VIII. L'INCERTITUDE LIÉE AUX INCIDENCES ÉCONOMIQUES ET PSYCHOLOGIQUES DU PRÉLÈVEMENT À LA SOURCE

L'instauration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu pourrait avoir des effets à court terme, lors de l'année de transition - qui sont examinés plus avant dans la partie dédiée du présent rapport -, mais aussi à plus long terme .

À cet égard, l'évaluation préalable transmise par le Gouvernement identifie, en premier lieu un effet « psychologique », découlant « de l'effet d'affichage sur la feuille de paie », dès lors que « le versement d'un salaire net d'impôt peut donner l'impression d'une baisse de rémunération, susceptible d'entraîner des revendications salariales les premières années » 108 ( * ) . Se voulant rassurant, le Gouvernement précise que « cet effet sera toutefois limité aux salariés qui acquittent de l'impôt sur le revenu » ; pour autant, il convient de rappeler que près de 17 millions de foyers paient effectivement l'impôt sur le revenu, ce qui ne saurait être négligé...

Cet effet dit « du bas de la feuille de paie » pourrait s'accompagner de revendications salariales mais aussi d'une altération des relations de travail . À ce titre, lors de son audition par la commission des finances 109 ( * ) , Bénédicte Caron, vice-présidente de la CGPME, a estimé que « la réforme aura une incidence sur la relation entre l'employeur et le salarié. Le montant d'impôt payé est un sujet tabou en France. Le salarié aura des réserves à ce que l'employeur ait connaissance de ses autres revenus et aura l'impression que son employeur s'immisce dans sa vie privée » ; celle-ci a également indiqué que « le rapport entre l'employeur et le salarié [pouvait] devenir conflictuel à cause du prélèvement à la source : demain, l'employeur versera moins à son salarié, et sa rémunération nette pourra différer de celle de son voisin, à travail égal, en fonction des situations familiales ».

À l'inverse, le Gouvernement considère que « la réforme pourrait avoir des effets positifs sur la consommation des ménages susceptibles de réduire leur épargne de précaution » 110 ( * ) . En particulier, « la consommation des ménages et l'activité ser[aient] également stimulées par la synchronisation du paiement de l'impôt avec la perception des revenus qui réduira[it] le taux d'épargne des ménages. En effet, le fait que le montant perçu mensuellement sur le bulletin de paie corresponde à un revenu effectivement disponible pourrait favoriser la consommation et réduire l'épargne de précaution que se constituent les ménages en vue du paiement futur de leur impôt » 111 ( * ) . Même, il est possible d'ajouter qu'en principe, la retenue à la source pourrait conduire à une réduction de l'épargne tampon , qui résulte de la nécessité pour les agents de maintenir un niveau de liquidité minimum afin de pouvoir faire face aux contraintes de liquidités. Elle se différencie de l' épargne de précaution en ce que cette dernière a pour finalité de permettre aux agents de se prémunir contre une éventuelle baisse de revenus.

Néanmoins, les effets de la réforme proposée par le Gouvernement sur la consommation des ménages ne doivent pas être surestimés . Comme l'a rappelé le Conseil des prélèvements obligatoires 112 ( * ) , différentes études économiques ont montré, d'une part, que la réduction des incertitudes sur les revenus futurs se traduisait par une augmentation de la consommation à court terme 113 ( * ) et, d'autre part, que la consommation à court terme s'ajustait directement aux variations du revenu courant 114 ( * ) .

Aussi le Gouvernement estime-t-il que la contemporanéité accrue de l'impôt, ajoutée au fait que les ménages n'auraient plus à thésauriser afin d'acquitter leurs cotisations d'impôt sur le revenu, permettrait une réduction de l'épargne des ménages. Cependant, comme cela a déjà été relevé dans le présent rapport, la contemporanéité permise par la réforme proposée ne serait que très imparfaite - du fait de l'ancienneté des données utilisées pour calculer le taux du prélèvement, de l'absence d'« effet d'assiette » pour le travailleurs indépendants, de la non-prise en compte des réductions et crédits d'impôt dans le montant du prélèvement, ou encore de la faible accessibilité des mécanismes de modulation -, impliquant des régularisations ex post ; par conséquent, les incidences du prélèvement à la source tel qu'il est conçu dans le cadre de la réforme proposée sur l'épargne de précaution et sur l'épargne tampon devraient être limitées .

En tout état de cause, il est nécessaire de rappeler que le paiement de l'impôt n'est aucunement la première cause de la constitution d'une épargne de précaution, qui s'explique essentiellement par la volonté des agents de se prémunir contre les risques de chômage et de maladie .

À en croire le Conseil des prélèvements obligatoires 115 ( * ) , le prélèvement à la source pourrait avoir deux effets en matière de conduite des politiques économiques. D'une part, il permettrait une meilleure synchronisation de l'impôt aux variations des revenus, ce qui serait de nature à renforcer l'efficacité des stabilisateurs automatiques 116 ( * ) . D'autre part, le calcul de l'impôt sur une base mensuelle pourrait favoriser une entrée en vigueur plus rapide des nouvelles dispositions fiscales , améliorant leur utilisation à des fins de politique économique.

Il est vrai que l'« effet d'assiette », soit la variation du montant du prélèvement avec celle des revenus, est de nature à permettre une plus grande adaptabilité de l'impôt sur le revenu à la conjoncture économique , soit d'accroître le caractère « contra-cyclique » de ce dernier. Ainsi un ralentissement de la croissance entraînerait-il mécaniquement une diminution des retenues à la source corrélativement à celle des revenus des contribuables liée, par exemple, à la hausse du chômage - ce qui se traduirait par un creusement du déficit public -, limitant les effets de ce ralentissement sur le revenu disponible des ménages et donc sur l'activité ; inversement, en cas de rebond de la croissance, le niveau des prélèvements augmenterait, contribuant à éviter les phénomènes de « surchauffe ». Cependant, il convient de répéter que cet « effet d'assiette » serait, dans le cadre de la réforme proposée, fortement contraint , dans la mesure où il ne concernerait pas les travailleurs indépendants - ou, plus généralement, l'ensemble des revenus exclus du champ de la retenue à la source - et qu'il serait atténué du fait de la non-prise en compte des réductions et crédits d'impôt.

Quoi qu'il en soit, le Conseil des prélèvements obligatoires a estimé que l'amplification des stabilisateurs susceptibles de découler de l'institution de la retenue à la source « resterait limitée, compte tenu du faible poids de l'impôt sur le revenu : [...] l'impôt sur le revenu représente aujourd'hui moins de 6 % du produit total des prélèvements obligatoires [...]. En conséquence, la plus grande réactivité de l'impôt sur le revenu aux variations de la conjoncture n'aurait qu'un impact limité au niveau macroéconomique » 117 ( * ) .

En somme , les avantages économiques de la réforme avancés par le Gouvernement doivent impérativement être relativisés , dès lors qu'ils devraient être, au mieux, extrêmement limités.


* 108 Évaluation préalable de l'article 38, op. cit. , p. 335.

* 109 Sénat, audition du mercredi 5 octobre 2016, op. cit.

* 110 Évaluation préalable de l'article 38, op. cit. , p. 335.

* 111 Ibid. , p. 336.

* 112 Conseil des prélèvements obligatoires, op. cit. , 2012.

* 113 Voir, par exemple, R. Barsky, N. Mankiw et S. Zeldes, « Ricardian Consumers with Keynesian Propensities », American Economic Review , vol. 76, n° 4, 1986, p. 676-691, et C. Carroll, « How Does Future Income Affect Current Consumption », The Quarterly Journal of Economics , vol. 109, n° 1, 1994, p. 111-147.

* 114 Voir, par exemple, J. Parker, N. Souleles, D. Johnson et R. McClelland, « Consumer Spending and the Economic Stimulus Payments of 2008 », American Economic Review , vol. 103, n° 6, 2013, p. 2530-2553.

* 115 Conseil des prélèvements obligatoires, op. cit. , 2012.

* 116 Les stabilisateurs automatiques correspondent aux mécanismes par lesquels les finances publiques parviennent à atténuer les conséquences des évènements conjoncturels sur l'activité économique. À titre d'exemple, en cas de ralentissement conjoncturel, la baisse des recettes fiscales et la hausse des prestations sociales permettent d'atténuer les fluctuations de l'activité.

* 117 Conseil des prélèvements obligatoires, op. cit. , 2012, p. 107-108.

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