II. COMMENT AMÉLIORER LE TRAITEMENT DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ?

Face à des constats partagés par l'ensemble des acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes, la délégation a souhaité apporter sa contribution à l'élaboration de réponses adaptées à l'ampleur de ce fléau , qu'il s'agisse du parcours judiciaire des victimes ou des questions posées par le harcèlement sexuel, les violences sexuelles commises à l'encontre de mineurs, les violences conjugales et intrafamiliales et les nouvelles formes de violences telles que les cyber-violences, les violences subies par de très jeunes femmes au sein de couples « non-cohabitants » ou des violences relevant du harcèlement dit « de rue ».

La délégation souhaite rappeler que la politique publique de lutte contre les violences a beaucoup progressé au fil des ans , grâce aux lois et aux plans successifs adoptés depuis le début des années 2000.

Elle estime que les progrès à réaliser dans ce domaine ne résident que marginalement dans les quelques lacunes d'un arsenal législatif désormais relativement complet . De nombreuses difficultés relayées par les auditions auxquelles elle a procédé depuis le début de la session 2017-2018 tiennent en effet à une sensibilisation inégale, selon les territoires, des professionnels de la magistrature et des forces de sécurité à l'égard des violences faites aux femmes. Ce constat souligne l'importance d'une démarche de prévention dont la nécessité a été évoquée par tous les interlocuteurs de la délégation.

A. LE PARCOURS DES VICTIMES DE VIOLENCES SEXUELLES, DE L'ÉCOUTE À LA RÉPONSE PÉNALE

Tous les interlocuteurs de la délégation ont été unanimes sur un point : le parcours des victimes demeure compliqué et difficile , du dépôt de plainte à la réponse pénale.

Les victimes ne semblent pas suffisamment écoutées, alors que, comme Flavie Flament l'a exprimé avec une grande émotion, au cours de son audition du 18 janvier 2018, qui fut un temps forts des travaux de la délégation : « Les victimes sont des expertes de ce qui leur arrive ».

Ainsi que l'a affirmé avec force, au cours de son audition du 17 janvier 2018 Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler : « Aujourd'hui, en France, parler est vraiment un parcours extrêmement compliqué et douloureux » 150 ( * ) . Flavie Flament, elle aussi, a témoigné de la difficulté pour une victime de  « libérer sa parole ».

L'une de ces difficultés tient notamment à la longueur du parcours des victimes, depuis le dépôt de plainte jusqu'à la décision judiciaire . Comme l'a indiqué à la délégation Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate qui a défendu la jeune victime de ce qui est devenu « l'affaire de Pontoise », au cours de son audition, le 14 décembre 2017, une procédure peut durer au total entre huit et dix années au pénal , auxquelles s'ajoutent environ deux ans de procès civil en réparation de la victime .

L'avocate a imputé cette défaillance aux manques de moyens de la justice . Selon elle, s'il est important d'inciter les victimes de violences à porter plainte, la justice manque de moyens ; les services de police et de gendarmerie sont saturés et il faut parfois cinq ans pour étudier un dossier : « Les juges d'instruction comme les juridictions sont débordés. La France est dotée d'un budget de la justice qui est parmi les plus faible d'Europe, quand on le rapporte au nombre d'habitant. Il équivaut à la moitié du budget allemand de la justice par habitant ».

La délégation note à cet égard que la proposition n° 19 du rapport de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs appelle à « renforcer les moyens de la justice, en particulier des cours d'assises, pour permettre des délais de jugement raisonnables ».

Pour sa part, le procureur de Paris a reconnu que le parcours des victimes ne pourra jamais être facile, en raison des exigences d'impartialité de la procédure pénale . Il a néanmoins souligné les efforts menés à son initiative pour « faciliter » ce parcours : « On peut néanmoins s'attacher à faire disparaître un certain nombre d'embûches et d'anomalies qui n'ont pas lieu d'être dans le parcours des victimes. C'est le travail que nous avons essayé de lancer depuis quelques années au parquet de Paris. Nous ne sommes pas encore parvenus au terme de ce processus, qui exige des efforts permanents ».

1. Le dépôt de plainte, une phase décisive à mieux accompagner

La première difficulté à laquelle se heurtent les victimes concerne le dépôt de plainte. L'enjeu est ainsi de favoriser la parole des victimes et de garantir un accueil à la hauteur de la gravité des faits qu'elles ont subis.

a) Inciter les victimes à déposer plainte et garantir leur accompagnement par les associations, dans le contexte actuel de libération de la parole

Comme l'ont relevé plusieurs interlocuteurs de la délégation, le nombre de dépôts de plaintes de femmes victimes de violences est très inférieur au nombre des faits. Plus préoccupant encore, le taux de condamnations demeure très faible.

Les statistiques sont à cet égard éloquentes.

(1) Un nombre de plaintes particulièrement faible

Selon un document transmis à la délégation par la Direction générale de la Police nationale daté du 26 décembre 2017, sur la période 2012-2016, seules 15 % des victimes de violences sexuelles se sont rendues au commissariat ou à la gendarmerie, 13 % ont été vues par un médecin à la suite de l'agression et 6 % ont reçu un certificat d'incapacité totale de travail (ITT).

« Le taux de dépôt de plainte est très faible , précise cette note, puisque 12 % des victimes de viol ou de tentative de viol et 5 % des victimes d'agressions sexuelles ont déposé plainte sur cette même période ».

Par ailleurs, les statistiques des faits constatés et enregistrés par les logiciels de rédaction des procédures de police et de gendarmerie en métropole et dans les Outre-mer font état, depuis 2014, d'un nombre annuel de viols qui s'établit à 19 600 environ (auxquels s'ajoutent 6 000 faits pour exhibition sexuelle et 2 000 faits pour atteinte sexuelle).

Pourtant, en 2015, année au cours de laquelle les faits de viol enregistrés dans le logiciel s'étaient établis à 17 736, plus 6 635 pour l'exhibition sexuelle, 7 471 pour harcèlement conjugal, 2 620 pour les atteintes sexuelles et 1 381 pour le harcèlement sexuel, il semble que« les juges n'[aient] condamné cette année-là que 1 048 cas aux assises et 4 668 auteurs de violences sexuelles en correctionnelle » 151 ( * ) .

Le décalage est donc considérable entre les faits enregistrés lors des plaintes et les faits sanctionnés par la justice .

Présidente du Collectif féministe contre le viol , le Docteur Emmanuelle Piet a estimé, au cours de son audition du 18 janvier 2018, que seules 12 000 plaintes pour viols sont déposées chaque année, ce qui paraît très faible au vu du nombre réel de viols. En outre, depuis quinze ans, on ne recense selon elle que 1 300  condamnations aux assises à ce titre.

Dans le même esprit, le Défenseur des Droits a cité au cours de son audition du 25 janvier 2018 une enquête de 2006 qui a conclu que seules 10 % des femmes victimes d'un viol ou d'une tentative de rapport forcé au cours des douze derniers mois ont déposé plainte en 2005, en soulignant que cette proportion n'avait pas varié depuis.

Selon le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, qui s'est exprimée devant la délégation le 30 novembre 2017, la question de la preuve en cas de harcèlement, le risque de contre-attaque de l'agresseur et l'épreuve de la procédure judiciaire sont des éléments dissuasifs pour les victimes et expliquent leur difficulté à parler. Ces facteurs sont évidemment valables pour l'ensemble des violences faites aux femmes.

De surcroît, il ne faut pas négliger non plus une certaine méconnaissance des victimes en ce qui concerne la nature de l'agression qu'elles ont subie ( cf. supra ). Ce point a été évoqué par Maître Carine Durrieu-Diebolt. Selon elle, les victimes ne connaissent pas bien les définitions juridiques des différents types de violences sexuelles : « Une deuxième difficulté est le droit tel qu'il est compris et entendu par les victimes. Souvent, elles ne comprennent pas qu'une fellation ou qu'une pénétration digitale est un viol, ou que l'absence de violences physiques n'exclut pas le viol. Il y a une carence d'information par rapport aux définitions ».

Des campagnes d'information peuvent être utiles pour sensibiliser la population à la réalité des violences et à la nécessité de les dénoncer pour les réprimer et, à terme, les prévenir. Toutefois, de telles campagnes impliquent des financements adéquats , comme l'a rappelé Dominique Guillen-Isenmann, présidente de la Fédération Nationale Solidarité Femmes au cours de son audition du 18 janvier 2018 : « Les campagnes de sensibilisation des professionnels et du grand public dépendent de nos finances, qui, comme vous vous en doutez, sont limitées. De telles campagnes, variables selon les années, influent notamment sur la masse des appels reçus au 3919 ».

L'intérêt des campagnes d'information régulières sur les violences en direction de la société a également été souligné par Élisabeth Moiron-Braud, magistrate, secrétaire générale de la MIPROF, au cours de son audition du 18 janvier 2018 : « Il faut que la société tout entière change de regard sur les violences ».

(2) Les moyens dédiés aux associations : un véritable enjeu dans le contexte de libération de la parole

Malgré tout, les statistiques les plus récentes montrent que la parole est en train de se libérer , en lien avec plusieurs affaires survenues depuis 2016, au niveau national et international. Ainsi, l'association AVFT ( Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail ), spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles au travail, structure de référence dans ce domaine et dont l'expertise est unanimement reconnue , a constaté une multiplication par trois du nombre de saisines entre mai 2016 et fin 2016 .

De même, le procureur de la République de Paris a indiqué, au cours de son audition, le 22 février 2018, que, depuis l'automne 2017, les signalements de harcèlement et d'agression sexuelle se révèlent beaucoup plus nombreux (20 % à 30 %). En revanche, le parquet n'a pas constaté plus de plaintes pour viols.

Dans ce contexte, il est fondamental de garantir un accompagnement adapté aux victimes . Si le rôle de l'entourage peut être important - Sandrine Rousseau a souligné la nécessité d'impliquer l'entourage de façon à ce qu'il se sente concerné et l'amener à réagir, l'accompagnement des victimes passe avant tout par les associations .

Sur ce sujet, Marylin Baldeck, déléguée générale de l'AVFT, a regretté le manque de moyens auquel doivent faire face les structures qui accompagnent et soutiennent les femmes victimes de violences dans leur parcours judiciaire : « Nous manquons de moyens, mais l'association n'est pas seule dans cette situation . C'est le cas de l'ensemble des structures et institutions publiques qui accompagnent, soutiennent, orientent, conseillent et défendent les femmes victimes de violences dans leur parcours judiciaire (...) Alors que le nombre de dossiers qui nous parviennent a été multiplié par deux entre 2015 et 2017, nos effectifs et les subventions publiques dont nous bénéficions sont restés stables depuis treize ans (...). Nous nous heurtons à l'éternelle question des moyens et de la volonté politique » 152 ( * ) .

Le 31 janvier 2018, l'association s'est d'ailleurs vue contrainte de fermer son accueil téléphonique face à un afflux de demandes sans précédent, faute de moyens suffisants . L'AVFT a en effet dû faire le choix de concentrer ses efforts sur le suivi des dossiers en cours d'examen.

À cet égard, la délégation remarque que la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes a annoncé, dans le cadre du plan sur l'égalité professionnelle, le lancement d'un numéro national d'écoute sur le harcèlement au travail, par le biais d'un appel d'offres 153 ( * ) .

Alors qu'il existe déjà une association référente en ce domaine, qui accomplit dans la durée un travail remarquable, il aurait probablement été plus judicieux de lui donner les moyens de poursuivre son travail plutôt que de créer une nouvelle structure et d'allouer à ce dernier projet d'autres crédits 154 ( * ) .

La délégation tient aussi à souligner que le numéro de téléphone de l'AVFT figure sur de très nombreux outils de communication réalisés par des employeurs, tant publics que privés, à l'attention de leur personnel dans le cadre de leur obligation légale d'information.

L'AVFT est donc un acteur bien identifié par les victimes et par tous les partenaires institutionnels de la lutte contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles au travail .

Au-delà de la question des moyens, se pose celle de la formation du personnel de la nouvelle plate-forme nationale à l'écoute et à l'orientation des victimes, compétence qui ne s'improvise pas. On peut aussi s'interroger sur l'éventuelle coordination de cette plate-forme avec le numéro national de référence 3919.

Ce n'est pas parce que l'AVFT a dû fermer sa ligne le 31 janvier 2018, car elle a jugé l'accueil téléphonique compromis par l'afflux des demandes, qu'elle ne poursuit pas sa mission de prise en charge, d'accompagnement et de suivi des victimes sur le long terme. Il s'agit d'un travail qui mobilise de réelles compétences juridiques et relationnelles et un suivi des dossiers dans la durée, comme l'exige la longueur des procédures judiciaires.

De la même manière, la délégation a été alertée par les difficultés financières rencontrées par la Fédération Nationale Solidarité Femmes, au cours de son déplacement dans les locaux parisiens de la Fédération, le 17 mai 2018, alors même que l'association vient de se voir attribuer le label « Grande cause nationale », ce que d'ailleurs on ne peut que saluer.

Les interlocutrices de la délégation ont fait état de difficultés pour faire face à des charges fixes significatives (loyer et frais de personnel). En outre, les représentantes de la FNSF ont indiqué que, pour traiter les 50 000 appels reçus et pris en charge au 3919 et pour assurer le suivi de 30 000 victimes au sein des services d'accueil, trois équivalents temps plein (ETP) seraient les bienvenus sur la plate-forme, toute l'année , ce qui n'est pas le cas. Actuellement, faute de moyens en adéquation avec les missions de la fédération, celle-ci ne peut pleinement traiter que 60 % des appels reçus au 3919 . Si 80 % des appels sont traités par le pré-accueil, une perte de 30 à 40 % des appels au deuxième niveau d'écoute peut être déplorée.

Enfin, au cours de son audition devant la délégation, le 23 novembre 2018, notre collègue Laurence Rossignol a estimé nécessaire de maintenir et de créer des contrats aidés dans le milieu associatif dédié aux droits des femmes . Ce point lui paraît d'autant plus important dans le contexte actuel de libération de la parole. Or les arbitrages budgétaires du Gouvernement au cours de l'automne 2017 ne vont pas dans ce sens .

En définitive, la délégation constate une nouvelle fois un hiatus entre les ambitions affichées par le Gouvernement dans le cadre de la « Grande cause du quinquennat » et la réalité des moyens attribués aux associations sur le terrain .

Ce motif d'inquiétude sur les moyens des associations a été relayé par d'autres interlocuteurs de la délégation. Cette dernière a d'ailleurs fait écho à ces préoccupations, à travers plusieurs communiqués de presse 155 ( * ) . Elle avait notamment conclu ainsi son communiqué de presse du 2 février 2018 : « alors que la parole se libère, il est crucial de faire en sorte qu'elle soit entendue ».

La délégation estime donc qu'il est impératif de donner aux associations les moyens d'exercer leurs missions d'accueil, d'orientation et d'accompagnement des victimes. Il s'agit là d'un prérequis pour toute action publique de lutte contre les violences faites aux femmes .

La délégation rend hommage à l'action des associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes et recommande que les subventions qui leur sont attribuées fassent l'objet d'un effort spécifique , dans un cadre pluriannuel , pour leur permettre de faire face à l'intensification de leur activité liée au contexte de la libération de la parole.

b) Une urgence : garantir un bon accueil aux victimes et l'enregistrement de leur plainte, quel que soit le type de violence : l'enjeu de la formation des professionnels

Une autre difficulté rencontrée par les femmes victimes de violences concerne l'accueil qu'elles reçoivent dans les commissariats ou les antennes de gendarmerie lorsqu'elles se décident à porter plainte . Pour Maître Carine Durrieu-Diebolt, entendue par la délégation le 14 décembre 2017, l'accueil des femmes victimes de violences relève de la « loterie » selon les antennes de gendarmerie et les commissariats.

Selon Sandrine Rousseau, la formation de tous les personnels susceptibles d'être en contact avec les victimes , du dépôt de plainte jusqu'au terme de la procédure, est une préoccupation récurrente exprimée par les victimes qui ont rejoint son association.

(1) Des efforts indéniables pour renforcer la formation des professionnels...

Une note transmise à la délégation par la Direction générale de la police nationale 156 ( * ) (DGPN) présente les efforts qui ont été réalisés pour améliorer l'accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats. Ces efforts passent par la formation des personnels concernés et par une professionnalisation de l'accueil .

Ainsi, les policiers, quel que soit leur grade 157 ( * ) , bénéficient dans leur formation initiale et continue d'enseignements sur l'accueil et la prise en charge des victimes et suivent, de manière obligatoire dans la formation initiale et dans le cadre de la formation continue, des modules sur les violences sexuelles, les violences intra et extra-familiales et les violences sur conjoint et ascendant.

De surcroît, les kits de formation « Anna » et « Élisa » élaborés par la Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), en concertation avec la police et la gendarmerie nationales, sont systématiquement utilisés comme support de formation. Composés d'un court métrage, d'un livret d'accompagnement et d'une fiche réflexe d'aide à l'audition des victimes de violences au sein du couple et/ou de violences sexuelles, ils permettent de mieux appréhender le repérage d'une situation à risque, l'évaluation du phénomène d'emprise et de faciliter la rédaction d'une audition .

La DGPN indique que, depuis début août 2014, 12 000 policiers ont pu visualiser ces films , tant en formation initiale que dans le cadre des différentes formations continues dédiées.

De plus, la Police nationale a progressivement mis en place une professionnalisation de l'accueil des victimes , à travers un vaste plan de formation spécifique des personnels d'accueil 158 ( * ) .

Selon la DGPN, « ce dispositif a permis d'améliorer la prise en charge des victimes par la nomination et la mise en place d'une formation à l'attention de "Référents accueils ". Les référents sont généralement des officiers ou gradés désignés dans les services en raison de leur intérêt pour cette mission. La formation leur permet « d'optimiser l'organisation, la coordination et l'évaluation du service d'accueil qui leur est confié ». Depuis sa mise en place en 2014, cette action de formation d'une durée de deux jours a été suivie par 346 référents sur les 522 désignés 159 ( * ) .

Ce document de la DGPN indique aussi que, parallèlement à la formation des référents, a été mise en place une nouvelle formation proposée aux agents occupants des fonctions permanentes ou occasionnelles à l'accueil , qu'ils soient administratifs, agents de sécurité, gardiens de la paix ou gradés. Selon la DGPN, « ce stage de quatre jours leur permet d'appréhender les enjeux de la mission d'accueil et d'adapter leur comportement aux attentes du public pour assurer au mieux leur rôle ». Depuis sa création en mai 2014, 972 agents ont suivi cette formation .

De surcroît, un article du Figaro du 25 janvier 2018 présente les mesures prises par la police et la gendarmerie pour recueillir les plaintes des victimes de violences sexuelles, en hausse depuis l' « affaire Weinstein ». Par exemple, dans une note envoyée le 10 novembre 2017 à ses services, citée par le quotidien, le directeur général de la gendarmerie nationale rappelle que « la lutte contre les violences faites aux femmes exige une mobilisation de l'ensemble des échelons et unités de la gendarmerie nationale » 160 ( * ) .

La délégation salue également la création, en 2009, au sein des commissariats, des brigades de protection de la famille (BPF), qui contribuent à une meilleure prise en charge au sein des commissariats des victimes de violences . Au nombre de 183, leurs effectifs comptent 1 281 policiers dédiés et spécifiquement formés , lesquels traitent des procédures judiciaires liées à la protection de la famille et des personnes particulièrement vulnérables victimes de violences ou de maltraitance dans la sphère familiale ou le cadre de vie habituel.

Parallèlement, le rôle des brigades de protection de la famille est de faire bénéficier ces victimes du soutien et de l'assistance nécessaires, en les orientant vers les partenaires présents dans les commissariats ( cf. infra ).

(2) ... qui doivent être poursuivis et amplifiés

Pourtant, malgré ces efforts pour former et sensibiliser les policiers et les gendarmes, les femmes victimes de violences peuvent encore être mal accueillies dans les commissariats et antennes de gendarmerie , se heurtant parfois au refus de prendre leur plainte . C'est tout l'enjeu de la formation des professionnels à l'accueil et à l'orientation des femmes victimes de violences.

À cet égard, la délégation a consulté avec intérêt les résultats d'une enquête menée par la FNSF sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales, dont les principaux résultats sont présentés dans l'encadré ci-après.

LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE L'ENQUÊTE DE LA FNSF SUR LE REFUS D'ENREGISTRER LES PLAINTES DES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES

5 mois d'enquête : participation de l'équipe du 3919 et de 29 associations Solidarité Femmes

22 associations (76 %) ont constaté des refus d'enregistrer des plaintes et 7 (24 %) n'en ont pas constaté

73 déclarations de refus d'enregistrer des plaintes ont été constatées : 57 dans 22 associations et 16 au 3919

Dans 23 situations sur 73 (32 %) les difficultés sont observées durant un week-end ou un jour férié 161 ( * )

Les motifs de refus d'enregistrer une plainte ont été classés en sept catégories :

* le déni de la qualification pénale des faits (63 refus) ;

* l'absence de certificat médical/ITT/preuves (18 refus) ;

* le manque de moyens humains (6 refus) ;

* la mise en cause du témoignage/de la santé psychique de la victime (4 refus) ;

* le parti pris pour l'agresseur/justification des violences (4 refus) ;

* l'incompétence territoriale/administrative (3 refus) ;

* autres motifs divers (5 refus).

La raison la plus courante des refus d'enregistrer les plaintes est le déni de la qualification pénale des faits qui concerne 63 refus, soit 86 % des refus signalés.

* 36 refus sur 63 (57 %) concernent les violences psychologiques (harcèlement, insultes, menaces, y compris menaces de mort, mises à la porte du logement...). 5 commissariats et gendarmeries auraient refusé de prendre en compte les menaces de mort rapportées par des femmes victimes.

16 cas, soit 25 %, impliquaient des violences physiques

3 cas concernent des faits de violences sexuelles (moins déclarées)

2 situations sont relatives à des violences économiques (moins déclarées)

2 refus visent des violences administratives (moins déclarées)

* 2 refus concernent les violences sur enfants et une soustraction d'enfant.

La deuxième raison est l'absence de certificat médical/ITT/preuves : 18 refus (soit 25 %). De telles situations auraient lieu dans dix départements différents, répartis sur tout le territoire.

S'agissant de la mise en cause du témoignage/de la santé psychique de la victime : 2 refus sur les 4 constatés concernent des femmes en situation de handicap.

Source : Solidarité femmes, fédération nationale : enquête sur le refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales, mars 2018.

Dans son enquête, la Fédération nationale Solidarité Femmes note que la formation des gendarmes, policières et policiers en matière de violences au sein des couples a été progressivement renforcée ( cf. supra ) : « Le nombre de personnes référentes concernant ce type de violences n'a cessé de croître, tout comme celui des intervenants sociaux présents au sein des commissariats et gendarmeries. Le protocole-cadre du 13 novembre 2013 a affirmé qu'en matière de violences au sein des couples, le dépôt de plainte doit être le principe et la main courante ou procès-verbal de renseignement judiciaire l'exception », rappelle-t-elle.

Toutefois, les difficultés qui subsistent parfois s'expliquent en particulier par un turn over fréquent des effectifs au sein des commissariats, des services de gendarmerie et des parquets, comme l'a indiqué à la délégation Dominique Guillen-Isenmann, présidente de la FNSF, au cours de son audition, le 18 janvier 2018. Selon elle, ce facteur explique que « Ce qui est fait une fois ne suffit pas » et que « le travail de formation des acteurs doit être mené en continu ».

D'ailleurs, la FNSF revendique à juste titre d'être associée à la formation de ces professionnels. Dominique Guillen-Isenman a rappelé à cet égard qu'en 2006, la Fédération et le Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) ont signé une convention avec le ministère de l'Intérieur afin d'améliorer l'accueil et l'accompagnement des femmes victimes de violences en collaboration avec les services de police et de gendarmerie. En outre, depuis 2009, les référents violences des commissariats d'Ile-de-France sont formés tous les ans à la thématique des violences par la FNSF . Enfin, de nombreuses associations Solidarité Femmes assurent des permanences au sein des commissariats et gendarmeries.

La délégation salue ces efforts et estime qu'ils doivent être poursuivis et amplifiés . Elle note par ailleurs qu'une plate-forme de signalement a été mise en place par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) en 2014. Cette plate-forme enregistre les signalements des citoyens, victimes ou témoins d'un comportement susceptible de mettre en cause des agents affectés dans un service de la police nationale. Ce type de dispositif peut aussi contribuer à améliorer l'accueil des victimes de violences dans les commissariats .

Par ailleurs, la délégation approuve les directives qui ont été données par le parquet de Paris pour garantir que le service de police accueille la victime qui se présente au commissariat, comme l'a indiqué le procureur de la République de Paris à la délégation au cours de son audition, le 22 février 2018 : « Il est également impératif que le service de police accueille la victime qui se présente au commissariat . Nous avons en effet constaté des situations dans lesquelles la victime se présentait à un service et, parce que tous les agents étaient occupés, elle était renvoyée chez elle et invitée à revenir plus tard. Nous avons souligné que cette pratique était à proscrire et que les victimes devaient être traitées immédiatement ».

La question de la formation ne concerne pas que les policiers et les gendarmes, mais aussi les magistrats, s'agissant notamment de la formation continue. Maître Carine Durrieu-Diebolt, auditionnée par la délégation le 14 décembre 2017, estime qu'il faudrait imposer aux magistrats et aux avocats une formation aux violences sexuelles en formation continue , pour les former à la question du psycho-traumatisme, des mécanismes de sidération et de dissociation qui peuvent expliquer certains comportements déstabilisants de la part des victimes.

La délégation note à cet égard que l'offre de formation existe . L'École nationale de la magistrature (ENM) délivre chaque année, en formation continue, un remarquable module sur les violences sexuelles qui aborde l'ensemble des sujets, sous la direction d'Ernestine Ronai , responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis et co-présidente de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité162 ( * ). Or ce module est suivi sur la base du volontariat .

Comme l'a suggéré Maître Carine Durrieu-Diebolt au cours de son audition devant la délégation, le 14 décembre 2017, un tel enseignement devrait être obligatoire à la prise de poste des magistrats susceptibles d'avoir à traiter des affaires de violences sexuelles (juge d'instruction notamment), en lien avec la problématique du turn over des effectifs sur les différents postes : « La formation pour les magistrats en poste relève de la formation continue, facultative. Or les magistrats changent de poste durant leur carrière. Un magistrat peut être juge civil durant dix ans, avant de devenir juge d'instruction. Au bout de ce délai, il a pu oublier sa formation initiale. C'est pourquoi il faudrait à mon avis que tout juge d'instruction suive cette formation, qui ne dure que deux jours, ou bien instaurer un parcours spécialisé, avec des juges d'instruction spécialisés dans ce type de violences ».

Cette préoccupation rejoint celle exprimée par Dominique Guillen-Isenmann, présidente de la Fédération Nationale Solidarité Femmes , qui a évoqué l'importance de la formation en ce qui concerne le repérage des victimes : « Un travail important de formation doit être aussi mené dans les parquets et chez les JAF. Pour les médecins, en particulier les médecins de famille, il faut améliorer le repérage ainsi que la formation sur les conséquences physiques et psychiques des violences. Pourtant, le Conseil de l'ordre estime qu'un médecin ne doit pas poser de questions précises sur les violences. Ce dogme ne pourrait-il pas être questionné ? ».

La formation des médecins aux violences sexuelles doit notamment leur permettre de mieux rédiger les certificats d'incapacité totale de travail (ITT) en cas de violences, une notion pas toujours bien appréhendée par les professionnels , qui n'en mesurent pas toujours l'importance pour la suite de la procédure judiciaire. En effet, l'ITT, établie par un médecin légiste, contribue à la qualification pénale des faits (contravention ou délit) et détermine donc l'orientation de la procédure. Elle correspond à la durée pendant laquelle la victime éprouve une gêne notable dans tous les actes de la vie courante.

C'est un point sur lequel a insisté Maître Carine Durrieu-Diebolt, au cours de son audition devant la délégation, le 14 décembre 2017 :

« En ce qui concerne les certificats médicaux (...), la notion d'ITT pose problème . Dans l'affaire de Pontoise, le certificat médical était favorable à la victime, puisqu'il mentionnait bien l'état de sidération et de dissociation, mais il ne comportait malheureusement aucune indication en termes d'ITT (...). Le médecin aurait pu écrire « sous réserve d'un nouvel examen ultérieur ». L'avocat de la défense ne manque pas de remarquer cette lacune, cela lui donne un argument. Les psychologues ou psychiatres peuvent trouver des modèles sur Internet. Les médecins commencent à être formés à la rédaction des certificats, mais cette formation devrait être systématique et non pas aléatoire ».

Dans son rapport Combattre les violences faites aux femmes, des plus visibles aux plus insidieuses 163 ( * ), le Comité économique, social et environnemental (CESE) insistait sur l'importance d'« informer les médecins sur l'intérêt majeur du certificat médical de coups et blessures comme support à une plainte pour violences ».

Pour le CESE, « certificat médical et ITT sont des éléments essentiels dans la constitution d'un dossier de plainte pour violences, que les médecins doivent bien maîtriser ». Le CESE recommandait donc qu'un guide de rédaction de ce certificat soit fourni à tous les médecins, de même qu'une explication de la notion juridique d'ITT, notion encore mal connue de certains praticiens.

À cet égard, dans son rapport de 2016 sur les violences conjugales 164 ( * ) , la délégation saluait le travail de la MIPROF qui a élaboré un certificat médical type en collaboration avec l'Ordre des médecins 165 ( * ) .

La délégation partage pleinement ces constats et estime que la formation de tous les acteurs concernés est un enjeu fondamental pour avancer dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Elle a déjà eu l'occasion de formuler des recommandations relatives à la formation des professionnels , qu'il s'agisse des violences conjugales, de la traite des êtres humains ou des mutilations sexuelles 166 ( * ) . Cet enjeu concerne surtout la formation continue , puisque la formation initiale des magistrats et des policiers prévoit d'ores et déjà des modules sur ce thème.

La délégation considère donc qu'un enseignement approfondi sur la question des violences sexuelles devrait être obligatoirement suivi en formation continue par tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec les victimes de violences sexuelles.

Notre collègue Claudine Lepage a attiré son attention, au cours de sa réunion du 12 juin 2018, sur la nécessité d'inclure dans cet effort de formation les personnels des postes diplomatiques et consulaires , qui constituent pour de nombreuses victimes de violences la porte d'entrée vers des structures d'accueil et d'accompagnement, y compris pour de très jeunes victimes, comme c'est souvent le cas s'agissant des mariages forcés et des mutilations sexuelles féminines.

Afin de garantir à toutes les victimes de violences une prise en charge adaptée sur l'ensemble du territoire, condition essentielle du dépôt de leur plainte et d'un parcours judiciaire prenant en compte leurs souffrances, la délégation réaffirme la nécessité de sensibiliser tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des femmes victimes de violences , y compris dans les postes diplomatiques et consulaires, à la difficulté de l'écoute de ces personnes. Elle demande que cette formation continue constitue une obligation pour ces personnels.

c) La pré-plainte en ligne, une solution adaptée aux victimes de violences ?

En ce qui concerne la problématique du dépôt de plainte , la délégation s'est interrogée sur la pertinence du projet de plate-forme de signalement en ligne des violences sexistes et sexuelles annoncée par le Président de la République dans son discours du 25 novembre 2017.

Les réactions des interlocuteurs de la délégation se sont avérées partagées à cet égard.

Dans tous les cas a été mise en exergue la nécessité de conserver un contact humain avec les victimes .

Le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, entendue par la délégation le 30 novembre 2017, s'y est montrée plutôt favorable lors de son audition, soulignant qu'« elle est de nature à aider les victimes à franchir le pas, à condition toutefois que cette démarche se traduise par un suivi immédiat des autorités compétentes » 167 ( * ) .

Selon Sandrine Rousseau, présidente de l'association Parler , auditionnée le 17 janvier 2018, la pré-plainte en ligne pourrait présenter un intérêt dans les zones rurales où les victimes sont particulièrement isolées.

En revanche, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , a émis des doutes lors de son audition sur la pertinence de la pré-plainte en ligne , relevant que celle-ci suppose que les victimes sachent écrire et manier Internet, et y aient accès . Elle a aussi souligné le besoin des victimes d'avoir un contact humain empathique .

Certains des interlocuteurs du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 168 ( * ) se sont montrés beaucoup plus réservés encore, redoutant que cette procédure, favorisant le sentiment d'impunité lié à l'anonymat, mène à des mises en cause relevant de la diffamation ou à des dénonciations calomnieuses . Ils ont notamment pointé un risque d'instrumentalisation dans les situations de séparation . Selon eux, de telles dérives pourraient de surcroît entraîner une surcharge de travail pour les enquêteurs. Ils ont donc mis en garde contre certains effets de la pré-plainte en ligne.

La délégation estime que la pré-plainte en ligne peut constituer un outil utile pour aider les victimes à franchir le pas du dépôt de plainte, mais qu'elle doit être accompagnée d'un contact humain au commissariat ou à l'antenne de gendarmerie , de façon à pouvoir établir un rendez-vous et à faciliter la mise en oeuvre des procédures de recueil des preuves, qui sont cruciales pour la suite de la procédure judiciaire.

Dans cet esprit, elle a pris connaissance avec intérêt de la création d'une brigade numérique, au mois de février 2018 169 ( * ) .

Le document de présentation de la brigade numérique la décrit comme une « démarche innovante, dont l'objectif est de proposer aux usagers un contrat simplifié et rénové avec la gendarmerie nationale, en tout lieu et en tout temps, pour répondre à leurs interrogations ». Située à Rennes, elle est composée de « 20 gendarmes sélectionnés pour leur expérience et leurs qualifications professionnelles, ainsi que pour leurs compétences linguistiques ». Dans ce cadre, la victime sera accompagnée depuis chez elle dans ses démarches et orientée vers les commissariats et les associations compétentes .

Comme l'ont expliqué à la délégation les gendarmes du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale de Pontoise, le 22 janvier 2018 170 ( * ) , la brigade numérique consiste en une plateforme Internet ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, conçue comme un nouveau vecteur de contact entre la population et la Gendarmerie nationale . Cette dernière en attend des résultats positifs, notamment pour ce qui concerne la prise en charge des femmes victimes de violences. En effet, elle devrait permettre de limiter l'épreuve que constitue tout déplacement à la gendarmerie pour les victimes, tout en leur prodiguant les premiers conseils dont elles ont besoin pour leur parcours.

Le document précité indique à cet égard que « l 'accent a été mis sur l'accueil des femmes victimes de violences » et que « les militaires de la brigade numérique ont suivi une formation spécifique à laquelle ont participé l'association France Victimes et 3919 Violences femmes info ».

La délégation salue la création de cette brigade numérique , qui pourra représenter un soutien utile pour les victimes de violences dans des territoires isolés ou caractérisés par l'absence d'anonymat, ce qui peut être le cas des zones rurales ou des territoires ultramarins .

S'agissant plus précisément de l'isolement des victimes de violences en zone rurale, problématique pour leur prise en charge et leur protection, la délégation réitère une recommandation formulée dans son rapport d'information sur la situation des agricultrices, tenant à la désignation de référents agissant comme le relais d'associations spécialisées 171 ( * ) .

Afin d'offrir des lieux d'accueil aux femmes victimes de violences sur tout le territoire, la délégation suggère que, lorsqu'il n'existe pas de structure associative dédiée à la lutte contre les violences, notamment en zone rurale, des référents agissant comme le relais des associations spécialisées soient identifiés et formés à l'accueil et à l'orientation des victimes.

En conclusion, la délégation note que plusieurs dispositifs de pré-plainte en ligne ou de plateformes de signalement ont été annoncés ou mis en place au cours des derniers mois , de façon dispersée, ce qui semble pouvoir affecter la cohérence de l'ensemble . Certains de ces outils sont spécifiquement dédiés aux violences sexuelles, d'autres non.

Outre la plateforme annoncée par le Président de la République le 25 novembre 2017 172 ( * ) et la brigade numérique ci-dessus évoquée, le décret n° 2018-388 du 24 mai 2018 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « pré-plainte en ligne » 173 ( * ) prévoit que le système de pré-plainte en ligne , existant depuis 2013 pour les atteintes aux biens, sera élargi à certains faits de discriminations , de provocation aux discriminations, à la haine ou à la violence ou à des délits de diffamation ou d'injure, dans le cadre d'une expérimentation de 12 mois .

En outre, plusieurs numéros nationaux devraient être appelés à fonctionner simultanément, puisque la secrétaire d'État a annoncé la création d'un numéro national dédié aux victimes de harcèlement sexuel , ce qui pose probablement la question de la coordination de ce numéro avec le 3919 .

La délégation s'interroge donc sur la cohérence de tous ces outils et de leur lisibilité pour les victimes . Alors que les moyens des associations sont calibrés au plus juste, on est en droit de s'étonner de la multiplication de plusieurs dispositifs voisins , dont il n'est pas toujours aisé d'identifier la mission. Pourtant, la simplicité et la clarté sont très importantes pour l'accueil et l'orientation des victimes.

2. Un véritable besoin : améliorer les conditions de recueil de la parole des victimes

Les difficultés du parcours des victimes tiennent également aux conditions d'accueil et de recueil de leur parole .

a) Le manque de confidentialité

Tout d'abord, Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler, a mis en exergue le manque d'anonymat et de confidentialité qui existe généralement dans les commissariats et les services de gendarmerie. Il est rare que l'accueil qui y est fait soit propice à la libération de la parole .

Pour y remédier, elle propose d'instaurer un code , qui permettrait aux personnels présents d'adresser la victime à la personne qui recueillerait son témoignage et sa plainte . Un tel code faciliterait donc l'orientation de la victime vers un lieu adapté au recueil de la parole ou vers un référent violences. La délégation estime que ce code pourrait être par exemple « 3919 », en référence au numéro d'appel des services d'urgence dédiés à l'écoute des femmes victimes de violences .

En outre, une telle solution aurait le mérite d'éviter à la victime de prononcer en public les mots de viol ou d'agression sexuelle et, par le choix d'un terme neutre tel que « 3919 », de respecter sa dignité .

La délégation est tout à fait favorable cette proposition.

La délégation propose donc que soit mis en place, dans les postes de police et de gendarmerie, un code dédié aux violences faites aux femmes, assurant l'orientation des victimes dans des conditions de discrétion et d'anonymat indispensables au respect de leur dignité . La délégation suggère le choix du code « 3919 », par référence au numéro national d'accueil des femmes victimes de violences.

b) Des locaux généralement peu adaptés

Un deuxième point relatif aux conditions matérielles de l'accueil des victimes de violences concerne les locaux eux-mêmes . Ainsi, Sandrine Rousseau a regretté le manque de lieux adaptés à l'accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats et les hôpitaux . Pourtant, comme elle l'a souligné en se référant à sa propre expérience, une victime a besoin de se sentir en confiance pour être en capacité de parler .

À cet égard, la délégation note qu'il existe des salles spécifiques pour accueillir les enfants victimes de violences. Il s'agit des salles « Mélanie » 174 ( * ) .

De la même manière, pourrait être envisagé l'aménagement de salles dédiées aux personnes victimes de violences physiques, notamment les femmes victimes de violences sexuelles ou de violences conjugales. Cela implique cependant de disposer des moyens nécessaires pour aménager de tels locaux .

c) L'audition dans les locaux de la police ou de la gendarmerie, un moment éprouvant pour les victimes

Un moment particulièrement éprouvant pour les victimes de violences sexuelles est celui de l'audition dans les locaux de la police ou de la gendarmerie .

La délégation estime donc qu'il faut limiter la répétition des faits aux différents intervenants de la chaîne pénale, depuis le dépôt de plainte jusqu'à l'éventuel procès.

De ce point de vue, elle relève avec intérêt que le parquet de Paris a donné des instructions s'agissant de la primo-audition des victimes, dans le but d'éviter des auditions multiples et renouvelées. Selon le procureur de la République de Paris, entendu par la délégation le 22 février 2018, « ces directives ne sont pas encore formalisées, mais nous avons réuni tous les services de police parisiens pour en parler ; le message est en train de passer. Nous insistons sur le fait que la primo-audition n'est pas nécessaire si aucun fonctionnaire présent n'est compétent et n'a été formé à cette fin . Elle n'est utile que si elle permet de recueillir suffisamment d'éléments pour appeler le parquet et lui permettre de saisir le service compétent . En tout état de cause, mieux vaut réserver la première audition au service de police qui sera saisi de l'enquête et des investigations que de procéder à une primo-audition qui ne sera pas concluante ».

La délégation approuve pleinement cette analyse et invite les autres parquets à adopter des directives allant dans ce sens.

La délégation salue une pratique du parquet de Paris consistant à attacher un soin particulier à la première audition des victimes, afin de leur éviter la répétition de leur témoignage quand cette épreuve peut leur être épargnée, et estime que cette formule pourrait constituer un modèle pour les autres parquets.

Dans le même esprit, sans méconnaître la problématique des moyens , la délégation estime que la captation vidéo systématique des auditions de victimes de violences sexuelles , déjà recommandée pour les victimes mineures, serait une orientation utile. Une telle mesure éviterait aux victimes la répétition éprouvante des faits au cours du parcours judiciaire.

La délégation souhaite la mise à l'étude de l'extension, aux femmes victimes de violences, de pratiques qui ont fait leurs preuves à l'égard des enfants victimes : l' aménagement de salles dédiées , sur le modèle des salles « Mélanie », et la généralisation de la captation vidéo des auditions, afin d'épargner aux victimes la répétition du récit de leur agression à tous les intervenants de la chaîne judiciaire.

3. Les prélèvements médicaux, une étape nécessaire pour l'établissement des preuves

Plusieurs des interlocuteurs de la délégation ont attiré son attention sur le caractère perfectible des conditions de réalisation des prélèvements médicaux , nécessaires à l'établissement de la preuve du viol ou de l'agression sexuelle.

a) Les conditions d'examen de la victime et les traitements préventifs

Pour Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler , l'examen de médecine légale pratiqué sur les victimes à la suite de l'agression pour constater le viol, après le dépôt de plainte, est souvent mal vécu par les victimes . Elle a estimé que le fait que ces prélèvements intimes puissent être réalisés par des hommes était « insupportable pour des femmes qui viennent de subir un viol ».

Une telle réaction des victimes est largement compréhensible, compte tenu du traumatisme qu'elles peuvent avoir subi. La délégation appelle sur ce point à une plus grande sensibilisation des personnels des unités médico-judiciaires (UMJ) qui réalisent ce type de prélèvements.

De surcroît, comme l'a indiqué Sandrine Rousseau les victimes ressentent très douloureusement l'obligation de suivre des traitements préventifs , particulièrement lourds, contre le VIH ou les hépatites en cas de viol. Ces traitements semblent nécessaires même quand l'auteur est arrêté, ce qui suppose que ce dernier ne subit pas d'examens pour vérifier que l'intérêt de ces traitements, qui pourraient peut-être être épargnés à la victime.

La délégation suggère que les auteurs présumés de viol, lorsqu'ils sont appréhendés, soient systématiquement soumis à des examens médicaux , de façon à ne pas infliger aux victimes des traitements préventifs particulièrement contraignants (VIH, hépatites...).

b) Des inégalités territoriales persistantes

Un autre point de vigilance sur lequel les interlocuteurs de la délégation ont attiré son attention tient aux inégalités territoriales dans la répartition des unités médico-judiciaires (UMJ). Cet écueil a notamment été souligné par les gendarmes du Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale, entendus lors du déplacement de la délégation à Pontoise, le 22 janvier 2018.

Actuellement, on compte environ 50 UMJ pour 100 départements . Or dans les départements qui en sont dépourvus, il est compliqué de procéder à des prélèvements rapidement après une agression sexuelle ou un viol. Cette absence de structure dédiée est d'autant plus problématique qu'elle peut dissuader les victimes de porter plainte . C'est pourquoi la gendarmerie réfléchit à la mise en place d'une Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes de violences sexuelles (MAEVAS) 175 ( * ) .

Cet outil, en cours de déploiement, présente un intérêt certain puisqu'il pourrait faciliter la réalisation systématique de prélèvements en cas d'agression sexuelle, dans tous les territoires .

Préoccupée des difficultés liées au recueil des preuves de violences sexuelles , qui contribuent à des sanctions insuffisantes, la délégation soutient le projet de développement de la Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS), réalisée par la Gendarmerie nationale. Elle est favorable à son extension à la Police nationale, de façon à garantir un traitement égalitaire des victimes de violences sexuelles sur l'ensemble du territoire .

c) Vers une réalisation des prélèvements indépendamment du dépôt de plainte ?

Une autre problématique relative au parcours judiciaire des victimes concerne le lien entre le dépôt de plainte et la prise en charge des prélèvements réalisés dans les unités médico-judiciaires (UMJ). Cet aspect avait été utilement éclairé par le Haut conseil à l'égalité dans son rapport sur le viol 176 ( * ) .

Au cours de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, le procureur de la République de Paris a ainsi évoqué les difficultés tenant à la réalisation de prélèvements avant un dépôt de plainte : certaines victimes ne portent pas plainte mais se présentent directement aux UMJ ou à l'AP-HP pour un examen médical et la réalisation de prélèvements. Or lorsqu'aucune procédure n'est en cours, cet examen n'est pas pris en charge au titre des frais de justice.

François Molins a indiqué que le p arquet de Paris travaille à la mise en place d'une procédure pour que les examens et prélèvements soient réalisés même en l'absence d'une plainte . Dans ce cas, si la victime l'accepte, le service de police en serait avisé. Le parquet s'engagerait alors à prendre en charge financièrement, au titre des frais de justice, les examens médicaux et prélèvements, dès lors que la plainte permettrait d'ouvrir une procédure pénale.

La délégation note par ailleurs que, dans son discours du 25  novembre 2017, le Président de la République a annoncé la mise en place, dans les unités médico-judiciaires, d'un système de recueil de preuves sans dépôt de plainte .

Il faut noter qu'un tel système existe déjà à la Cellule d'accueil d'urgences des victimes d'agressions ( CAUVA ) de Bordeaux , mise en place il y a près de vingt ans, et qui permet aux victimes de faire réaliser des prélèvements sur réquisition judiciaire ou directement, c'est-à-dire sans plainte préalable 177 ( * ) .

Au cours de son audition du 16 novembre 2017, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, a évoqué les résultats très positifs de ce dispositif, qui aboutit bien souvent au dépôt d'une plainte : « Dans les UMJ, le fait de prélever l'ADN pour le ressortir en cas de plainte montre que vous êtes crue. Or les victimes de violences sexuelles portent rarement plainte, de peur qu'on ne les croie pas, car l'agresseur les prétendra consentantes . À Bordeaux, où est expérimenté ce dispositif, une étude sur dix ans a montré que pour les personnes qui se sont rendues aux UMJ indépendamment d'une plainte, le taux de plaintes passait de 10 à 30 % . Cela suppose d'avoir quelques moyens techniques, un lieu de recueil et un répertoire ; mais si la volonté politique existe, cela se fera ! ».

La proposition du Président de la République viserait donc à s'inspirer d'un dispositif qui a fait ses preuves en le dupliquant dans d'autres territoires.

La délégation note que La Maison des Femmes de Saint-Denis permet aussi aux victimes de réaliser des prélèvements hors dépôt de plainte, tout en leur expliquant que ces prélèvements sont fondamentaux dans la perspective d'un dépôt de plainte ultérieur. C'est ce qu'a indiqué le Docteur Ghada Hatem à la délégation, au cours de son audition, le 14 décembre 2017 : « Nous avons souhaité offrir aux femmes toute la palette des outils dont elles pourraient avoir besoin, en commençant par le soin. Il s'agit là d'une porte d'entrée essentielle, car elle permet à la femme de parler le plus simplement possible de ce qu'elle vit. Cela inclut le recueil des preuves physiques, notamment si les violences sont récentes, même dans le cas où les victimes ne souhaitent pas porter plainte. Nous leur expliquons que ces preuves sont pour elles une sécurité, car le certificat ou les photos que nous réalisons pourront attester l'ancienneté des faits, par exemple en cas de répétition de l'agression, au cas où elles se sentiraient prêtes à déposer plainte dans le futur. Cela permettra alors de conforter leur parole . »

Il semblerait donc que certaines structures en pointe dans la lutte contre les violences faites aux femmes n'aient pas attendu la généralisation du dispositif au niveau national pour offrir aux victimes la possibilité de réaliser des prélèvements sans plainte préalable.

Si elle est indéniablement susceptible de faciliter le parcours des victimes, la généralisation d'une telle mesure ne serait pas sans poser des difficultés juridiques, indépendamment de la question des moyens et de la problématique de la répartition territoriale des UMJ. Ainsi, la duplication du dispositif bordelais sur tout le territoire nécessiterait sans doute une expertise plus précise, afin d'approfondir plusieurs questions . Par exemple, il conviendrait de savoir si les victimes qui sont passées par ce dispositif déposent plainte par la suite. Cela pose aussi un enjeu de confidentialité des données et de procédure pénale : quelle serait la durée adéquate de conservation de ces données probatoires hors dépôt de plainte ? Quelle serait la capacité de stockage des données des UMJ - question des moyens financiers pour conserver ces éléments de preuve médicaux - ? Quelles personnes seraient habilitées à traiter ces données ? Cela impliquerait sans doute la création d'un scellé médical, réalisé par une autorité médicale et non judiciaire. Plus généralement, quel serait le lien entre l'autorité médicale et l'autorité judiciaire dans ces procédures ?

Autant de questions qui ne peuvent trouver une réponse sans une expertise approfondie. La délégation ne sous-estime pas ces difficultés techniques et juridiques, mais demeure convaincue que la possibilité de réaliser des prélèvements indépendamment du dépôt de plainte marquerait un progrès dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles .

La délégation est favorable à la généralisation, après expérimentation dans des territoires pilotes, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes de violences sexuelles, et au déploiement plus large d'un dispositif comparable à celui mis en place au CAUVA de Bordeaux.

4. Une nécessité : protéger les victimes qui déposent plainte

A la lumière de ses auditions, la délégation a pris conscience d'une lacune tenant à la protection des victimes qui déposent plainte .

Ce problème a notamment été évoqué par Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler . Selon elle, beaucoup de femmes qui déposent plainte reçoivent des menaces . Elle suggère donc d'organiser une protection systématique de ces victimes tant que la justice n'a pas statué : « Un autre problème concerne la protection des victimes. Beaucoup de femmes qui déposent plainte reçoivent des menaces contre elles-mêmes ou leurs enfants, surtout quand elles connaissent leur agresseur. Je pense que tant que la justice n'a pas statué, il faut organiser la protection de ces femmes . Les juges peuvent demander une protection dans ces situations, mais ce n'est pas systématique et cela se fait rarement en pratique, et de façon assez légère. Certaines victimes ressentent une profonde détresse face à ces menaces : les gérer en plus de leur traumatisme leur est tout simplement impossible ».

De même, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), a relevé au cours de son audition, le 18 janvier 2018, le caractère imparfait de la procédure judiciaire sur ce point, soulignant que « les prévenus comparaissent tous libres devant le tribunal et ils sont encore libres pendant les suspensions d'audience ». Selon elle, il faut éviter la confrontation de la victime avec son agresseur . Cette confrontation peut en effet conduire la victime à se sentir menacée lorsqu'elle se trouve en présence de son agresseur dans la salle d'audience. C'est pourquoi les associations accompagnent les victimes au tribunal lorsqu'elles le peuvent : « Nous ne pouvons cependant pas assister à toutes les auditions. Or il est impossible pour la victime d'y côtoyer son agresseur . La protection des victimes dans les salles de justice n'est pas assurée à l'heure actuelle. Dans le cabinet du juge, les choses sont souvent mieux faites, ce qui n'est pas le cas dans les salles d'attente qui réunissent les témoins, les victimes, les agresseurs et leurs amis. C'est effrayant. Il faut réfléchir à organiser les choses différemment ».

Le sentiment du Docteur Piet a été corroboré par le témoignage de notre collègue Laurence Cohen , co-rapporteure, qui a évoqué sa propre expérience au cours de la même audition : « Il faut réfléchir à ne pas réunir dans les commissariats et les tribunaux les victimes et leurs familles, ainsi que les agresseurs. J'ai été convoquée dans un commissariat en tant que témoin pour une comparution face à un agresseur. Je peux vous dire que c'est très impressionnant. Pourtant, je n'avais pas les mêmes raisons qu'une victime d'avoir peur de cette confrontation : il faut impérativement protéger les victimes et les témoins ».

Plus généralement, les gendarmes rencontrés au Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale à Pontoise, le 22 janvier 2018, ont également évoqué la nécessité de mener une réflexion sur la protection des victimes qui déposent plainte , notamment à travers des structures d'hébergement adaptées.

En ce qui concerne les Outre-mer, Ernestine Ronai a relevé l'urgence de renforcer les solutions de mise à l'abri, car « il est particulièrement difficile pour une victime de se protéger des représailles sur une île » 178 ( * ) .

La délégation préconise la mise à l'étude de solutions pour assurer la protection globale des victime s de violences et de leur famille , du dépôt de la plainte à son aboutissement judiciaire.

5. Une difficulté : la question de la correctionnalisation des viols

La délégation est convaincue que le viol est un crime et qu'à ce titre, il relève de la compétence des cours d'assises ; il est passible d'une peine de quinze ans de réclusion criminelle , voire davantage en cas de circonstances aggravantes.

a) Un paradoxe : un crime jugé comme un délit

Les auditions de la délégation ont fait émerger une problématique majeure du parcours judiciaire des victimes de violences sexuelles : la correctionnalisation des viols . Cela implique une déqualification du viol en agression sexuelle , constitutive d'un délit, avec des peines de prison inférieures à celles requises en cas de viol.

Selon une étude réalisée en Seine-Saint-Denis, citée par Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, 46 % des agressions jugées devant le tribunal correctionnel étaient en réalité des viols. C'est une proportion très importante .

En outre, le viol est plus correctionnalisé que d'autres crimes comme le trafic de stupéfiants 179 ( * ) . On peut s'interroger sur cette spécificité .

De surcroît, au sein des viols, ce sont les viols conjugaux qui sont « presque systématiquement » requalifiés en agressions sexuelles, selon Josette Gonzales, avocate à la Fédération Nationale Solidarité Femmes , auditionnée le 18 janvier 2018 par la délégation ( cf. infra ).

La plupart des interlocuteurs de la délégation - représentants des associations et avocates - se sont élevés contre cette correctionnalisation.

Pour Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler , il est indispensable de lutter contre cette pratique « scandaleuse » : « Le viol est un crime et doit être jugé comme tel ».

Selon le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), « La correctionnalisation n'est pas pédagogique et n'a aucun sens », tandis que les assises sont importantes pour la prise de conscience de l'accusé , pour lui permettre de comprendre la peine à laquelle il est condamné : « Dans une audience d'assises, le temps nécessaire est laissé pour traiter les dossiers. L'audition des témoins permet d'éclairer les choses et de comprendre le contexte . L'accusé comprend en outre la peine à laquelle il est condamné et peut prendre conscience de ce qu'il a fait (...). Finalement, même si c'est incontestable, les procès d'assises sont longs - et ce d'autant plus que l'appel est désormais possible - à tout le moins les dossiers y sont traités en profondeur ».

Dans le même esprit, Ernestine Ronai a elle aussi défendu la vertu pédagogique du procès aux assises , à condition toutefois que la victime soit accompagnée par une association et préparée au procès : « Quel est l'intérêt de la cour d'assises ? Certes, elle coûte cher, mais elle présente le grand avantage de juger selon une procédure orale , ce qui signifie que la victime et l'agresseur entendent les éléments du dossier lors de l'audience, les experts, la famille. La valeur pédagogique de ce principe est très forte, car la victime peut se reconstruire et l'agresseur peut reconnaître les faits , même s'il était dans le déni au départ. Or la compréhension est essentielle pour la prévention de la récidive » 180 ( * ) .

Maître Carine Durrieu-Diebolt, entendue par la délégation le 14 décembre 2017, n'est pas favorable non plus à cette pratique car « le viol est un crime qui relève en tant que tel des assises ».

Selon elle, la seule hypothèse justifiant la correctionnalisation concerne les victimes se trouvant dans l'incapacité de parler (cela concerne notamment de jeunes adolescentes). Elle constate que la correctionnalisation des viols est moins fréquente en province, où les assises sont moins sollicitées. S'agirait-il donc d'une pratique plus prégnante dans les grandes villes ?

b) Une décision dans l'intérêt des victimes ou liée au manque de moyens de la Justice ?

Le débat sur la correctionnalisation est complexe et met en présence des points de vue très opposés. À l'inverse des associations et de certains avocats de plaignantes, les magistrats estiment que la correctionnalisation des viols peut parfois se justifier dans l'intérêt des victimes 181 ( * ) .

Tout d'abord, les magistrats estiment que le passage devant un tribunal correctionnel garantit un jugement plus rapide , et rappellent qu'il se fait en accord avec la victime ou ses représentants légaux. En effet, selon la loi Perben 2 182 ( * ) , le magistrat doit demander son accord à la victime avant de correctionnaliser .

Ce point a toutefois été nuancé par Maître Carine Diebolt, auditionnée le 14 décembre 2017, qui considère que la victime est souvent « contrainte à une décision qui la satisfait rarement » : « Elle a l'impression que le crime est sous-estimé, ce qu'elle ressent comme une injustice, alors qu'elle sait pertinemment qu'elle a été victime d'un viol ».

De plus, selon les magistrats, la correctionnalisation peut présenter la vertu d'épargner à la victime un procès qui peut être particulièrement éprouvant , les avocats de la défense n'hésitant pas à remettre en cause sa moralité. Contrairement au tribunal correctionnel, le procès aux assises est fondé sur l'oralité des débats qui implique une confrontation avec l'agresseur , conformément aux exigences d'un procès équitable, fondées sur la présomption d'innocence et le respect des droits de la défense.

En outre, plusieurs magistrats auditionnés dans le cadre du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ont mis en avant le fait que les peines prononcées par le tribunal correctionnel peuvent aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement , alors qu'il peut arriver qu'aux assises on aboutisse à des peines inférieures à dix ans 183 ( * ) .

Selon les magistrats, le verdict du procès aux assises serait parfois plus aléatoire que celui du tribunal correctionnel , en raison de la présence d'un jury populaire, alors que le tribunal est composé de magistrats et de juristes. On a effectivement pu le constater avec « l'affaire » de Meaux, lorsqu'un homme accusé du viol d'une fillette de onze ans a été acquitté par la cour d'assises de Seine-et-Marne, en novembre 2017.

À l'inverse, plusieurs interlocuteurs de la délégation ont dénoncé une correctionnalisation « en opportunité » , qui tient essentiellement au manque de moyens de la justice et à l'encombrement des juridictions . Le manque de moyens de la justice a plus particulièrement été dénoncé par Maître Carine Durrieu-Diebolt ( cf. supra ) 184 ( * ) .

Ce point de vue a été résumé avec force par le Docteur Emmanuelle Piet, « « La correctionnalisation est une justice de misère ».

Sensible aux épreuves particulières qui résultent pour les victimes d'un procès aux assises et consciente que les délais de jugement devant les tribunaux correctionnels présentent parfois l'intérêt d'une plus grande rapidité, la délégation s'oppose néanmoins au principe même de la correctionnalisation , qui consiste à juger comme des délits des infractions qui constituent des crimes. Elle s'élève contre toute correctionnalisation « en opportunité » , en lien avec le manque de moyens de la Justice et la surcharge des cours d'assises 185 ( * ) .

c) Une pratique parisienne intéressante : l'exclusion de la correctionnalisation ab initio

Au cours de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, le procureur de la République de Paris a présenté la pratique de son parquet en ce qui concerne la répression des infractions sexuelles 186 ( * ) . Celui-ci a mis en place un protocole de répartition des saisines entre la police judiciaire, qui traite les affaires les plus graves et les plus complexes, et la sécurité publique, en charge des autres affaires. Les violences sexuelles représentent quelques milliers d'infractions, parmi les 350 000 à 400 000  procédures traitées chaque année par le parquet de Paris .

Selon François Molins, il n'y a pas de correctionnalisation des faits de viol au sein du couple ab initio , mais cela arrive souvent à l'issue de l'instruction, à la demande des victimes . De même, il constate très peu de correctionnalisation ab initio concernant les agressions sexuelles, car elles sont considérées par le parquet comme des « infractions graves, qui nécessitent des réponses rapides et efficaces ».

La délégation salue la pratique du parquet de Paris s'agissant de la répression des infractions sexuelles , tout en relevant qu'un tel dispositif nécessite des moyens qui ne sont pas forcément accessibles à tous les parquets du territoire.

d) Une solution : la spécialisation des magistrats ou des chambres de jugement ?

Comme l'a indiqué Maître Carine Durrieu-Diebolt, il existe à Paris une antenne des mineurs qui prévoit un parcours de justice spécifique pour les mineurs agresseurs, avec des magistrats spécialisés et une cour d'assises des mineurs. Selon elle, il serait intéressant d'envisager un parcours judiciaire dédié pour les violences sexuelles, en s'inspirant de ce modèle .

Elle a insisté à cet égard sur la difficulté de défendre un dossier devant des magistrats non formés. Elle propose donc d'envisager la création de chambres spécialisées en matière de violences sexuelles , avec des magistrats spécialisés qui traiteraient le viol comme un crime, mais sur une durée plus resserrée qu'aux assises, ce qui permettrait de résoudre le problème des assises saturées.

De surcroît, le procureur de la République de Paris a indiqué à la délégation qu'il existe une spécialisation de fait au parquet de Paris, puisqu'une chambre correctionnelle dédiée traite l'ensemble des dossiers relatifs aux violences sexuelles : « Dans la phase de jugement, nous avons de fait, même si elle n'est pas officialisée, une spécialisation de chambre correctionnelle. A Paris, tous ces dossiers sont en effet jugés par une même chambre du tribunal correctionnel (...) ce qui nous assure une unité de jurisprudence (...) et des peines qui, en cas de correctionnalisation, restent sérieuses puisqu'elles se situent entre trois et cinq ans d'emprisonnement. Cela assure une réponse pénale qui a un certain sens ».

La délégation a entendu ces éléments d'information et de proposition avec intérêt.

Elle note que le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice propose l'expérimentation , entre 2019 et 2021, dans deux à dix départements, d'un tribunal criminel départemental composé de cinq magistrats professionnels pour juger (en premier ressort et hors mineurs et récidive) les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion (soit 57 % des affaires jugées par les cours d'assises) 187 ( * ) . Elle s'interroge sur les effets d'une telle évolution pour ce qui concerne la répression pénale des viols .

Soucieuse de favoriser la cohérence du traitement des violences sexuelles, sur l'ensemble du territoire, la délégation préconise la mise à l'étude d'une spécialisation des magistrats et de la création de chambres spécialisées .

6. Des circonstances aggravantes à compléter

Au-delà du débat sur la correctionnalisation, la délégation a identifié au cours de ses travaux une lacune de notre droit pénal dans la répression des infractions sexuelles , s'agissant plus particulièrement de l'article 222-28 du code pénal qui définit les circonstances aggravantes s'appliquant aux agressions sexuelles.

Lors de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, le procureur de la République de Paris a indiqué à la délégation que le régime des circonstances aggravantes lui paraissait perfectible s'agissant des violences sexuelles, car il ne prévoit pas le cas où l'agression aurait entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à 8 jours : « « Aujourd'hui, cette circonstance n'est pas prévue dans le code et il s'agit là d'une lacune », a-t-il fait observer.

LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES EN MATIÈRE DE VIOLENCES SEXUELLES

Articles 222-27 et 222-28 du code pénal

Article 222-27. - Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Article 222-28. - L'infraction définie à l'article 222-27 est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende :

1° Lorsqu'elle a entraîné une blessure ou une lésion ;

2° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

3° Lorsqu'elle est commise par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

4° Lorsqu'elle est commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;

5° Lorsqu'elle est commise avec usage ou menace d'une arme ;

6° Lorsque la victime a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication électronique ;

7° Lorsqu'elle est commise par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ;

8° Lorsqu'elle est commise par une personne agissant en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants ;

9° Lorsqu'elle est commise, dans l'exercice de cette activité, sur une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle.

La délégation propose donc d'introduire dans le code pénal une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours .

7. La réparation financière, un droit des victimes à mieux faire valoir

Au-delà de la condamnation de leur agresseur dans le cadre du procès pénal, les victimes de violences sexuelles peuvent obtenir une réparation au titre de leur préjudice .

Au cours de son audition devant la délégation, le 7 décembre 2017, Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) a mis en avant l'importance de la réparation financière, notamment dans les affaires de harcèlement , estimant qu'il faut travailler dans cette direction. Elle a observé que, dans notre pays, prime souvent une logique de sanction ou de condamnation avant une logique de réparation .

Si la première est bien sûr indispensable, il convient selon elle de ne pas oublier la seconde. En effet, les personnes ayant fait l'objet de violence sexuelle - sexisme, harcèlement sexuel, agression sexuelle - peuvent obtenir des dommages et intérêts de l'auteur de ces actes 188 ( * ) .

En outre, selon Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate spécialisée dans la réparation des dommages corporels, entendue le 14 décembre 2017 par la délégation, cette procédure est indispensable en droit des victimes : « Celles-ci vont se porter partie civile dans la procédure pénale. L'avocat évoque l'infraction et le traumatisme psychologique, qui a un retentissement par la suite, et peut donner lieu à des dommages et intérêt ».

À cet égard, Carine Durrieu-Diebolt a regretté que les demandes de réparation formulées par des avocats puissent aboutir à des « indemnités dérisoires et sous-évaluées » au regard de l'ampleur du traumatisme subi par les victimes et des conséquences de leur agression : « La demande au forfait est théoriquement interdite, même si certains avocats en requièrent avec des sommes dérisoires. Une étude de la Gazette du Palais , fondée sur les résultats des jugements, citait le cas d'une mineure de huit ans violée par un voisin, qui a obtenu une indemnité de 15 000 euros, montant dérisoire par rapport aux conséquences de cette agression sur la vie de la petite victime » 189 ( * ) .

L'avocate a également souligné l'intérêt d'une démarche d'indemnisation auprès de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI), qui peut offrir une forme de reconnaissance du traumatisme de la victime , à travers une exposition précise des préjudices subis devant le tribunal. Mais, là encore, l'avocate a regretté la pénurie de psychiatre formés et d'experts, déplorant le manque de moyens de la Justice : « Souvent, si les victimes n'envisagent pas initialement de réclamer des dommages et intérêts, elles demandent ensuite une évaluation des préjudices (...). Cela intéresse les victimes non pas pour l'argent, mais pour la reconnaissance de leur traumatisme à travers une exposition détaillée des préjudices subis devant le tribunal (...) Par ailleurs, il n'y a pas assez de psychiatres formés . Lorsque j'ai demandé (...) une psychiatre femme, le président de la CIVI m'a répondu qu'il ferait le maximum mais que rien n'était sûr : les psychiatres experts à la CIVI sont sous-payés, beaucoup se désistent et celui qui reste n'est pas forcément spécialisé dans ce type de contentieux ... Il y a toujours et encore un problème de moyens. C'est une difficulté de fond ».

La délégation recommande de renforcer l'information des victimes de violences sur les procédures de réparation financière , notamment en matière de harcèlement sexuel au travail, pour les aider à mieux faire valoir leur droit à une indemnisation au titre des préjudices qu'elles ont subis.

8. Un impératif : développer une prise en charge globale des victimes pour les aider à se reconstruire

Au cours de ses travaux, la délégation a mesuré la nécessité de développer une prise en charge globale des victimes pour les aider à se reconstruire et à retrouver des conditions de vie décentes. Elle a d'ailleurs dressé le même constat dans le cadre de son rapport sur les mutilations sexuelles féminines 190 ( * ) .

En effet, les femmes victimes de viols, de violences sexuelles ou de violences conjugales ont de nombreuses problématiques à gérer : ressources, hébergement, logement, emploi... La reconstruction doit concerner tous les aspects de leur vie . Ainsi que l'a souligné Françoise Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes , au cours de son audition, le 18 janvier 2018,  « Les femmes se reconstruisent plus efficacement, et se trouvent moins dans la souffrance quand elles ont par exemple retrouvé un emploi ».

a) Un modèle : La Maison des Femmes de Saint-Denis et son approche pluridisciplinaire

De ce point de vue, La Maison des Femmes de Saint-Denis est un exemple très abouti de ce type de prise en charge globale (médicale, psychologique, mais aussi sociale) des femmes victimes de violences 191 ( * ) .

Comme l'a expliqué le Docteur Ghada Hatem, fondatrice de La Maison des Femmes de Saint-Denis, lors de son audition devant la délégation, le 14 décembre 2018, le parcours de prise en charge des victimes de violences doit être simple et coordonné , pour leur éviter d'avoir à répéter à de multiples intervenants un récit douloureux, ce qui a pour conséquence de réactiver leur traumatisme, ou bien d'avoir à organiser elles-mêmes cette prise en charge, ce dont elles sont bien souvent incapables : c'est sur ces principes qu'est fondée La Maison des Femmes de Saint-Denis, à travers une prise en charge globale .

Le Docteur Ghada Hatem a indiqué à la délégation la démarche qui a guidé la création de La Maison des Femmes : « Nous avons souhaité offrir aux femmes toute la palette des outils dont elles pourraient avoir besoin, en commençant par le soin . Il s'agit là d'une porte d'entrée essentielle, car elle permet à la femme de parler le plus simplement possible de ce qu'elle vit ».

Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de mai 2017 192 ( * ) a conclu à la « nécessité d'ouvrir des lieux d'accueil de ce type partout sur le territoire » . Les auteurs du rapport estiment que, « quelles que soient les organisations retenues, trois compétences devraient être réunies pour une réponse complète et efficace : des compétences médicales incluant la santé mentale, des compétences de travail social et des compétences relatives au travail de coordination ». Ils recommandent donc de « réunir, dans un cadre hospitalier, les compétences médicales - dont santé mentale -, de travail social et de coordination dans des organisations dont les contours peuvent varier en fonction des caractéristiques du territoire et des structures ».

Selon le Docteur Ghada Hatem, ce document « conclut à notre légitimité en mettant en avant le socle incompressible qui doit être financé par l'État : soins médicaux, soins psychologiques, accompagnement social. Nous travaillons à mettre en place ce financement avec l'ARS d'Ile-de-France ». Par ailleurs, le rapport de l'IGAS souligne la nécessité d'organiser le pilotage national de la dimension hospitalière de la prise en charge des violences faites aux femmes .

Ghada Hatem a également exprimé son ambition de nouer des partenariats avec des structures comparables à la sienne , dans d'autres pays européens. À cet égard, elle a souligné l'action des European family justice centers , regrettant que notre pays ne fasse pas partie de ce réseau : « les European family justice centers mènent une action similaire à la nôtre, au niveau européen, à la différence près qu'ils n'incluent pas les soins . Ils ont pris contact avec nous par le biais de la fondation Kering qui est notre meilleur soutien et ils nous ont "adoubés", faisant de notre structure le premier dispositif français à avoir rejoint ce mouvement (...). Nous devrions réfléchir pour intégrer notre pays à ce mouvement . Tout comme nous, ces centres proposent une prise en charge psycho-juridico-sociale, et notre volet santé les intéresse beaucoup. Nous essayons de construire un socle commun ».

Au cours de leur audition, le 18 janvier 2018, les représentantes de la Fédération Nationale Solidarités Femmes (FNSF) ont également insisté sur l'importance de la mise en réseau des différents acteurs pour l'accompagnement des victimes sur le terrain, dans le cadre d'un accompagnement global. Elles estiment à cet égard que la prise en charge du syndrome post-traumatique ne peut être déconnectée des autres actions menées pour aider les victimes . Selon Françoise Brié, directrice générale de la FNSF, « Il est nécessaire que des personnes soient formées au repérage et à la culture commune sur les violences sexistes (...). Il importe en effet que les femmes, une fois repérées, puissent être orientées vers les services adéquats dans les différents départements ».

La délégation souligne l'importance d'une prise en charge pluridisciplinaire des femmes victimes de violences , dans un cadre partenarial associant les services hospitaliers, dont les UMJ, et les autres acteurs du territoire (collectivités, notamment le conseil départemental, autres structures de santé, professionnels de santé, associations, plus particulièrement d'aide aux victimes et de gestion de l'hébergement d'urgence). Elle salue à cet égard l'action de La Maison des femmes de Saint-Denis.

Elle estime qu'un ensemble de recommandations regroupant les bonnes pratiques en matière d'accueil et d'accompagnement des femmes victimes de violences devrait être élaboré à destination de tous les professionnels de santé, cette mission pouvant être confiée à la Haute Autorité de Santé (HAS) ou à la MIPROF.

b) Un autre exemple de bonne pratique : le schéma départemental d'aide aux victimes à Paris

Par ailleurs, la délégation a été très intéressée par les bonnes pratiques instaurées par le parquet de Paris pour favoriser une prise en charge pluridisplinaire des victimes et une mise en réseau des différents acteurs impliqués dans la chaîne pénale . Ainsi, le procureur de la République de Paris a précisé au cours de son audition, le 22 février 2018, que dans les affaires de viol, le parquet accompagne systématiquement ses enquêtes d'un examen médical et d'une évaluation de l'impact psychologique du viol sur la victime.

Par exemple, les sections de permanence du parquet de Paris saisissent systématiquement le Centre d'information sur les droits des femmes (CIDF) pour obtenir une évaluation personnalisée pour toutes les victimes d'infractions criminelles, pour les faits commis au sein du couple. C'est l'association Paris Aide aux victimes qui est saisie pour les faits commis en dehors du couple.

En outre, le parquet de Paris a élaboré, en lien avec la Mairie de Paris, un schéma départemental d'aide aux victimes , unique en France, qui travaille avec le réseau spécialisé dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Selon le procureur de la République de Paris, 80 recommandations sont en cours de mise en oeuvre, dont le suivi est assuré par un chargé de mission dédié. Il estime par ailleurs important d'engager en parallèle un travail de réseau qui renvoie directement aux comités locaux d'aide aux victimes , maintenant placés sous l'égide de la déléguée interministérielle aux victimes, « très impliquée dans ce chantier ».

De plus, il a indiqué à la délégation que des comités locaux d'aide aux victimes ont été institués au niveau départemental et a plaidé pour une mise en cohérence des dispositifs d'aide aux victimes sur le territoire , à travers l'élaboration d'un schéma départemental .

Pour autant, comme l'a souligné François Molins, ces actions exigent « du temps et des moyens car il faut un diagnostic précis de la situation, nécessaire pour corriger les dysfonctionnements et améliorer ce qui doit l'être : lorsque tous les départements auront mis en place ce type de schéma, je pense que l'on observera des résultats intéressants ».

Indépendamment des actions menées par le parquet de Paris, la délégation rappelle l'intérêt des brigades de protection de la famille , créées en 2009 au sein de la police nationale dans les commissariats. Leur rôle est notamment de fournir aux victimes le soutien et l'assistance nécessaire, en les orientant vers les partenaires présents dans les commissariats .

Une note de la DGPN 193 ( * ) transmise à la délégation indique que ces partenaires sont les 263 intervenants sociaux/ISCG 194 ( * ) , les 73 psychologues et les professionnels des associations d'aide aux victimes oeuvrant dans 123 permanences au sein des commissariats. Celles-ci sont tenues sur la base de conventions passées avec France Victimes , le Centre National d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles - Fédération Nationale des Centres d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CNIDFFF-FNCIDFF), la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) et d'autres associations locales.

En outre, en plus de ces acteurs non policiers, la Police nationale dispose de 213 correspondants départementaux « aide aux victimes », de 414 correspondants locaux et de 163 référents violences conjugales, qui sont tous des policiers spécialement formés ( cf supra ).

Enfin, la délégation tient à saluer tout particulièrement l'action menée par le parquet de Paris pour accompagner la victime, en cas de classement sans suite d'une procédure, par l'envoi d'un courrier circonstancié lui expliquant les motifs de ce classement, de préférence à l'imprimé Cassiopée très lapidaire, et par son orientation vers une association d'aide aux victimes ou vers un délégué du procureur. François Molins a annoncé la mise en place d'un bureau d'aide aux victimes particulier pour amorcer un accueil immédiat des victimes les plus gravement traumatisées.

Plus généralement, un autre point important souligné par le procureur de la République de Paris pour garantir la réussite des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes tient à la pérennité de ces politiques : « Il existe, à mon sens, une deuxième condition à la réussite des politiques publiques, c'est la pérennité (...). Les politiques publiques doivent survivre aux acteurs administratifs qui les mettent en place et les portent ».

À cet égard, il estime qu'une mission d'évaluation de cette politique publique pourrait être confiée aux Procureurs généraux : « Si cette mission était développée, et accompagnée des moyens nécessaires, je pense que la pérennité et l'efficacité des politiques publiques s'en trouveraient améliorées ».

La délégation a été sensible à ces arguments.


* 150 Le but de cette association de soutien aux victimes est de leur permettre de parler ensemble et de leur offrir un espace de complète liberté de parole, pour échanger et leur montrer qu'elles ne sont pas seules. Selon elle, les parcours des victimes se ressemblent, et elles se sentent isolées.

* 151 Les agressions sexuelles en forte hausse, article du Figaro.fr , publié le 29 avril 2018, par Jean-Marc Leclerc.

* 152 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 153 Interview de Muriel Pénicaud et Marlène Schiappa dans Libération , 9 mai 2018 : « La ministre et la secrétaire d'État présentent leurs mesures pour résorber les écarts de rémunération et mieux accompagner les entreprises dans leur lutte contre le harcèlement ».

* 154 Le communiqué de presse du secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes du 17 mai 2018 fait état d'un million d'euros pour l'appel d'offres.

* 155 Communiqué de presse du 28 novembre 2017 : « La délégation aux droits des femmes du Sénat salue l'engagement du Président de la République dans la lutte contre les violences faites aux femmes, tout en s'interrogeant sur les moyens attribués à la « Grande cause du quinquennat » ; communiqué de presse du 2 février 2018 : « Lé délégation aux droits des femmes du Sénat s'inquiète de la dégradation des moyens des associations qui accompagnent les femmes victimes de violences ».

* 156 Contribution de la Direction générale de la Police nationale à la demande de la délégation aux droits des femmes - les agressions sexuelles - 26 décembre 2017.

* 157 Corps des gradés et gardiens, officiers et commissaires.

* 158 Assises de la formation de la Police nationale en 2013.

* 159 La DGPN précise que l'ensemble des référents auront suivi la formation d'ici la fin de l'année 2018.

* 160 Violences sexuelles : le délicat travail des forces de l'ordre pour recueillir les plaintes, Le Figaro Premium , Caroline Piquet, publié le 15 novembre 2017 et mis à jour le 25 janvier 2018.

* 161 Le procureur de la République de Paris a également relevé au cours de son audition « des points de fragilité la nuit, le samedi et le dimanche ».

* 162 La formation aborde entre autres l'aspect statistique de ces violences, les enjeux de la qualification pénale, les conséquences sur la santé, avec une séquence spécifique sur le psycho-trauma, la stratégie de l'agresseur, les conséquences de ces violences sur les enfants, l'accompagnement et l'écoute des victimes, la prise en charge des agresseurs.

* 163 Rapport de Pascale Vion au nom de la délégation aux droits des femmes du CESE, adopté le 12 novembre 2014.

* 164 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat par Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Chantal Jouanno, Christiane Kammermann et Françoise Laborde, n° 425 (2015-2016).

* 165 Le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes (CNSF) a également élaboré un certificat type.

* 166 Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineur-e-s, premières victimes , rapport n° 448 (2015-2016), 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport n° 425 (2015-2016) ; Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , rapport n° 479 (2017-2018).

* 167 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 168 Un co-rapporteur de la délégation a participé aux auditions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

* 169 La brigade numérique vise entre autres à faciliter les signalements par les femmes victimes, mais ce n'est pas son objectif exclusif et elle ne se limite pas au contentieux des violences faites aux femmes.

* 170 Voir le compte-rendu de ce déplacement en annexe du présent rapport.

* 171 Il s'agit de la recommandation n° 33 du rapport Femmes et agricultrices : pour l'égalité dans les territoires , rapport d'information de la délégation aux droits des femmes, n° 615 (2016-2017).

* 172 Le ministre de l'Intérieur a annoncé, le 8 février 2018, l'ouverture, au printemps, d'une plateforme de signalement des faits de violences sexuelles et sexistes, dans la continuité de la grande cause du quinquennat pour l'égalité femmes/hommes. (Source : Bulletin Quotidien du 9 février 2018).

* 173 https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2018/5/24/INTD1800173D/jo/texte

* 174 Les salles « Mélanie » sont des salles conçues et aménagées spécialement pour les mineurs victimes de violences dans les commissariats ou les services de gendarmerie. Elles ont été mises en place à l'initiative de l'association La Mouette , qui défend et soutient les enfants victimes. Mélanie est le prénom de la première petite fille à avoir été entendue dans l'un de ces espaces dédiés.

* 175 Sur ce point, voir le compte rendu du déplacement en annexe du présent rapport.

* 176 La recommandation n° 4 de son Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles était ainsi formulée : « Permettre aux victimes de violences sexuelles l'accès direct et en urgence aux Unités Médico-Judiciaires même sans dépôt de plainte préalable ».

* 177 Pour une présentation plus précise du CAUVA, voir le rapport précité du HCE sur le viol, p. 22.

* 178 Voir le compte rendu de l'audition du 15 février2018 en annexe du présent rapport.

* 179 Ce point a été relevé par Audrey Darsonville, professeure agrégée de droit pénal, auditionnée le 13 décembre 2017 par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

* 180 Voir le compte rendu de l'audition du 16 novembre 2018 en annexe du présent rapport.

* 181 Ces arguments ont été plus particulièrement développés par les magistrats rencontrés par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

* 182 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 183 Selon des chiffres transmis par la DACG au groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, la durée des peines est en moyenne de 61 mois d'emprisonnement pour les viols, et de 21 mois pour les agressions sexuelles.

* 184 La délégation souligne que le groupe de travail de la commission des lois a proposé de « renforcer les moyens de la justice, en particulier des cours d'assises, pour permettre des délais de jugement raisonnables ».

* 185 La délégation a également regretté la tendance à la correctionnalisation de certains crimes commis sur des femmes dans le cadre de son rapport Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente , une mobilisation à renforcer (voir la recommandation n° 10 : la délégation est d'avis que la compétence des cours d'assises doit perdurer en matière d'excision et que la tendance à la correctionnalisation, qu'elle déplore à l'égard des viols, ne doit pas s'étendre aux mutilations sexuelles féminines).

* 186 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 187 Source : Bulletin Quotidien du 23 avril 2018.

* 188 Selon Brigitte Grésy, cette réparation peut prendre plusieurs formes : réparation en nature sur le contrat de travail, rémunération, promotion ou réparation indemnitaire par des dommages-intérêts.

* 189 Voir en annexe le compte-rendu de cette audition.

* 190 Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat par Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, n° 479 (2017-2018).

* 191 On peut également citer le Women Safe - Institut en Santé génésique de St Germain-en-Laye ou le CAUVA de Bordeaux.

* 192 La prise en charge à l'hôpital des femmes victimes de violences : éléments en vue d'une modélisation , rapport établi par Christine Branchu et Simon Vanackere, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS, mai 2017).

* 193 Contribution de la Direction générale de la Police nationale à la demande de la délégation aux droits des femmes du Sénat - les agressions sexuelles - 26 décembre 2017.

* 194 Source CIDPR.

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