C. UNE ORIGINE COMMUNE : LA CONVICTION DE L'INFÉRIORITÉ DES FEMMES ET LA NÉCESSITÉ DE SA PRÉVENTION PAR L'ÉDUCATION, DÈS LE PLUS JEUNE ÂGE

1. Une préoccupation pour la délégation : la banalisation du sexisme

Un autre constat mis en lumière par les auditions de la délégation tient au processus continu des violences faites aux femmes , depuis l'agissement sexiste qui en constitue le terreau, et qui tient à des propos ou gestes destinés à humilier les femmes, jusqu'au harcèlement sexuel et au viol.

a) Des comportements répandus mettant en cause l'égalité entre femmes et hommes

Qu'il s'agisse des violences conjugales, des injures, des violences sexuelles, des comportements relevant du harcèlement sexuel (au travail, en ligne, dans le cadre scolaire, dans la rue...), les violences dont sont victimes les femmes, dans tous les milieux, à tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie, y compris dans leur couple, relèvent d'une conviction partagée par leurs auteurs :

- que les femmes sont quantité négligeable et, surtout, que leur corps n'a pas à être respecté et qu'il est à la disposition des hommes ;

- que les violences commises à l'encontre des femmes ne sont « pas si graves ».

Plusieurs des personnes entendues par la délégation ont insisté sur ce point, notamment le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre. Selon elle, toutes les violences sont liées , qu'elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques , qu'elles soient commises au sein de la famille ou à l'extérieur du foyer .

Une manifestation commune à ces violences réside dans la banalisation d'attitudes sexistes et la non-reconnaissance de leurs conséquences sur les victimes. Celle qui regimbe « n'a pas d'humour », c'est généralement elle la fauteuse de trouble, et non celui qui attente à sa dignité .

Les affaires Baupin puis Weinstein ont encouragé les femmes à partager leurs expériences de sexisme ou de misogynie ; leurs témoignages illustrent clairement combien l'ambiance sexiste - au travail, dans la rue ou dans le couple - est toxique, et à quel point elle peut encourager des comportements de harceleur, voire de prédateur .

Le florilège ci-après est emprunté à des plates-formes participatives où des femmes partagent des « perles » de collègues, de supérieurs hiérarchiques, d'enseignants, voire de leurs ex-partenaires (ces exemples ont été choisis parmi les rares qui ne comportent pas de terme excessivement grossier) :

Dans le couple 116 ( * ) :

- « Je fais ça parce que je t'aime » ;

- « Sans moi tu n'es rien » ;

- « J'ai tous les droits sur ta fille et toi ».

En milieu hospitalier 117 ( * ) :

- « Alors l'externe, tu es plutôt tanga ou string ? » ;

- « Qui se désigne pour être mon cadeau ? Bon, pas toi parce qu'il doit y avoir des toiles d'araignées et de la poussière là-dessous » (à propos d'une infirmière jugée trop âgée).

À l'université 118 ( * ) :

- « À votre âge, votre cerveau n'a pas fini de se développer, c'est plus long chez les femmes. Vous n'avez tout simplement pas ce qu'il faut pour faire une thèse » (de la part d'un maître de conférences en sciences économiques) ;

- « Si les femmes restaient à la maison il y aurait moins de chômage » (cours d'économie, première année de licence) ;

- « Les filles de toute façon, vous ne finirez pas votre cursus. Vous allez tomber enceintes et laisser tomber vos études par la même occasion » (enseignement de biologie cellulaire) ;

- « Tout ce que vous avez à savoir, c'est additionner et soustraire pour acheter le poisson au marché » (première année de licence d'histoire).

Au travail 119 ( * ) :

- « Ce ne sera pas facile, mais si ça l'était, les femmes pourraient le faire » (de la part du responsable, au cours d'une réunion de chantier à laquelle assiste une seule femme) ;

- « Mais un bisou c'est rien, pourquoi tu veux pas que je t'embrasse? Bisou, c'est pour le plaisir... Les femmes sont nées pour le plaisir » ;

- « Habille-toi plus sexy la prochaine fois, montre tes seins aux clients un peu! » ;

- « C'est toi la responsable commerciale sur ce projet? Notre seule chance de gagner l'affaire, c'est que tu mettes un double Wonderbra » ;

- « Elle est moins bonne que l'autre mais elle a plus de connaissances, tant pis » (entendu par une salariée juste embauchée, à propos de sa concurrente).

Cette imprégnation sexiste facilite insidieusement l'acceptation des femmes qui n'osent pas réagir , et encourage aussi la tolérance de la société à l'égard de violences généralement minimisées.

C'est un point sur lequel a insisté Laurence Rossignol au cours de son audition devant la délégation, le 23 novembre 2017 : « L'une des spécificités des violences faites aux femmes est ce continuum menant des violences sexistes quotidiennes au meurtre : c'est bien un ensemble de représentations dans lesquelles les violences sexuelles ou psychiques sont banalisées ou qui mettent en scène des femmes dans des situations dégradantes , qui permettent à la ? culture du viol ? de prospérer ».

De façon imagée et très éclairante, le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, entendue par la délégation le 30 novembre 2017, compare l'ensemble des violences faites aux femmes à un iceberg : « il y a eu un temps où l'on ne parlait que des violences physiques, des femmes qui étaient tuées par leur compagnon. Mais si l'on veut prévenir les violences, il faut se situer en amont et être en mesure de repérer les situations préalables à l'émergence de violences physiques (...) La partie émergée de l'iceberg est donc constituée par les homicides et les violences physiques : c'est ce qui se voit . Les violences psychologiques ne sont pas toujours identifiées car elles sont limitées à un espace déterminé (le travail, par exemple, ou la famille) et elles répondent à une définition floue (...). Dans la partie immergée de l'iceberg, il y a le sexisme et les inégalités , qui ne sont pas qualifiables de violences à proprement parler et qui ne sont pas pris au sérieux par les auteurs : "je voulais plaisanter", disent-ils. À la base de la violence, il y a la capacité de la désigner comme telle, de la nommer. Or le sexisme crée un climat qui amène à accepter un geste déplacé et à le considérer comme normal. Mais il faut en avoir conscience : le sexisme prépare le terrain à d'autres violences ».

Ce constat a été partagé par Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CSEP), qui a rappelé au cours de son audition, le 7 décembre 2017 : « le sexisme ordinaire crée un terreau favorable aux dérives en tous genres ».

Lors de la visite de la délégation dans les locaux parisiens de la Fédération nationale Solidarité Femmes , le 17 mai 2018, les responsables de l'association ont évoqué la conception des femmes qui se révèle lors des stages destinés à la responsabilisation des auteurs de violences conjugales , au cours desquelles elles sont conduites à intervenir. Ces hommes assument une vision très rétrograde du rôle des femmes et de leur place dans la société, nient l'égalité entre les sexes et minimisent la violence dont ils ont été reconnus coupables.

Ce point confirme, lui aussi, l'importance de la prévention des stéréotypes sexistes, dès le plus jeune âge, comme cela a été mentionné précédemment.

Dans son ouvrage Le sexisme au travail, fin de la loi du silence ? 120 ( * ) , Brigitte Grésy montre l'impact du sexisme ordinaire sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes et la continuité qui peut exister de la remarque sexiste au harcèlement, puis au viol. Selon elle, « le sexisme au travail s'entend de toute croyance qui conduit à considérer les personnes comme inférieures à raison de leur sexe ou réduites essentiellement à leur dimension sexuelle, et de tout geste, propos, comportement ou pratique, fondés sur une distinction injustifiée entre les personnes en raison de leur sexe, et qui entraîne des conséquences préjudiciables en termes d'emploi, de conditions de travail ou de bien-être . Il inclut des actes allant du plus anodin apparemment, à la discrimination fondée sur le sexe, au harcèlement sexuel, sexiste ou moral motivé par le sexe de la personne, à l'agression sexuelle, la violence physique, le viol ».

Dans cet esprit, Brigitte Grésy estime que « l'égalité professionnelle doit aujourd'hui être traitée par des politiques structurelles sur l'embauche et la formation, mais aussi en agissant sur la culture symbolique du sexisme » 121 ( * ) .

Ces remarques confirment que la lutte contre les violences faites aux femmes est un prérequis de l'égalité femmes-hommes.

b) Le poids du sexisme dans les violences scolaires

Les violences scolaires sont un phénomène désormais mieux connu, même si ses conséquences spécifiques pour les filles n'ont été envisagées que récemment . Un premier rapport, élaboré en 2011, n'abordait pas particulièrement cette dimension. Selon Amandine Berton-Schmitt, chargée d'étude au centre Hubertine Auclert 122 ( * ) , en ce qui concerne les violences à l'école, « On est encore un peu prisonnier de notre universalisme : au nom d'une école de la République une et indivisible, on a du mal à assumer une approche discriminée ente les sexes » 123 ( * ) .

LE HARCÈLEMENT SCOLAIRE : QUELQUES DÉFINITIONS

Selon une première enquête réalisée en 2011 sur le harcèlement scolaire 124 ( * ) , qui ne s'appuyait pas sur une approche différenciant les filles des garçons , le harcèlement scolaire concernait 14 % des élèves dans ses formes « verbales et symboliques » et 10 % dans ses formes physiques, 11,7 % des élèves cumulant violences physiques et verbales répétées à l'école.

Cette analyse relevait :

- une stratégie des auteurs fondée sur la violence, l'intention de nuire, la répétitivité et l'isolement de la victime (l' ostracisme est ainsi une dimension extrêmement courante du harcèlement scolaire) ;

- le choix de victimes stigmatisées pour leur apparence physique (poids, taille, couleur des cheveux), leur sexe ou identité de genre (garçons jugés efféminés, etc.), leur appartenance à un groupe social particulier ou des centres d'intérêt différents.

Le rapport identifiait donc une « violence répétée, verbale, physique ou psychologique, perpétrée par un ou plusieurs élèves à l'encontre d'une victime qui ne peut se défendre, en position de faiblesse, l'agresseur agissant dans l'intention de nuire à sa victime ».

Il soulignait aussi le rôle des nouvelles technologies de la communication dans l'aggravation de ces comportements, le cyber-harcèlement « abolissant la distinction entre harcèlement à l'école et poursuite de ce harcèlement hors l'école ».

Ce rapport relevait par ailleurs les conséquences scolaires du harcèlement sur les victimes , principalement à travers des fonctions cognitives altérées par ces violences.

Certes, les violences en milieu scolaire ne constituent pas un phénomène massif . L'enquête sur le climat scolaire rendue publique le 21 décembre 2017 fait ainsi état de 94 % d'élèves affirmant se sentir bien dans leur collège, plus particulièrement les filles 125 ( * ) .

L'enquête confirme que les violences au collège prennent des formes différentes pour les filles et les garçons :

- les coups, les bagarres et les bousculades sont plus fréquemment cités par les garçons ;

- les filles évoquent davantage l' ostracisme , le sentiment d'humiliation et les insultes via les réseaux sociaux ou le téléphone portable, des insultes sexistes et des attouchements sexuels .

Les filles sont donc plus fréquemment la cible de violences psychologiques.

En revanche cette enquête révèle que le voyeurisme (aux toilettes, lors des séances de sport...) ne menace pas les élèves en fonction du sexe et que les garçons y sont, eux aussi, exposés.

Ces statistiques comportent aussi des signaux d'alerte sur la situation des filles dans les collèges :

- elles sont moins nombreuses que les garçons à déclarer avoir beaucoup d'amis (89 % au lieu de 92 %), probablement en lien avec le ressenti d'ostracisme qui les concerne davantage ;

- elles sont plus exposées à un sentiment d'insécurité , tant aux abords du collège (+ 3 points pour les garçons) que dans les transports scolaires (84 % des filles s'y sentent en sécurité, 89 % des garçons ;

- les insultes à caractère sexiste augmentent : elles concernaient 5,5 % des collégiens en 2013, et 8,3 % de ces élèves aujourd'hui.

Encore faut-il avoir conscience que ces statistiques sont probablement sous-estimées et que la réalité est certainement plus alarmante . Les enquêtes de victimation s'appuient en effet sur les réponses des personnes : or l'âge du collège n'est pas celui où l'on évoque le plus volontiers des questions intimes. « Si c'est au collège que le harcèlement est le plus significatif, c'est aussi un âge où l'on parle très peu », relève Johanna Dagorn, sociologue 126 ( * ) . Une infirmière scolaire témoigne : « Il ne faut pas croire que les élèves débarquent à l'infirmerie et se livrent facilement. [...] Souvent, aussi, ce n'est pas la victime qui vient, mais une amie. [...] Quand on voit revenir un peu trop souvent une ou un ado avec un mal de ventre, un mal de tête, on comprend que quelque chose ne va pas, mais mettre des mots sur des maux prend du temps » 127 ( * ) .

Les violences sexistes à l'école. Une oppression viriliste : ce rapport au titre éclairant, rendu public par l'Observatoire européen de la violence à l'école le 31 mai 2018, met en évidence une construction de l'inégalité des sexes à l'école qui tient à la responsabilité du « refus du féminin » et à une « oppression viriliste » 128 ( * ) .

L'objet de cette enquête était, à la suite de l'« affaire Weinstein », d'analyser les origines de la « surexposition [à la violence] des femmes devenues adultes » 129 ( * ) .

Dû à Éric Debarbieux, ancien délégué ministériel à la prévention du harcèlement scolaire, ce document, qui s'appuie sur une enquête réalisée auprès de 47 604 élèves, constate que les violences sexistes visent aussi les garçons en raison d'une « oppression conformiste » qui constitue un « piège pour les deux sexes » 130 ( * ) , car elle menace les garçons considérés comme faibles, ceux qui ne se conforment pas aux standards de la virilité, dont la sexualité est considérée comme « déviante » et qui réussissent bien en classe - car les résultats satisfaisants sont assimilés à la féminité.

Éric Debarbieux estime donc que les violences sexistes s'exercent « contre le féminin », les garçons faibles étant assimilés aux filles .

Le rapport souligne toutefois que si l'école est à la fois le lieu de violences sexistes très inquiétantes, elle est aussi l'institution la plus à même de traiter et prévenir ces violences .

2. Un constat partagé : promouvoir la prévention par l'éducation à l'égalité et à la sexualité dès le plus jeune âge

Face à ce constat, la délégation ne peut que rappeler une nouvelle fois l'importance de l'éducation à la sexualité et de la sensibilisation à l'égalité entre femmes et hommes, dès le plus jeune âge.

Il s'agit là, pour la délégation, d'un point essentiel : plusieurs de ses précédents rapports ont ainsi insisté sur cette exigence 131 ( * ) .

À cet égard, la délégation se félicite que le rapport d'information du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs recommande que soit garantie, sur tout le territoire, l'obligation légale d'éducation à la sexualité 132 ( * ) .

a) Une obligation légale insuffisamment respectée

La loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception 133 ( * ) a prévu des séances d'éducation à la sexualité en milieu scolaire . L'article L. 312-16 du code de l'éducation dispose ainsi qu'une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupe d'âge homogène » 134 ( * ) . Plus récemment, la loi du 13 avril 2016 135 ( * ) a ajouté que ces « séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes ».

Or, force est de constater que cette obligation légale est insuffisamment mise en oeuvre . Le rapport que le HCE a consacré en 2016 à l'éducation à la sexualité regrettait notamment une application de la loi « parcellaire » et « inégale selon les territoires car dépendante des bonnes volontés individuelles » 136 ( * ) . Il établissait un constat global d'insuffisance et d' inadaptation des séances d'éducation à la sexualité :

- 25 % des écoles ayant répondu à l'enquête effectuée par le HCE entre septembre et novembre 2015 auprès de 3 000 établissements 137 ( * ) déclaraient n'avoir mis en place « aucune action ou séance en matière d'éducation à la sexualité » ;

- « Parmi les 12 millions de jeunes scolarisé.e.s chaque année, seule une petite minorité bénéficie tout au long de leur scolarité de séances annuelles d'éducation à la sexualité, comme la loi l'a prévu » ;

- « les personnels de l'éducation nationale sont très peu formés à l'éducation à la sexualité » ;

- ces séances sont le plus souvent abordées dans un esprit de prévention du SIDA et des grossesses non désirées ;

- la notion de « respect » est évoquée mais « les questions de violences sexistes et sexuelles ou d'orientation sexuelle sont les moins abordées ».

Il est donc impératif que les séances d'éducation à la sexualité intègrent la dimension essentielle de l'éducation à l'égalité et à la prévention des stéréotypes prévue par l'article L. 312-17-1 du code de l'éducation « dans les établissements secondaires, par groupes d'âge homogène » .

Selon l'enquête réalisée auprès des établissements scolaires par le HCE, les trois principaux obstacles à l'organisation de l'éducation à la sexualité sont :

- le manque de moyens financiers ;

- la disponibilité du personnel ;

- la gestion des emplois du temps .

Il est donc important de sensibiliser les chefs d'établissement à l'importance de l'éducation à la sexualité , conçue pour valoriser l'égalité entre femmes et hommes, et de les encourager à inscrire ces séances dans les projets d'établissement .

Un reportage sur une de ces séances, effectué dans un collège parisien et publié le 25 novembre 2017 par L'Express 138 ( * ) , montre de manière éclairante le rôle décisif de l'équipe encadrante dans ce domaine. « Quand je suis arrivée il y a deux ans, ces interventions étaient ponctuelles, elles avaient lieu quand un problème survenait », relève la CPE, qui a pris l'initiative de mettre en place les trois séances annuelles requises, pour toutes les classes de la 6 ème à la 3 ème . Selon le récit publié par l'hebdomadaire, l'échange entre élèves, d'abord orienté sur la puberté, aborde également les relations entre filles et garçons, pour valoriser l'égalité, et permet aux garçons de prendre conscience de l'effet de certaines expressions dégradantes qu'ils emploient parfois à l'égard des filles .

Ce reportage souligne aussi l'importance de la participation de l'infirmière scolaire à ces séances. Les infirmières scolaires sont, en effet, c'est une évidence, particulièrement bien placées pour accueillir les jeunes filles en difficulté. Ce point conduit la délégation à rappeler la nécessité de donner à la médecine scolaire les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions , qui figure parmi les conclusions du rapport précité de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines.

La formation des personnels de l'Éducation nationale est par ailleurs considérée par les établissements scolaires ayant répondu à l'enquête du HCE comme « le principal facteur facilitateur ». Des ressources pédagogiques de qualité existent dans ce domaine. Certaines sont diffusées en ligne par l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) 139 ( * ) . D'autres outils concernent plus spécifiquement les questions d'égalité et de prévention des violences 140 ( * ) et méritent une large diffusion auprès des personnels concernés.

Ces ressources doivent donc être mieux connues et plus largement diffusées auprès de la communauté éducative.

b) L'enjeu : lutter contre l'influence auprès des jeunes de modèles de relations très inégalitaires diffusés en ligne et dont les filles sont les premières victimes

Comme l'ont souligné des témoignages rassemblés par L'Express en mai 2018 sur les « violences sexistes » subies par les filles dans les établissements scolaires 141 ( * ) , insultes et agressions sexuelles semblent le quotidien de nombreuses élèves, au point que la présidente de l'association Stop aux violences sexuelles affirme qu'elle « [peut] donner les tarifs exacts des fellations pratiquées dans les toilettes de certains établissements » 142 ( * ) . Selon les jeunes filles qui ont pris l'initiative du blocus du lycée Camille-Pissaro de Pontoise, le 21 décembre 2017 : « On a voulu crier notre ras-le-bol face aux agissements de certains garçons qui multipliaient les injures, les provocations, les mains aux fesses » 143 ( * ) .

Il y a donc urgence à développer une éducation à sexualité assortie d'une information sur l'égalité dans le cadre des établissements d'enseignement, dès le plus jeune âge : les enquêtes de terrain comme le reportage ci-dessus évoqué montrent qu'au lycée, il est déjà trop tard.

Faute d'une éducation à la sexualité adaptée aux besoins des jeunes, c'est donc la pornographie qui, avec les réseaux sociaux, accompagne leurs débuts dans la vie amoureuse. Tel est l'enjeu de l'éducation à la sexualité.

Les lacunes de cette politique publique conduisent en effet les jeunes à se tourner, à l'âge critique de l'entrée dans la vie amoureuse, vers les sources d'information qui leur sont accessibles pour trouver les réponses à leurs questions : Internet , plus particulièrement les réseaux sociaux, et la pornographie .

Or ces vecteurs favorisent la diffusion de représentations très stéréotypées, empreintes de fortes inégalités entre les sexes .

Les jeunes y sont confrontés à des messages diffusant un modèle de relations sexuelles à la fois violentes, fondées sur la domination masculine , et valorisant une logique de performance qui peut d'ailleurs déstabiliser autant les garçons que les filles. Ces contenus pérennisent aussi la conviction que les hommes ont des besoins sexuels irrépressibles , qu'il appartient aux femmes de satisfaire, et dont ils ne sont pas réellement responsables. On connaît les conséquences de cette approche sur la prostitution et les violences sexuelles. Le rapport précité du HCE relève que « la frontière entre sexualité et violence paraît très mince [pour] certains garçons » 144 ( * ) .

Quant aux jeunes filles, elles subissent sur les réseaux sociaux la « double injonction de devoir se montrer désirables mais ?respectables? », remarque le HCE.

Les deux captures d'écran ci-après, effectuées sur jeuvideo.com 145 ( * ) , illustrent clairement ces dangers : banalisation des violences sexuelles et dénigrement grossier des femmes .

Comme le faisait observer le 12 octobre 2017 le professeur Israël Nisand dans un entretien très éclairant, reproduit par France info : « Quand on demande aux jeunes pourquoi vous regardez autant de porno, ils nous répondent : "Pour voir ce que les meufs elles aiment" [...]. C'est une catastrophe ! [...] Les responsables [des établissements scolaires, ndlr] le savent : il se passe des choses dans les collèges en termes de sexe et de sexualité collective . Il y a des fellations dans les toilettes ! » 146 ( * ) . Le professeur Nisand en tirait la conséquence que l'éducation à la sexualité, dès l'âge de quatre ans, devait impérativement être effective, et qu'elle devait être conçue de manière à diffuser une culture d'égalité dans les établissements d'enseignement scolaire .

L'importance d'une application pleine et entière de cette obligation légale a été plus particulièrement mise en valeur par le Défenseur des Droits, qui a plaidé pour une mise en oeuvre obligatoire dans tous les établissements scolaires , dans le cadre d'une approche globale d'éducation à la sexualité permettant de lutter contre les stéréotypes . Cette recommandation figure à la fois dans l'avis qu'il a adressé à la délégation à la suite de son audition 147 ( * ) sur le harcèlement sexuel au travail, et dans son rapport d'activité 2017.

Dans le même esprit, le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, a jugé cruciale la prévention du sexisme, du harcèlement et de toutes les violences sexuelles par l'éducation . Elle a noté à cet égard la responsabilité des médias et des émissions de téléréalité, qui véhiculent des images dégradantes des femmes et une conception de leur rôle encourageant des rapports inégaux entre femmes et hommes. Cette préoccupation a également été relayée par les membres de la délégation le 19 avril 2018, au cours de l'audition de Sylvie Pierre-Brossolette sur l'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour promouvoir les droits des femmes 148 ( * ) .

3. Un impératif : revoir le cadre légal de l'éduction à la sexualité

Force est de constater que le cadre légal de l'éduction à la sexualité est devenu difficile à comprendre.

Les articles L. 312-16 à L. 312-17-2 du code de l'éducation, qui constituent un ensemble intitulé L'éducation à la santé et à la sexualité 149 ( * ) , prévoient en effet, outre les trois séances annuelles d'éducation à la sexualité :

- une information sur les conséquences de la consommation d'alcool par les femmes enceintes sur le développement du foetus dans les collèges et lycées ;

- une information sur la législation relative au don d'organes à fins de greffe réservée aux lycées et aux établissements d'enseignement supérieur.

De plus, l'article L. 312-16, dédié à l'éducation à la sexualité, comprend également, ce qui n'est pas très compréhensible, un « cours d'apprentissage sur les premiers gestes de secours ».

Par ailleurs, deux articles distincts portent sur des modules spécifiquement liées aux problématiques de l'égalité femmes-hommes :

- l'article L. 312-17-1 dispose que l'« information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité » ; le code ne mentionne pas de nombre de séances ni de classe précise, se bornant à indiquer que cette « information » est « dispensée à tous les stades de la scolarité » ;

- l'article L. 312-17-1-1 vise pour sa part une « information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps » , « dispensée dans les établissements secondaires ».

L'intérêt de lier éducation à la sexualité et sensibilisation à l'égalité , qui doivent être approchées conjointement, pose la question de la fusion des deux articles du code de l'éducation qui les définissent , a fortiori parce que ces modules sont les seuls qui concernent tous les stades de l'enseignement .

CODE DE L'ÉDUCATION
« L'ÉDUCATION À LA SANTÉ ET À LA SEXUALITÉ »

Article L. 312-16. - Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène. Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain. Elles peuvent associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire et des personnels des établissements mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2212-4 du code de la santé publique ainsi que d'autres intervenants extérieurs conformément à l'article 9 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement. Des élèves formés par un organisme agréé par le ministère de la santé peuvent également y être associés.

Un cours d'apprentissage sur les premiers gestes de secours est délivré aux élèves de collège et de lycée, selon des modalités définies par décret.

Article L. 312-17. - Une information est également délivrée sur les conséquences de la consommation d'alcool par les femmes enceintes sur le développement du foetus, notamment les atteintes du système nerveux central, dans les collèges et les lycées, à raison d'au moins une séance annuelle, par groupe d'âge homogène. Ces séances pourront associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire ainsi que d'autres intervenants extérieurs.

Article L. 312-17-1. - Une information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité. Les établissements scolaires, y compris les établissements français d'enseignement scolaire à l'étranger, peuvent s'associer à cette fin avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant l'égalité entre les hommes et les femmes et des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences .

Article L. 312-17-1-1. - Une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps est dispensée dans les établissements secondaires, par groupes d'âge homogène. La seconde phrase de l'article L. 312-17-1 du présent code est applicable.

Article L. 312-17-2. - Une information est dispensée dans les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sur la législation relative au don d'organes à fins de greffe et sur les moyens de faire connaître sa position de son vivant soit en s'inscrivant sur le registre national automatisé prévu à l'article L. 1232-1 du code de la santé publique, soit en informant ses proches. Ces séances peuvent associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire ainsi que des intervenants extérieurs, issus notamment des associations militant pour le don d'organes. De même, une sensibilisation au don du sang est dispensée dans les lycées et les établissements d'enseignement supérieur, au besoin avec l'assistance d'intervenants extérieurs.

Convaincue que la lutte contre les violences faites aux femmes passe avant tout par un effort de prévention , la délégation :

- souhaite que soient effectivement assurées, sur tout le territoire, les séances d'éducation à la sexualité prévues par le code de l'éducation ;

- recommande que l'égalité entre filles et garçons , entre femmes et hommes, qui en est indissociable, s oit intégrée aux séances d'éducation à la sexualité , afin qu'elles contribuent à la diffusion d'un modèle de société égalitaire auprès des jeunes ;

- appelle à une large diffusion des outils pédagogiques existants , afin de permettre à l'ensemble de la communauté éducative de s'approprier le contenu de cette information ;

- juge indispensable que l'éducation à la sexualité et à l'égalité fasse partie de la formation initiale des personnels éducatifs ;

- demande que l'obligation posée par le code de l'éducation soit rappelée à tous les chefs d'établissement , afin que ceux-ci mettent en oeuvre effectivement ces séances ;

- propose que l'éducation à la sexualité soit intégrée , dans ses deux dimensions (sexualité et égalité), aux formations dispensées aux personnels encadrant des dispositifs d'accueil pour jeunes mineurs , comme le BAFA.

Elle rappelle par ailleurs l' importance essentielle de la médecine scolaire et la nécessité de renforcer ses moyens par le recrutement d'infirmier-ères et de médecins scolaires, sur l'ensemble du territoire.

Elle préconise une nouvelle rédaction des articles du code de l'éducation concernant l'éducation à la sexualité et l' « information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes » , de manière à faire en sorte que la dimension de l'égalité soit indissociable de l'éducation à la sexualité.


* 116 Paye ton couple ; consultation le 26 mai 2018.

* 117 Paye ta blouse - témoignages de sexisme en milieu hospitalier ; consultation le 25 mai 2018.

* 118 Le Monde , « Paye ta fac : chronique du sexisme ordinaire en amphi », 9 janvier 2017.

* 119 http://payetontaf.tumblr.com/page/15 ; consultation le 25 mai 2018.

* 120 Le sexisme au travail, fin de la loi du silence ?, Belin, collection Égale à Égal, 2017.

* 121 Compte rendu de l'audition de Brigitte Grésy par la délégation, le 7 décembre 2017.

* 122 Le Centre Hubertine Auclert ou Centre francilien pour l'égalité femmes-hommes, organisme associé à la région Ile de France, a pour objectifs la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences faites aux femmes, à travers l'Observatoire régionale des violences faites aux femmes.

* 123 Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 21 décembre 2017.

* 124 Refuser l'oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l'École , Rapport au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, 12 avril 2011.

* 125 « 94 % des collégiens déclarent se sentir bien au collège », Note d'information de la DEPP, n° 17, 30, décembre 2017.

* 126 Citée par Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 21 décembre 2017.

* 127 Citée par Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 21 décembre 2017.

* 128 « L'oppression viriliste et la violence scolaire », entretien avec Eric Debarbieux, 1 er juin 2018, http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/06/01062018Article636634382892805737.aspx

* 129 Le Monde , Mattea Battaglia, « Violences sexistes à l'école : les garçons aussi victimes », 2 juin 2018.

* 130 Le Monde , Mattea Battaglia, « Violences sexistes à l'école : les garçons aussi victimes », 2 juin 2018.

* 131 Prostitution : la plus vieille violence du monde faite aux femmes, rapport d'information de Brigitte Gonthier-Maurin, n° 590 (2013-2014) ; Lutter contre les stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires : faire de l'école un creuset de l'égalité, rapport d'information n° 645 (2013-2014) de Roland Courteau ; Jouets : la première initiation à l'égalité, rapport d'information n° 183 (2014-2015) de Chantal Jouanno et Roland Courteau.

* 132 Il s'agit de la recommandation n° 3 de ce rapport, (p. 63).

* 133 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

* 134 Les dispositions de la loi de 2001 ont été précisées dans une circulaire de 2003.

* 135 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

* 136 HCE, Rapport relatif à l'éducation à la sexualité. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d'égalité femmes/hommes , rapport publié le 13 juin 2016.

* 137 1 001 écoles élémentaires, 1 300 collèges et 695 lycées.

* 138 https://www.lexpress.fr/education/poils-regles-amour-une-seance-d-education-sexuelle-avec-des-collegiens_1963446.html

* 139 Voir par exemple www.filsantejeunes.com : ce site de l'INPES et de la Direction générale de la cohésion sociale permet aux jeunes de discuter en direct par mail, chat et forums avec des professionnels qui répondent à leurs questions .

* 140 Le guide Comportements sexistes et violences sexuelles : prévenir, repérer, agir , élaboré avec le Service des droits des femmes, a été actualisé pour la Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre 2014. L'objectif est d'aider la communauté éducative à agir efficacement face aux situations liées à des comportements sexistes et à des violences à caractère sexuel et à leurs conséquences. Il propose des éléments de définition, des rappels d'ordre juridique, des ressources et des adresses utiles. Il est téléchargeable sur : http://bit.ly/23YwybK.

* 141 L'Express , « Sexisme à l'école, silence dans les rangs », 7 mai 2018.

* 142 https://www.lexpress.fr/education/sexisme-a-l-ecole-le-grand-tabou_2005156.html

* 143 https://www.lexpress.fr/education/sexisme-a-l-ecole-le-grand-tabou_2005156.html

* 144 p. 36.

* 145 Jeuvideo.com, Forum 18 25 ans, capture effectuée le mardi 5 décembre 2017 à 18h59.

* 146 https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/bas-rhin/strasbourg-0/israel-nisand-il-faut-enseigner-vie-sexuelle-4-ans-ecole-loi-prevoit-1345987.html

* 147 Voir l'avis du Défenseur des Droits annexé au présent rapport.

* 148 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180416/femmes.html . Cette réunion était co-présidée par Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, et Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes.

* 149 Section 9 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l'éducation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page