C. UN RENOUVEAU DE L'INGÉNIERIE TERRITORIALE ?

Avec la rénovation du contrôle de légalité, l'autre proposition forte de l'État est le renouveau de l'ingénierie territoriale.

Ce renouveau a été acté par la directive nationale d'orientation (DNO) sur l'ingénierie d'État dans les territoires 2016-2018, qui est venue « clarifier le rôle et le positionnement des services de l'État en matière d'ingénierie territoriale. »

Dans ce contexte, la directive assigne à l'État trois rôles :

- l' « État expert » , les services déconcentrés et les établissements publics devant mettre leurs expertises et leurs capacités d'ingénierie à la disposition des porteurs de projets ;

- l' « État incitateur » , une mise en relation et des synergies entre les acteurs de l'ingénierie territoriale devant être promues sous l'autorité des préfets, chargés de définir des priorités d'intervention dans chaque territoire ;

- et l' « État facilitateur » , l'organisation et les procédures des services déconcentrés devant être orientées vers l'émergence, l'accompagnement et la concrétisation des projets, les préfets étant chargés d'un rôle de conseil auprès des collectivités territoriales en amont des projets et en cohérence avec le contrôle de légalité.

À cette fin, la directive précise les fonctions dévolues aux représentants et aux services de l'État :

- les préfets de département , sur proposition des directeurs départementaux interministériels et des chefs de services, organisent l'action des services de l'État de façon à faciliter la conception et la mise en oeuvre des projets ;

- les sous-préfets et les services infra-départementaux concourent à la détection et à l'accompagnement des projets ;

- enfin, les préfets de région et les directeurs régionaux organisent les missions de pilotage, d'animation, de capitalisation et de valorisation, en lien avec les réseaux scientifiques et techniques, et assurent certaines missions opérationnelles d'accompagnement.

Pour la mise en oeuvre concrète de cette directive, il est prévu que chaque ministère alloue les moyens adaptés dans le cadre de ses dialogues de gestion, notamment au niveau départemental.

Vos rapporteurs jugent bienvenu le regain d'intérêt de l'État pour l'ingénierie territoriale, à tout le moins dans le discours.

Ils observent que ces orientations en faveur d'un rôle de conseil et de facilitation sont en phase avec les attentes des élus locaux, les répondants à la consultation ayant indiqué souhaiter un État conseil (26,9% des répondants) et un État facilitateur (35,5%).

Ils relèvent cependant que ces annonces ne suffiront pas, à elles seules, à compenser le retrait continu de l'État dans ce domaine, les participants à la consultation ayant précisé avoir habituellement recours aux services du département (27,9% des cas), de l'intercommunalité (19,7%) ou d'un prestataire privé (22,6%), loin devant l'État (9,5%).

Vos rapporteurs relèvent surtout le flou de ces orientations, peu à même d'avoir un impact concret et immédiat dans les territoires.

Au demeurant, l' « ingénierie territoriale » est une notion composite, dont les élus locaux et les services déconcentrés ont parfois des acceptions différentes, insistant tour à tour sur sa dimension technique, juridique, administrative ou financière.

Dans la conduite de leurs projets, les collectivités territoriales attendent de l'État, peut-être moins des prestations de services - pour lesquelles elles se sont depuis longtemps organisées par elles-mêmes -, qu'un éclairage sur le cadre législatif et règlementaire en amont et les éventuelles difficultés juridiques en aval, une coordination des différents services et opérateurs de l'État et, en tant que de besoin, la mobilisation de compétences rares et de leviers financiers.

Voilà, résumées à grands traits, les principales attentes des collectivités territoriales en matière d'ingénierie territoriale que vos rapporteurs retiennent de leurs travaux.

Traduction visible du renouveau de l'ingénierie territoriale, les ministères en charge de l'environnement et du logement ont mis en place le nouveau conseil aux territoires , qui constitue une démarche d'accompagnement des collectivités territoriales en matière d'aménagement, détaillée dans une note technique du 7 juillet 2016.

Cette démarche, gratuite et partenariale, est portée par les directions départementales des territoires (DDT), avec l'appui des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Son objectif est d'aider à l'émergence de projets ou de stratégies, de soutenir la mise en oeuvre des politiques publiques prioritaires de l'État, et de fournir un appui méthodologique aux collectivités territoriales.

Dans un souci d'adaptation aux circonstances locales, les priorités d'intervention de ce dispositif sont définies par chaque DDT, en lien avec celles fixées par le préfet de département en application de la DNO précitée.

Lors de leur déplacement à Orléans, vos rapporteurs ont pu apprécier la mise en oeuvre du nouveau conseil aux territoires dans le département du Loiret. La DDT a indiqué avoir affecté trois agents à temps plein sur cette mission, au sein d'un pôle d'appui aux projets. Ces agents ont pour tâche d'accompagner les projets ou les préfectures via des revues de projets, d'appuyer les collectivités territoriales à travers des appels à projets (territoires à énergie positive, démarches d'éco-quartier, réhabilitation du patrimoine énergétique notamment), et de coordonner les services de la DDT pour la délivrance des autorisations environnementales uniques. Une lettre de mission et un vade-mecum doivent être rédigés pour ce pôle d'ici la fin de l'année.

Vos rapporteurs soulignent le rôle majeur dévolu aux DDT en matière d'ingénierie territoriale, dont l'expertise est souvent très appréciée par les collectivités territoriales, notamment dans le domaine de l'urbanisme stratégique ou opérationnel.

Ils sont en revanche plus circonspects quant à la démarche du nouveau conseil aux territoires , qui apparaît plus comme un pis-aller consécutif aux réformes de l'ADS et de l'ATESAT 11 ( * ) , que comme un véritable tournant.

De surcroît, une personne auditionnée a fait observer que cette démarche n'avait rien de « nouveau », mais correspondait à l'exercice bien établi des missions de conseil exercées par les DDT au profit des collectivités territoriales.

Quels que soient la substance et le devenir du nouveau conseil aux territoires , vos rapporteurs constatent le peu d'écho recueilli par ce dispositif chez les élus locaux, 81,9% des répondants à la consultation n'en ayant pas eu connaissance et 73,5% des répondants informés de cette démarche n'y ayant jamais eu recours.

Si les ministères en charge de logement et de l'environnement ont pris une initiative en faveur de l'ingénierie territoriale, il en est de même du ministère de l'Intérieur.

D'une part, l'échelon infra-départemental a été défini comme le « niveau privilégié de mise en oeuvre d'une ingénierie territoriale au service des porteurs de projet dans une dynamique de développement local » par la directive nationale d'orientation (DNO) des préfectures et sous-préfectures 2016-2018.

D'autre part, le ministre de l'Intérieur a demandé aux préfets de « repositionner les agents de sous-préfectures sur l'ingénierie territoriale , afin d'apporter aux porteurs de projets publics et privés un accompagnement cohérent et coordonné » par une instruction du 16 février 2016.

Vos rapporteurs estiment que cette réaffirmation du rôle des sous-préfectures en matière d'ingénierie territoriale est intéressante, cette fonction étant déjà bien établie aux yeux des collectivités territoriales.

Ils rappellent à cet égard que 62,2% des élus du bloc communal ayant répondu à la consultation se disent d'ores et déjà satisfaits du rôle d'interlocuteur du sous-préfet.

Comme évoqué précédemment, vos rapporteurs jugent qu'il est indispensable que le repositionnement des agents soit assorti de formations et complété par des recrutements, l'ingénierie territoriale étant une mission requérant un haut niveau de qualification et d'expérience.

Parmi la pléthore d'initiatives dans le domaine de l'ingénierie territoriale, peuvent également être citées :

- la création du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CÉREMA), par la loi n°2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports (article 44), qui constitue un centre de ressources et d'expertises techniques et scientifiques pouvant intervenir auprès des services de l'État ou des collectivités territoriales.

- ainsi que l'expérimentation, depuis 2015, du dispositif d'accompagnement interministériel au développement et à l'expertise en milieu rural (AIDER), qui permet de mettre ponctuellement à la disposition de territoires ruraux, où l'offre d'ingénierie est peu développée, une équipe de fonctionnaires de l'État issus de corps d'inspections.

Longtemps en déshérence , l'ingénierie territoriale est désormais prise en compte par tous les acteurs.

Cependant, derrière ce retour rhétorique de l'État dans le domaine de l'ingénierie territoriale, plusieurs interrogations restent en suspens : Les moyens mobilisés seront-ils suffisants, au regard des ambitions affichées ? Comment ces initiatives, disparates pour ne pas dire concurrentes, s'articuleront-elles les unes aux autres ? Enfin et surtout, existe-il au sein des services de l'État une définition claire et partagée de l' « ingénierie territoriale » ?

Le dispositif d'accompagnement interministériel au développement
et à l'expertise en milieu rural (AIDER) : quels éléments de bilan ?

Vos rapporteurs ont auditionné M. Bruno Fareniaux, inspecteur général de l'administration du développement durable, du dispositif AIDER.

Ce dispositif permet d'offrir à des collectivités territoriales et à leurs groupements, sélectionnés consécutivement à un appel à projets, une ingénierie de projet et une ingénierie financière. Sa spécificité est de mobiliser des fonctionnaires issus de corps d'inspection intervenant auprès des élus locaux en lien avec les services préfectoraux et les réseaux territoriaux de l'État. Les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales sont souvent liées à un déficit dans l'offre d'ingénierie territoriale et, dans une moindre mesure, à une difficulté de priorisation des projets.

La première série d'expérimentations, lancée en 2015, s'est déployée dans deux intercommunalités en Ariège, une commune en Lozère, et le département de la Nièvre. Les trois missions avaient pour thème respectivement la reconversion de friches industrielles et la promotion du tourisme, les opérations d'aménagement et la rénovation de l'habitat, ainsi que le soutien à l'agriculture et le développement de l'industrie automobile.

La seconde série d'expérimentations, engagée en 2016, concerne quatre sites touristiques situés en zone de montagne, dont elle vise à réhabiliter le parc immobilier et les installations de loisirs. Deux missions sont déjà opérationnelles, au Lac de Vassivière (Haute-Vienne) et au Plateau de Hauteville (Ain).

Il ressort de cette audition l'intérêt, pour la conduite des projets locaux, d'un dialogue entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés, ainsi qu'entre les différents services déconcentrés eux-mêmes. Les connaissances techniques des réseaux territoriaux, et la capacité d'animation des préfets et des sous-préfets sont essentielles.

Au total, vos rapporteurs soulignent que cette expérimentation, si elle est pour l'heure très circonscrite, semble bien répondre aux attentes des collectivités territoriales : l'intervention de tiers extérieurs disposant d'un haut niveau de compétences, en lien avec les services préfectoraux et les réseaux territoriaux, peut permettre de résoudre des situations de blocage.

Selon Bruno Fareniaux, « L'intérêt de cette démarche est de rappeler qu'il y encore une capacité de réponse au sein de l'État et de ses réseaux territoriaux ».


* 11 La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové (ALUR) a réservé la mise à disposition des services de l'État pour l'application du droit des sols aux seules communes appartenant à des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de moins de 10 000 habitants ou aux seuls EPCI de moins de 10 000 habitants (article 134). Par ailleurs, la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a supprimé l'assistance technique fournie par l'État aux collectivités pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT) (article 123).

Page mise à jour le

Partager cette page