances publiques.

Ordonnateur délégué de la dépense, les recteurs d'académie gèrent ainsi les crédits dédiés aux bourses . De ce fait, ce sont eux qui signent tous les documents officiels, notamment pour le mandatement, ainsi que les ordres de reversement et les courriers concernant les éventuels recours gracieux. Ces derniers représentaient 280 dossiers en 2014 sur l'académie de Toulouse.

Intervenant en tant que prestataires des rectorats, les CROUS instruisent , quant à eux, les demandes de bourses déposées par les étudiants et, dans le cadre du contrôle d'assiduité, récupèrent les informations des établissements de l'enseignement supérieur pour, le cas échéant, procéder à la suspension des bourses voire établir un ordre de reversement des sommes indûment perçues. Ils constituent, de fait, les interlocuteurs privilégiés des étudiants boursiers. Tous les documents et autres courriers signés par le recteur sont généralement préparés par les CROUS.

Les présidents d'universités, les directeurs d'écoles et les chefs d'établissement , pour les lycées ayant des classes préparatoires aux grandes écoles et des sections de technicien supérieur, sont chargés de contrôler concrètement l'assiduité aux cours et la présence aux examens des boursiers.

Enfin, en bout de chaîne, les directions régionales des finances publiques (DRFiP) jouent le rôle de comptable, en procédant au paiement, chaque mois, des bourses sur critères sociaux et autres aides sociales directes. Elles émettent également les titres de perception lorsqu'un ordre de reversement a été émis par l'ordonnateur.

Cette organisation conduit la Cour des comptes à estimer dans son rapport public annuel 2015 que « le circuit d'instruction et de paiement des bourses sur critères sociaux est complexe . »

Votre rapporteur spécial partage ce sentiment et a pu constater que, dans le cadre du contrôle du respect de l'obligation d'assiduité des étudiants, la procédure actuelle conduit à ce qu'aucun des acteurs ne s'en sente réellement responsable .

Ainsi, une grande partie des présidents d'universités , lesquelles concentrent la grande majorité des boursiers, ne semblent porter qu'un intérêt limité à ce sujet 16 ( * ) . Ils ne gèrent pas les crédits consacrés aux bourses et n'ont aucun intérêt direct à s'assurer du « service fait » .

Il est pourtant essentiel que ces établissements suivent attentivement l'assiduité de l'ensemble de leurs étudiants et leur engagement à réussir.

Les recteurs , ordonnateurs de la dépense, assurent , quant à eux, le mandatement des bourses sans aucune garantie du « service fait » . Ainsi, une université a indiqué n'avoir jamais reçu de remarque officielle de son rectorat malgré l'absence de contrôle de l'assiduité de leurs boursiers (par défaut, ils sont tous déclarés assidus).

La plupart des services des rectorats rencontrés ont ainsi avoué leur ignorance de la teneur des contrôles réalisés par les établissements. Seule l'enquête annuelle lancée par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) à compter de 2013 les a probablement obligés, a minima , à s'intéresser au nombre d'étudiants déclarés non assidus.

Pour expliquer cette situation, les représentants du rectorat de Paris ont notamment mis en avant le manque de moyens dont ils disposaient pour mener à bien l'ensemble de leurs missions , priorité étant donnée au contrôle de légalité et au contrôle budgétaire. Ils ont confirmé ne fixer aucune règle pour le respect du contrôle d'assiduité des boursiers, considérant que cela relevait, par ailleurs, de l'autonomie de chaque université. Le rectorat s'assure uniquement de rappeler chaque année les règles applicables.

À quelques exceptions près, les recteurs d'académie ne jouent pas de rôle d'impulsion dans l'amélioration du contrôle d'assiduité et leur intervention reste globalement très faible dans le processus d'allocation des bourses.

Les CROUS sont, en revanche, davantage conscients de l'importance d'un tel contrôle . Sans disposer d'un véritable « intérêt à agir », comme l'a rappelé Marie Message, directrice adjointe du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS), certains CROUS ont cherché à harmoniser les méthodes de contrôle par le partage des bonnes pratiques. Ainsi, le CROUS de Toulouse organise-t-il une réunion à la rentrée universitaire, où sont conviés l'ensemble des chefs d'établissements d'enseignement supérieur.

Surtout, votre rapporteur spécial a pu constater que les personnels de ces services, qui instruisent les demandes de bourses dans le cadre de la campagne annuelle (56 000 dossiers pour le CROUS de Toulouse, 180 000 pour le CROUS de Paris qui instruit les dossiers des trois académies de la région d'Île-de-France) et suivent ensuite les versements, ne sont pas satisfaits de la procédure actuellement applicable en termes de contrôle d'assiduité.

Ils considèrent que les boursiers non assidus devraient être décelés plus tôt dans l'année, avec des suspensions et des ordres de reversement réalisés « au fil de l'eau ». Le CROUS de Paris a ainsi le sentiment de « courir après les listes » qui doivent être retournées par les universités.

Outre cette dilution des responsabilités , la multiplicité d'acteurs conduit également à allonger considérablement les délais de traitement des cas des boursiers non assidus .

Comme cela a déjà été mis en évidence 17 ( * ) , les établissements d'enseignement supérieur rendent généralement aux CROUS les listes de boursiers , complétées avec l'information du respect ou non de l'obligation d'assiduité, au plus tôt à l'issue du premier semestre , soit plusieurs mois après le premier versement de la bourse.

Ensuite, les CROUS traitent ces listes qui prennent la forme de fichiers Excel, pour suspendre les bourses depuis le logiciel AGLAE. En effet, si les écoles et les lycées ayant des classes préparatoires aux grandes écoles et des sections de technicien supérieur peuvent eux-mêmes suspendre une bourse d'un étudiant non assidu, tel n'est pas le cas des universités. Ce retraitement engendre donc de nouveaux délais.

Puis les CROUS doivent, jusqu'à présent, permettre aux étudiants concernés de justifier leurs absences, après les avoir sollicités par des courriers signés du recteur, ordonnateur de la dépense. En l'absence de retour dans le délai imparti, les bourses peuvent alors être suspendues. La circulaire du 6 juin 2016 est toutefois revenue sur cette procédure pour l'année universitaire à venir 18 ( * ) .

Après une nouvelle relance auprès des étudiants, un ordre de reversement pour tout ou partie des sommes déjà perçues peut être émis. Celui-ci devra, à son tour, être signé du recteur.

On ne peut qu'être frappé par la lenteur de la procédure , induite par l'interaction de l'ensemble de ces acteurs.


* 16 Cf . la deuxième partie du présent rapport.

* 17 Cf . le B du I de la deuxième partie.

* 18 Cf. le 3 du A du II de la première partie.

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