CONCLUSION

Les relations entre l'Union européenne et la Turquie se sont considérablement dégradées ces deux dernières années. Cela fait suite aux mesures sécuritaires jugées disproportionnées et contraires aux droits de l'Homme prises par la Turquie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et suite au coup d'État manqué du 15 juillet 2016.

Concernant le processus d'adhésion, chaque partie dénonce un manque de sincérité. L'Union européenne reproche à la Turquie sa dérive autoritaire alors que pour la Turquie, le processus était déjà bien ralenti auparavant.

Pourtant aucune des deux parties ne souhaite prendre la responsabilité de rompre les négociations. Les menaces relatives à un référendum en Turquie sur la peine de mort ou l'avenir du processus d'adhésion semblent relever davantage de la rhétorique électorale. En effet, même si ce processus est aujourd'hui à l'arrêt, l'Union européenne et la Turquie ont trop besoin l'un de l'autre pour arrêter toute coopération.

Ainsi, en dépit des tensions diplomatiques, les accords pour lutter contre le terrorisme ou limiter l'afflux de migrants ne sont pas remis en cause. De même, la modernisation de l'union douanière reste un sujet d'actualité pour chacun.

Quel que soit le sort du processus d'adhésion, les liens avec la Turquie et le peuple turc doivent être maintenus car ce qui se passe en Turquie ne saurait être sans conséquence pour l'Union européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 6 juillet 2017 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Merci à nos deux rapporteurs pour leur travail sur ce dossier difficile sur lequel Simon Sutour, Hubert Haenel et Robert del Picchia se sont penchés dans le passé. La Turquie appellera toute notre attention pendant plusieurs années encore. Si je tire une conclusion de ces travaux, c'est bien que l'Union européenne doit rester fidèle à ses valeurs. Face aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Moyen-Orient, l'Union européenne représente un pôle de stabilité dans un monde turbulent.

Je souhaite que Jean-Yves Leconte et André Reichardt puissent retourner en Turquie et se rendre dans le sud-est du pays dans des conditions de sécurité convenables.

M. André Gattolin . - Félicitations aux deux rapporteurs, qui ont une grande maîtrise du dossier. Lorsque ce député de l'AKP parle de se tourner vers d'autres partenaires que l'Union européenne, il faut rappeler la logique de dépendance de l'Union européenne vis-à-vis de la Turquie liée à la triple opération de sous-traitance effectuée par celle-ci : sous-traitance intérieure - qui a beaucoup arrangé l'Allemagne notamment ; sous-traitance interne - en tant qu'atelier de l'Europe, pour le textile et d'autres industries ; sous-traitance migratoire.

Comme Jean-Yves Leconte, je pense que le référendum n'a pas été un franc succès pour M. Erdogan. On constate que la société résiste. Au-delà de la menace de Daesh et de celle, surévaluée, des Kurdes, le régime ne tient que par la croissance économique, comme le parti communiste en Chine. M. Erdogan restera au pouvoir tant que la croissance demeurera si élevée. En cela, l'Union européenne est complice.

On oublie un accord silencieux, ô combien stratégique : celui des États-Unis. L'alliance entre la Turquie et la Russie est mise en avant, mais la méfiance est de mise entre ces deux pays. En revanche, je ne vois pas le discours de l'administration Trump. Les États-Unis observent un silence de connivence et ne remplissent pas leur rôle historique.

Mme Nicole Duranton . - En tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je souhaite préciser que lors de la session d'avril dernier, la réouverture de la procédure de suivi à l'encontre de la Turquie a été votée. Après le coup d'État et la mise en oeuvre de l'état d'urgence, les autorités turques ont incarcéré des hommes politiques, des journalistes, des fonctionnaires ; après le référendum, le président Erdogan souhaite rétablir la peine de mort. Tout ceci va à l'encontre des valeurs du Conseil de l'Europe.

Il a été demandé aux autorités turques de lever l'état d'urgence dès que possible ; d'arrêter de promulguer des décrets-lois contournant la procédure parlementaire sauf si cette pratique s'avère strictement nécessaire en vertu de la loi sur l'état d'urgence ; de libérer tous les parlementaires en détention dans l'attente de leur procès ; de libérer tous les journalistes détenus ; de veiller à ce que les procès se tiennent dans le respect des garanties d'une procédure régulière ; de prendre d'urgence des mesures restaurant la liberté d'expression de la presse ; de mettre en oeuvre aussi rapidement que possible les recommandations de la Commission de Venise. La Turquie n'a pas entrepris de respecter ces engagements.

Je me suis rendue en Turquie en tant qu'observatrice du référendum. Si nous n'avons pas constaté d'irrégularités dans le processus de vote, les partisans du « non » ont dénoncé une campagne inéquitable, déclarant qu'ils ne pouvaient pas s'exprimer librement auprès de la presse. Nous l'avons consigné dans notre rapport. Depuis, le président Erdogan considère que les parlementaires qui se sont rendus en mission d'observation sont des terroristes.

M. René Danesi . - Je souhaite revenir sur le problème de l'intégration des diasporas dans les pays de l'Union européenne. La campagne du référendum a été presque frénétique en Allemagne et en France. Ce n'est pas la première fois que l'on constate un décalage. Les Tunisiens résidant en France ont très largement voté pour Ennahdha. Pourquoi ces diasporas sont-elles manifestement très éloignées des opinions publiques de leurs pays d'accueil ?

Le rapport n'émet pas d'appréciation qualitative sur le devenir possible de la Turquie. Personne ne croit que la Turquie puisse adhérer à l'Union européenne. Est-ce même souhaitable ? La seule perspective possible est celle d'accords sectoriels, dans le domaine de l'économie et de la sécurité. Le chancelier Kohl conseillait d'être toujours « une marche en dessous », « eine Stufe darunter ».

En conclusion, ce rapport est une excellente photo, mais sans légende. Il faut l'interpréter soi-même...

Mme Gisèle Jourda . - Ce rapport m'a rappelé le déplacement en Turquie que j'ai effectué avec Michel Billout et Jacques Legendre pour évaluer l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. C'était après le premier attentat à Istanbul et j'avais senti que le feu couvait sous la cendre, mais nous ne pouvions imaginer la situation actuelle.

Lors de notre déplacement, les Turcs avaient mentionné leur souhait que les fonds liés à l'accord migratoire - vous dites que 780 millions d'euros ont été décaissés sur les trois milliards qui devaient l'être - ne transitent pas par les ONG qu'ils décriaient mais par le Croissant rouge. Les ONG que les rapporteurs ont rencontrées disent que c'est désormais le cas. Sur place, nous avions senti que les ONG étaient très critiques - le rapport le rappelle, pour elles, la Turquie ne constitue pas un « pays tiers sûr ». L'éclairage apporté par ce rapport d'étape est plus que pertinent.

Nous sommes très mitigés quant à la situation aux portes de l'Europe.

Lors de notre déplacement enfin, les Turcs brandissaient la menace de suspendre l'accord sur les réfugiés si cette politique ne se mettait pas en place selon leurs souhaits.

M. Claude Kern . - Je suis en phase avec les conclusions des rapporteurs.

L'industrie turque de l'armement lourd est très forte, elle s'appuie sur d'excellents ingénieurs. Les industriels européens se plaignent de cette concurrence déloyale sur les grands marchés, où les entreprises turques sont souvent moins-disantes, notamment grâce aux aides de l'État. Il est donc nécessaire de conserver des relations avec la Turquie.

Mme Patricia Schillinger . - Merci pour ce rapport. L'Alsace accueille une forte communauté turque ; depuis deux ou trois ans, je constate une dégradation des relations entre les associations turques et les parlementaires, ainsi qu'une forte radicalisation. J'ai été choquée par la pression exercée sur les Turcs français pour aller voter. Il y avait même des bus ! Il faut être très vigilant sur l'installation des commerces, le blanchiment d'argent, mais aussi la condition de la femme. Je n'ai jamais autant vu de femmes voilées. À Mulhouse, des enfants de six ans portent le voile, des gants, des lunettes. C'est inquiétant. J'appelle à plus de vigilance.

Les entreprises turques durent deux ans puis changent, elles ne paient pas les charges sociales. Le nombre de restaurants kebab a explosé. À Mulhouse, il y en a près de 200 pour 100 000 habitants ! C'est pareil en Allemagne.

Il faut aussi contrôler ce qui se passe dans les universités, alors que la jeune génération est confrontée au fanatisme et à la radicalisation.

M. Michel Billout . - Les rapporteurs nous offrent une photographie des relations toujours complexes entre l'Union européenne et la Turquie et je comprends qu'ils aient du mal à conclure, parce que nous assistons à une gigantesque partie de poker menteur entre l'Union européenne et la Turquie. André Gattolin a employé le mot « sous-traitance » pour qualifier cette relation, je parlerai plutôt d'interdépendance, du point de vue économique - la Turquie a besoin du marché européen pour écouler une partie de sa production et l'Union européenne est fortement intéressée par le marché intérieur turc qui ne cesse de croître -, mais aussi du point de vue de la gestion des flux migratoires.

L'Union européenne dénonce la situation des droits de l'Homme en Turquie et le traitement des populations kurdes : l'armée turque a perpétré des massacres sur les populations civiles - un rapport d'Amnesty International indiquait que 500 000 Kurdes turcs avaient été déplacés en moins d'un an, après avoir vu leurs biens détruits ou confisqués. Une telle situation aux portes de l'Europe est gravissime, mais l'Union européenne ne peut agir avec toute la fermeté nécessaire, précisément en raison de l'interdépendance économique que j'évoquais et de celle que nous avons créée sur la question migratoire.

Le rapport rappelle que la mission commune d'information à laquelle j'ai participé avait estimé « qu'il était de l'intérêt de l'Union européenne de préserver l'accord conclu avec la Turquie » pour endiguer le flux de réfugiés. Notre conclusion était motivée par le fait que la Grèce n'était pas en mesure de supporter de nouveaux flux migratoires, mais nous indiquions que l'Union européenne portait la responsabilité de la situation de blocage en Grèce, du fait de la fermeture de la frontière des Balkans et d'une politique migratoire non assumée. Dans nos conclusions, nous déconseillions à l'Union européenne de conclure de nouveaux accords de ce type, mais elle poursuit dans cette voie, notamment avec la Libye. Du coup, des situations complexes se créent où l'Union européenne s'expose au chantage.

Cette évolution est très préjudiciable à nos relations avec la Turquie, qu'il faut maintenir, tout en exerçant des pressions si nous ne voulons pas abandonner nos valeurs. Comme le disait André Gattolin, les meilleures pressions seront économiques. Je m'interroge ainsi sur l'opportunité de la conclusion d'un accord douanier dans ce contexte : il me semble qu'il faut rester prudent. Si Erdogan s'est maintenu si longtemps au pouvoir, c'est grâce à une réussite économique dont les Turcs lui savent gré : continuer de l'aider économiquement, c'est l'aider à rester au pouvoir. Je ne suis pas certain que ce soit l'intérêt de l'Union européenne, du point de vue des relations bilatérales, mais aussi du point de vue de la situation globale de la région. La façon dont Erdogan gère la question kurde n'est pas un problème purement turc, c'est un problème mondial. Les Kurdes jouent un rôle extrêmement important dans la perspective du règlement du conflit en Syrie et en Irak et on ne peut pas simplement tenter de les rayer de la carte.

M. Louis Nègre . - Il a fallu que j'attende d'être membre de la commission des affaires européennes du Sénat pour m'asseoir à côté d'une terroriste !

Je félicite les rapporteurs d'avoir su montrer l'ambivalence de nos relations avec la Turquie, au moins sur le plan économique. Cette ambivalence est à l'origine d'un certain nombre d'errements.

Il est clair que la Turquie considère le PKK comme une organisation terroriste, mais je n'ai pas bien compris quelle était sa position face aux terroristes de Daesh. Dans un premier temps, sa position n'a pas été absolument évidente et elle a évolué à partir du moment où les États-Unis, la coalition internationale et la Russie ont exercé une pression plus forte.

Cette ambiguïté pose un problème que le président de la commission a bien résumé : que voulons-nous ? Qui sommes-nous ? Quelles conclusions tirons-nous ? Certes, nous devons avoir des relations économiques avec tout le monde, mais évitons d'être naïfs !

Je n'ai pas affaire à la diaspora turque dans mon département, mais je sais que, tout en étant incluse dans la société, elle forme un îlot pratiquement étanche à nos valeurs. Tout le monde reconnaît l'existence de zones de non-droit dans notre pays, s'y ajoutent désormais des diasporas qui posent de surcroît des problèmes démocratiques. Je refuse de voir l'Union européenne se dissoudre dans un grand marché, comme les Britanniques le souhaitaient, car elle doit défendre ses valeurs fondamentales, qui sont humanistes. Quand vous voyagez dans des pays qui ne connaissent pas nos libertés, vous entendez dire que la force de l'Europe, ce sont ses valeurs.

Il faut faire du commerce avec tout le monde, mais en gardant les yeux ouverts, et en adoptant des positions beaucoup plus offensives sur un certain nombre de dossiers, à commencer par l'immigration. Nous nous laissons marcher sur les pieds parce que nous le voulons bien ! Les flux migratoires ne passent plus par la Turquie : l'accord conclu avec elle est-il toujours d'actualité ? Si nous continuons à verser des millions d'euros à la Turquie, il faut exiger d'elle que l'immigration incontrôlée soit stoppée. J'attire donc l'attention de notre commission sur la nécessité de réagir.

M. Didier Marie . - La présentation du rapport et les interventions de nos collègues montrent que la question des relations avec la Turquie est extrêmement sensible.

Tout d'abord, il faut toujours penser au respect des droits fondamentaux des Turcs eux-mêmes, qui vivent une situation très difficile.

Ensuite, Louis Nègre vient d'évoquer l'implication de la Turquie dans la lutte contre Daesh et sa position à l'égard du conflit en Syrie et en Irak. Par ailleurs, la Turquie est membre de l'OTAN et les dérives actuelles de son gouvernement peuvent créer un certain nombre de difficultés du point de vue de l'équilibre des relations internationales.

M. Erdogan tient grâce à une croissance annuelle de 5 %. Celle-ci lui a permis d'obtenir l'appui électoral des populations rurales d'Anatolie qui ont largement bénéficié du développement économique. Il a moins d'appuis dans les populations du littoral, les résultats du référendum l'ont montré. Quant aux 5 millions de Turcs qui vivent en Europe, ils ont voté massivement en faveur du oui. Cette diaspora bénéficie, elle aussi, de la croissance économique grâce aux investissements qu'elle réalise en Turquie.

M. Erdogan a adopté une stratégie qui vise à accroître sa mainmise sur le pays par un autoritarisme toujours plus assumé. Il cherche parallèlement à desserrer la contrainte liée à la relation avec l'Union européenne en investissant massivement dans les Balkans, dans le Golfe, en Égypte et dans les anciennes républiques soviétiques.

Nous assistons donc à la mise en place d'un schéma subtil : la dérive autoritaire manifeste pour contrôler le pays ne peut s'appuyer que sur une croissance économique forte ; les relations avec l'Union européenne ne vont pas s'arranger, il faut donc desserrer l'étau en développant le marché intérieur et en allant conquérir des marchés extérieurs.

L'Union européenne et la France doivent trouver un juste équilibre entre le maintien d'un dialogue avec le gouvernement turc et l'AKP et la dénonciation de la dérive autoritaire. J'estime que nous devons être intransigeants sur nos valeurs ; encore faudrait-il que l'Union européenne les défende suffisamment et les assume pleinement en son sein, faute de quoi il lui sera difficile de donner des leçons. Cette position doit aussi se traduire dans les relations bilatérales : il n'est pas question d'alléger le dispositif d'octroi de visas dès lors que M. Erdogan veut rétablir la peine de mort et ne respecte pas les sept critères évoqués par André Reichardt, notamment la reconnaissance de Chypre.

La question kurde n'a pas été suffisamment évoquée. Elle constitue un problème interne à la Turquie, mais aussi un problème régional très important qui détermine en grande partie la position de ce pays sur la scène irako-syrienne et ne pourra trouver de solution autre que politique. Malgré l'intransigeance affichée d'Erdogan, existe-t-il un espoir de le voir trouver à terme un accord avec le HDP et les Kurdes ?

M. Jean Bizet , président . - Le nombre de questions posées par nos collègues prouve l'intérêt qu'ils portent à ce sujet. Je donne la parole aux rapporteurs.

M. Jean-Yves Leconte . - J'aimerais partager l'optimisme de nos collègues sur les effets des pressions économiques. Il y a un paradoxe : la situation économique renforce Erdogan, mais elle fragilise son projet politique. En Russie, la crise économique a incité Poutine à adopter un discours encore plus nationaliste. Je ne crois pas que l'on affaiblira le gouvernement turc du simple fait de l'adoption de sanctions économiques.

Quant aux relations entre la Turquie et les États-Unis, il ne vous aura pas échappé qu'il existait une divergence sur le rôle des Kurdes dans la lutte contre Daesh et cette opposition peut peser lourd sur l'avenir de la relation bilatérale. De même, M. Gülen habite à Philadelphie et fait l'objet d'une demande d'extradition...

L'Allemagne considère que la Turquie devient un allié imprévisible et craint que sa qualité de membre de l'OTAN n'engage ses partenaires sur des terrains où ils ne souhaitent pas s'aventurer. D'autres membres de l'alliance s'interrogent sur la place de la Turquie, mais ce n'est pas encore le cas des États-Unis. L'armée turque tient beaucoup à sa participation à l'alliance, parce que c'est son rang qui est en jeu ; si jamais cette participation était remise en cause, elle pourrait changer d'attitude.

La diaspora turque est très diverse, comme le peuple turc. Dans le passé, elle a été structurée par le mouvement Gülen, en particulier dans les écoles, et l'AKP essaie maintenant de le remplacer. Au moment des élections ne s'expriment que les proches de l'AKP, parce que les autres ne veulent pas avoir de contacts avec les consulats, etc. La communauté kurde est également importante au sein de la diaspora et elle n'est pas allée voter. Je serai donc un peu moins pessimiste que nos collègues sur ce point.

En revanche, les schémas des investissements de la diaspora en Turquie, via des confréries et des associations, donnent parfois matière à de véritables prises d'otages, en créant une relation de dépendance de ces investisseurs à l'égard de réseaux politiques turcs. Cela explique en partie le fait que la diaspora soit si étroitement contrôlée, sans parler des moyens mis en oeuvre par l'État.

Dans sa relation avec la Turquie, l'Union européenne ne peut pas échapper à sa géographie. Soit elle se laisse prendre en otage, soit elle essaie de trouver un accord et une forme de complicité avec la Turquie. Aujourd'hui, nous sommes clairement otages de notre géographie.

J'insiste sur le fait que l'AKP a détruit beaucoup de ce que le kémalisme avait construit sur les ruines de l'empire ottoman. Il ne faut pas s'imaginer que, du jour où Erdogan ne sera plus au pouvoir, on retrouvera la Turquie du début des années 2000. Au contraire, on retrouvera toute la complexité byzantine.

En ce qui concerne la relation de la Turquie avec Daesh, on a pu avoir des doutes, mais la coopération franco-turque dans ce domaine a toujours été sérieuse, car il y a une grande différence entre les discours et les actes. La divergence d'appréciation sur le rôle des Kurdes est en revanche évidente : le gouvernement turc ne veut pas entendre parler de solution politique du problème kurde - la tentative de 2015 a fragilisé le pouvoir interne d'Erdogan.

En ce qui concerne les visas, je suis très partagé. On ne peut pas laisser la population turque se faire prendre en otage par son gouvernement. Au contraire, il faudrait essayer de dissocier cette question de la réponse à apporter à la dérive autocratique du régime.

On peut affirmer qu'il faut être intransigeant sur les valeurs, mais quand 80 millions de personnes, plus pauvres en moyenne que la population européenne, accueillent trois fois plus de réfugiés que l'Union européenne, ce discours n'est plus crédible. Notre position ne sera solide que si elle s'appuie sur des actes, notamment sur notre capacité à ne pas faire payer par les citoyens turcs le comportement de leur gouvernement. Même les partis d'opposition nous le disent : il faut favoriser les échanges, Erdogan dût-il en tirer un profit politique.

À titre personnel je pense que nous ne pouvons pas échapper à notre géographie respective. Si nous ne nous accordons pas sur des objectifs communs, nous en resterons otage. Si cela passe par l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, ce sera la meilleure manière de soumettre toutes les entreprises aux mêmes règles et de mettre fin au dumping .

M. André Reichardt . - Je suis à peu près d'accord sur tout avec Jean-Yves Leconte, sauf peut-être sur les visas.

Nous étions en Turquie le jour où l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a décidé la réouverture de la procédure de suivi : nous avons pu constater que cette décision déplaisait fortement...

Pour répondre à René Danesi, il est évident que nous avons du mal à donner une conclusion à notre rapport, parce que, comme l'a dit Michel Billout, nous assistons à une gigantesque partie de poker menteur. Si Erdogan organise demain un référendum sur la peine de mort, on ne pourra plus parler de l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Turquie. Bien malin qui peut dire jusqu'où il ira.

J'étais de ceux qui pensaient qu'Erdogan était le problème, mais depuis que j'ai rencontré des membres de l'AKP, je ne le pense plus, car il me paraît finalement assez modéré. La situation est donc très complexe, c'est pour cela que j'ai indiqué qu'il ne s'agissait que d'un rapport d'étape.

La Turquie a d'énormes besoins pour faire face à la présence des réfugiés syriens. L'aide de l'Union européenne est donc essentiel et il faut reconnaître qu'elle est pour l'instant insuffisante. Les jeunes Syriens réfugiés ne sont que très insuffisamment scolarisés : c'est une véritable bombe à retardement.

Patricia Schillinger a évoqué la dégradation des relations entre les élus locaux français et les communautés turques. Il faut savoir que les plus actifs au sein de ces communautés sont les pro-Erdogan, parce que les autres se sont progressivement éloignés. Nous savons bien que les mosquées turques en France sont majoritairement dans la mouvance du ministère turc des affaires religieuses, le DITIB. Je note que, depuis le 1 er juillet, le Conseil français du culte musulman est présidé par un Turc.

Enfin, l'Union européenne doit rester fidèle à ses valeurs, mais elle doit aussi se montrer solidaire du peuple turc. Il ne faut pas rompre le dialogue avec le pouvoir en place - même si on ne sait pas très bien où il va - et surtout pas avec la société civile.

M. Jean Bizet , président . - Je remercie nos deux rapporteurs. Ce sujet est très délicat, nous devons rester attentifs, nous montrer proches du peuple turc qui souffre, tout en gardant les yeux grands ouverts.

*

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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