CONCLUSION

Au total, la démarche poursuivie dans ce rapport se veut dénuée de tout esprit partisan ou doctrinaire. Elle s'appuie sur des soubassements de nature plus sociologiques que philosophiques, autrement dit qui relèvent davantage d'observations (au sens clinique du mot) que d' a priori .

L'approche de l'histoire et de l'évolution des mentalités nous aura été utile : apparaît très tôt la prise de conscience du fait que le jeune n'est pas un adulte en miniature mais un être humain en devenir.

Il nous aura fallu réfléchir sur le rôle de la prison - protéger la société, punir ou réinsérer ? - et au-delà, sur le sens du châtiment qui « n'est pas d'inspirer l'effroi mais de rabaisser quelqu'un dans l'ordre social » selon la formule, certes discutable, de Nietzche.

À cet égard, le regard sur la société de Michel Foucault et de ses commentateurs reste incontournable. Surveiller et punir reste le point de départ de notre réflexion, avec le concept de société de contrôle que dissèque si bien Olivier Razac dans son ouvrage Avec Foucault, après Foucault. Ce dernier ouvrage porte un regard lucide sur le milieu ouvert dont les « nouvelles techniques représentent à la fois une menace et un progrès », nouvelles formes de « gouvernementalité » qui excluent tout « dehors » et finalement toute liberté ; il cite Gilles Deleuze pour qui « face aux formes prochaines de contrôle incessant en milieu ouvert, il se peut que les plus durs enfermements nous paraissent appartenir à un passé délicieux et bienveillant ».

Nous glissons là sur le terrain philosophique, de manière à rappeler la complexité du passage d'une société disciplinaire à une société de contrôle où la violence de la punition serait surtout virtuelle et ne s'exercerait plus que sur les individus asociaux, refusant le contrôle en milieu ouvert, lequel était censé servir à alléger les prisons : il n'en est rien puisque la population pénitentiaire a doublé en vingt-cinq ans et que les moyens alloués au milieu ouvert ont été multipliés par sept depuis 1975.

Cela signifie-t-il que notre société a évolué vers plus de délinquance ? Nous renvoyons à ce sujet à l'ouvrage de Laurent Mucchielli sur la S ociologie de la délinquance . Ainsi avons-nous cherché, dans ce rapport, à croiser l'expérience de terrain avec l'observation sociologique qui s'en nourrit, et la réflexion philosophique.

C'est avec beaucoup d'humilité que nous livrons ces quelques préconisations, convaincues que la solution « miracle » et monolithique n'existe pas. Nous sommes aussi bien conscients du fait que les réponses apportées par les professionnels de la justice, de l'éducation ou du médical, ne satisfont pas toujours l'opinion publique et qu'elles peuvent être remises en cause à l'occasion d'un fait divers pour lequel une réponse immédiate est attendue, quelle qu'en soit l'efficacité à long terme.

Si parmi ces préconisations nous utilisons le mot d'évaluation, c'est en étant attentifs aux limites et aux difficultés de l'exercice en la matière (l'évaluation des politiques publiques au sens où l'entend, par exemple, la Cour des comptes, ne saurait se réduire à une approche comptable ni même statistique).

Nous avons essayé de ne tomber ni dans un angélisme libertaire post soixante-huitard, ni dans une approche du tout répressif telle qu'on a pu la voir revenir au tournant des années 2000.

Relire puis réécrire l'ordonnance de 1945 nous paraît un point de départ indispensable et nous nous réjouissons de la mise en place, par la garde des Sceaux, d'un groupe de travail sur ce sujet : nous y participons, avec la présidente de la mission, avec assiduité.

Nous espérons de tout coeur que cette modeste contribution, éclairée par des acteurs de terrain et des chercheurs en sciences humaines, apportera sa pierre à l'édifice d'une justice à la fois plus humaine et plus efficace dans une société où chaque citoyen puisse se sentir libre, respecté et protégé.

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