C. DEUX CRISES QUI ONT CONDUIT AU RÉTABLISSEMENT DES CONTRÔLES AUX FRONTIÈRES INTÉRIEURES DE PLUSIEURS ÉTATS MEMBRES

Ces deux crises ont eu la même conséquence : le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures au sein de l'espace Schengen ou son maintien par plusieurs États. Ce rétablissement est toutefois intervenu sur des fondements différents .

Se fondant sur l'article 25 53 ( * ) et 27 54 ( * ) du code frontières Schengen autorisant la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures « en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure », la France avait rétabli le contrôle à ses frontières à compter du 13 novembre 2015, pour une durée d'un mois, en prévision de la tenue sur son territoire de la conférence Paris Climat (COP 21). À la suite des attentats de Paris, le soir même, ces contrôles ont été renforcés et prolongés en un premier temps jusqu'au 26 mai 2016, puis à trois reprises, jusqu'au 15 juillet 2017, en raison d'une « menace terroriste permanente ».

En réponse à l'afflux de migrants et par crainte des mouvements secondaires, plusieurs pays avaient décidé, dès le mois de septembre 2015, de réintroduire temporairement le contrôle à leurs frontières intérieures en se fondant, quant à eux, sur l'article 28 55 ( * ) du code frontières Schengen, qui autorise la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, pour une période limitée n'excédant pas 10 jours renouvelable par périodes de 20 jours jusqu'à une durée totale de 2 mois, « lorsqu'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État membre exige une action immédiate ». Initiée par l'Allemagne, dès le 13 septembre 2015, cette réintroduction des contrôles a été également effective en Autriche, le 16 septembre, le lendemain en Slovénie et en Hongrie, puis en Suède, le 11 novembre 2015, en Norvège, le 26 novembre 2015, et au Danemark, le 4 janvier 2016. Ces mesures furent prises sans coordination ni concertation préalables aux niveaux bilatéral et européen, le code frontières Schengen ne prévoyant aucune procédure spécifique en cas de fort afflux de migrants.

Puis, se fondant désormais sur l'article 29 56 ( * ) du code frontières Schengen, l'Allemagne, le 14 novembre 2015, l'Autriche, le 16 novembre suivant, la Suède, le 9 janvier 2016, la Norvège, le 15 janvier, et le Danemark, le 4 mars, ont successivement informé la Commission de la prolongation de la réintroduction des contrôles à leurs frontières intérieures pour une durée de six mois 57 ( * ) .

Ces réactions en domino de repli sur les frontières nationales sont le symptôme d'un manque de réactivité de l'Union européenne.

Il a été rappelé à une délégation de votre commission d'enquête, lors de son déplacement à Bruxelles, que la Commission est intervenue tardivement, faute d'avoir fait preuve de réactivité : elle aurait dû se rendre rapidement sur place afin d'examiner les mesures prises d'un point de vue technique. La Commission n'a pas vraiment réagi avant novembre 2015. Il lui a fallu une importante pression politique de la part de la Présidence luxembourgeoise. Aussi n'a-t-elle pu que légitimer a posteriori ces décisions unilatérales de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures en faisant application, pour la première fois, de la procédure de l'article 29 du code frontières Schengen relatif à la procédure spécifique en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace Schengen. À la suite d'une évaluation conduite en novembre 2015, la Commission a ainsi constaté de graves manquements dans la gestion des frontières extérieures par la Grèce. Partant de ce constat, le Conseil a recommandé à certains États, par une décision d'exécution en date du 12 mai 2016 58 ( * ) , de maintenir les contrôles aux frontières intérieures qu'ils avaient réintroduits en réponse à « d'importants mouvements secondaires, constitutifs d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure ».

Cette recommandation a donc autorisé pour six mois, jusqu'au 12 novembre 2016 :

- l'Allemagne à maintenir des contrôles à sa frontière terrestre avec l'Autriche ;

- l'Autriche à les maintenir à sa frontière terrestre avec la Hongrie et la Slovénie ;

- le Danemark, dans les ports depuis lesquels sont assurées des liaisons par transbordeur vers l'Allemagne et à sa frontière terrestre avec l'Allemagne ;

- la Norvège, dans les ports depuis lesquels sont assurées des liaisons par transbordeur vers le Danemark, l'Allemagne et la Suède ;

- la Suède, dans les ports situés dans les régions de police Sud et Ouest et au pont de l'Øresund qui la relie au Danemark.

Ces pays ont ensuite été autorisés à prolonger ces contrôles par deux fois, le 11 novembre 2016 59 ( * ) puis le 7 février 2017 60 ( * ) , pour une durée de trois mois, la Commission ayant constaté que la situation demeurait fragile. La carte ci-après présente les mesures de contrôle aux frontières intérieures de l'espace Schengen en vigueur au 7 février 2017.

Ce retour aux frontières intérieures a été violemment décrié et dénoncé, notamment à Bruxelles, comme la fin, si ce n'est de la lettre, du moins de « l'esprit de Schengen ». Il a contribué à alimenter le discours relatif à la nécessaire « sortie de Schengen », même si, en réalité, l'activation de la clause de sauvegarde prévue par le code frontières Schengen est plutôt la démonstration de la solidité de l'espace Schengen assurée par la flexibilité du code frontières.

Il demeure cependant qu'outre le manque de réactivité de l'Union européenne, ces réactions de repli derrière les frontières nationales sont l'expression du défaut de confiance des pays de l'espace Schengen les uns envers les autres.


* 53 Article 23 selon l'ancienne numérotation du code frontières Schengen.

* 54 Article 24 selon l'ancienne numérotation du code frontières Schengen.

* 55 Article 25 selon l'ancienne numérotation du code frontières Schengen.

* 56 Article 26 selon l'ancienne numérotation du code frontières Schengen.

* 57 Cf . annexes à la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil « Retour à l'esprit de Schengen - Feuille de route » du 4 mars 2016 (COM(2016) 120 final.

* 58 Décision d'exécution (UE) 2016/894 du Conseil du 12 mai 2016 arrêtant une recommandation relative à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace Schengen.

* 59 Décision d'exécution (UE) 2016/1989 du Conseil du 11 novembre 2016.

* 60 Décision d'exécution (UE) 2017/246 du Conseil du 7 février 2017.

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