CONTRIBUTION DE M. JACQUES BIGOT
AU NOM DU GROUPE SOCIALISTE ET RÉPUBLICAIN

Le groupe socialiste et républicain a pris part activement au travail de cette mission pluraliste sur le « redressement » de la justice qui a réalisé des déplacements de terrain ainsi qu'un grand nombre d'auditions couvrant l'ensemble du monde judiciaire.

Tous ces échanges et rencontres amènent à un constat que nous partageons : le monde judicaire est en difficulté, les efforts faits actuellement permettent d'améliorer la situation antérieure, mais le chemin est encore long avant que les conditions humaines et matérielles se normalisent.

Cette mission s'est inscrite dans le droit fil de la démarche que le Gouvernement a mise en place depuis le début du quinquennat . L'ancienne Garde des Sceaux, Christiane Taubira, avait ainsi lancé un travail de concertation dès 2012 en confiant à l'Institut des Hautes Études de la Justice une mission de réflexion sur l'office du juge et à trois groupes de travail le soin de formuler des recommandations : un groupe de travail sur le « juge du XXIème siècle » présidé par Monsieur le premier président Pierre Delmas-Goyon, un autre sur les « juridictions du XXIème siècle » présidé par Monsieur le premier président Didier Marshall et enfin un troisième consacré au ministère public présidé par Jean-Louis Nadal, procureur général honoraire près la Cour de cassation.

Ces groupes de travail ont remis leurs travaux à la fin de l'année 2013 et un grand débat national sur leurs recommandations a été organisé début 2014. Ce large travail de concertation a abouti au dépôt d'un projet de loi fin 2014, devenu loi de modernisation de la justice du XXIème siècle après une navette enrichissante - notamment par les amendements de l'actuel Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas - et parue en novembre 2016.

Au vu de cette réflexion menée sur le rôle de chacun dans le monde judiciaire, sur une meilleure organisation, le Gouvernement a entamé un accroissement des moyens nécessaires au bon fonctionnement de la justice . En cela, le travail sur le budget de la justice mené depuis plusieurs mois par Jean-Jacques Urvoas, actuel Garde des sceaux, a été unanimement salué par l'ensemble des acteurs que nous avons rencontrés. Nous partageons le constat dans ce rapport : l'engagement financier fort de l'État envers la justice doit se poursuivre.

La proposition du présent rapport d'inscrire cette démarche dans une loi de programmation pluriannuelle du budget de la justice ne peut que recevoir notre approbation. A l'instar, de la loi de programmation que le Gouvernement a présenté dans le domaine de la défense, nous considérons que la justice, pilier également fondamental de notre démocratie, doit aussi pouvoir compter sur des moyens forts.

Le présent rapport suggère également une mesure fondamentale pour le groupe socialiste et républicain, garantir l' indépendance du parquet dans la Constitution .

Cette proposition de révision constitutionnelle qui était un engagement de campagne du Président de la République François Hollande, n'a pu être mise en oeuvre à ce jour faute d'accord avec la droite parlementaire. Les critiques les plus récentes formulées publiquement à l'égard du parquet financier ont montré les réserves d'un certain nombre de parlementaires de droite à l'égard de l'indépendance du parquet. Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que les rapporteurs de cette mission en ont une conception différente.

Notre groupe socialiste et républicain partage l'esprit de ce rapport et d'une grande partie de ses propositions qui vont dans le bon sens :

- la poursuite de l'effort soutenu actuel de recrutement de magistrats et de personnels de greffe.

- une meilleure prise en compte des possibilités que la révolution numérique et la dématérialisation des procédures peuvent apporter au fonctionnement de la justice, tant du point de vue de son coût que de sa célérité.

- le développement de « l'équipe du juge » avec le recrutement de juristes assistants, ainsi que le rôle nouveau dévolu aux greffiers.

- une organisation plus opérationnelle des juridictions sans ignorer la nécessaire proximité que la justice doit avoir à l'égard des justiciables.

Nous avons néanmoins des désaccords sur quelques points que nous tenons à souligner .

Notre groupe marque son désaccord relatif au financement de l'aide juridictionnelle par le rétablissement de la contribution pour l'aide juridique (CPAJ).

Les moyens financiers de l'aide juridictionnelle devront être intégrés dans la programmation pluriannuelle précitée. Rechercher auprès des justiciables ayant à peine plus de revenus que les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle une ressource au travers d'une taxe d'accès à la justice ne peut être accepté par notre groupe. En outre, la ressource que produirait cette taxe reste incertaine et son coût de recouvrement non évalué.

Le développement de l'assurance protection juridique peut être encouragé à condition que ces assurances permettent une amélioration du règlement des litiges de la vie quotidienne mais prennent aussi en compte les litiges les plus fréquents pour les particuliers à savoir le contentieux familial et le contentieux du travail. Compte tenu des résultats financiers conséquents pour les assureurs de ces polices d'assurance, il conviendrait de s'interroger sur un renforcement de la taxation de ces contrats.

Notre groupe marque également son désaccord sur les propositions relatives à l' exécution des peines . Il est certain qu'en l'état actuel des pratiques judiciaires et des capacités d'accueil des établissements pénitentiaires, les courtes peines d'emprisonnement ne constituent pas la réponse satisfaisante qu'est en droit d'attendre la société face à la délinquance. La mesure prise à l'égard de l'auteur d'une infraction doit d'abord sanctionner les faits commis, mais également prévenir la récidive et permettre, si nécessaire, la réinsertion sociale.

Notre groupe tient à rappeler qu'une peine privative de liberté n'est pas nécessairement une peine d'incarcération. Celle-ci est coûteuse et susceptible de favoriser la récidive par la promiscuité que vit en prison un primo-délinquant.

Les obligations imposées, par exemple, au condamné sous bracelet électronique, constituent une privation de liberté importante, tout en le maintenant dans son activité professionnelle ou en lui imposant des obligations dans la recherche de travail. La loi de programmation pluriannuelle envisagée devra tenir compte des moyens humains et financiers nécessaires pour le développement des peines alternatives à la prison.

Nous pensons qu'il faut renforcer les moyens de l'application des peines, mais aussi les liens entre les magistrats qui prononcent les peines et ceux qui les mettent en oeuvre.

Par ailleurs, la préparation à la sortie de personnes condamnées à des peines d'emprisonnement quelles que soient leurs durées est indispensable et les besoins des services pénitentiaires d'insertion et de probation devront être intégrés dans la loi de programmation pluriannuelle. Mais cette préparation à la sortie ne saurait être organisée sous forme d'une peine complémentaire obligatoire de suivi socio-judiciaire probatoire. Une telle proposition se confond d'ailleurs avec la peine d'emprisonnement assortie d'une partie en sursis.

Le groupe socialiste et républicain marque en outre des réserves sur certaines propositions.

Le fonctionnement de la justice doit incontestablement faire l'objet d'une évaluation . Compte tenu de la nature de la mission judiciaire, cette évaluation reste difficile mais ne doit pas en effet être considérée comme impossible. À ce jour, la charge de travail liée aux statistiques apparaît lourde pour les greffes et doit être incontestablement favorisée par une meilleure prise en compte des possibilités informatiques. L'évaluation qualitative des juridictions est souhaitable mais ne doit pas porter atteinte à l'indépendance du juge.

Cette évaluation devra aussi porter sur l'accueil du justiciable et les relations des juridictions avec l'ensemble des auxiliaires de justice et des administrations partenaires.

L'organisation des juridictions doit s'appuyer sur un renforcement du rôle des chefs de juridiction sans omettre que la formation des magistrats ne les conduit pas à des fonctions managériales. La mission des chefs de juridiction doit s'appuyer, d'une part, sur les compétences des directeurs de greffe lesquels doivent conserver une autonomie organisationnelle, et, d'autre part, sur l'assemblée générale des magistrats, qu'il faut doter d'un pouvoir d'avis sur les propositions d'organisation du chef de juridiction.

Notre groupe ne saurait partager l'approche relative à la déjudiciarisation exprimée dans le rapport. Elle témoigne d'une vision hostile aux juges dans certaines matières notamment économiques ou procède d'une affirmation sommaire et hâtive. Comment peut-on apprécier aujourd'hui la pertinence du divorce par consentement mutuel sans homologation judiciaire alors que la réforme n'est applicable que depuis le 1 er janvier 2017 ?

La simplification des procédures en appel ne doit pas tendre à la limitation du droit des justiciables à un double degré de juridiction.

Limiter la mission des tribunaux de première instance aux affaires civiles pour orienter toutes les affaires économiques vers les tribunaux de commerce ne peut se faire qu'avec circonspection, car le collège des juges consulaires n'est pas en l'état représentatif de l'ensemble des activités économiques. En outre, une telle suggestion pourrait conduire à vouloir exclure les questions économiques de la justice pénale.

Si nous pouvons partager le constat de la pénalisation à l'excès du non-respect d'un certain nombre de règles, notamment en matière de droit de la construction et de l'urbanisme, de droit de la concurrence ou de droit de la consommation , le renoncement à la saisine d'une juridiction pénale pour envisager, soit des sanctions administratives, soit des sanctions civiles, doit être mesuré. Un certain nombre de méconnaissance de ces règles crée tout autant de préjudices à la société que d'autres infractions tel les manquements au code de la route. Mais il est certain aujourd'hui que les moyens des parquets et de la justice ne permettent pas de sanctionner efficacement les manquements visés par le rapport. Nous considérons à cet égard qu'il s'agit plus de suggérer une réflexion globale dans ces domaines du droit que d'améliorer en l'état l'organisation et le fonctionnement de la justice.

De manière générale, l'organisation judiciaire et les moyens financiers dont nous souhaitons la doter doivent être au service des justiciables. A cet égard, les conseils de juridictions, institués par le décret du 26 avril 2016, par lesquels les tribunaux doivent s'ouvrir à leur environnement, seront également des lieux de meilleure efficacité de la justice et d'une meilleure compréhension par la société de son rôle.

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