E. LE DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE DE LA SÉCURITÉ ET DE LA PRÉVENTION DE LA RADICALISATION

La lutte contre le terrorisme ne saurait se limiter à des réponses en réaction à des attentats ni à des mesures répressives. Elle doit aussi s'accompagner, pour être complète, d'une politique de prévention qui vise à la fois une meilleure connaissance des risques en termes de sécurité et la déconstruction de la radicalisation.

1. La diffusion d'une culture de la sécurité

La nécessaire vigilance dans un contexte marqué par un risque terroriste élevé requiert d'être mieux informé et conscient des dangers encourus, plus particulièrement dans certains secteurs stratégiques de la société.

a) VIGIPIRATE, définition de la stratégie de sécurité profondément modifiée à la suite des attentats

En 1978 est instauré un dispositif centralisé d'alerte permettant la mise en garde rapide des autorités administratives, des chefs d'établissements scolaires publics et privés, ainsi que la mise en oeuvre de mesures de vigilance appropriées. Le premier plan PIRATE est élaboré en 1991. En 1995, le plan gouvernemental VIGIPRATE est instauré. Il sera actualisé à plusieurs reprises, notamment en 2014 et 2016. Il repose sur trois piliers :

- la vigilance , liée à la connaissance de la menace terroriste et à sa juste prise en compte afin d'ajuster les comportements de chacun et les mesures de protection ;

- la prévention , s'appuyant sur la sensibilisation des agents de l'État, des opérateurs et des citoyens à la menace terroriste, sur leur connaissance de l'organisation du dispositif national et sur la bonne préparation des moyens de protection et de réponse ;

- la protection reposant sur un large éventail de mesures qui doivent pouvoir s'adapter en permanence à la situation afin de réduire les vulnérabilités sans induire de contraintes disproportionnées sur la vie économique et sociale de la Nation.

PLAN VIGIPIRATE

Le plan VIGIPIRATE est constitué d'un ensemble de documents qui s'adressent à différents acteurs. Il se décline en une partie publique et une partie classifiée « confidentiel défense ».

Contrairement à d'autres plans, VIGIPIRATE est permanent. Afin de s'adapter de façon continue à la situation, des directives, appelées Postures VIGIPIRATE, préparées par le SGDSN, sont diffusées régulièrement aux ministères et aux préfets. Une posture VIGIPIRATE comprend le niveau VIGIPIRATE, les objectifs de sécurité retenus, les mesures actives ainsi que des éléments de communication gouvernementale. Elle précise les mesures socles et mentionne les mesures additionnelles décidées avec, éventuellement, des précisions sur leur cadre et leurs modalités d'application, ainsi que la durée de leur mise en oeuvre.

Source : Faire Face ensemble, Plan VIGIPIRATE, édition décembre 2016.

La vague d'attentats qui a touché notre pays a conduit à une profonde redéfinition de ce plan . En effet, la dernière revue stratégique de défense et de sécurité nationale datant de février 2017 fait référence, de manière explicite, à « la gravité inédite de la menace représentée par un terrorisme djihadiste militarisé, frappant directement les sociétés occidentales », « doublée d'une menace persistante d'attentats inspirés, plus rudimentaires et imprévisibles » 117 ( * ) .

• L'évolution du plan VIGIPIRATE et des plans de réaction

Face à une menace terroriste qui s'installe dans notre pays, il est nécessaire de diffuser auprès de l'ensemble de la population et des acteurs une culture du risque . Dans ce cadre, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a procédé à la révision de plusieurs plans d'action.

Le plan VIGIPIRATE a connu de profonds remaniements, validés lors du Conseil de défense du 30 novembre 2016 . Comprenant 300 mesures s'appliquant à 13 grands domaines d'action , il repose sur trois principes majeurs :

- le développement d'une culture de la sécurité individuelle et collective élargie à l'ensemble de la population. À cet effet, un guide intitulé Faire face ensemble a été diffusé afin de renforcer la vigilance, mais également de faire connaître les bonnes réactions individuelles et collectives à avoir. Plusieurs guides ont été élaborés à ce titre, par exemple le guide à destination des organisateurs de rassemblements et festivals culturels, celui à destination des dirigeants d'établissements culturels patrimoniaux ou encore celui à destination des personnels des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux ;

- la création de niveaux VIGIPIRATE mieux adaptés à la menace actuelle. Un niveau « urgence attentat » a vu le jour. Il permet de procéder à la fermeture de certaines routes et de transports publics comme le métro, ou de procéder à l'arrêt du ramassage scolaire. Ce niveau correspond à une situation de crise. Il peut être déclenché ponctuellement juste après un attentat, en cas de risque d'attentat imminent ;

- la mise en oeuvre de nouvelles mesures concrètes, issues notamment des évolutions législatives intervenues depuis 2015.

LES QUATRE NIVEAUX DE MENACE EXISTANT EN BELGIQUE

Lors de son déplacement à Bruxelles, une délégation de votre commission d'enquête a rencontré des représentants de l'OCAM (organe de coordination pour l'analyse de la menace).

Il existe en Belgique quatre niveaux de menace, auxquels correspond une série de mesures :

- niveau 1 : la menace est faible et improbable ;

- niveau 2 : la menace est moyenne et peu probable ;

- niveau 3 : la menace est grave et possible et probable ;

- niveau 4 : la menace est très grave est imminente. Le niveau 4 avait été notamment activé en Belgique du 21 au 26 novembre 2015. Il avait conduit à la fermeture du métro et des écoles pendant plusieurs jours.

Début janvier 2018, l'OCAM, après consultation de l'ensemble de ses partenaires a pris la décision de faire baisser le niveau de menace de 3 à 2. Les personnes rencontrées à Bruxelles ont expliqué que cette décision avait été prise, non sans difficultés, par le Premier ministre. Toutefois, un certain nombre de lieux sensibles sont restés en niveau 3. En outre, sur son site Internet, le centre de crise belge rappelle que « le risque existe toujours, même en cas de baisse du niveau de la menace. Les autorités, les partenaires privés et la population sont encouragés à participer au développement d'une « culture de sécurité » et ainsi faire preuve de résilience face aux risques présents au sein de notre société ». D'ailleurs, les personnes rencontrées en Belgique ont indiqué que la culture de la sécurité a beaucoup changé aujourd'hui, y compris en termes d'éducation à la sécurité au sein de la population.

Interrogé par votre commission d'enquête, le SGDSN a présenté plusieurs actions mises en place afin de diffuser cette culture de sécurité. C'est notamment le cas du dialogue national de sécurité , instauré entre les responsables professionnels de secteur d'activité et les pouvoirs publics. Il prend la forme d'un échange thématique afin de connaître les attentes de chacun, les initiatives des pouvoirs publics, mais aussi les bonnes pratiques des professionnels. Une première session de ce dialogue s'est tenue le 4 décembre 2017 avec les représentants des centres commerciaux. Le 3 mai dernier a été organisé une session avec les organisateurs d'événements et de festivals culturels dans la perspective de la saison estivale, riche en de tels évènements.

Par ailleurs, d'autres plans, dits de la famille PIRATE, ont été actualisés. Contrairement au plan VIGIPIRATE, ils n'ont vocation à être déclenchés qu'en cas d'attaques.

LES PLANS DE LA FAMILLE PIRATE

PIRANET : il est déclenché en cas de crise majeure d'origine informatique. Le plan est préparé et maintenu par le SGDSN et l'ANSSI. Le premier plan Piranet a été créé en 2002, peu après les attentats du 11 septembre 2001. Outre les services de l'État, des opérateurs d'importance vitale des secteurs de la santé, des transports et des communications électroniques ont été associés à cet exercice. Il vise à mettre en oeuvre un dispositif d'alerte et d'intervention ; à confiner les attaques et à remettre en réseau les services, à prévenir les secteurs non touchés et leur recommander les postures à tenir. Il a été révisé en 2017.

PIRATE-MER : il permet d'intervenir contre le terrorisme et la piraterie maritime et plus généralement contre tout acte de malveillance en mer pouvant être associé à une prise d'otages. Il a fait l'objet d'une révision en 2017.

PIRATAIR-INTRUSAIR : il vise à contrer des actes illicites avérés ou imminents en matière de sûreté aérienne (Piratair) et de souveraineté aérienne (Intrusair).

PIRATE MOBILITÉS TERRESTRE : il a succédé en 2018 au plan MÉTRO-PIRATE, en élargissant sa portée à l'ensemble des modes de transport terrestres et de leurs infrastructures.

Plans NRBC : ce plan vise à se prémunir contre une menace nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique.

Source : Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

Au-delà de ces plans, un certain nombre d'actions sont coordonnées par le SGDSN. Ainsi, une commission interministérielle de sûreté des transports terrestres a été créée, sur le modèle de ce qui existe dans le transport aérien. La commission interministérielle de la sûreté aérienne se réunit deux fois par an. En 2017, elle a notamment travaillé sur la question de l'utilisation malveillante de drones, ou encore celles de menaces de missiles sol-air.

En effet, les événements ont malheureusement démontré la sensibilité du secteur des transports en matière de terrorisme : ces derniers peuvent être des cibles (attentat avorté du Thalys à l'été 2015, attentats coordonnés à l'aéroport et dans le métro de Bruxelles en mars 2016, attentat du métro de Saint-Pétersbourg en avril 2016, etc.), mais sont également des moyens utilisés par les terroristes pour se déplacer. C'est la raison pour laquelle un plan d'action interministériel pour le renforcement de la sécurité dans les transports a été élaboré en janvier 2017 , se déclinant en 52 actions transversales ou propres à chaque mode de transport.

Enfin, en matière de risque NRBC , dans le cadre du contrat général interministériel fixant pour la période 2015-2019 les capacités critiques des ministères civils et le niveau d'engagement de ceux-ci dans la réponse aux crises majeures, un abondement de 4,4 millions d'euros en 2016 et de 4 millions d'euros en 2017 a été décidé pour permettre l'achat d'équipements : tenues d'instruction, masques de protection, moyens d'analyse et de lutte NRBC, etc. 118 ( * ) .

Afin de s'assurer de l'effectivité des plans d'action préparés, de leur connaissance par les différents acteurs, mais aussi pour tester leur efficacité, le SGDSN conduit des formations et des entraînements et organise chaque année deux à trois exercices majeurs. Ces derniers impliquent à la fois les ministères, la cellule de crise, l'administration déconcentrée, mais aussi les acteurs locaux : collectivités territoriales, certains grands opérateurs en fonction du thème choisi, etc.

EXEMPLES D'EXERCICES MAJEURS

METROPIRATE : organisation d'un exercice en janvier 2018, simulant une série d'attaques terroristes dans des transports terrestres. Cet exercice avait notamment pour but de tester la version provisoire du nouveau plan PIRATE MOBILITÉS TERRESTRE.

VIGIPIRATE : en avril 2018, simulation d'une attaque coordonnée sur plusieurs points du territoire national.

Un exercice devrait avoir lieu dans le dernier semestre 2018 pour tester le plan PIRATAIR-INTRUSAIR.

Des exercices sont également organisés à l'échelle locale : en juin 2017, un exercice de sécurité dans un centre commercial a été organisé par la préfecture du Rhône. De même, en mai 2017, un exercice NRBC a été organisé à l'École nationale de police de Roubaix, dans le cadre du cinquième entraînement interministériel NRBCE.

Source : Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

Votre commission d'enquête a été informée d'une réelle prise de conscience, y compris dans des ministères qui ne disposaient pas auparavant d'une réelle culture de sécurité . Les efforts du ministre de la santé , en ce qui concerne les hôpitaux, ou de celui de l'éducation nationale , pour les établissements scolaires méritent plus particulièrement d'être soulignés . Des progrès doivent toutefois encore être faits, notamment à l'université (voir infra ).

b) Un modèle à réinventer pour le déploiement des forces de protection

Si votre commission d'enquête s'est concentrée, au cours de ses auditions, sur les moyens dont disposent les services de l'État, notamment du renseignement, de la justice et de l'administration pénitentiaire pour faire face à la menace terroriste, il lui semble important de rappeler les travaux réalisés par d'autres organes du Sénat sur l'opération Sentinelle.

D ' abord pensée comme une réponse transitoire d'urgence en janvier 2015 et de soutien aux 1 000 militaires déployés dans le cadre de VIGIPIRATE, l'opération Sentinelle est aujourd'hui devenue pérenne . Votre commission d'enquête estime ainsi qu'elle doit disposer des moyens nécessaires pour effectuer ses missions .

• L'opération Sentinelle, réponse sans précédent à des événements majeurs sur le territoire français

À la suite des attentats de janvier 2015, le Président de la République avait annoncé la mobilisation de 10 000 militaires afin de sécuriser un certain nombre de lieux sensibles. Cette opération entraîne un changement majeur d'échelle de la présence de forces de sécurité sur le territoire français. Par comparaison, en janvier 2015, dans le cadre du plan Vigipirate , un millier d'hommes étaient déployés 119 ( * ) .

Ce déploiement représente une mobilisation sans précédent des armées sur le territoire français. En effet, compte tenu des systèmes de relève, la présence effective de 7 000 personnes par jour sur le terrain nécessite une mobilisation du triple, soit 21 000 personnes au sein de la force opérationnelle terrestre. Fin 2015, ce sont ainsi près de 70 000 soldats qui ont été engagés au moins une fois dans l'opération Sentinelle 120 ( * ) .

Le déploiement initial de 10 500 soldats s'est fait de manière très rapide - en trois jours - soulignant la très forte capacité de réaction des forces de sécurité et le bon fonctionnement de la chaîne opérationnelle.

En 2015, l'opération sentinelle a coûté 176,1 millions d'euros, non seulement au titre de la rémunération des soldats, mais aussi en appui et matériel. En outre, il est à noter que cette forte mobilisation a conduit à la réduction de certaines activités d'entraînement, par réaffectation de ces jours prévus pour des missions liées à Sentinelle.

Évolution du coût de l'opération Sentinelle - action 7 du programme budgétaire 178 intitulée « Surcoûts liés aux opérations intérieures » :

2015

176,1 millions d'euros

2016

181,8 millions d'euros

2017

161,9 millions d'euros

Par comparaison, le montant du surcoût lié aux missions intérieures est de 9,1 millions d'euros pour VIGIPIRATE en 2012, 7,8 millions d'euros pour 2013 et 11,5 millions d'euros pour 2014.

Source : Rapport (n° 110 ; 2017-2018) précité.

En mars 2016, 1 300 sites sensibles étaient identifiés comme prioritaires et faisaient l'objet d'une protection, sous des formes allant de la garde statique et permanente à des patrouilles aléatoires.

À la suite de l'annonce du Président de la République en juillet 2017, l'opération Sentinelle a fait l'objet d'une refonte visant à l'inscrire dans le temps. Si 7 000 personnes par jour seront toujours présentes sur le territoire, leur action s'articule désormais selon trois niveaux :

- un niveau socle pour la surveillance des sites les plus sensibles (dispositif opérationnel permanent) ;

- un renfort pour des événements particuliers connus à l'avance : événements culturels, rencontres sportifs, fêtes, etc.(capacité de renforcement planifié) ;

- une réserve stratégique de 3 000 personnes qui pourra être engagée sur décision du Président de la République pour faire face à un événement d'ampleur exceptionnel.

Cette nouvelle organisation vise à rendre plus effective une opération qui commençait à s'essouffler et à peser très lourdement sur les forces de sécurité. Toutefois, la pérennisation de cette dernière nécessite de disposer de moyens d'hébergement adaptés pour les soldats en mission sur le territoire français.

Une réserve opérationnelle difficile à faire monter en puissance

Afin de disposer de forces mobilisables sur les territoires en déchargeant l'armée, le ministre des affaires étrangères a souhaité, en juin 2015, développer la réserve opérationnelle . Aussi, dans le cadre de l'actualisation de loi de programmation militaire pour les années 2015-2019 121 ( * ) , un budget de 75 millions d'euros a été prévu pour les périodes 2016-2019. En outre, l'article 18 de cette loi a pour but de favoriser le développement de cette dernière.

LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE

La réserve opérationnelle, consacrée par la loi du 22 octobre 1999 suspendant le service national, est composée de deux niveaux : la réserve opérationnelle de 1er niveau (RO1), composée de volontaires sous engagement ; et la réserve opérationnelle de niveau 2 (RO2), qui est une réserve de disponibilité obligatoire pour tous les anciens militaires, tenus à une obligation de disponibilité, pendant les cinq ans suivant la cessation de leur état militaire.

En application des articles L. 4422-1 et suivants du code de la défense, l'engagement en RO1 est de 5 ans renouvelables. Le réserviste « peut, à ce titre, être considéré comme un « militaire à temps partiel », formé et entraîné, qui contribue à la réalisation des missions des forces armées dans les mêmes conditions de statut et d'emploi que le militaire d'active » 122 ( * ) :

La durée des activités effectuées au titre de la réserve opérationnelle est de 30 jours maximum par année civile. Toutefois, cette durée peut être portée à 60 jours, « pour répondre aux besoins des armées », voire de 150 jours « en cas de nécessité liée à l'emploi des forces » ou même de 210 jours « pour les emplois présentant un intérêt de portée nationale ou internationale » (article L. 4221-6 du code de la défense).

Ces activités et leurs périodes d'exercice sont déterminées par entente directe entre l'autorité militaire d'emploi et chaque réserviste, de manière prévisionnelle.

La loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense a assoupli les conditions de recours à la réserve opérationnelle de niveau 1.

Le ministère de la défense (de l'armée pour la réserve de la gendarmerie) peut, en cas de crise menaçant la sécurité nationale, et pour une durée fixé par arrêté :

- réduire le préavis que doit respecter le réserviste salarié pour prévenir son employeur de son absence pour activités dans la réserve : il passe d'un mois à 15 jours pour le régime des réservistes de droit commun, et de 15 à 5 jours pour ceux ayant signé une clause de réactivité ;

- augmenter le nombre de jours d'activité que peut effectuer un réserviste sur son temps de travail, sans avoir besoin de l'autorisation de son employeur : cette durée passe de 5 à 10 jours.

Toutefois, les salariés d'opérateurs ou d'établissements d'importance vitale « en cas de nécessité inhérente à la poursuite de la production de biens ou de services ou à la continuité du service public », peuvent être dégagés de leurs obligations au titre des aménagements du régime des réservistes salariés pour cause de crise menaçant la sécurité nationale.

Ces dispositions de l'article L. 4221-4-1 du code de la défense ont été utilisées une fois, entre le 4 janvier et le 26 février 2016.

La réserve opérationnelle a toutefois été pendant longtemps considérée comme « un dossier de second rang, et régulièrement utilisée comme une variable d'ajustement budgétaire pour la défense » 123 ( * ) . Ainsi, bien loin de l'objectif de 40 500 réservistes à l'horizon 2015, prévu par la loi de programmation militaire pour 2009-2014, le nombre de réservistes fin 2014 s'établissait à 27 674 réservistes à la fin de 2014, soit seulement 68,6 % de la cible. De manière encore plus marquante, les effectifs ont baissé depuis 2008, où l'on comptait 33 753 réservistes).

Face au constat d'un contexte de suractivité des personnels militaires, du fait de la mise en place, puis de la pérennisation du plan Sentinelle, les pouvoirs publics ont souhaité donner plus de place à la réserve opérationnelle. Outre, un assouplissement des conditions de recours , comme indiqué ci-dessus , le budget consacré a également fortement augmenté : + 14,4 millions d'euros en 2016 et + 17 millions d'euros en 2017 pour atteindre 113,2 millions d'euros 124 ( * ) .

Un plan « Réserve 2019 » a également été élaboré afin d'atteindre l'objectif des 40 000 réservistes opérationnels, d'une part, en dynamisant les recrutements au sein de la société civile, d'autre part, en fidélisant les réservistes formés.

En effet, comme le souligne le rapport de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi relatif à la loi de programmation militaires pour les années 2019-2025 l'augmentation du nombre de réservistes est fortement corrélée aux crédits dédiés à cette dernière :

Années

Effectifs

Crédits T2

Millions €

Années

Effectifs

(prévision)

Crédits T2

Millions €

(prévision)

2013

27 595

71,01

2019

40 173

153,1

2014

27 674

71,1

2020

40 173

153,1

2015

27 999

81,9

2021

40 173

153,1

2016

32 208

101,0

2022

40 173

153,1

2017

35 940

137,5

2023

40 173

153,1

2018

40,173

153,1

2024

40 173

153,1

2025

40 173

153,1

T2 : dépenses de personnel ; source : Rapport (n° 476 ; 2017-2018) de M. Christian Cambon, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

En 2015, en totalisant 784 044 jours d'activité dans l'année, la réserve opérationnelle des armées présentait un taux moyen d'activité par réserviste de 27,9 jours, soit une progression de 15,9 % par rapport au taux enregistré en 2014 (moins de 24,1 jours) et une atteinte à 93 % de la cible 125 ( * ) .

La loi de programmation militaire pour 2019-2025 vise à augmenter ce taux moyen d'activité en portant le nombre de jours d'activité par réserviste et par an à 37, contre 30 jours prévus par la loi de programmation militaire 2014-2019.

Au final, l'objectif est de pouvoir mobiliser 4 000 réservistes par jour dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE
POUR LES ANNÉES 2019-2020 EN FAVEUR DE LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE

Le texte, actuellement en cours d'examen, contient plusieurs dispositions visant à promouvoir la réserve opérationnelle :

- l'augmentation du plafond légal de durée annelle d'activité dans la réserve de 30 à 60 jours ;

- l'assouplissement des conditions d'avancement des réservistes dans certains corps ;

- l'augmentation de la limite d'âge de certains réservistes ;

- l'amélioration de la protection sociale des réservistes ;

- la possibilité de bénéficier d'une autorisation d'absence de huit jours par année civile au titre des activités de réserve. Cependant, pour les entreprises de moins de deux cent cinquante salariés, l'employeur peut décider, afin de conserver le bon fonctionnement de l'entreprise, de limiter ce temps à cinq jours.

En outre, sur proposition de notre collègue Hugues Saury, le Sénat a voté la possibilité pour les salariés de céder, sous réserve de l'accord de leur employeur, des jours de repos non pris à un autre salarié de l'entreprise afin qu'il puisse effectuer une période d'activité dans la réserve opérationnelle.

Par décret du 13 octobre 2016 126 ( * ) , l'ensemble des réserves opérationnelles de premier niveau des armées, de la gendarmerie nationale et de la réserve civile de la police nationale sont regroupées au sein de la Garde nationale. Cette dernière concourt « à la défense de la patrie et à la sécurité de la population et du territoire ».

c) Une diffusion progressive d'une culture du risque au sein de la société, qui reste cependant perfectible

• Une forte mobilisation pour la sécurisation des écoles

À la suite des attentats de novembre 2015, plusieurs instructions ont été envoyées aux chefs d'établissements scolaires précisant les mesures de sécurité à mettre en oeuvre dans les écoles et établissements scolaires.

La circulaire du 25 novembre 2015 127 ( * ) a notamment prévu la réalisation d'un plan particulier de mise en sûreté (PPMS) face aux risques majeurs, adapté à la situation précise de chaque école et de chaque établissement, qui doit permettre la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde des élèves et des personnels en attendant l'arrivée des secours ou le retour à une situation normale.

L'instruction du 22 décembre 2015 128 ( * ) , invite à un renforcement immédiat de la coordination entre les forces de sécurité intérieure et la communauté éducative : « Pour ce faire, le réseau local des correspondants « Police & Gendarmerie - Sécurité de l'école » affectés dans les brigades de gendarmerie ou dans les commissariats de police doit être dynamisé, notamment par la désignation systématique de suppléants et l'organisation régulière d'échanges entre les correspondants et les directeurs d'école ou chefs d'établissement, selon des modalités fixées localement ». En outre, un répertoire partagé des coordonnées téléphoniques et des adresses électroniques de chacun des interlocuteurs doit être élaboré. Enfin, l'instruction du 29 juillet 2016 129 ( * ) prévoit la réalisation d'un exercice attentat-intrusion au cours du premier trimestre de l'année scolaire 2016-2017.

INSTRUCTION DU 12 AVRIL 2017 RELATIVE AU RENFORCEMENT DES MESURES
DE SÉCURITÉ ET DE GESTION DE CRISE APPLICABLES
DANS LES ÉCOLES ET LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

Cette instruction fusionne les trois instructions mentionnées ci-dessus et relatives à l'anticipation d'attaques terroristes dans l'enceinte ou à proximité des écoles et établissements scolaires. Elle poursuit quatre objectifs :

- renforcer « une approche partenariale associant les structures relevant de l'éducation nationale (écoles et établissements scolaires, directions départementales, académies), les services en charge de la sécurité placés sous l'autorité du préfet et les collectivités gestionnaires des établissements » ;

- identifier les vulnérabilités de l'établissement et les règles de conduite ;

- développer les bons réflexes auprès des adultes présents en temps scolaire mais aussi périscolaire : « Au sein de l'établissement, chaque adulte acquiert à l'état de réflexe deux ou trois actions prédéfinies qu'il aurait à mettre en oeuvre en cas de nécessité ». En outre, « dans les écoles primaires, une attention particulière est portée à la cohérence entre les procédures prévues pendant les temps scolaires, qui relèvent de l'éducation nationale, et les temps périscolaires, qui relèvent de la commune ou de l'EPCI » ;

- organiser au moins un exercice attentat-intrusion par an, l'exercice devant se dérouler « sans effet de surprise et sans mise en scène exagérément réaliste ».

Enfin, la circulaire rappelle l'existence du fonds interministériel de prévention de la délinquance pour permettre la réalisation de travaux urgents de sécurisation, dont la nécessité a notamment été mise en évidence par le PPMS « attentat-intrusion ».

Le ministère de l'éducation nationale a chargé, en 2016, l'Inspection générale de l'administration et l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche d'un rapport sur les procédures de gestion de crise et sécurisation des établissements d'enseignement face à la menace terroriste.

Ce rapport 130 ( * ) , rendu en février 2017, fait ressortir trois faiblesses majeures, notamment :

- l'enseignement primaire, du fait de son public, de son statut et de ses rythmes, est le niveau le plus démuni face à ces nouveaux enjeux. Un guide « la sécurité à l'école » comprenant une annexe sur « les spécificités liées aux élèves les plus jeunes » a été diffusé ;

- l'enseignement privé sous contrat est très en retard dans la mise en place de mesures de lutte contre le risque terroriste. Interrogé, le ministère de l'éducation nationale a indiqué qu'il communiquait l'ensemble des instructions aux têtes de réseau de l'enseignement privé et ce thème fait partie des points de dialogue principaux. Toutefois, il ne dispose d'aucune remontée précise sur ce qui est concrètement fait dans ces établissements.

Un autre point de difficulté concerne l'accès physique des établissements scolaires.

La sécurisation de l'accès physique des établissements scolaires renvoie aux compétences partagées entre le ministère de l'éducation nationale 131 ( * ) , et les collectivités territoriales, propriétaires du bâti et responsable de l'entretien et de la maintenance des locaux. En septembre 2016, un abondement exceptionnel du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, à hauteur de 50 millions d'euros, a été décidé. Il devait permettre « aux collectivités territoriales et associations ou aux organismes gestionnaires des établissements privés sous contrat [de réaliser] des travaux urgents de sécurisation indispensables à la lumière de mise en sécurité et/ou de diagnostics de sécurité » 132 ( * ) .

Selon le ministère de l'éducation nationale, il n'est pas possible d'avoir un cahier des charges standardisé. Il n'existe ainsi pas à ce jour de critères nationaux pour le déploiement des systèmes de vidéo-protection. De même, le recours à la vidéo-surveillance est difficilement envisageable, non seulement en raison du coût 133 ( * ) , mais aussi parce que son efficacité réelle face à des menaces de type attentat-intrusion reste à démontrer.

EXEMPLES D'ACTIONS DE SÉCURISATION DE L'ACCÈS PHYSIQUE
À DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES MISES EN PLACE, HORS VIDÉO-PROTECTION

Attribution d'une carte d'identité scolaire standard et présentation à un agent posté à l'entrée.

Attribution d'un badge magnétique et filtre par portique automatique, ou tourniquet.

Règlement intérieur prévoyant l'interdiction de stationnement et de regroupement d'élèves devant l'établissement ou aux abords immédiats, entrées possibles uniquement à heure fixe.

Règlement intérieur prévoyant l'accueil permanent des élèves à n'importe quelle heure sur les horaires scolaires, à partir de 7h30.

Mise en place de sas piétons et de sas voitures.

Une région a fait une demande au ministre pour l'utilisation de la reconnaissance faciale dans un lycée.

Source : Ministère de l'Éducation nationale.

L'enjeu est donc de faire acquérir aux personnels, mais aussi aux élèves et aux parents une culture de la sécurité.

Dans ce contexte, le ministère de l'éducation nationale a décidé, à partir de l'année scolaire 2016-2017, de l'organisation d'un exercice annuel « intrusion-attentat ». Une enquête menée par le ministère, et transmise à votre commission d'enquête, indique un excellent taux de réalisation de cet exercice dans les académies les plus peuplées ou les plus exposées à ce risque : Créteil, Versailles, Aix, Nice, Toulouse. Il est d'ailleurs de 100 % dans l'académie de Créteil.

LES PREMIÈRES CONSTATATIONS DES ACTIONS MENÉES DANS LES ÉCOLES

Sur la totalité de l'année scolaire 2016-2017, 90 % des écoles et établissements publics et 60 % des établissements privés sous contrat avaient réalisé un exercice attentat-intrusion.

90 % des écoles et établissements publics disposent d'un correspondant « police/gendarmerie-sécurité de l'école » et d'un suppléant.

Le partage des répertoires et coordonnées téléphoniques est assuré dans environ 80 % des écoles et établissements publics.

Source : Ministère de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur.

De manière générale, on constate une forte mobilisation du ministère de l'éducation nationale , alors même qu'avant la survenance des attentats, ce dernier était peu sensibilisé aux problématiques de sécurité. Ainsi, un livret relatif à la sécurité à l'école a été édité, avec une attention particulière concernant les jeunes enfants. En outre, un vaste programme de formation a été conçu en partenariat avec la gendarmerie. Les efforts entrepris doivent ainsi être salués, mais doivent être poursuivis.

Une coopération et une bonne coordination entre l'ensemble des acteurs de la sécurité à l'école est essentielle : les collectivités territoriales, mais aussi les intervenants dans le cadre du temps périscolaires doivent être acteurs de la sécurisation de l'écol e. Dès lors, tout nouvel intervenant doit être informé des mesures à prendre et des conduites à tenir.

En outre, il est impératif de veiller à la mise à jour régulière et au partage des annuaires rassemblant les coordonnées des personnes intervenant en cas de problème . Par ailleurs, l'ensemble des plans de mise en sécurité doivent être mis à disposition en un lieu unique . Enfin, le ministère de l'éducation nationale travaille actuellement à la transmission systématique des plans des locaux aux forces de l'ordre et aux services préfectoraux. Votre commission d'enquête ne peut qu'encourager cette démarche.

La sécurisation des universités confrontée au problème de leur autonomie

La troisième faiblesse en termes de gestion de crise et de sécurisation des établissements d'enseignement relevée par le rapport commun Inspection générale de l'administration/Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche concerne l'autonomie de l'enseignement supérieur, ainsi que les spécificités propres à ces établissements. L'accès y est libre, de nombreux vacataires sont présents, il est difficile de connaître le nombre de personnes présentes sur le campus à un instant t, etc.

Comme il a été indiqué à votre commission d'enquête par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ces établissements ont été conçus comme des lieux ouverts sur l'extérieur et comprenant parfois de vastes campus. Ainsi toute véritable action de sécurisation nécessiterait-elle de déployer des moyens considérables, mais dont ne disposent ni le ministère, ni les universités, malgré le caractère prioritaire de cet enjeu . En outre, toute action du ministère doit se faire dans les limites de ses prérogatives, et le respect de l'autonomie des universités. Ainsi, toute déclinaison opérationnelle des actions à prendre ne relève plus de la seule compétence du ministère.

Un certain nombre de mesures ont toutefois été prises, en termes d'accompagnement, de sensibilisation et de formation . Ainsi, depuis novembre 2016, l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur ont été formés à la gestion des crises. En 2018, le public de ces formations sera élargi aux directeurs de composantes ou de laboratoires. En outre, une attention toute particulière est portée aux directeurs généraux des services des établissements d'enseignement supérieur. Désormais, une séquence consacrée à la gestion de crise est intégrée dans le module de formation des nouveaux directeurs généraux des services. Un cahier des charges regroupant les besoins, les spécificités et les retours d'expérience des établissements supérieurs est en cours d'élaboration. Il en est de même pour la formation des fonctionnaires « sécurité défense ».

Ces formations sont particulièrement importantes. Ainsi, le rapport IGA/IGAENR estime que ces dernières, en ayant été suivies par un millier de personnes , permettent de développer une culture de vigilance et de sûreté dans l'enseignement supérieur. Il est ainsi essentiel de former l'ensemble des personnes clefs, ou référentes, qui pourront par la suite diffuser les bonnes pratiques dans les universités , afin d'avoir un effet démultiplicateur de ces formations.

Toutefois, plusieurs personnes auditionnées par votre commission d'enquête ont reconnu qu'en débit d'une prise de conscience qui s'opère peu à peu, le milieu universitaire est traditionnellement et culturellement rétif à certaines des actions rendues nécessaires par la menace liée à la radicalisation et au risque terroriste .

• La diffusion de la culture de sécurité auprès de nos concitoyens et intérêts nationaux situés à l'étranger

La protection des ressortissants et intérêts nationaux à l'étranger est également une préoccupation majeure. C'est l'une des missions de l'ambassadeur chargé de la stratégie internationale de lutte contre le terrorisme . Notre pays est en effet confronté à une situation où ses ambassades, consulats, centres culturels, lycées et alliances françaises peuvent devenir des cibles directes, comme cela a été le cas à Ouagadougou, en mars 2018, ou collatérales, comme à Kaboul.

Dans ce contexte, les personnels des emprises consulaires et diplomatiques françaises sont formés aux questions de sécurité et aux conduites à tenir en cas d'attaque . La bonne réaction du personnel de l'ambassade française au Burkina Faso, en mars 2018, témoigne de l'importance de ces formations. En outre une sensibilisation et une information des Français résidents et des personnes de passage sont également réalisées.

Toutefois, la question des moyens alloués aux emprises diplomatiques est importante, notamment pour faire face à ces enjeux.

Or, la France dispose du troisième réseau diplomatique et consulaire, du premier réseau culturel avec près de 1 000 sites et du premier réseau scolaire au monde, avec 500 établissements scolaires.

Comme le souligne le rapport de MM. Bernard Cazeau et Ladislas Poniatowski 134 ( * ) - président et membre de votre commission d'enquête -, réalisé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, depuis dix ans, les représentations de la France à l'étranger, tant diplomatiques que consulaires ou culturelles, et les personnels qui y travaillent, ont ainsi fait l'objet de menaces ou de passages à l'acte.

Or, le plan de sécurisation de nos emprises à l'étranger lancé en 2008 pour une période de cinq ans n'a pas pu être mené à bien , à la fois en raison de la dégradation de la situation sécuritaire, mais également du fait d'un élargissement du nombre de lieux concernés. Comme l'indique ce rapport, « le plan de sécurisation a dû, à partir de 2014, inclure, en plus, la mise à niveau des instituts français, puis les campagnes d'audit de sûreté des Alliances françaises, des établissements scolaires et, in fine , de l'ensemble des implantations françaises à l'étranger. Le nombre de sites à auditer et à sécuriser avait ainsi augmenté de 238 % entre le début et la fin de programmation » .

Un nouveau « plan de sécurité 2017 » a été élaboré. Dans ce cadre, la nouvelle sous-direction de la sécurité diplomatique est désormais compétente en matière de sécurisation des réseaux internationaux. En outre, des moyens budgétaires et humains liés à la sécurité diplomatique ont été alloués. La programmation, sur trois ans, prévoit de réaliser chaque année un nombre de projets de sécurisation définis selon des critères combinant l'analyse des menaces, le niveau de sécurisation déjà existant du site et les préconisations à mettre en oeuvre en fonction du degré des menaces dans le pays.

En 2018, les crédits affectés aux dépenses de sécurisation de nos emprises atteignent 112 millions d'euros. Ils sont en cela en augmentation par rapport à 2017. Toutefois, votre commission d'enquête appelle à la bonne consommation de ces crédits. Ainsi, en 2017, l'exécution était de 10 millions d'euros inférieure au budget alloué.

Enfin, votre commission d'enquête souscrit à l'analyse de ses deux membres dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 et souhaite que la programmation de la sécurisation des postes prévue en 2018 permette d'éviter de fractionner les travaux de sécurisation grâce à une meilleure évaluation du besoin initial et de la menace . Les marchés de travaux nécessaires doivent être passés en une seule fois, garantissant la rapidité de l'exécution et la mise en sécurité des communautés et des intérêts français au juste prix.

• Les entreprises : une sensibilisation à renforcer

L'attentat de Saint-Quentin-Fallavier, le 26 juin 2015, démontre que les entreprises peuvent également être la cible d'attaques. Or, selon les personnes auditionnées par votre commission d'enquête, la sensibilisation dans ce secteur reste insuffisante.

En décembre 2015, la CPME et le SNES ont réalisé un document intitulé « mesures de prévention : attaques terroristes et entreprises » présentant dix points clés pour renforcer la prévention et la protection des entreprises, des salariés et des clients :

- Évaluer les risques et identifier les menaces et leurs probabilités

- Prendre en compte les questions de sécurité le plus en amont possible

- Intégrer la sensibilisation à la sécurité dans la culture de l'entreprise

- Assurer un bon entretien général des locaux

- Réduire ou maîtriser les points d'accès

- Installer des dispositifs appropriés de sécurité et de prévention. Combiner éventuellement moyens humains, physiques et technologiques

- Analyser les procédures de traitement du courrier

- Vérifier les identités et les références lors des recrutements et du recours à la sous-traitance

- Prendre les précautions nécessaires en matière de sécurité informatique et protéger les informations

- Élaborer, planifier et tester les plans de prévention.

Les chambres consulaires ont souvent diffusé les instructions du SGDSN auprès de ses membres, notamment les instructions pratiques à suivre en cas d'attaques terroristes.

Votre commission d'enquête salue l'initiative du SGDSN qui organise des dialogues nationaux de sécurité instaurés entre les pouvoirs publics et les représentants des unions, syndicats et fédérations professionnels par secteur d'activité économique, social ou culturel. Deux ont pour l'instant été organisés. Votre commission d'enquête estime qu'ils doivent être poursuivis. Ces derniers pourraient connaître des déclinaisons locales autour du préfet et des chambres consulaires afin de répondre aux besoins et questions que se posent les entreprises sur le territoire.

Le nouveau plan national de prévention de la radicalisation contient quatre mesures concernant les entreprises :

- amplifier, en lien avec l'État, la sensibilisation des entreprises, des fédérations professionnelles et des réseaux consulaires, avec la création d'une mallette pédagogique spécifique, afin d'uniformiser l'offre de formation sur le repérage des situations à risques, les modalités de signalement aux pouvoirs publics, et les conditions de leur prise en charge dans le fonctionnement de l'entreprise ;

- au niveau local, organiser le signalement de situations de radicalisation en vue de leur évaluation dans le cadre des groupes d'évaluation départementaux (GED) et d'une éventuelle prise en charge au sein des cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CEPRAF) ;

- renforcer l'articulation entre les préfectures et les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) sur le thème de la radicalisation, en systématisant la nomination d'un référent pour la prévention de la radicalisation dans les DIRECCTE et en accentuant la mobilisation des DIRECCTE pour appuyer la prise en charge au sein des CPRAF ;

- sensibiliser les partenaires sociaux réunis au sein de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC), avec une régularité annuelle, de façon à avancer dans la prévention de la radicalisation en entreprise en associant organisations syndicales et organisations patronales, auxquels se joindraient en tant que de besoin les services de l'État chargés de la prévention de la radicalisation (SG-CIPDR et ministère de l'intérieur).

Deux types d'entreprises appellent une attention supplémentaire. Il s'agit de celles accueillant du public et de celles présentant un risque métier (transports publics, centrales nucléaires, etc.).

Pour les premières, le SGDSN a publié plusieurs guides pratiques sur la conduite à tenir en cas d'attaques : p our les équipes de direction des centres commerciaux, pour les équipes de direction des espaces commerciaux, pour le personnel des espaces commerciaux, à destination des dirigeants de salles de spectacle, de cinémas ou de cirques, etc. Ces guides viennent en complément des procédures et consignes mises en place dans les entreprises. L'objectif est de sensibiliser les équipes, de leur fournir des indications concrètes et utiles pour les préparer et réagir au mieux avant même l'arrivée des forces de l'ordre et durant leur intervention.

Votre commission d'enquête fait le constat que des très nombreuses entreprises accueillant du public font très souvent appel à des sociétés privées de sécurité , notamment pour les vérifications aux entrées et sorties de ces lieux. Or, ces dernières ne sont pas forcément bien faites. La Cour des comptes dans son rapport public de février 2018 135 ( * ) pointait les faiblesses de ce secteur. Elle indiquait notamment que, du fait de l'atomisation du secteur, « le marché des activités privées de sécurité connaît une concurrence sévère et des prix bas, particulièrement dans le domaine de la surveillance humaine où le critère du coût horaire est souvent le seul pris en compte par les donneurs d'ordre, au détriment de la qualité du service ». Dès lors, les niveaux des prestations fournies par les entreprises privées de sécurité présentent une grande hétérogénéité.

Certes, votre commission d'enquête note que la formation initiale des agents a été récemment renforcée et complétée par un module spécifique relatif à la prévention de la menace terroriste. En outre, une formation continue obligatoire a été instituée en 2017. Elle souhaite que des contrôles effectifs sur le contenu et la réalisation de ces formations soient organisés par le conseil national des activités privées de sécurité, établissement public créé en 2012. Elle souscrit au projet évoqué par la Cour des comptes de mise en place d'un certificat de qualification professionnelle de surveillance de sites sensibles.

2. Prévenir la radicalisation, volet indispensable de la lutte anti-terroriste

Agir contre le terrorisme requiert aussi une politique déterminée de prévention de la radicalisation, notamment de la radicalisation violente. On constate une prise de conscience de la part de l'État en la matière. Ainsi, depuis le 29 avril 2014, les compétences du Comité interministériel de prévention de la délinquance ont été élargies à la prévention de la radicalisation. La prévention de la radicalisation s'inscrit dans une démarche transversale et le Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) joue un rôle d'impulsion et de coordination des politiques.

LE COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE LA PRÉVENTION
DE LA DÉLINQUANCE ET DE LA RADICALISATION

Le Comité interministériel de la prévention de la délinquance, devenu depuis le décret n°2016-553 du 6 mai 2016 Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), est présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre de l'intérieur et est composé des principaux ministres intéressés par la lutte contre la délinquance et la radicalisation : intérieur, justice, Europe et affaires étrangères, éducation nationale, enseignement supérieur et recherche, armées, santé et solidarités, droits des femmes, travail, logement, transports, cohésion des territoires, sport et outre-mer.

Le Secrétariat général du CIPDR coordonne les actions des ministères et l'utilisation des moyens budgétaires dédiés à la politique de prévention de la délinquance, de la radicalisation, et de l'aide aux victimes. Il est également en charge de la mise en oeuvre puis de l'évaluation des plans de prévention de la radicalisation . C'est notamment le cas pour le dernier plan national de prévention de la radicalisation, présenté le 23 février dernier.

Les effectifs du CIPDR ont connu un renforcement significatif, passant de 8 cadres A en 2016, à 24 cadres A en avril 2018.

En 2016, 22,5 millions d'euros du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ont été consacrés au financement de la prévention de la radicalisation, ce dernier profitant d'un abondement de 5 millions d'euros. 12 millions d'euros concernent des actions de sécurisation et 10,4 millions d'euros des actions de formation, de sensibilisation ou de prise en charge des personnes radicalisées et de leur entourage.

Source : Secrétariat général du CIPDR.

a) Une succession de plans de prévention de la radicalisation au succès mitigé

• Le plan de lutte anti-terroriste du 29 avril 2014

Le plan de lutte anti-terroriste du 29 avril 2014 est lancé dans un contexte d'inquiétude croissante face à l'augmentation du nombre de départ de Français vers la Syrie . Comme le rappelle une circulaire du 29 avril 2014 relative à la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles 136 ( * ) , ce plan vise principalement « à démanteler les filières, empêcher les déplacements générateurs de menaces, à lutter contre la diffusion de contenus illicites sur les réseaux, à coopérer plus efficacement au plan international », mais également à prendre en compte « la solitude et le désarroi des familles ».

Ce plan comportait 22 mesures, complétées après les attentats de 2015.

Dans ce cadre, un numéro national d'appel téléphonique d'assistance et d'orientation est mis en place, afin de signaler des situations inquiétantes. Au 31 décembre 2015, la plate-forme téléphonique a reçu 4 416 signalements par les familles, auxquels s'ajoutent 4 301 signalements provenant des préfectures, concernant au total 7 947 personnes.

Si l'information est centralisée au sein de cette plateforme, le choix a été fait d'avoir un traitement déconcentré des dossiers . Dès lors, la plateforme d'appel prévient le préfet compétent.

Le plan complété du 29 avril 2014 a mis en place trois principaux dispositifs :

1. Les cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles

Des cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CEPRAF) ont été mises en place dans chaque préfecture.

Elles associent les services de l'État, ceux des collectivités territoriales et certaines associations. Les préfets ont une double mission à ce titre :

- organiser la détection et l'évaluation de la dangerosité de personnes radicalisées ou en voie de radicalisation ;

- organiser leur prise en charge et celle de leur famille par la cellule de suivi.

Si l'ensemble des départements se sont dotés d'une cellule de suivi fin 2015, leur fonctionnement est très inégal . Ainsi, certains départements distinguaient clairement la partie détection et évaluation de la dangerosité, de celle de l'accompagnement social . En outre, comme le souligne le rapport de suivi de la politique de prévention de la délinquance et de la radicalisation pour l'année 2015 137 ( * ) , une certaine confusion existait quant aux rôles et aux responsabilités de chaque acteur. Si plusieurs circulaires successives ont été publiées afin de mettre en place « un dispositif cohérent et efficace », « la multiplicité des instructions a parfois généré des incompréhension s ». En outre, « le référent de parcours, qui doit permettre un accompagnement proactif et une meilleure coordination des ressources locales n'a pas été systématiquement désigné », cette dénomination étant « interprétée librement et de nombreuses préfectures confondent les membres de la cellule et les référents de parcours ».

Fin 2015, soit plus d'un an après la décision de mettre en place ces cellules, le rapport de suivi précédemment mentionné estime que 63 préfectures ont des cellules de suivi permettant une réelle prise en charge telles que prévues par la circulaire d'avril 2014, et que 38 préfectures ont amorcé un début de prise en charge. Il conclut : « Si le dispositif de prévention de la radicalisation a bien été déployé en 2015, il reste à en accroître l'efficacité ».

Malheureusement, et bien que l'article D. 132-2 du code de la sécurité intérieure prévoit la remise d'un rapport au Parlement chaque année, celui pour 2016 n'a pas été publié. Interrogé, le Secrétariat général du CIPDR a indiqué qu'il a été fusionné ave c celui pour 2017 « pour faire le point de l'état des dispositifs mis en oeuvre avant le nouveau plan de prévention de la radicalisation Prévenir pour protéger et serait « en cours ». Alors que les politiques de prévention de la radicalisation ont connu un essor important depuis 2015, il est regrettable que les dernières informations mises à disposition remontent à décembre 2015, soit il y a plus de deux ans.

Lors de son déplacement à Lyon, une délégation de votre commission d'enquête a pu s'entretenir avec les acteurs de la CEPRAF et du groupe d'évaluation départementaux (GED) 138 ( * ) . Les interlocuteurs rencontrés ont expliqué que l'intérêt de ce système, par rapport à celui d'un guichet unique, se trouve dans la multiplicité des réceptacles de l'information : le renseignement territorial, les maires, etc. Toutes ces informations sont ensuite évaluées par la préfecture, puis tout est « reversé » entre les membres de la cellule dans le cadre du « secret partagé ». La coopération entre les acteurs est très bonne. Ainsi, sauf risque d'entrave à une enquête en cours, les services de renseignement partagent leurs dossiers. Il en est de même pour le conseil départemental.

LA CELLULE DÉPARTEMENTALE DE SUIVI POUR LA PRÉVENTION
DE LA RADICALISATION ET L'ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES :
L'EXEMPLE DE LA CEPRAF DE L'AIN

Participent à la CEPRAF les services de la préfecture, les services des renseignements, un représentant du groupement de gendarmerie un représentant de l'aide aux victimes et médiations, ainsi que des représentants du conseil départemental de l'Ain, de la direction départementale de la cohésion sociale, de l'agence régionale de santé, de la direction des services départementaux de l'éducation nationale ; du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), de la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse, de la caisse d'allocations familiales et des missions locales.

Le rythme de réunions varie en fonction des départements. La CEPRAF de l'Ain se réunit de manière bimestrielle : elle peut néanmoins être convoquée en cas d'urgence, notamment en cas de retour imminent d'un mineur.

Lors de ces réunions, la CEPRAF étudie les dossiers de personnes - situation personnelle et familiale, évolution, insertion dans la société (emploi, déscolarisation, etc.) - et propose des mesures de prise en charge, comme un suivi psychologique par exemple.

Lors de cette rencontre et face à la sensibilité des informations discutées dans ces réunions, il paraît évident à la commission d'enquête que la notion de secret partagé est plus que jamais d'actualité . C'est notamment le cas pour la transmission aux maires des personnes fichées S sur le territoire de leur collectivité annoncé par le Gouvernement, et que votre commission d'enquête approuve. Toutefois, celle-ci appelle à la responsabilité de chacun dans le respect de la sensibilité des informations portées à connaissance. Lors de son déplacement à Lyon, le préfet a ainsi indiqué avoir été confronté à de tels problèmes. Dès lors, certains intervenants n'étaient plus invités en raison de la difficulté d'assurer la confidentialité des informations confiées. Lors de son déplacement en Belgique, il a été indiqué à votre commission d'enquête que les bourgmestres - compétents en matière de police et de sécurité - étaient destinataires de la liste des noms des individus radicalisés établie par les services de renseignement avec des garanties en termes de confidentialité, de manière à faciliter la circulation des informations et à coordonner les actions décidées. Cette procédure est encadrée par une circulaire ministérielle et une instruction du Conseil supérieur de la magistrature.

Selon les informations transmises à votre commission d'enquête, au 28 février 2018, les CEPRAF déclarent avoir pris en charge plus de 6 000 personnes signalées pour des faits de radicalisation, et avoir accompagné plus de 2 000 familles. Aujourd'hui, elles suivent encore 2 600 personnes radicalisées et plus de 700 familles.

LA PRÉVENTION DE LA RADICALISATION À BRUXELLES

L'association BRAVVO a été créée en 2014 par la ville de Bruxelles. Son organisation est pluridisciplinaire. Avec plus de 300 travailleurs sociaux, elle intervient en matière de prévention, mais aussi de lutte contre l'insécurité et de renforcement du sentiment de cohésion nationale.

Dès 2012, Bruxelles a été désignée ville pilote pour prévenir la radicalisation en lien avec le ministère fédéral de l'intérieur. En 2013, à la suite des premiers départs sur zone, une étude a été réalisée sur ce phénomène, ses causes et ses conséquences sur les familles et les quartiers. Or, cette étude montre que celui-ci est bien plus important qu'imaginé à l'origine et qu'il traduit une rupture avec la société belge et ses valeurs.

À la même époque, a lieu l'attentat au Musée juif de Bruxelles, dont l'auteur est un revenant de Syrie et aussi le premier à commettre un attentat de nature djihadiste sur le territoire européen.

En 2014, le dispositif BRAVVO est créé et institutionnalisé, en concertation avec les différents niveaux de pouvoir belges (État, communauté wallonne, région de Bruxelles-Capitale).

BRAVVO a pour objectif de coordonner la politique de prévention de la radicalisation de la ville de Bruxelles. BRAVVO est chef de projet de la cellule de sécurité intégrée (CSIL), premier niveau du dispositif, qui réunit les différents acteurs, sous la présidence du bourgmestre. Il s'agit de gérer le risque psycho-social et de sécurité associé aux individus en voie de radicalisation, radicalisés ou condamnées pour terrorisme, avec un objectif de prévention à moyen et long termes de la radicalisation violente dans les quartiers touchés. Cette action permet, grâce à un maillage territorial, de coordonner les actions et d'échanger des informations entre les différents acteurs, y compris avec le pouvoir judiciaire.

La cellule de prévention de la radicalisation, dite Pre-Rad, constitue le deuxième niveau du dispositif. Il s'agit d'une cellule spécialisée et transversale qui met en oeuvre une approche pluridisciplinaire. Elle emploie quatre personnes à temps plein (juriste, politologue, assistante sociale et sociologue) et travaille avec un large réseau de partenaires. Elle actualise les connaissances sur le sujet et met au point des outils d'analyse (par exemple sur les mécanismes qui conduisent à l'extrémisme violent ou sur l'évolution du phénomène de la radicalisation). Elle apporte également un soutien aux professionnels sur la gestion collective du risque, les modalités d'intervention directe et indirecte ou encore l'application du secret professionnel.

La cellule Pre-Rad intervient à plusieurs niveaux. La prévention primaire vise à donner une information claire, factuelle et neutre destinée à sensibiliser le public et le secteur associatif. La prévention secondaire est davantage ciblée sur les publics vulnérables, comme les jeunes de 12 à 18 ans et leurs familles, et cherche aussi à mieux former les professionnels et à mettre au point des outils et des projets de soutien. La prévention tertiaire est axée sur l'analyse et la gestion des inquiétudes en cas de difficultés.

La circulaire du 29 avril 2014 préconisait de réunir l'ensemble des services de l'État et « des acteurs concernés pour recenser avec eux les moyens susceptibles d'être mobilisés pour cette prise en charge individualisée ». Interrogé par votre commission d'enquête, le Secrétariat général du CIPDR a indiqué que chaque préfecture avait procédé à ce recensement, en s'appuyant notamment sur les agences régionales de santé (ARS) pour la mobilisation des professionnels de psychiatrie et de psychologie . À titre d'exemple, comme l'a indiqué le psychiatre Serge Hefez à la commission d'enquête, l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris suit, à la demande de la préfecture de police, et depuis plusieurs années, des mineurs ou de jeunes majeurs radicalisés qui ont été signalés soit par le numéro vert, soit par les commissariats. Toutefois, pour les départements ayant peu de moyens, il est encore nécessaire de mutualiser les moyens avec les départements limitrophes .

Votre commission d'enquête s'est procurée une circulaire récente et non publique, conjointe du ministre de l'intérieur et de la ministre des solidarités et de la santé, à la suite du constat d'un faible nombre d'accords-cadres signés entre les préfectures et les autorités régionales de santé. Elle demande notamment de procéder dans un délai très rapide à la conclusion de ces accords-cadres afin de renforcer le travail partenarial entre les préfets, les directeurs généraux d'agences régionale de santé et les professionnels de santé mentale, psychiatres et psychologues.

2. Les équipes mobiles d'intervention

En janvier 2015, l'État a décidé de mettre en place une équipe mobile d'intervention afin d'appuyer l'action des préfectures. Après appel d'offres, cette action a été confiée au centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI). Le contrat indiquait un objectif de désengagement de 150 individus. Le Secrétariat général du CIPDR a indiqué à votre commission d'enquête, que le CPDSI était intervenu dans 43 préfectures auprès de 285 jeunes, que ce soit directement en l'absence de structures locales de prise en charge, ou en appui logistique aux structures existantes. Il a été mis fin à ce marché avant son terme au 30 juin 2017 , le nombre de demandes de prise en charge ayant fortement diminué (35 situations).

La fin des équipes mobiles d'intervention témoigne de la part des préfectures de la reconnaissance d'une montée en compétences des structures locales de prise en charge . Elles estiment ainsi que ces dernières sont suffisamment structurées et disposent en interne des moyens pour suivre les personnes en voie de radicalisation.

3. La définition d'un réseau de professionnels et d'associations fiables pour la prise en charge des personnes radicalisées

La prise en charge de personnes en voie de radicalisation nécessite des compétences particulières . Or, l'expérience a montré qu'un certain nombre de personnes et d'associations ne disposait pas des compétences requises pour accompagner les personnes en voie de radicalisation ou radicalisées. Le rapport d'information de nos collègues Catherine Troendlé et Esther Benbassa a d'ailleurs souligné l' échec des programmes de « déradicalisation » , que ce soit dans le choix par l'État des associations chargées d'intervenir ou le fonctionnement du centre de déradicalisation de Pontourny 139 ( * ) . Il préconisait notamment d'améliorer la sélection des intervenants associatifs sollicités par les pouvoirs publics et de concentrer les efforts en faveur d'une plus grande individualisation des prises en charge.

La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme 140 ( * ) a renforcé les conditions d'octroi de subventions à ces instances. Les actions entreprises doivent remplir les conditions fixées par un cahier de charge . Celui-ci a été publié le 7 avril dernier 141 ( * ) . Sont notamment exigées des équipes de dirigeants et de personnels qualifiés pour mener des actions de prévention de la radicalisation, notamment en fonction de la nature des actions « des compétences et expériences en matière de prise en charge de publics vulnérables, en difficulté, en particulier concernant les mineurs, mais également en matière de soutien à la parentalité et/ou d'aide aux victimes ». Les personnels de ces associations doivent avoir suivi une formation spécifique sur le phénomène de radicalisation. L'association doit en outre accepter le fonctionnement de la CEPRAF et accepter le principe même de l'évaluation. Des critères spécifiques propres aux types d'actions menées sont également définis.

En outre, l'octroi de ces subventions est subordonné à la conclusion d'une convention , à la production d'un compte rendu financier ainsi qu'au dépôt et à la publication de ces documents.

Ce cahier des charges constitue un premier encadrement de ces structures qu'il faut saluer. Il devrait permettre de répondre au besoin exprimé il y a maintenant deux ans par le rapport sur les politiques de prévention de la délinquance et de la radicalisation précédemment cité d'un « répertoire d'associations et des structures fiables dans ce domaine ».

• Le plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme du 9 mai 2016

Le Gouvernement a fait le constat de la nécessité de prolonger et d'amplifier les actions entreprises dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste « en l'adaptant aux dernières évolutions de la menace et en couvrant un spectre d'acteurs et de domaines d'intervention plus large encore » 142 ( * ) . Par ce plan, « le Gouvernement entend en effet apporter une réponse globale au phénomène de radicalisation violente, en considérant que celui-ci rend possible le terrorisme, par les moyens humains, financiers et matériels qu'il lui apporte directement, ou indirectement ».

80 mesures, dont 50 mesures nouvelles, sont prévues et s'articulent en sept axes :

- détecter les trajectoires de radicalisation et les filières terroristes le plus tôt possible ;

- surveiller, entraver et neutraliser les filières terroristes ;

- combattre le terrorisme dans ses réseaux internationaux et dans ses sanctuaires ;

- densifier les dispositifs de prévention de la radicalisation pour assurer une prise en charge individualisée des publics ; - développer la recherche appliquée en matière de contre-discours et mobiliser l'islam de  France ;

- mieux protéger les sites et les réseaux vulnérables ; - savoir réagir à toute attaque terroriste et manifester la résilience de la Nation.

Dans le cadre de ce plan, une association plus large des acteurs a été réalisée, notamment celle des collectivités territoriales .

LES COLLECTIVITÉS LOCALES, NOUVEAUX ACTEURS
DE LA PRÉVENTION DE LA RADICALISATION

Plusieurs villes ont inscrit un plan d'action contre la radicalisation dans l'annexe des contrats de ville. En outre, des volets prévention de la radicalisation ont également été déployés dans le cadre des plans des comités locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance. L'État a ainsi signé des conventions avec les associations d'élus - Association des maires de France, France urbaine, Villes et banlieues de France, en mai 2016. Ces conventions visent notamment « à renforcer le partenariat entre les collectivités territoriales et l'État pour que les politiques locales des collectivités territoriales puissent intervenir en complémentarité de l'action engagée par l'État ».

La convention avec l'Association des maires de France prévoit également que, « avec l'accord du procureur de la République, le préfet peut informer le maire des situations de radicalisation concernant le territoire de sa commune ». D'autre part, « les maires peuvent proposer au préfet un accompagnement de certaines personnes en voie de radicalisation et conduire des actions dans le cadre des dispositifs communaux ou intercommunaux ».

Les élus locaux, et notamment les maires, sont incités à diffuser le numéro vert de signalement de personnes radicalisées. Enfin, des actions de formations des élus locaux et des personnels sont prévues. Ces derniers pourront bénéficier des formations dispensées par le Secrétariat général du CIPDR.

Afin d'aider les acteurs de terrain, la circulaire du Premier ministre du 13 mai 2016 a diffusé un guide interministériel de prévention de la radicalisation. Il présentait notamment les modes de détection et de signalement , mais aussi les démarches à suivre en matière de coordination et d'animation territoriales . En outre, une cellule nationale de coordination et d'appui de l'action territoriale de prévention de la radicalisation a été mise en place en décembre 2016. Elle doit notamment répondre à tous les besoins portant sur la prévention de la radicalisation.

Une actualisation des indicateurs de basculement dans la radicalisation a été diffusée en mars 2017 à l'ensemble des préfets, mettant notamment en lumière l'existence de signaux faibles.

De manière générale, le Secrétariat général du CIPDR a indiqué à votre commission d'enquête que près de 25 000 professionnels avaient été formés à la prévention de la radicalisation, dans le cadre des sessions nationales qu'il organise, de celles des préfectures, ou des séminaires où il est intervenu.

b) Le nouveau plan national de prévention de la radicalisation annoncé le 23 février 2018

Présenté à Lille par le Premier ministre, en présence de dix ministres, et constitué de 60 mesures , il vise à réorienter la politique de la prévention de la radicalisation suivant cinq axes :

- prémunir les esprits face à la radicalisation ;

- compléter le maillage détection/prévention ;

- comprendre et anticiper l'évolution de la radicalisation ;

- professionnaliser les acteurs locaux et évaluer leurs pratiques ;

- adapter le désengagement.

Ce plan, qui doit permettre de lutter contre la progression de ce que le Président de la République a appelé « l'hydre islamiste » 143 ( * ) , se veut comme une réponse aux attentes recueillies grâce à des échanges avec les élus locaux, les universitaires, la société civile, mais aussi avec les partenaires étrangers. Il est naturellement encore trop tôt pour procéder à une évaluation de ce plan. On peut toutefois noter la nouvelle priorité que constitue le premier axe (prémunir les esprits face à la radicalisation) et le changement de vocable pour le dernier : on ne parle désormais plus de « déradicalisation », mais de désengagement . Comme l'ont indiqué plusieurs personnes auditionnées, le but est désormais qu'une personne radicalisée renonce à la violence et réintègre la société.

Votre commission d'enquête salue la reprise de plusieurs propositions du rapport d'information de MM. Luc Carvounas et Jean-Marie Bockel, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, sur le rôle des collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation 144 ( * ) . Celui-ci préconisait notamment de renforcer la coopération entre l'État et les collectivités territoriales afin d'améliorer leur information réciproque et de permettre la mise en place d'un travail partenarial équilibré.

• L'école, première priorité

Ce plan met l'accent sur trois domaines .

L'école constitue une priorité majeure. Ainsi, 10 mesures sur les 60 lui sont consacrées, articulées autour de thèmes principaux : armer l'école et développer la défense des élèves, notamment par l'éducation aux médias et la formation au développement d'un esprit critique. À ce titre, on peut citer la loi du 13 avril 2018 145 ( * ) visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat, issue d'une proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel.

Un vade-mecum de la laïcité à l'école, validé par le conseil des sages de la laïcité 146 ( * ) , vient d'être diffusé, apportant des réponses juridiques précises et donnant des conseils d'action aux équipes éducatives. Il préconise notamment, en cas de contestation par un élève ou un parent du contenu d'un cours, de « savoir déconstruire l'argument d'un élève comme on le ferait de n'importe quelle objection, en instaurant un dialogue dans la classe ». En outre, le ministère de l'éducation nationale a annoncé vouloir « mettre à disposition de chaque professeur en France une adresse de saisine où on lui garantit une prise de contact du ministère dans les vingt-quatre heures en cas de signalement d'un problème relatif à la laïcité » 147 ( * ) .

LA RADICALISATION DES ÉLÈVES EN MILIEU SCOLAIRE

La détection des élèves en voie de radicalisation est assurée à partir des observations des personnels, par une cellule de veille au sein de chaque établissement scolaire . Très prochainement, l'application « Faits établissement » permettra de signaler des cas de prosélytisme. En application de la législation et sous le contrôle de la CNIL, les informations collectées respecteront l'obligation de l'anonymat des situations. Cette nouvelle fonctionnalité permettra toutefois d'avoir une cartographie précise des situations rencontrées.

Des référents « radicalisation » ont été désignés par les recteurs. Toutefois, plusieurs difficultés limitent leurs actions, notamment, le nombre important de déplacements, car les référents doivent consulter les dossiers sur place pour sécuriser les informations, la question de la sécurité des personnels et de la protection de leur anonymat dans les rapports et les procédures, le manque de fluidité dans la transmission d'informations, la lourdeur de la passation d'informations à chaque déménagement de la famille ou le changement d'établissement fréquenté par l'enfant. En outre, l'adhésion du jeune et de sa famille à la prise en charge reste une étape longue et difficile.

Depuis l'année scolaire 2015-2016 , 1 419 signalements de mineurs ont été opérés auprès de l'UCLAT, principalement pour des jeunes âgés de 17 ou 18 ans - même si 10 portaient sur des enfants âgés entre 3 et 5 ans. Le nombre de signalement est en baisse. Il a ainsi baissé de 40 % pour les jeunes âgés de 17 à 18 ans entre 2015-2016 et 2016-2017.

Le ministère de l'éducation nationale a mis en place des formations à la détection des signaux faibles depuis 2015 . Destinées dans un premier temps aux cadres, conseillers principaux d'éducation (CPE) et enseignants assurant dans les académies des formations, elles ont été en 2016-2017 destinées prioritairement aux chefs d'établissements, aux assistants sociaux et aux CPE. En 2017-2018, le public prioritaire est les enseignants.

Au 28 février 2018, les CEPRAF suivaient 1 094 mineurs , dont 77 mineurs de retour du théâtre d'opérations irako-syrien.

Source : Ministère de l'éducation nationale.

• Renforcer la prévention de la radicalisation dans des domaines «oubliés » par les précédents plans : l'université, le sport et les entreprises

Le deuxième axe consiste à diffuser des bonnes pratiques dans des domaines où la prévention de la radicalisation était en souffrance. À cet égard, on peut souligner le travail important réalisé par le précédent gouvernement pour sensibiliser les acteurs sociaux afin qu'ils signalent les signaux faibles qu'ils détectent.

Tel est le cas de l'université . En effet, en juillet 2017, moins de 100 étudiants, sur les 2,5 millions que compte le pays, étaient inscrits au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste. Pour les personnes interrogées, ce chiffre très modeste ne peut bien sûr s'expliquer par la seule faible présence de personnes radicalisées à l'université. Les précédents circulaires et guides interministériels relatifs à la prévention de la radicalisation n'évoquaient pas ou très peu l'enseignement supérieur . Selon les informations transmises, la plupart des responsables, qu'il s'agisse des présidents d'université ou des directeurs généraux des services s'estiment peu ou pas informés de la problématique de la radicalisation et ne connaissent pas précisément les modalités de remontée de l'information. De manière générale, ils se sentent mal à l'aise face à ce sujet, traitant souvent les situations au cas par cas.

Paradoxalement, les établissements qui s'organisent ne sont pas ceux les plus concernés par le phénomène.

En outre, un renforcement de la prévention de la radicalisation dans le milieu du sport est également prévu. Il s'agit notamment de « sensibiliser les cadres techniques des fédérations sportives, ainsi que ceux qui organisent des activités non instituées ». Il en est de même pour « les directeurs des sports des municipalités ». Une prévention de la radicalisation doit être « intégrée à la formation interfédérale des éducateurs sportifs et des formateurs des formateurs ». Des actions de contrôle administratif vont être développées et orientées vers les disciplines et les territoires concernés par la radicalisation. Enfin, dans chaque fédération sportive, un responsable de la citoyenneté va être institué, qui sera le point de contact auprès des forces de sécurité intérieure, ainsi que le relais auprès des autorités déconcentrées.

Prenant acte de l'échec du centre de réinsertion et de citoyenneté de Pontourny, basé sur le volontariat, le plan prévoit une évaluation de la radicalisation puis un suivi en milieu carcéral.

Enfin, le plan insiste sur la nécessité de mobiliser au-delà de l'État et des acteurs traditionnels. Plusieurs mesures concernent les entreprises (sensibilisation, formation, meilleure articulation entre les préfets et les directions régionales des entreprises, de la concurrence du travail et de l'emploi, sensibilisation des partenaires sociaux), les acteurs de l'Internet, afin de retirer au plus vite les contenus illicites.

Ce plan, qui se veut ambitieux, doit pouvoir disposer de moyens budgétaires suffisants. Or, dans le contexte budgétaire contraint actuel, il n'a pas bénéficié de moyens supplémentaires . Le Secrétariat général du CIPDR explique en effet que le plan ayant été annoncé par le Président de la République dès l'automne 2017, les ministères ont intégré dans leur programmation la prévention de la radicalisation . Votre commission d'enquête n'a pas pu vérifier cette affirmation. Elle appelle à la vigilance sur le niveau adéquat des moyens alloués à ce plan et souhaite disposer d'éléments budgétaires relatifs à cette politique transversale dans le cadre de l'examen du prochain projet de loi de finances.

• Plusieurs mesures ont été déjà prises

Les décrets n°2018-135 et 2018-141 du 27 février 2018 148 ( * ) précisent les conditions dans lesquelles un fonctionnaire de l'État ou un agent contractuel occupant des emplois participant à l'exercice de missions de souveraineté de l'État ou relevant de la sécurité ou de la défense peut être muté ou radié des cadres si le résultat de l'enquête administrative diligentée, et après procédure contradictoire, est incompatible avec l'emploi qu'il occupe . Cette disposition a été introduite par la loi précitée 30 octobre 2017. En effet, auparavant, une enquête administrative était réalisée au moment de l'affectation, de l'autorisation, de l'agrément ou de l'habilitation. Toutefois, aucune procédure ne permettait de s'assurer que le comportement de la personne n'avait pas changé par la suite. Ce dispositif s'applique également aux militaires .

Deux nouvelles structures, pour lesquelles le SGDSN a mené les travaux de concertation interministérielle, ont vu le jour : le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN) et le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS). Ces services sont chargés de réaliser les enquêtes respectivement dans le secteur nucléaire civil et dans le secteur des entreprises de transport public de personnes et de marchandises dangereuses. Selon les informations transmises à la commission d'enquête par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ces enquêtes ont notamment permis de recenser pour une grande entreprise de transport public une cinquantaine de candidats dont le comportement était incompatible avec les fonctions exercées. Le SGDSN travaille actuellement à la définition d'une doctrine interministérielle sur le déroulement et les suites de ces enquêtes administratives .

Votre commission d'enquête estime que ce dispositif pourrait utilement être élargi aux fonctionnaires et contractuels de droit public exerçant auprès de publics sensibles, notamment les enfants. Selon les informations transmises par le ministère de l'éducation nationale, plus de 120 signalements pour radicalisation ont été faits lors de l'année scolaire 2016-2017, la matérialité de certains faits signalés n'ayant toutefois pas été établie. Il souligne notamment qu'en l'état actuel du droit, seule une faute disciplinaire ou une infraction pénale d'une certaine gravité permet de diligenter une procédure disciplinaire et, le cas échéant, une suspension de fonction. Cet élargissement pourrait également concerner les intervenants dans le cadre du temps périscolaire, ou des actions menées par les collectivités territoriales.

Par ailleurs, la loi du 13 avril 2018 149 ( * ) visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat unifie les régimes de contrôle des établissements privés hors contrat et allonge le délai dont disposent le maire, l'autorité académique et le procureur de la République pour s'opposer à l'ouverture de l'établissement. En outre, les motifs d'opposition ont été modernisés , incluant désormais « l'intérêt de l'ordre public, ou la protection de l'enfance et de la jeunesse ». Enfin, la loi pose le principe d'un contrôle systématique dès la première année d'exercice de l'établissement . M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, a pris l'engagement devant le Sénat de mettre les moyens nécessaires pour parvenir à cet objectif 150 ( * ) . À cet effet, votre commission d'enquête estime qu' un corps dédié au contrôle des établissements privés hors contrat pourrait être créé. De manière générale, elle estime essentiel que ces moyens promis soient effectifs.

En outre, il lui paraît utile de pouvoir croiser les fichiers de l'éducation nationale avec ceux de la caisse nationale d'allocations familiales afin de s'assurer que tous les enfants sont bien scolarisés ou ont fait l'objet d'une déclaration d'instruction à domicile, pour pouvoir diligenter les contrôles prévus par la loi. En effet, comme l'a souligné le ministère de l'éducation nationale à votre commission d'enquête, la loi prévoit que des contrôles interviennent lors d'une instruction à domicile, dans les trois mois suivant le choix fait par les parents, puis une fois par an. Toutefois, pour qu'ils aient lieu, encore faut-il que le ministère de l'éducation nationale soit au courant de l'existence de ces enfants. Cela n'est pas évident, notamment lorsque l'enfant n'a jamais été scolarisé.

Les maires sont confrontés au même problème. En effet, en application de l'article L. 131-6 du code de l'éducation nationale, « chaque année, à la rentrée scolaire, le maire dresse la liste de tous les enfants résidant dans sa commune et qui sont soumis à l'obligation scolaire ». En cas de manquements à l'obligation d'inscription dans une école ou un établissement d'enseignement ou de déclaration d'instruction dans la famille prévue, il doit faire « connaître sans délai au directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie, les manquements » 151 ( * ) Or, bien souvent, et plus encore dans les communes de taille importante, les maires ne connaissent pas l'ensemble des familles résidant sur le territoire de la collectivité et sont dans l'incapacité de procéder à ce recensement exhaustif prévu par la loi, si les parents ou responsables des enfants ne se manifestent pas. Aussi, comme cela existe dans d'autres pays de l'Union européenne - ainsi que dans les deux départements d'Alsace et celui de la Moselle - depuis de nombreuses années, votre commission d'enquête se prononce en faveur de l'instauration d'une obligation de déclaration domiciliaire à la mairie de son domicile. La constitution d'un fichier domiciliaire permettrait aux maires d'avoir connaissance de l'ensemble des personnes, et notamment des enfants, résidant dans leur commune et, de ce fait , de vérifier que ces enfants reçoivent bien une instruction républicaine. Interrogé par votre commission d'enquête à ce sujet, le ministère de l'intérieur a indiqué travailler actuellement avec la CNIL sur de nombreuses demandes de fichiers afin d'avancer de manière sécurisée sur la réalisation de ces derniers. Votre commission d'enquête souhaite que le fichier domiciliaire soit intégré à ces réflexions afin de parvenir rapidement à sa mise en place en France.

ÉCOLES HORS CONTRAT ET INSTRUCTION À DOMICILE : DONNÉES CHIFFRÉES

En 2016-2017, le nombre d'enfants instruits dans leur famille était de 30 139, soit 0,36 % des enfants soumis à l'obligation scolaire. Il est toutefois en augmentation constante et a plus que doublé depuis l'année scolaire 2007-2008 , où 13 547 enfants instruits à domicile étaient décomptés. Le ministère de l'éducation nationale estime que 75 % de ces enfants ne bénéficient pas d'une inscription auprès d'un organisme d'enseignement à distance (type CNED). 14 000 enfants sont instruits dans leur famille en dehors d'une inscription au CNED, dont 8 500 (61 %) sont âgés de moins de 10 ans. Cela démontre le choix affirmé très tôt par les parents de soustraire leur enfant au système scolaire ordinaire. D'ailleurs 50 % des déclarations d'instruction dans la famille concernent des primo-inscriptions.

Concernant l'enseignement scolaire hors contrat, on dénombrait à la rentrée 2017 1 300 établissements scolaires privés hors contrat et 151 établissements privés sous contrat disposant de classes hors contrat. Les établissements confessionnels ou se rattachant à un réseau confessionnel sont minoritaires.

Le nombre de contrôles réalisés est en forte augmentation. Il était de 174 en 2013-2014 et 265 en 2016-2017. Il devrait être de 358 pour l'année scolaire 2017-2018. Toutefois, le contrôle prévu après cinq ans d'exercice n'a été effectué que dans un quart des établissements concernés. Lors de l'année 2016-2017, des manquements avaient été constatés dans près de 24 % des établissements contrôlés.

Source : Ministère de l'éducation nationale.


* 117 Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017.

* 118 Avis (n° 110 ; 2017-2018) de MM. Olivier Cadic et Rachel Mazuir, au nom de la commission des affaires étrangères, PLF pour 2018, Direction de l'action du Gouvernement : Coordination du travail gouvernemental.

* 119 Rapport (n° 110 ; 2017-2018), de M. Jean-Marie Bockel et Mme Christine Prunaud, au nom de la commission des affaires étrangères, avis budgétaire PLF 2018, Défense : préparation et emploi des forces.

* 120 Rapport d'information (n° 85 ; 2016-2017) de M. Dominique de Legge, au nom de la commission des affaires étrangères, Le financement des opérations extérieures : préserver durablement la capacité opérationnelle de nos armées .

* 121 Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

* 122 Instruction n° 230109/DEF/SGA/DRH-MD relative à l'exercice par des personnels civils de la défense d'activités dans la réserve opérationnelle.

* 123 Rapport d'information (n° 793 ; 2015-2016) de M. Jean-Marie Bockel et Mme Gisèle Jourda au nom de la commission des affaires étrangères, Garde nationale : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises .

* 124 Rapport d'information (n° 85 ; 2016-2017) de M. Dominique de Legge, au nom de la commission des affaires étrangères, Le financement des opérations extérieures : préserver durablement la capacité opérationnelle de nos armées .

* 125 Rapport (n° 476 ; 2017-2018) de M. Christian Cambon, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 126 Décret n°2016-1364 du 13 octobre 2016 relatif à la garde nationale.

* 127 Circulaire n°2015-206 du 25 novembre 2015 du ministre de l'intérieur et du ministre de l'éducation nationale relative aux mesures de sécurité dans les écoles et les établissements scolaires après les attentats du 13 novembre 2015.

* 128 Instruction du ministre de l'éducation nationale du 22 décembre 2015 relative à la protection des espaces scolaires et instruction du 29 juillet 2016 relative aux mesures de sécurité dans les écoles et les établissements scolaires à la rentrée scolaire 2016.

* 129 Instruction du ministre de l'éducation nationale du 29 juillet 2016 relative aux mesures de sécurité dans les écoles et les établissements scolaires à la rentrée scolaire 2016.

* 130 Rapport sur les procédures de gestion de crise et sécurisation des établissements d'enseignement face à la menace terroriste, l'Inspection générale de l'administration et l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, février 2017.

* 131 Comme le rappelle l'instruction n° MENE1528696C du 25 novembre 2015, l'article L. 721-1 du code de la sécurité intérieure « conduit les ministères chargés de la santé, de l'intérieur, de l'écologie et de l'éducation nationale à tout mettre en oeuvre pour permettre à la population d'acquérir des comportements adaptés à sa sûreté et à celle des autres. Les personnels de l'éducation nationale sont, dans le cadre de l'exercice de leur fonction, acteurs à part entière de la sécurité civile ».

* 132 Instruction n° INTK1623966J du 29 septembre 2016 relative aux subventions 2016 du FIPDR dédiées aux opérations de sécurisation des écoles et établissements scolaires.

* 133 Évalué entre 3 000 et 5 000 euros pour un site disposant déjà des réseaux de courants forts et faibles, auquel s'ajoute le coup de la maintenance et d'usage.

* 134 Rapport (n°110 ; 2017-2018) pour avis de MM. Bernard Cazeau et Ladislas Poniatowski au nom de la commission des affaires étrangères, PLF 2018, Action extérieure de l'État : Action de la France en Europe et dans le monde.

* 135 Rapport public annuel de la Cour des comptes, Les activités privées de sécurité : une contribution croissante à la sécurité publique, une régulation insuffisante , février 2018.

* 136 Circulaire du 29 avril 2014 INTK1405276C du ministre de l'intérieur relative à la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles

* 137 Politique de prévention de la délinquance et de la radicalisation : neuvième rapport au Parlement - Année 2015 ; octobre 2016.

* 138 Présentes dans chaque département, ces cellules évaluent les personnes signalées pour radicalisation et déterminent leur niveau de dangerosité. Sont notamment évoqués les suivis des signalements émanant des services de renseignement. Les situations individuelles nécessitant une intervention sociale sont évoquées dans les CEPRAF.

* 139 Rapport d'information (n° 633 ; 2016-2017) de Mmes Esther Benbassa et Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois, Les politiques de « déradicalisation » en France : changer de paradigme .

* 140 Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

* 141 Arrêté du 3 avril 2018 fixant le cahier des charges relatif aux actions initiées, définies et mises en oeuvre par les structures impliquées dans la prévention et la prise en charge de la radicalisation.

* 142 Dossier de presse de présentation du plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme du 9 mai 2016.

* 143 Discours du Président de la République à l'occasion de l'hommage national au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, le 23 mars 2018.

* 144 Rapport d'information (n° 483 ; 2016-2017) de MM. Jean-Marie Bockel et Luc Carvounas, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, Les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation .

* 145 Loi n°2018-266 du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.

* 146 Afin de fixer une doctrine sur la laïcité, le ministre de l'éducation nationale a instauré, au début de l'année 2018, un conseil des sages de la laïcité. Celui-ci est composé de 13 experts : journaliste, juriste, essayiste, professeur de philosophie, inspecteur de l'éducation nationale, islamologue, haut fonctionnaire, etc. Il est présidé par Mme Dominique Schnapper, sociologue et politologue, directrice à l'École des hautes études en sciences sociales, membre honoraire du Conseil constitutionnel.

* 147 Interview de M. Jean-Michel Blanquer, 29 mai 2018, L'Express .

* 148 Décret n° 2018-135 du 27 février 2018 portant application de l'article L 4139-15-1 du code de la défense et décret n° 2018-141 du 27 février 2018 portant application de l'article L 114-1 du code de la sécurité intérieure.

* 149 Loi n° 2018-266 du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.

* 150 Compte rendu des débats, Sénat, séance du 28 février 2018.

* 151 Article R. 131-4 du code de l'éducation nationale.

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