Seconde séquence - Des îles pour la recherche et l'innovation

Franck RIVAS-MANZO, Président de Corexsolar International

Corexsolar International, entreprise totalement réunionnaise, existe depuis 2005. Elle est impliquée à La Réunion et Mayotte. Nous sommes un acteur majeur du développement renouvelable. Nous sommes engagés dans les énergies renouvelables depuis plus de dix ans. Nous avons construit plus de 30 % du parc privé de La Réunion.

Entreprise certifiée, nous jouissons d'une expertise reconnue dans la conception de projets, dans le design et l'ingénierie, dans la construction de centrales photovoltaïques, dans l'exploitation et la maintenance, ainsi que comme investisseur et producteur d'énergie.

Notre domaine de compétence nous a permis de réaliser tous types de projets en lien avec la production d'électricité solaire : connectés au réseau, en injection directe, avec stockage d'énergie, off-grid , hybrides, au sol ou en toiture.

Depuis 2012, nous avons décidé d'exporter nos compétences comme développeur et opérateur photovoltaïque. Nous sommes aujourd'hui présents à La Réunion, Maurice, Madagascar et Mayotte. Nous assurons également une présence en Afrique.

Quelles sont nos perspectives à l'international ? Notre pipe de projets pour l'océan Indien représente environ 30 mégawatts en cours de développement. Il s'établit à 100 mégawatts pour l'Afrique. Nous venons de remporter l'appel d'offres de 5 mégawatts lancé par Central Electricity Board Mauritius .

Depuis quatre ans, Mayotte constitue un marché prioritaire. En 2013, 100 mégawatts de production électrique étaient principalement assurés par des centrales thermiques.

Les contraintes économiques et démographiques imposeront une augmentation de la consommation. Le solaire, l'une des principales énergies renouvelables mahoraises, représentait 13 mégawatts en 2012 pour environ 70 installations.

Entre 2012 et 2016, seuls 2 mégawatts supplémentaires ont été intégrés dans le réseau au travers de la centrale de Dzoumogné, que nous avons construite. Malheureusement, lors de la dernière campagne de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour les zones non interconnectées (ZNI), aucun projet n'a été retenu pour Mayotte.

Nos engagements et nos objectifs pour Mayotte sont les suivants :

- répondre aux besoins énergétiques du territoire ;

- consolider le système de production locale ;

- produire de l'électricité propre pour assurer l'autosuffisance ;

- participer à l'amélioration de la qualité de vie ;

- proposer des solutions innovantes, économes et génératrices d'emplois ;

- partager et transférer notre savoir-faire.

La centrale de Dzoumogné, construite en 2016, est maintenant raccordée au réseau électrique. Avec 2 mégawatts de puissance et 2 mégawattheures de stockage, elle est la plus importante de Mayotte. Elle représente un investissement de 7 millions d'euros, financé par Corexsolar et par une banque locale.

Nous avons également investi dans un projet de recherche et développement s'inscrivant pleinement dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Associés à Électricité de Mayotte, au vice-rectorat et à l'Ademe, nous bénéficions du soutien de la préfecture et du sénateur Mohamed Soilihi.

Nous souhaitons pallier les contraintes d'un réseau fragile, mieux utiliser les ressources énergétiques classiques et répondre à un accroissement futur de la demande, associé à une forte pénétration des énergies aléatoires.

Le projet consiste à construire une multitude de centrales photovoltaïques en îlotage pilotées virtuellement au travers d'un unique monitoring . Le dispositif s'accompagnerait de zones de stockage réparties sur le territoire.

Énergie Contrôlée doit contribuer à l'équilibre du réseau, à l'effacement des contraintes aléatoires et à l'intégration des besoins énergétiques dans une solution innovante et pérenne.

Ce projet est susceptible d'amplifier la dynamique économique locale. Il créerait les conditions nécessaires à l'émergence de start-up et à l'évolution des entreprises existantes. Nous souhaitons ensuite le dupliquer depuis Mayotte vue comme une terre d'innovation.

Steve ARCELIN, Directeur d'AKUO Energy - océan Indien

AKUO Energy se résume à quelques chiffres : 14 bureaux dans le monde, répartis dans 30 pays, 300 collaborateurs, 2 milliards d'euros d'investissement, 500 millions d'euros de fonds propres, 900 mégawatts en exploitation, 2 000 mégawatts en financement et en construction.

Quand nous avons créé notre maison-mère, Agrinergie, nous ambitionnions de faire cohabiter une production d'électricité et une production agricole. Nous ne voulions pas choisir entre une énergie et une alimentation propres.

Nous avons développé successivement plusieurs projets. La première génération consistait dans une centrale au sol construite par Corexsolar. Entre les panneaux, nous avons fait pousser de la citronnelle. Dans d'autres installations, on trouve du géranium, des fruits de la passion bio.

L'idée consistait donc à insérer un projet agricole « en intercalaire » et à structurer des filières. Au départ, nous avons été confrontés à beaucoup d'obstacles, notamment institutionnels. Aujourd'hui, AKUO dispose de 35 mégawatts en service et de 18 mégawatts de stockage. Nous sommes le premier acteur du photovoltaïque à La Réunion.

La deuxième génération de projet nous permet d'utiliser la totalité de la surface agricole. Il consiste dans des serres photovoltaïques établies chez Jean-Bernard Gonthier, président de la chambre d'agriculture. La production est biologique. 30 % sont destinés aux cantines scolaires du sud de l'île.

La troisième génération de projet est établie à Bardzour. Cette centrale photovoltaïque est établie autour de la prison du Port. Il s'agit de la première centrale de 9 mégawatts adossée à 9 mégawattheures de stockage. Cette installation relève de l'économie sociale et solidaire, car nous formons douze détenus par an à l'agriculture biologique de demain, sous serre, inspirée de la permaculture.

Nous disposons d'outils de travail performants et anticycloniques. Sur les douze détenus formés depuis un an et demi, dix ont été réinsérés, deux comme autoentrepreneurs et huit comme salariés d'Agriterra. La société compte maintenant vingt salariés.

Nous insistons sur la valorisation de cultures oubliées telles que les plantes aromatiques à parfum et médicinales (PAPAM), mais aussi les fruits de la passion, la citronnelle et le géranium. Nous avons signé des contrats avec LVMH, Guerlain, Dior, etc.

Le projet de Bardzour a été lauréat de la Fondation Nicolas Hulot devant cinquante autres concurrents. Le film Demain , de Cyril Dion et Mélanie Laurent, se fonde sur cette expérience vertueuse.

Nous avons ensuite décliné l'Agrinergie en Aquanergie, avec des ombrières aquacoles de 12 000 m 2 . Cette installation permet de protéger les ouvriers de la chaleur, de limiter le bloom algal et de protéger les alevins de leurs prédateurs.

Nous avons donc structuré une filière aquacole comme la filière horticole du projet Agrinergie 1 au Tampon. Nous importions environ un million de tiges d'anthurium de l'île Maurice. Nous en produisons maintenant 750 000. Citons également notre projet aquacole à l'Étang-Salé.

Nous bénéficions d'une véritable reconnaissance. Beaucoup d'hommes politiques nous ont rendu visite. Peu ont tenu leurs promesses. Heureusement, notre président de région est très engagé sur ces questions énergétiques.

Nicolas Hulot considère que des projets exceptionnels tels que le nôtre doivent devenir la norme. Pour le groupe, l'action locale présente un impact mondial, car La Réunion nous a servi de vitrine pour tous nos projets à l'international : Fidji, Indonésie, île Maurice, Madagascar, Mali, République dominicaine, Mongolie, etc.

Le siège social du groupe, conçu par un jeune architecte réunionnais, a été construit par la société Be Green de Jean-Fabrice Vandomel. Ce bâtiment bioclimatique a lui-même été doublement primé par l'Ordre des architectes et par les Réunionnais.

Source : Akuo Energy - (c) : Adrien Diss, Éric Legrand

Dominique VIENNE, Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises réunionnaises (CPME Réunion)

L'article 19 de loi relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM) constitue une innovation, car il crée les conditions pour procurer du travail aux entreprises locales.

Il est beaucoup question de transition énergétique et écologique. J'opère dans le secteur des micro-réseaux électriques intelligents, microgrids . Lorsque j'ai lancé mon activité, il n'existait pas de demande à La Réunion. J'ai dû me rendre à Bordeaux et à Lyon pour trouver des clients.

En effet, l'innovation ne consiste pas seulement à développer un démonstrateur. L'entreprise doit dépasser le stade de la start-up pour conquérir un marché et se développer à partir de son territoire.

À La Réunion, nous bénéficions de différentes stratégies : le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), le plan de déplacement urbain (PDU), le Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

À chaque fois, il convient de vérifier que les documents programmatiques associés à ces dispositifs incorporent de l'innovation, c'est-à-dire des clauses d'achat permettant aux entreprises locales de bénéficier d'un marché.

La Réunion a fait appel à une société métropolitaine pour mettre en oeuvre une solution de covoiturage. Ce projet constitue une innovation à La Réunion, mais pas une innovation de La Réunion. Elle ne fait appel à aucun savoir-faire local.

Pour que l'innovation concerne vraiment un territoire, la chaîne de valeur doit y être localisée : l'ingénierie, la recherche, le financement, la mise en oeuvre, le service après-vente, la déconstruction, etc.

Dans mon secteur d'activité, j'éprouve des difficultés à recruter des salariés. L'innovation ne se déploie pas sur le territoire parce que la formation initiale et continue n'a pas veillé à assurer la montée en compétences de nos populations.

La société Reuniwatt, qui opère dans le domaine du prédictif solaire, ne parvient pas à embaucher un spécialiste du data analytics . Il est malheureux que les acteurs locaux n'aient pas l'obligation de lui passer commande pour assurer son développement.

Pour créer de nouvelles filières à La Réunion, j'ai eu la chance de pouvoir m'appuyer sur mon activité de constructeur de centrales photovoltaïques. J'ai ainsi créé la société Teeo, spécialisée dans le management énergétique. Sans les achats de mes partenaires, je n'aurais pu développer cette activité innovante.

Il est nécessaire de financer l'innovation localement et de vérifier que l'investissement profite à des sociétés implantées sur le territoire.

Anne TAGAND, Sous-préfète, Secrétaire générale des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

Créées par la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 abrogeant le décret de 1924 qui rattachait alors ces terres au gouvernement général de Madagascar, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sont une collectivité territoriale mentionnée à l'article 72-3 de la Constitution et régie par une clause de compétence générale : les principes de spécialité législative et d'autonomie administrative et financière s'appliquent. La version actuelle de son statut résulte de la loi n° 2007-224 du 21 février 2007, qui lui rattache son cinquième district et fixe ses missions.

Les Terres australes et antarctiques françaises sont formées par l'archipel de Crozet, l'archipel des Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie et les îles Éparses. Ces dernières rassemblent les îles tropicales de l'archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India dans le canal du Mozambique et Tromelin au Nord de La Réunion. L'ensemble de ces terres procure à la France une zone économique exclusive (ZEE) de plus de 2 300 000 km² riches en ressources marines, qui contribue à donner à la France la deuxième emprise maritime au monde après les États-Unis.

Sans élus, sans habitants permanents, la principale caractéristique de ces îles est leur hostilité naturelle, leur isolement. La présence humaine y est assurée, au sein des bases installées sur chaque île, au prix d'une logistique complexe.

La collectivité dispose d'un budget d'environ 27 millions d'euros, alimenté par des ressources propres à hauteur de 80 % (impôts, taxes de mouillage, droits de pêche, philatélie, tourisme...) et par des subventions ou dotations des ministères des outre-mer, de l'écologie et de l'intérieur ainsi que des apports en personnel du ministère de la défense. Une grande partie de ce budget est consacrée aux charges d'affrètement des deux navires (Marion Dufresne et Astrolabe) qui assurent la desserte maritime des districts. La collectivité des TAAF est associée à l'Union européenne, en tant que pays et territoires d'outre-mer (PTOM) et bénéficie à ce titre d'un régime spécial, en particulier des financements du Fonds européens de développement (FED).

Le siège est installé depuis 2000 à Saint-Pierre de La Réunion où se situent les services centraux de la collectivité (directions de l'environnement, des pêches et des questions maritimes, des services techniques, des affaires administratives et financières, services juridique, médical...) ainsi que le préfet, administrateur supérieur à la tête de la collectivité.

Les principaux enjeux de la collectivité sont :

-  renforcer la protection du patrimoine naturel et culturel en général, par le développement direct ou indirect de la recherche, par les possibilités offertes par la réserve naturelle nationale des terres australes et par la défense des aires marines protégées en particulier ;

- améliorer la gestion durable et prudente de la ressource halieutique ainsi que les démarches de pêche raisonnée et labellisée ;

- oeuvrer pour maintenir une surveillance dissuasive dans les ZEE et assurer la souveraineté française en liaison avec le délégué du gouvernement pour l'action de l'État en mer (DDGAEM), préfet de La Réunion ;

- maintenir les moyens de desserte logistique ;

- mieux intégrer la collectivité des TAAF dans la zone Sud océan Indien ;

- explorer d'autres pistes de valorisation durable du patrimoine de ces territoires, notamment au travers d'activités éco-touristiques ;

- explorer les enjeux que représentent les ressources du sous-sol maritime.

Depuis la deuxième guerre mondiale et la création des TAAF en 1955, c'est bien la connaissance qui s'impose comme la formulation la plus crédible de la raison d'être de ces îles françaises du bout du monde. Cette vocation est particulièrement prononcée pour certaines disciplines : océanographie, sciences de l'univers, ornithologie, étude de la biodiversité...

L'activité de recherche dans les TAAF n'est pas pilotée directement par l'institution : si la compétence de la collectivité est pleine et entière pour le district des îles Éparses, l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) est l'acteur incontournable du déploiement scientifique dans les terres australes et en Terre Adélie. L'IPEV pilote actuellement plus de 90 programmes de recherche dans ces territoires.

L'innovation dans ces territoires réside principalement dans l'articulation recherchée entre connaissance scientifique et restauration, protection et gestion du patrimoine naturel.

La notion de solidarité est incontestable dans la mesure où ces territoires constituent des observatoires privilégiés du changement climatique et du fonctionnement des écosystèmes, marins en particulier.

Le point commun de l'ensemble de ces enjeux est la connaissance.

La mise en oeuvre des activités de recherche est adaptée pour correspondre à des territoires d'exception. À l'image des territoires qui s'étendent du pôle Sud à 12° de latitude Sud, la recherche dans les TAAF présente une forte diversité qui ne doit pas être appréhendée comme un seul bloc : elle recouvre en réalité trois mondes séparés, où diffèrent les acteurs, le potentiel et les résultats obtenus :

- la zone antarctique est la plus compétitive pour la recherche au niveau international. La France se place au 5 e rang en matière de publications scientifiques antarctiques. En Antarctique, la recherche est également un enjeu politique : par un étonnant retournement de situation, la recherche y apparaît de plus en plus fréquemment comme un instrument de souveraineté pour les États-parties du traité de l'Antarctique. On constate ainsi une dynamique de multiplication des implantations scientifiques. La Terre Adélie est une zone d'observation clé pour les sciences de la Terre et la compréhension des changements globaux. Par exemple, l'étude des glaces antarctiques constitue la principale source pour reconstituer l'histoire climatique de la planète ;

Année 2015

Terre-Adélie

Dont IPEV-France

Dont autres nationalités (Concordia)

Tous personnels IPEV
(nombre de personnes)

253

15

Hors logistique scientifique (nombre de personnes)

142

15

Nombre de jours de mission

20 815

2 247

Source : IPEV, bilan d'activités 2015

- la zone subantarctique, qui réunit les trois districts austraux, est la plus méconnue pour la recherche. Peu d'États continuent, comme le fait la France, de mettre à profit ces territoires qui relèvent pourtant d'écorégions riches d'intérêt pour comprendre l'adaptation des espèces, le comportement des espèces marines migratoires, et observer les conséquences dramatiques des changements climatiques. Notre pays est la première source de publications dans cette région du monde ;

- la zone Sud océan Indien, comprenant les îles Éparses du canal du Mozambique et l'île de Tromelin, qui sont des écosystèmes coralliens très diversifiés, et précieux car globalement intacts dans une région fortement anthropisée. L'accumulation de connaissances à propos de ces milieux est très récente et a été fortement dynamisée à partir de 2010 en lien avec des dizaines de partenaires (universités mahoraises et réunionnaises, IRD, IFREMER, mécènes privés).

Auparavant éclatée entre les différents instituts de recherche et la mission de recherche des TAAF, la politique de recherche a fait l'objet d'une première unification en 1992 avec la création de l'IFRTP, devenu « Institut polaire Paul-Émile Victor (IPEV) ».

Groupement d'intérêt public (GIP) réunissant la totalité des acteurs, l'IPEV sélectionne, finance et soutient sur le terrain les programmes de recherche. Aujourd'hui, l'IPEV est, de très loin, le principal opérateur : avec 93 programmes en 2015, l'IPEV a effectué environ 34 000 jours de mission à terre dans les districts austraux et de Terre Adélie, soit 293 personnels scientifiques et un total de 416 personnels en y incluant les missions de logistique scientifique. Sur ces deux territoires, l'IPEV détient un quasi-monopole, incluant les activités du CEA, de Météo France, du CNES et de l'Ifremer, qui siègent tous à son conseil d'administration.

La première caractéristique est la prédominance de la recherche dite « fondamentale » par opposition aux applications industrielles. On notera deux aspects spécifiques :

- la mise en place de suivis d'observation, dans toutes les disciplines : géophysique, météorologie, populations aviaires, astronomie et astrophysique, adaptation des espèces. Grâce à ces territoires, la France dispose pour de nombreux paramètres des plus longues séries de données disponibles en Antarctique et Subantarctique ;

- la priorité particulière accordée au milieu marin, l'une des principales richesses des territoires des TAAF et qui est aujourd'hui de mieux en mieux reconnue comme un objectif d'avenir. Celle-ci est tirée à la fois par la qualité de l'infrastructure océanographique (Marion Dufresne après sa jouvence, et autres navires de la flotte océanographique française), et par la recherche appliquée mise en oeuvre afin d'appuyer la réglementation et la gestion durable de la pêche (contrôleur de pêche, campagnes halieutiques). 10 programmes océanographiques ont été réalisés par l'IPEV en 2016 à bord du Marion Dufresne, aux contenus variés.

La seconde caractéristique forte est la logistique. Pour les opérateurs de la recherche dans les TAAF c'est un souci constant car la dépendance est complète : un dysfonctionnement de la chaîne logistique conduit souvent à des interruptions de programmes. Ce paramètre rend acrobatique d'inscrire la présence scientifique dans la durée et d'organiser des suivis dans chaque discipline. C'est tout l'intérêt d'une institution historique telle que l'IPEV. La Terre Adélie est par exemple caractérisée par le fait que la logistique y est quasi intégralement gérée par l'IPEV, qui y consacre 41 % de son budget.

Cette politique a connu de profondes évolutions depuis le milieu des années 2000. Deux principaux changements ont affecté la politique de recherche :

- d'une part, le rattachement des îles Éparses aux TAAF en 2005, officialisé en 2007, a posé aux TAAF le défi de développer, sans cadre existant, une nouvelle politique de recherche adaptée à ces îles très éloignées de leur coeur de métier habituel ;

- d'autre part, nombre d'instruments de protection et de gestion du patrimoine naturel ont été formalisés, mettant en oeuvre la dynamique nationale et internationale en la matière. On peut citer la réserve naturelle nationale (RNN) des terres australes françaises, créée en 2006, gérée par les TAAF et étendue en 2016. Elle est désormais non seulement la plus grande réserve terrestre de France mais aussi la 4 e aire marine protégée du monde, et le parc naturel marin (PNM) des Glorieuses. Outre ces espaces protégés, il s'agit aussi de plans transversaux de protection des espèces : albatros, tortues marines, application de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage (CITES).

Ces changements affectent les opérateurs :

- dans les îles Éparses, toute une galaxie d'opérateurs scientifiques est en train de se constituer autour de la politique de recherche mise en oeuvre par les TAAF ;

ILES ÉPARSES

Période

Opérateurs mobilisés

Rattachement au préfet de La Réunion

Pré-2007

CBNM Mascarin (Réunion), Université de la Réunion (laboratoire ECOMAR)

Consortium de recherche

2011-2013

Membres : CNRS-INEE, CNRS-INSU, IRD, Ifremer, MNHN, IPEV, AAMP ; FRB, Université La Rochelle, Institut de Physique du Globe (Paris), Chizé, Montpellier SupAgro, Kélonia (Réunion), Université de La Réunion (ECOMAR), UCSC (California Santa Cruz).

Financements privés : exemple de la fondation Total (programme PAMELA pour l'étude des marges passives)

18 programmes de recherche ; installation de stations de suivi : 80 pour les écosystèmes marins et coralliens, 240 pour la biodiversité terrestre, 10 en sciences de l'univers.

122 missions ont été réalisées entre 2011 et 2014 dont 114 dans le cadre du consortium chapeauté par le CNRS-INEE (2011-2013), ce qui représente plus de 1 800 jours-hommes sur 4 ans.

X e FED régional

« Gestion Durable du Patrimoine Naturel de Mayotte et des îles Éparses »

2014-2017

Mené en lien avec le Conseil départemental de Mayotte.

Opérateurs : CUFR Mayotte, IRD, IFREMER, CNRS-INEE, MNHN, AAMP.

BEST 2.0 Hub océan Indien

2011-...

Projets liés à la lutte contre les espèces exotiques envahissantes.

Consortium de recherche

2017-2020

En cours de construction

Membres : membres du précédent consortium, ancrage ultramarin via la participation de l'Université de La Réunion et du Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte.

Volonté de formaliser davantage la gouvernance (véritable conseil scientifique).

XI e FED régional « IConserv »

2018-2020

En cours de finalisation avec Mayotte et les Seychelles avec pour objectif les premières actions en 2018.

Axes : réseaux d'observatoires espèces et écosystèmes (échange des données), restauration écologique (transferts d'expertise), gestion halieutique (espèces migratoires, transferts d'expertise).

- dans les districts austraux, la réserve naturelle nécessite des programmes spécifiques. Ils affectent aussi le contenu des programmes de recherche, en les mobilisant pour comprendre et valoriser la richesse des territoires, mais également mesurer et comprendre les effets du changement climatique.

La recherche dans les TAAF doit venir incarner la valeur universelle de ces territoires. Depuis plus de dix ans, les TAAF portent le projet d'une articulation entre recherche traditionnelle et conservation des territoires dans le cadre de « laboratoires de la conservation ».

Articuler la recherche et la protection de l'environnement pour constituer des « laboratoires de la conservation » revient à protéger des espaces naturels entiers par une réglementation stricte et les scruter intensément pour comprendre les interactions entre l'homme et la nature, qu'il s'agisse des introductions d'espèces ou des effets des changements globaux.

Les actions de conservation sont impensables sans médiation scientifique. C'est pourquoi une convention TAAF-IPEV de 2009 prévoit la contribution de la recherche aux opérations de gestion environnementale. Elle prévoit le transfert de données et le recours à l'expertise des laboratoires de l'IPEV, l'information mutuelle en matière de besoins et de programmation de la recherche scientifique et une obligation de concertation régulière. L'applicabilité de cette convention est liée à celle des plans de gestion de la RNN : chaque nouveau plan de gestion offre l'opportunité d'en renégocier les modalités, dont l'objectif est de :

- mettre en valeur les écosystèmes de référence que représentent ces territoires : écosystèmes coralliens, écosystèmes subantarctiques, interactions terre-mer. À titre d'exemple, l'île de Kerguelen est, du point de vue géologique, un site unique au monde. C'est la seule île formée par un volcanisme de point chaud (donc hors dorsale océanique) où affleurent des roches granitiques, habituellement caractéristiques de la croûte terrestre. On ignore encore comment ces roches s'y forment. La cartographie géologique de Kerguelen a été à peine finalisée et ouvre d'impressionnantes perspectives pour les géologues français ;

- systématiser la logique d'observatoires afin d'identifier les risques et les vulnérabilités par des inventaires approfondis et suivre en temps réel l'évolution des milieux. Cette orientation découle de la stratégie nationale pour la biodiversité, issue de la convention de Nagoya. La grande masse de données offre ensuite un matériau de poids aisément utilisable pour la recherche ;

- développer un modèle similaire dans les Éparses, avec une présence environnementale civile en continu ;

- démontrer par l'exemple la durabilité de modèles rationnels d'exploitation des ressources naturelles. La modélisation fine des ressources halieutiques permise par la collaboration entre les TAAF et le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) trouve sa source dans des campagnes halieutiques régulières, permettant de conforter la gestion et d'assurer sa valorisation économique comme dans le cas de la légine, d'assurer la reconnaissance du modèle de gestion (obtention de certifications de durabilité) ou de favoriser l'émergence d'une nouvelle pêcherie. Dans les Éparses, de même, la cartographie des zones marines apporte des connaissances précieuses pour de futures exploitations et pour la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite INN.

Il faut également mettre le territoire au service de la lutte contre les changements globaux, c'est-à-dire exploiter à plein la position privilégiée d'observatoire du changement climatique.

Cette position privilégiée est manifeste pour certains types de données : détection des cyclogenèses dans l'océan Indien, pureté de l'air et mesures du carbone, histoire glaciaire (y compris en zone subantarctique), retenue océanique du carbone et acidification, rôle de l'océan Austral pour la régulation thermique des océans mondiaux, rôle des convergences, fonctionnement planctonique et productivité primaire, etc.

Elle se manifeste par la grande vulnérabilité de ces territoires. Il suffit de relever la fonte record de la calotte Cook (la plus rapide du monde), la mortalité record en 2015 et 2016 des manchots en Terre Adélie ou l'acidification des océans fortement ressentie dans des eaux originellement très basiques.

Elle se traduit par des contributions directes appuyant le rôle de la France dans les schémas internationaux de lutte contre le changement climatique : le Grand observatoire de l'océan Indien (GOPS) créé par l'IRD, les stations GIEC telles que celle de Pointe-Bénédicte à Amsterdam ou les contributions à la plateforme inter-gouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).

Une partie du défi consiste à exploiter intelligemment l'exceptionnel gradient latitudinal des TAAF : les territoires offrent le potentiel pour déployer un réseau d'observatoires sur soixante-quinze degrés de latitude, soit 80 % de l'hémisphère Sud.

Il faut également internationaliser la recherche. Si la recherche antarctique de l'IPEV est fortement internationalisée 11 ( * ) , ce n'est pas le cas des autres territoires. La conservation ouvre aussi des perspectives de coopération nouvelles, qui s'ébauchent actuellement :

- 2 e Symposium franco-australien sur le plateau continental de Kerguelen en 2017 ;

- programmes plurinationaux, tels que IConserv et les fonds européens dans la zone Sud océan Indien ;

- aires marines protégées (AMP) plurinationales : projet d'AMP Est-Antarctique avec l'Australie, d'AMP « Del Cano » avec l'Afrique du Sud.

En conclusion, les TAAF offrent un environnement à la fois solidaire et concurrentiel pour le monde de la recherche : mise en contact des disciplines, équipes mixtes et émulation entre laboratoires, logique d'appels à projets...

Le « modèle TAAF » est celui de l'harmonie et du lien entre la connaissance et la gestion des territoires. Il nécessite des structures pérennes et du volontarisme pour mobiliser des financements, y compris en provenance du monde privé.

En 2009, c'est lors d'un colloque au Sénat que la ministre des Outre-mer, Marie-Luce Penchard avait annoncé un appel à manifestation d'intérêt sur le potentiel de recherche des îles Éparses. C'est cette initiative qui a démontré l'intérêt de la communauté scientifique pour ces îles (106 laboratoires français et étrangers) et a permis d'aboutir au consortium de recherche. Cela n'appelle qu'une conclusion : il y a plus que jamais de la recherche à mener dans les TAAF.

Maurice CÉRISOLA, Président du cluster maritime de La Réunion

Au mois de novembre, le Président de la République, se rendant à La Rochelle, a confié au nouveau Secrétaire général de la mer, Vincent Bouvier, et au cluster maritime français le soin de constituer une « équipe de France du maritime ». Ce challenge est excitant. Il constitue une étape importante dans la mise en oeuvre de l'économie bleue.

L'innovation concerne également la gouvernance. Avez-vous déjà songé au nombre de ministères et de services qui s'occupent de la mer ? Le ministère de l'écologie, le ministère de l'industrie, le ministère de l'agriculture, le ministère du commerce extérieur, le ministère de la défense, le ministère des affaires étrangères, les affaires maritimes, etc.

Nous comptons trop de services déconcentrés. Nous devons mettre en oeuvre une unité de commandement et développer une culture de l'évaluation qui nous fait cruellement défaut.

La Réunion abrite un grand port maritime, concurrencé par de nombreux autres. Un port est un outil majeur du développement économique. La région de La Réunion et Monsieur Jean-Paul Virapoullé portent la création d'un pôle industriel à Bois Rouge. Ce projet devrait créer plusieurs milliers d'emplois.

Dans le cadre de ce développement, La Réunion devrait également s'intéresser à l'énergie thermique des mers, au SWAC ( Sea-water air conditioning ), à la valorisation des eaux océaniques et au ravitaillement en gaz naturel liquéfié (GNL).

Je porte un grand rêve : que La Réunion, qui ne possède pas de matière première, devienne le lieu d'implantation de grands laboratoires, d'universités et de firmes internationales étudiant la mer et la biodiversité.

Laurent BLÉRIOT, Président de Bioalgostral

L'infiniment petit au service de l'infiniment grand.

Quand vous vous baignez dans un océan ou dans une rivière, vous êtes entourés de microalgues et de cyanobactéries de l'ordre du micron qui constituent ce qu'on appelle le phytoplancton. C'est notamment grâce à ces organismes photosynthétiques que nous respirons puisqu'ils fournissent plus de la moitié de l'oxygène présent dans l'atmosphère et consomme la moitié du dioxyde de carbone.

Il existe des millions d'espèces de microalgues présentes dans les écosystèmes tels que les océans, les rivières ou les lacs. Seules 30 000 sont répertoriées et décrites par la littérature scientifique, tandis qu'une dizaine seulement est actuellement produite à l'échelle industrielle pour être consommée dans l'alimentation humaine. Le potentiel est donc particulièrement important.

Encore faut-il se donner les moyens de développer localement ce type de filière prometteuse, créatrice de valeur ajoutée et d'emplois nouveaux sur nos territoires.

Il y a huit ans, nous avons eu l'idée de développer une telle filière dédiée aux microalgues. Il est erroné de considérer que La Réunion ne dispose pas de matières premières. Notre île est entourée par une ZEE de 2 millions de kilomètres carrés, en intégrant la ZEE des Terres australes et antarctiques françaises. Elle ne recèle donc pas seulement des nodules polymétalliques à découvrir, mais aussi une biodiversité exceptionnelle telle que les microalgues, valorisées depuis une trentaine d'années à travers le monde.

Ces microalgues s'apparentent à de véritables petites usines chimiques qui synthétisent le dioxyde de carbone et le transforment en oxygène. Certaines sont riches en protéines, en oligoéléments ou en huiles utilisables, par exemple pour produire du carburant.

Les microalgues ont l'avantage, quand on les produit à terre dans des photobioréacteurs, de ne pas entrer en concurrence avec les terres arables nécessaires à l'agriculture traditionnelle.

Il n'y a pas de risque d'épuisement de la ressource puisque nous n'opérons qu'une seule collecte en milieu naturel avant de cultiver ces organismes d'abord en laboratoire avant d'opérer un « scale up » industriel.

Bioalgostral a vécu une première phase de développement de type « start-up » dédiée à une recherche et développement (R&D) classique. L'entreprise a installé son prototype pré-industriel chez Ercane pour étudier les conditions de production de ces algues et envisager son passage en phase industrielle.

Nous avons notamment participé à des projets de recherche collaboratifs tels que le projet Biopaintrop, soutenu par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Il s'agit d'un projet qui vise à la production de revêtements antifouling écologiques d'origine tropicale.

Une nouvelle stratégie plus respectueuse de l'environnement se développe en Europe, consistant à mettre au point des revêtements libérant de façon maîtrisée des molécules actives d'origine naturelle, biodégradables et non toxiques pour l'environnement. Cette stratégie s'inscrit en cohérence avec le principe de précaution et le règlement REACH 12 ( * ) , lequel vise à mettre sur le marché des produits efficaces et respectueux de la santé humaine et de l'environnement.

Plusieurs formulations de peinture, intégrant les principes actifs issus de nos cultures de biomasse microalgales ont été préparées afin de comparer leur efficacité en phase aqueuse ou en phase solvant.

Les tests des peintures formulées dans le cadre de projet ont montré des résultats très prometteurs dans les différents sites d'immersion (La Réunion, Lorient et Toulon) en termes d'activités antifouling .

Nous avons mené cette expérience avec l'Agence pour la recherche et la valorisation marines (ARVAM), devenue Hydrô Réunion, et avec un industriel leader dans le domaine des peintures pour bateaux en métropole.

La société a négocié sa transition de modèle afin de désormais concrétiser son passage au stade de production industrielle.

Son plan de développement industriel vise à permettre la mise sur le marché de biomasse et de molécules d'intérêt sur des marchés déjà existants dans les secteurs de l'agro-nutrition animale et humaine, de la cosmétique et de la chimie fine, tout en implémentant progressivement les produits issus de sa R&D dans son développement industriel sur les niches de marchés constitués.

Il est à noter que les débouchés marchés sont principalement à l'export, avec également des débouchés marchés locaux dans des niches marchés pré-identifiés.

Nous avons ainsi mis en oeuvre un programme quinquennal d'industrialisation de notre process en trois étapes :

- en phase 1, nous installerons 5 000 mètres carrés de culture sur le site du technopôle de Saint-Denis ; Cette étape permettra la maîtrise de la production industrielle sur le territoire réunionnais et la mise sur le marché de nos produits en volume conséquent ;

- en phase 2, une extension est programmée sur la commune de Saint-André. Nous récupérerons le dioxyde de carbone issu des chaudières de l'usine thermique d'Albioma pour produire ces algues.

Le CO 2 est l'un des principaux intrants nécessaires à la production de microalgues, la société a ainsi choisi de s'affranchir progressivement du sourcing traditionnel en matière de CO 2 à partir de cette étape et dans la perspective d'une production de microalgues à grande échelle (et notamment dans la perspective de la production de biocarburant).

La société a fait le choix de valoriser le CO 2 directement issu des cheminées industrielles.

Il ressort des études préalables réalisées sur les gaz rejetés par l'usine de Bois rouge à Saint-André (partenariat avec Albioma) que ces derniers pourraient être directement utilisés dans nos process de fabrication des algues après une phase de refroidissement, de traitement et de purification dudit gaz ;

- en phase 3, un partenariat a été noué avec Veolia, toujours dans le cadre de l'économie circulaire, pour utiliser les phosphates issus des eaux grises des stations d'épuration des eaux usées (STEP) afin de produire des algues.

Le phosphate est une ressource fossile au même titre que le pétrole. La société a fait le choix de s'affranchir du phosphate agricole et de contribuer à l'adoption d'une gestion raisonnée de la ressource, qui passe par le recyclage du phosphore consommé. En l'espèce, le phosphate est récupéré après traitement dans la STEP.

La première phase a déjà démarré. Nous avons acquis le terrain et obtenu notre permis de construire. L'entreprise est donc prête à entrer de plain-pied dans sa phase chantier.

En termes de commercialisation, tout ce qui peut être obtenu avec des plantes sur terre peut être produit avec des microalgues : des produits alimentaires pour l'homme et les animaux, des cosmétiques, de la chimie verte, de l'énergie, etc. Pour le moment, nous avons noué des contrats à l'international en Business-to-Business (B2B).

Le projet qui a permis de faire connaître Biolagostral portait sur l'incorporation de microalgues dans les biocarburants. Cet axe de R&D n'est certes pas rentable seul à ce stade sans valorisation des co-produits associés, mais il nous a permis de procéder à une démonstration industrielle.

Nous pourrons néanmoins envisager ultérieurement l'installation d'une filière complète dédiée aux biocarburants sur le territoire. L'objectif à court terme sur cet axe est de permettre l'alimentation d'une turbine à combustion (TAC) avec un additif biocarburant pour la future BIOTAC de la société Albioma qui sera fonctionnelle en fin d'année 2017 dans le Sud de l'île.

En guise de conclusion, le développement d'une telle filière a un avenir certain dans les RUP françaises qui disposent des conditions climatiques particulièrement favorables au développement de ce type de filière, et pourquoi pas à Mayotte.

Le potentiel lié à l'économie bleue doit être exploré et valorisé : transformer nos handicaps en atouts et faire de la France océanique le fer de lance de l'innovation et de la recherche européenne, tel est notre objectif. La filière microalgues actuellement développée sur l'île de La Réunion pourrait en être une illustration. Encore faut-il que notre territoire prenne véritablement conscience de son potentiel et relève sans versatilité le défi de l'économie bleue.

Ne l'oublions pas : La mer est l'avenir de l'homme.

Source : ARVAM

Feyçoil MOUHOUSSOUNE, Président et membre fondateur du Groupement des entreprises mahoraises des technologies de l'information et de la communication (GEMTIC)

Nous contribuons à la mise en oeuvre de la filière numérique. Il n'était pas possible d'évoquer cette activité à Mayotte avant 2012, date à laquelle l'Internet à haut débit est arrivé sur place. Jusque-là, la qualité de la connexion était insuffisante pour un usage professionnel. Il existait certes des solutions satellitaires mais elles étaient extrêmement coûteuses. Ce déploiement rapide a permis de démocratiser ces technologies.

Pour cette raison, la situation mahoraise n'est pas comparable à celle de La Réunion, qui est équipée depuis bien plus longtemps. Le niveau de service à Mayotte est aujourd'hui satisfaisant pour répondre aux besoins usuels. L'objectif actuel est de lutter contre la fracture numérique, d'éviter que cette île soit encore plus enclavée.

Mayotte est un jeune département. Ce territoire a besoin de se développer dans de nombreux domaines. Le numérique sert aujourd'hui à accompagner cet essor. Il peut permettre de répondre à des enjeux d'éducation ou de santé. Il permet surtout à l'île d'être plus ouverte sur toute sa région.

La conjoncture est plutôt favorable à notre secteur. Le développement du numérique à Mayotte est soutenu. Il bénéficie de fonds européens qui financent l'amélioration de l'infrastructure, de la collecte et la mise en oeuvre du très haut débit sur le territoire. Le schéma d'aménagement du numérique, piloté par le conseil départemental, est un document de cadrage du développement du numérique qui s'étend jusqu'en 2025.

En revanche, ce développement ne doit pas intervenir sans porter attention aux usagers. Plus de la moitié des Mahorais ont moins de vingt ans. Ils doivent s'approprier ces nouvelles opportunités, acquérir les compétences pour les maîtriser. Ils doivent apprendre à gérer les menaces liées à la cybersécurité ou à des contenus dangereux.

Le développement numérique peut être un facteur de création d'emplois. Il constitue un levier de croissance en lui-même. Cette population très jeune est susceptible de développer des projets innovants. L'Internet comme le téléphone mobile sont arrivés très vite à Mayotte. La population s'est approprié ces technologies très rapidement.

Pour conclure, je souhaite signaler deux initiatives :

- la Web@cadémie : à l'initiative de l'association ZupdeCo, elle offre une formation de deux ans à un jeune public en situation de décrochage scolaire. Elle lui permet d'apprendre à programmer des applications pour smartphones . Des Mahorais ont participé à ce dispositif et travaillent maintenant pour des start-up parisiennes ;

- la WebCup : créée à La Réunion, cette compétition permet à des jeunes de s'affronter pour créer un site sur un thème donné en moins de vingt-quatre heures. Cette initiative a réussi à mobiliser une quarantaine de jeunes. En 2015, l'équipe de Mayotte a remporté la finale régionale.

En termes d'innovation, Mayotte ne se trouve pas au même stade que La Réunion. Le numérique peut constituer un bon support de l'essor de nouveaux modèles économiques. Nous manquons encore d'incubateurs pour ce faire. Je rêve d'une démarche technopolitaine qui permettrait de croiser différents éléments caractéristiques de Mayotte : l'océan, l'islam, le swahili, etc.

Olivier SAUTRON, Président-directeur général d'Oscadi

Oscadi a créé un produit dénommé Oscult. Il permet de faire de l'imagerie médicale de matière autonome. Actuellement, tout médecin est équipé d'un stéthoscope. Il lui permet d'ausculter le coeur et les poumons. Pour tout autre examen, il est contraint de faire appel à un spécialiste.

Habitant sur les hauteurs de La Réunion, dans la plus petite commune de l'île, il ne m'est pas facile de consulter un praticien. J'ai donc eu l'idée de créer Oscult, un appareil d'échographie ultraportable connecté. Utilisé par un généraliste, une sage-femme ou un pompier, il permet à un spécialiste de réaliser une échographie à distance.

Par exemple, Mayotte connaît actuellement une explosion démographique. En conséquence, nous ne disposons pas du nombre de gynécologues ou d'obstétriciens nécessaires. Il serait envisageable de mener une expérience de télémédecine permettant à un spécialiste du centre hospitalier universitaire de La Réunion de procéder à un examen à distance.

Ce genre de situation n'est pas propre à l'outre-mer. La métropole connaît également des problèmes de déserts médicaux. Nous avons créé ce produit pour établir un diagnostic le plus rapidement possible sur le terrain. Nous avons démarré des essais cliniques en Malaisie.

Mon entreprise est installée sur la côte Est de La Réunion, la région la moins développée. Nous avons néanmoins signé un accord-cadre avec Apple. Oscadi est la seule société au monde habilitée iOS sur du matériel médical. Jusqu'à présent, nous avons participé aux plus importants salons dédiés à l'imagerie.

Oscadi est une start-up . Nous avons remporté des prix. Nous avons dépensé 2 millions d'euros. Nous comptons dix salariés et avons vendu six produits. J'ai décidé de relever le défi de l'industrialisation sur l'île de La Réunion.

Nous bénéficions évidemment du crédit d'impôt recherche (CIR) qui nous apporte un quart de notre financement. Pour l'industrialisation, nous sommes accompagnés par Nexa. Notre plus gros souci consiste à trouver des fonds.

Nous sommes également confrontés à une concurrence importante, avec des entreprises telles que General Electric, Siemens ou Philips. Cela étant, nous avons montré depuis trois ans qu'il était possible d'accomplir une initiative d'excellence à La Réunion. Nous avons vendu nos premiers produits sur place et nous développerons à l'export dans l'avenir.

Françoise DE PALMAS, Directrice générale de la Technopole de La Réunion

Accompagner l'innovation sur le territoire de La Réunion : du paradoxe à l'excellence

La Réunion est un territoire paradoxal dont les atouts sont aussi les handicaps : une singularité déterminante en termes d'innovation et donc pour la Technopole ;

Son originalité avérée est :

- géographique : éloignement, insularité, taille réduite, climatologie, biodiversité, environnement de pays ACP ;

- démographique : une population très jeune, une transition imminente, une augmentation de la population de seniors et une société multiculturelle et multi-cultuelle, où la cohabitation pacifique est la règle, atout plus que jamais majeur !

- économique : une majorité de TPE oeuvrant dans tous les secteurs d'activité ;

- académique : un outil de formation performant et des laboratoires universitaires reconnus sur un nombre assez large de disciplines.

La Réunion peut se prévaloir d'incomparables atouts en matière d'innovation :

- valorisation et expérimentation de solutions liées aux ressources issues de la biodiversité, aux problématiques climatiques (en matière touristique, agroalimentaire, sanitaire et d'habitat) ; c'est un axe majeur en termes d'exportation, dans la perspective notamment et malheureusement du réchauffement climatique ;

- réactivité d'une jeunesse qui s'approprie à toute vitesse les nouvelles technologies sur le plan numérique, l'éloignement ayant en ce sens un rôle d'accélération ;

- l'émergence d'une population de seniors pour qui tout doit être inventé, sur la base d'un modèle social différent de celui de la métropole ou de l'Europe ;

- la forte densité de TPE est gage de réactivité, d'agilité.

Mais La Réunion souffre en parallèle de handicaps structurels : taille du marché et masse critique, qualité des infrastructures et insuffisante connectivité, manque de capitaux locaux et de mobilisation du secteur industriel local, attractivité pour des fonds d'investissement dédiés confrontés à une insuffisance de ressources humaines qualifiées que la taille des projets ne permet pas de drainer.

La Technopole est un outil performant au service du paradoxe, qui est définie comme l'ADN de l'entreprise innovante.

Bénéficiant du label Retis, dont elle est membre et administrateur, elle constitue le support de la politique de développement d'un territoire qui favorise la fertilisation croisée, elle anime et met en réseau des compétences, accompagne la création d'entreprises innovantes et assure la promotion du territoire :

- en effet, la Technopole de La Réunion, née en 2001 de la volonté commune des acteurs institutionnels (État, Région, Cinor, Ville de Saint-Denis), de la formation (Académie de La Réunion), et du secteur privé, est un outil transversal au service de l'innovation ;

- partenaire privilégié du CRI, vecteur de la S3, elle soutient et accompagne les acteurs de l'innovation à La Réunion ( Start-up week-end, 24 heures de l'innovation, Fête de la Science, Girls in tech , etc...) et notamment dans le domaine digital avec Digital Réunion (nXse, French Tech), avec ARS/GSC Tesis et avec Orange (Innov'santé, membre, Agence Film Réunion).

Forte de 108 adhérents, elle assume en propre les missions suivantes :

- stimulation et détection de projets innovants ;

- accompagnement personnalisé à la création et au développement d'entreprises innovantes, en particulier grâce à l'incubateur Allegre qu'elle anime depuis 2003, avec des résultats probants :


• 76 projets incubés dont 23 dans le domaine des TIC, 22 dans celui de l'environnement, 16 dans l'agroalimentaire (dont Soleil Réunion) et 11 en matière de santé et biotechnologies ;


• dont 60 ont finalisé leur incubation et généré : 43 créations d'entreprise & 160 emplois, c'est-à-dire 71 % de taux de transformation et 88 % de taux de pérennité ;


• il faut noter une accélération au cours des deux dernières années : 2015 et 2016 représentent à elles seules 19 des 43 entreprises créées.

- optimisation d'écosystèmes dédiés à l'innovation : animation des parcs Technor, Techsud et préparation de Technoest ;

- hébergement et mise à disposition d'un lieu de rencontre dédié aux start-up innovantes, location de salles de réunions et de bureaux, espace de co-working .

Évolution majeure : le déménagement fin mars dans le Village by CA sur Technor, dont la Technopole va assurer l'animation et la participation à la dynamique Ocean Tech initiée par la Cinor en partenariat avec le pays Basque et sa nouvelle configuration de communauté d'agglomération.

- guichet instructeur pour :


• l'aide au premier projet innovant (APPI) de BPIFrance d'un montant maximal de 10 000 euros. Depuis 2013, 22 projets innovants ont été ainsi financés ;


• le fonds social de l'innovation du Crédit Agricole : un prêt à taux zéro et/ou une subvention d'un montant maximal de 50 000 euros. Depuis juillet 2016, le dossier de candidature peut être téléchargé sur www.technopole-reunion.com .

- ateliers - formations gratuits sur la création et le développement d'entreprise ;

- coopération régionale : une assistance technique à la création de Technopoles dans la zone (ex : Rodrigues).

En termes de moyens d'action, la Technopole bénéficie aujourd'hui d'une majorité de financements publics (FEDER + contreparties État et Régions, collectivités (intercommunalités et villes).

Elle travaille activement à la mobilisation de fonds privés (bénéficiaires et entreprises locales dans une logique d'open-innovation), sachant que la spécificité territoriale, en termes de masse critique, est la même que dans le secteur industriel. Un traitement particulier des aides RDI est donc indispensable à la montée en compétences et en maturité du secteur auquel un alignement sur le droit commun sera fatal à très court terme. Merci de vous faire notre allié à Bruxelles pour qu'il en soit ainsi.

Je vous remercie.


* 11 Accord intergouvernemental franco-australien de 2007, accord de gestion IPEV-PNRA sur Concordia de 2005, accord IPEV-AAD de 2001, accord franco-belge de 2014...

* 12 Règlement CE n° 1907/2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) et instituant une agence européenne des produits chimiques.

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