DES ADMINISTRATIONS DÉCONCENTRÉES EN CONSTANTE RECOMPOSITION

Depuis le début des années 2000, les services déconcentrés de l'État sont confrontés à une succession de réformes , qui remettent périodiquement en question leurs modalités d'organisation, leurs priorités d'action et leurs moyens matériel et humain.

Si les finalités poursuivies par ces réformes, et les méthodes mobilisées pour leur élaboration et leur mise en oeuvre, sont parfois différentes ou, à tout le moins, présentées différemment, les associations d'élus locaux et les syndicats des personnels déconcentrés auditionnés par vos rapporteurs s'accordent sur un constat : les réformes engagées poursuivent prioritairement un objectif de modération budgétaire, et associent insuffisamment les acteurs de terrain.

Bien que des évolutions positives aient pu être accomplies, dans le sens d'une plus grande efficacité et d'une plus grande pertinence de l'action des services de l'État dans nos territoires, il résulte du « zèle réformiste » qui sévit depuis au moins une décennie dans l'administration déconcentrée un sentiment d'exaspération chez les élus, et d'épuisement chez les personnels.

I. UN CONTEXTE DE RÉFORMES INCESSANTES

Les travaux de vos rapporteurs interviennent dans un contexte de désorganisation des services déconcentrés, imputable à l'accumulation, ces dernières années, de réformes tout à la fois continues, généralisées et mal articulées les unes avec les autres.

Ces réformes sont continues dans le temps , puisque la réorganisation des services déconcentrés de l'État a été amorcée en 2008 avec la Réforme de l'administration territoriale de l'État (Réate), lancée dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), puis s'est poursuivie depuis 2012 avec la Modernisation de l'action publique (MAP), qui comprend notamment une revue des missions de l'administration territoriale de l'État.

Elles sont généralisées dans l'espace , aucun échelon territorial - de la circonscription régionale à l'arrondissement en passant par l'échelon départemental - n'échappant à la redéfinition des services déconcentrés de l'État. En témoignent les annonces successives de la réorganisation des services régionaux en 2014, du Plan préfectures nouvelle génération en 2015, et de la révision de la carte des arrondissements en 2016.

Elles sont enfin assez mal articulées les unes avec les autres , dans la mesure où les territoires sont non seulement touchés par les réorganisations des services déconcentrés évoquées ci-dessus, mais aussi par les rationalisations, conduites de surcroît selon une « logique des silos » , des implantations territoriales d'autres services publics (gendarmeries, écoles, hôpitaux, tribunaux, trésoreries, sites de défense notamment).

A. DES RÉFORMES CONTINUELLES

Relancée par la Réate en 2008, la réforme des services déconcentrés s'est poursuivie avec la MAP depuis 2012.

1. La Réforme de l'administration territoriale de l'État

Initiée le cadre de la RGPP, la Réate a consisté en une réorganisation des services déconcentrés régionaux et départementaux, ainsi qu'en un renforcement de l'autorité des préfets de région et de département.

Les services régionaux ont été ramenés au nombre de 8, contre une vingtaine auparavant (Direction régionale des finances publiques - DRFIP, Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi - DIRECCTE, Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement - DREAL, Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale - DRJSCS, Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt - DRAAF, Direction régionale des affaires culturelles - DRAC, Agence régionale de santé, Rectorat).

Les services départementaux ont été réorganisés autour de 2 à 3 directions départementales interministérielles (DDI) , selon les départements (Direction départementale des territoires - DDT, Direction départementale de la cohésion sociale - DDCS, Direction départementale de la protection des populations - DDPP, la première direction prenant le nom de Direction départementale des territoires et de la mer - DDTM - dans les départements littoraux, et les deux dernières étant réunies en une Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations - DCSPP - dans les départements de moins de 400 000 habitants).

En outre, le préfet de région est devenu responsable de l'exécution des politiques publiques dans la région , et a reçu un pouvoir d'instruction sur le préfet de département et un droit d'évocation de certaines des compétences de ce dernier.

Parmi les missions des services déconcentrés, le contrôle de légalité a été centralisé en préfecture, et recentré sur des secteurs prioritaires.

2. La Modernisation de l'action publique

Succédant à la RGPP, la MAP comporte un volet relatif aux services déconcentrés.

a) De la stabilisation... à la réorganisation

Les premières actions du Gouvernement issu des élections législatives de 2012 à l'égard des services déconcentrés ont été notamment de constituer un groupe de travail interministériel, piloté par le Secrétariat général à la modernisation de l'action publique (SGMAP), et de confier à Jean-Marc Rebière et à Jean-Pierre Weiss un rapport portant sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État.

Sur cette base, plusieurs séries de mesures ont été adoptées par le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP). Réuni à quatre reprises de 2012 à 2013, le CIMAP a donné une suite concrète et opérationnelle aux propositions du groupe de travail et du rapport précités, respectivement les 2 et 17 avril 2013.

Vos rapporteurs observent que la MAP avait pour objectif initial la stabilisation de l'organisation territoriale de l'État, l'essentiel des évolutions alors engagées portant sur les modalités d'exercice pratiques des compétences des services déconcentrés.

Pour preuve, le relevé de décisions du CIMAP du 17 juillet 2013 indiquait : « Le Gouvernement a fait le choix de concentrer désormais les énergies sur la rénovation des modalités de pilotage et de fonctionnement de l'administration déconcentrée, plutôt que de lancer une nouvelle réorganisation alors que les précédentes se sont révélées brutales et n'ont pas été assimilées. »

La décision n° 33 précisait même que : « Le Gouvernement n'engage pas de nouvelle réorganisation, et assure la stabilité des services existants (départementaux et régionaux) pour concentrer les énergies sur la modernisation du pilotage et l'amélioration concrète du fonctionnement de l'administration déconcentrée. »

Ironie de l'histoire, à peine un an plus tard, ce sage objectif de stabilisation passait au second plan, au profit de réformes nettement plus ambitieuses...

Dans l'intervalle, en effet, la nouvelle donne territoriale avait rendu plus pressante la réorganisation des services déconcentrés , sans compter la nécessité, dans un contexte de crise persistante, de réduire les dépenses publiques et de soutenir la compétitivité des territoires.

D'une part, la réforme de la carte des régions , consécutive à la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (article 1), avait justifié l'évolution des services régionaux, et reposé la question du devenir des services départementaux.

D'autre part, la montée en puissance des métropoles, permise par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MATPAM) (titre II), ainsi que la constitution de groupements de communes d'au moins 15 000 habitants, portée par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) (article 33), avaient mis en lumière les faiblesses de l'organisation des services infra-départementaux.

b) Les 8 chantiers de la réforme de l'État

C'est dans ce contexte qu'a été lancée, par le Conseil des ministres du 2 juillet 2014, « une nouvelle étape de la réforme de l'État [...] menée de manière complémentaire et dans le même calendrier que la réforme territoriale ».

Sa mise en oeuvre a été confiée au ministre de l'Intérieur, en lien avec le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification.

Huit chantiers prioritaires ont ainsi été définis :

- l'élaboration d'une revue des missions de l'administration territoriale de l'État ;

- la rénovation de la charte de la déconcentration ;

- la mise en place d'une gestion modernisée et déconcentrée des ressources humaines ;

- le renforcement des marges de manoeuvre budgétaire des gestionnaires locaux ;

- la définition d'une nouvelle carte des services publics au niveau infra-départemental ;

- le renforcement du rôle des préfets, délégués territoriaux des établissements publics de l'État ;

- la relance et la poursuite de la mutualisation des fonctions support ;

- et la simplification du fonctionnement des instances consultatives.

c) Les 45 engagements de la revue des missions

Dans le cadre de la revue des missions, 45 engagements ont été pris, dont certains concernent directement les collectivités territoriales , tels que :

- moderniser les missions de délivrance des titres (mesure 1) ;

- dématérialiser les actes soumis à transmission et, notamment pour les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants, systématiser la transmission dématérialisée des actes soumis au contrôle (mesure 8) ;

- tenir compte de la récurrence des irrégularités constatées pour, le cas échéant, alléger la fréquence des contrôles sur les actes de certaines collectivités engagées dans des démarches d'autocontrôle (mesure 9) ;

- réduire par bloc homogène d'actes la liste des actes transmissibles (mesure 10) ;

- renforcer et améliorer le conseil aux plus petites collectivités dans les domaines juridiques les plus complexes (mesure 11) ;

- ou redéfinir la stratégie et le niveau d'intervention des services de l'État en matière d'ingénierie territoriale, permettant d'offrir une prestation adaptée à la nature du projet (mesure 25).

d) Quelques exemples de réalisations notables

Ces chantiers et ces engagements, dont la mise en oeuvre est toujours en cours, ont d'ores et déjà abouti à quelques réalisations notables , parmi les suivantes :

- une circulaire du 4 décembre 2013 a fait du préfet de région le responsable de budget opérationnel de programme (BOP) pour les services territoriaux placés sous son autorité ;

- un décret du 7 mai 2015 a remplacé la charte de la déconcentration, datant de 1992, par une nouvelle. Cette charte, qui consacre l'échelon régional comme niveau de « conduite d'actions de modernisation des services déconcentrés » et de « définition du cadre stratégique de la politique immobilière des services déconcentrés » , dote le préfet de région de la faculté de déroger aux règles relatives à l'organisation des services déconcentrés et à la répartition des missions entre ces services, notamment pour tenir compte des spécificités locales, et affirme les pouvoirs des préfets à l'égard des opérateurs de l'État et en matière de mutualisation ;

- une directive nationale d'orientation (DNO) des préfectures et sous-préfectures 2016-2018 a été publiée. Elle a notamment pour objet de préciser les modalités d'application du Plan préfectures nouvelle génération , qui vise à moderniser l'activité de délivrance des titres des préfectures pour conforter leurs missions régaliennes, dont l'expertise juridique et le contrôle de légalité ;

- une directive nationale d'orientation (DNO) interministérielle sur l'ingénierie d'État dans les territoires 2016-2018 a été prise. Elle assigne à l'État un rôle d'expertise, d'incitation et de facilitation dans ce domaine, et précise les fonctions de ses représentants : le préfet de région est chargé de mener des missions de pilotage et d'animation notamment, le préfet de département d'organiser l'action des services de l'État de manière à faciliter la conception et la mise en oeuvre des projets, et le sous-préfet de concourir à la détection et à l'accompagnement des projets.

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