II. UN ESPACE QUI A CONNU DE PROFONDES ÉVOLUTIONS DEPUIS TRENTE ANS

L'espace Schengen a profondément évolué depuis sa création. À cet égard, il illustre la capacité de mutation du projet européen.

En plus de trente ans, il a en effet connu deux principales évolutions : d'une part, des adhésions successives de nouveaux membres qui ont étendu son champ d'application territorial, et, d'autre part, une évolution institutionnelle qui a conduit à sa communautarisation et s'est accompagnée d'un élargissement de son contenu.

A. L'ÉLARGISSEMENT GÉOGRAPHIQUE DE L'ESPACE SCHENGEN : DE CINQ À VINGT-SIX MEMBRES

En dépit des nombreux élargissements géographiques qu'a connus l'espace Schengen, un décalage subsiste entre la carte de l'Union européenne et celle de cet espace . Ce décalage a notamment pour conséquence que les frontières extérieures de l'Union européenne ne sont pas nécessairement celles de l'espace Schengen.

Actuellement, l'espace Schengen comprend vingt-six États membres , soit :

1°) vingt-deux États membres de l'Union européenne : les cinq États fondateurs : Allemagne, Belgique, France 11 ( * ) , Luxembourg et Pays-Bas ; Italie ; Espagne et Portugal ; Grèce ; Autriche ; Danemark 12 ( * ) , Finlande et Suède ; Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie et République tchèque ;

2°) quatre États associés : Islande et Norvège ; Suisse ; Liechtenstein.

L'association de pays hors Union européenne à l'espace Schengen a pour préalable la conclusion d'un accord sur la libre circulation des personnes entre les États et l'Union, plus précisément, un accord sur l'Espace économique européen (EEE) pour l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein et un accord sur la libre circulation des personnes pour la Suisse qui ne fait pas partie de l'EEE. La participation des États associés à l'espace Schengen se traduit pour eux par l'application de l'acquis de Schengen et l'association à la prise de décisions. Celle-ci a lieu au sein de comités mixtes qui se réunissent en marge des groupes de travail du Conseil et rassemblent des représentants des gouvernements des États membres de l'Union européenne, de la Commission et des gouvernements des États associés. Ceux-ci participent aux discussions sur le développement de l'acquis de Schengen, mais n'ont pas le droit de vote au sein du Conseil Justice et affaires intérieures (JAI). Ils choisissent les mesures qu'ils souhaitent reprendre. Ces quatre États sont connectés au SIS.

Ainsi l'application de l'acquis de Schengen et les règles de vote au Conseil répondent-elles aujourd'hui à des logiques différentes selon les États.

Le tableau ci-après présente, pour les États membres d'abord, pour les États associés ensuite, les dates de signature de l'accord de Schengen ou de sa convention d'application et d'adhésion à l'espace Schengen :

État membre
(et État associé)

Date de signature de l'accord ou de la convention d'application de l'accord

Date d'adhésion

à l'espace Schengen

Allemagne

14 juin 1985

26 mars 1995

Belgique

14 juin 1985

26 mars 1995

France

14 juin 1985

26 mars 1995

Luxembourg

14 juin 1985

26 mars 1995

Pays-Bas

14 juin 1985

26 mars 1995

Italie

27 novembre 1990

26 octobre 1997

Espagne

25 juin 1992

26 mars 1995

Portugal

25 juin 1992

26 mars 1995

Grèce

6 novembre 1992

26 mars 2000

Autriche

28 avril 1995

1 er décembre 1997

Danemark

19 décembre 1996

25 mars 2001

Finlande

19 décembre 1996

25 mars 2001

Suède

19 décembre 1996

25 mars 2001

Estonie

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Hongrie

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Lettonie

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Lituanie

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Malte

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Pologne

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Slovaquie

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Slovénie

1 er mai 2004

21 décembre 2007

République tchèque

1 er mai 2004

21 décembre 2007

Islande

19 décembre 1996

25 mars 2001

Norvège

19 décembre 1996

25 mars 2001

Suisse

26 octobre 2004

12 décembre 2008

Liechtenstein

28 février 2008

19 décembre 2011

La carte ci-après présente les étapes de l'extension géographique de l'espace Schengen :

Ces vingt-six pays appliquent la totalité de l'acquis de Schengen.

En principe, tous les États membres de l'Union européenne ont vocation à intégrer l'espace Schengen. Six d'entre eux n'en font toutefois pas partie , pour des raisons différentes :

1°) le Royaume-Uni - jusqu'à son retrait de l'Union européenne - et l'Irlande disposent d'un statut particulier. De manière générale, ces deux pays bénéficient d'une clause d' opting out en matière d'espace de liberté, de sécurité et de justice 13 ( * ) . Cependant, en application de clauses d' opting in , ils peuvent prendre part à l'adoption et à l'application de mesures relevant de la politique migratoire 14 ( * ) . Ils peuvent aussi demander à tout moment de participer à tout ou partie des dispositions de l'acquis de Schengen 15 ( * ) . Ainsi, le Royaume-Uni participe notamment à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, à la lutte contre les stupéfiants et au SIS, alors que l'Irlande participe essentiellement au SIS. Ces deux pays, néanmoins, ne sont pas candidats à l'adhésion ;

2°) la Bulgarie et la Roumanie sont candidates à l'adhésion à l'espace Schengen, mais n'en font pas encore partie. Néanmoins, elles appliquent partiellement l'acquis de Schengen et sont soumises aux évaluations Schengen. Dès lors, les contrôles frontaliers entre ces deux pays et les autres États membres de l'espace Schengen sont allégés.

LA SITUATION DE LA ROUMANIE ET DE LA BULGARIE DANS L'ESPACE SCHENGEN

La Roumanie et la Bulgarie sont candidates à l'entrée dans l'espace Schengen après leur adhésion à l'Union européenne en janvier 2007. Selon les conclusions du Conseil du 9 juin 2011, établies sur la base d'un rapport d'évaluation de la Commission, elles ont atteint un niveau suffisant de préparation technique. Elles sont notamment connectées au SIS depuis le 6 décembre 2010 16 ( * ) . Toutefois, depuis lors, l'inscription à l'ordre du jour des réunions des Conseils JAI d'une décision de suppression des contrôles aux frontières intérieures avec ces deux pays a été régulièrement différée en raison de la sensibilité particulière des frontières avec la Turquie, la Moldavie et l'Ukraine en termes de migration illégale et de criminalité organisée.

À l'époque, la France et l'Allemagne avaient proposé une approche en deux phases, reprise par les conclusions du Conseil JAI de décembre 2013, à savoir une approche graduelle de levée des contrôles aux frontières en commençant par les frontières aériennes et finissant par les frontières terrestres - le sort réservé aux frontières maritimes n'était pas tranché. Toutefois, depuis cette date, il n'y a pas eu d'unanimité au Conseil. La France, l'Allemagne et les Pays-Bas, plus particulièrement, mais aussi la Finlande, ont souligné les difficultés que pourrait poser une adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie. En revanche, l'Italie, l'Espagne et les pays d'Europe centrale ont soutenu l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen. De même, le Parlement européen a toujours soutenu l'entrée immédiate et complète de ces deux pays, la Commission estimant que la question relevait avant tout de la responsabilité des États membres.

Or, de nouveaux développements ont compliqué l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'espace Schengen, dans un contexte déjà difficile en raison de la crise migratoire et du risque terroriste.

Le 27 janvier 2016, la Commission a publié les rapports de progrès réalisés par la Roumanie et la Bulgarie au titre du mécanisme de coopération et de vérification (MCV) auquel ces deux pays sont soumis depuis leur adhésion et qui fixe des « objectifs de référence » en matière de réformes du système judiciaire, de lutte contre la corruption et la criminalité organisée, etc. Ces rapports font état d'évolutions divergentes selon les deux pays :

- pour la Roumanie, qui n'est concernée que par les deux premiers éléments (réformes du système judiciaire et lutte contre la corruption), le rapport MCV confirme la consolidation des progrès engagés depuis 2014 en matière d'intégrité, de lutte contre la corruption à haut niveau et les améliorations du fonctionnement du système judiciaire. Toutefois, des progrès sont encore attendus pour l'indépendance du système judiciaire, le respect des décisions de justice, la remise en cause de la réforme des codes pénaux par le Parlement ou la lutte contre la corruption généralisée, notamment en raison d'un manque de soutien politique ;

- en revanche, pour la Bulgarie, le rapport MCV relève la lenteur et la faiblesse des progrès réalisés et l'absence de mise en oeuvre des recommandations sur la criminalité organisée, la lutte contre la corruption à haut niveau et la gouvernance judiciaire en dépit de l'assistance apportée par l'Union européenne à travers les fonds structurels.

Le Conseil, dans ses conclusions du 15 mars 2016, a d'ailleurs relevé une véritable différence entre les réels progrès réalisés par la Roumanie et le peu d'avancées constatées en Bulgarie.

Il n'existe certes aucun lien, sur le plan juridique, entre le MCV et le processus d'adhésion à Schengen, mais les constats établis au titre du MCV ont, de fait, nécessairement influencé le contexte dans lequel est appréciée la question de l'élargissement de l'espace Schengen à la Roumanie et à la Bulgarie. Ces constats expliquent en partie le report de la décision d'adhésion par le Conseil. Cette question est aujourd'hui gelée.

Source : Ministère des affaires étrangères et du développement international et SGAE.

Il convient de noter qu'au cours du déplacement en Bulgarie d'une délégation de votre commission d'enquête, les autorités bulgares ont insisté sur leurs efforts pour mettre en oeuvre l'acquis de Schengen et pour sécuriser leur frontière avec la Turquie, présentée comme la plus sensible dans le contexte actuel, et où beaucoup de tentatives de passages irréguliers avaient été observées. Cette frontière, longue de 271 kilomètres, est protégée, depuis 2014, par une clôture de 230 kilomètres à laquelle les autorités bulgares allouent d'importants moyens (policiers aux frontières, caméras, capteurs sismiques, hélicoptères, etc.). Par ailleurs, la Bulgarie coopère étroitement avec Frontex. Enfin, depuis novembre 2016, elle accueille sur son territoire, au poste frontière de Kapitan Andreevo, un centre de coopération policière et douanière tripartite Bulgarie/Grèce/Turquie. La Bulgarie, qui reçoit des fonds européens aussi pour protéger ses frontières, attend indéniablement son adhésion à l'espace Schengen avec impatience ;

3 °) Chypre ;

LA SITUATION DE CHYPRE DANS L'ESPACE SCHENGEN

Le contexte politique particulier de Chypre, dont la frontière n'est pas stabilisée avec la partie nord de l'île à la suite de son invasion par la Turquie en 1974, ne permet pas, à ce stade, d'envisager son entrée dans l'espace Schengen 17 ( * ) . Toutefois, si Chypre ne délivre pas encore de visas Schengen uniformes, le pays est autorisé, à l'instar de la Bulgarie et de la Roumanie, à établir un régime simplifié de contrôle à ses frontières extérieures pour les personnes détentrices d'un visa Schengen uniforme délivré par un État membre appliquant la totalité de l'acquis de Schengen 18 ( * ) .

Source : Ministère des affaires étrangères et du développement international et SGAE.

4°) la Croatie.

LA SITUATION DE LA CROATIE DANS L'ESPACE SCHENGEN

La Croatie, malgré son adhésion à l'Union européenne, le 1 er juillet 2013, n'applique pas la totalité de l'acquis de Schengen. En effet, son acte d'adhésion prévoit que l'acquis de Schengen, bien que contraignant pour la Croatie, ne s'appliquera au pays que sur le fondement d'une décision du Conseil attestant que les conditions nécessaires à l'application de toutes les parties de l'acquis sont remplies. La Croatie ne bénéficie notamment pas de la levée du contrôle aux frontières, d'un accès total aux bases de données VIS et SIS et du régime uniforme des visas. Toutefois, comme la Roumanie, la Bulgarie et Chypre, elle applique le régime simplifié de contrôle à ses frontières extérieures.

L'entrée de la Croatie dans l'espace Schengen comporte des enjeux particulièrement importants : elle aura pour conséquence de confier à cet État membre la responsabilité de la surveillance des frontières extérieures de l'espace de libre circulation, dans une zone particulièrement sensible en termes de migration illégale et de criminalité organisée. En rejoignant l'espace Schengen, la Croatie disposerait alors des plus longues frontières extérieures de l'Union européenne.

Selon le 8 e rapport semestriel de la Commission relatif au fonctionnement de l'espace Schengen, qui couvre la période allant du 1 er mai au 30 décembre 2015, malgré une pression migratoire sans précédent aux frontières extérieures et 1,3 million de demandes d'asile dans l'Union européenne en 2015, la Croatie apparaissait assez épargnée. En effet, selon Eurostat, au premier trimestre 2016, la Croatie avait enregistré 160 demandes d'asile de primo-demandeurs, contre 140 en 2015 et en 2014. Le ratio en Croatie est de 38 primo-demandeurs par million d'habitants, pour une moyenne européenne de 565 primo-demandeurs. Les principaux demandeurs d'asile sont Irakiens, Afghans et Syriens. Dès lors, le fait qu'elle ait érigé, à titre préventif, une clôture mobile sur le pont de Batina enjambant le Danube et faisant frontière avec son voisin serbe a été jugé par la Commission comme étant en contradiction avec son objectif d'adhésion à l'espace Schengen.

La candidature de la Croatie est désormais entrée dans sa phase d'examen opérationnel. Le pays avait remis en mars 2015 sa déclaration d'aptitude à démarrer le processus d'évaluation Schengen. Mais la crise migratoire et la situation géographique de ce pays, situé sur la « route des Balkans », ont relancé la question de son adhésion. La Commission a ainsi modifié son programme d'évaluation pluriannuel Schengen pour y inclure une évaluation de la Croatie en 2016. L'inspection sur place des conditions nécessaires pour une application de l'acquis de Schengen s'est déroulée en avril 2016. Elle a été complétée par une évaluation du SIS en décembre 2016. L'accès de la Croatie au SIS est prévu pour 2017. On notera que la France aide ce pays à remplir les critères d'adhésion grâce à des conseils, des expertises techniques et des actions de formation.

À l'issue de cette évaluation, la Commission, sur la base de son rapport, devrait confirmer que la Croatie continue de respecter ses engagements, pris lors de son adhésion, relatifs à l'acquis de Schengen. Le Conseil, après consultation du Parlement européen, devrait alors, à l'unanimité, statuer sur une adhésion de la Croatie à l'espace Schengen. Cette décision ne devrait sans doute pas intervenir avant l'été 2017.

Source : Ministère des affaires étrangères et du développement international et SGAE.


* 11 Les départements et collectivités d'outre-mer ne font pas partie de l'espace Schengen. Il en va de même des territoires néerlandais d'outre-mer.

* 12 Bien que signataire de l'accord de Schengen, le Danemark bénéficie d'un statut particulier : réticent à la communautarisation de la politique migratoire, il ne participe pas à l'adoption par le Conseil des mesures relevant de ce domaine, en application de l'article 1 er du protocole n° 22 annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, mais prend part aux décisions du Conseil en matière de visa, en application de l'article 6 du même protocole, et peut décider de transposer une mesure arrêtée par le Conseil visant à développer l'acquis de Schengen, cette transposition créant cependant pour lui une obligation de droit international et non de droit communautaire vis-à-vis des autres États membres, en application de l'article 4 du même protocole.

* 13 En application des articles 1 er et 2 du protocole n° 21.

* 14 En application des articles 3 et 4 du protocole n° 21.

* 15 En application de l'article 4 du protocole n° 19.

* 16 Le nombre de recherches effectuées sur le SIS par des utilisateurs bulgares est passé de 44,7 millions en 2012 à 96,3 millions en 2016.

* 17 Sur ce point, on pourra se reporter utilement au rapport d'information (n° 663 ; 2015-2016) de M. Didier Marie, intitulé L'Union européenne et les négociations interchypriotes , fait au nom de la commission des affaires européennes.

* 18 En application de la décision 565/2014/UE du 15 mai 2014.

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