N° 115

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 novembre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le retour à un taux réduit de TVA pour la filière équine ,

Par Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

INTRODUCTION

La Commission européenne envisage de modifier la « Directive TVA » (2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée) en ce qui concerne les taux de TVA et plus particulièrement les taux réduits. Cette initiative s'inscrit dans le cadre plus vaste de la réforme de la TVA telle qu'elle a été conçue sous la présidence Juncker en vue de la création d'un espace de TVA unique dans l'Union européenne.

En 1967, l'idée première était l'instauration d'un régime de TVA définitif qui fonctionnerait sur l'ensemble du territoire de la Communauté comme sur le territoire d'un seul pays avec l'application d'un taux normal de TVA. Les États membres étaient autorisés à appliquer un nombre illimité de taux de TVA réduits et majorés non encadrés.

L'abolition des frontières fiscales en 1992 a conduit à réexaminer le mode de taxation des échanges de biens au sein de la Communauté. L'objectif était que les biens soient taxés dans le pays d'origine pour refléter parfaitement l'idée d'un véritable marché intérieur. Comme les conditions politiques et techniques n'étaient pas encore réunies pour installer ce système, un régime transitoire de TVA a été mis en place. À partir de 1992, les États membres sont parvenus à un accord limitant leur pouvoir discrétionnaire en matière de fixation des taux de TVA. Les États membres étaient tenus d'appliquer un taux normal de TVA de 15 % ou plus et pouvaient appliquer un ou deux taux réduits d'au moins 5 % à certains biens et services spécifiques énumérés dans l'Annexe III de la directive TVA. Les États membres étaient autorisés, par voie de dérogation, à continuer d'appliquer des taux inférieurs ou nuls et à appliquer aussi un taux réduit à des biens et des services ne figurant pas sur la liste si ces taux étaient déjà en place au 1 er janvier 1991 (« clause de gel »).

Il s'agissait en effet de permettre une période de transition pour adapter les législations nationales et donc harmoniser les règles nécessaires à l'instauration d'un système de TVA définitif basé sur une imposition dans le pays d'origine. Par conséquent ces dérogations sur les taux réduits et nuls devaient expirer au moment du remplacement du régime transitoire par ce régime définitif de TVA.

En 2003, la Commission européenne a proposé de simplifier les règles sur les taux réduits de TVA en supprimant tous les taux réduits appliqués aux biens et aux services ne relevant pas du champ d'application de l'Annexe III déjà mentionnée, mais le Conseil s'y est opposé et les dérogations ont été maintenues.

En 2012, compte tenu de l'absence de progrès significatifs en matière de convergence des taux, la Commission européenne en accord avec le Conseil et le Parlement, a décidé d'abandonner l'objectif d'un système de TVA définitif fondé sur l'origine en faveur d'un système reposant sur le principe de destination.

Progressivement on a vu les biens et les services être taxés au lieu où le preneur a sa résidence et non plus où le fournisseur se trouve. Aussi la Commission a-t-elle proposé en 2016, dans son plan d'action et de réforme, de remplacer l'actuel régime transitoire de TVA par un régime reposant sur le principe d'imposition dans l'État membre de destination.

C'est à ce moment que la Commission européenne a annoncé également que l'imposition au lieu de destination permettrait d'accorder plus de souplesse aux États membres pour la fixation des taux de TVA et que tous les taux réduits en vigueur, y compris les dérogations, devraient être maintenus et que cette faculté pourrait bénéficier à tous les États membres. Naturellement cette flexibilité accrue se doit de respecter un « degré d'harmonisation suffisant dans l'Union européenne » et la solution adoptée doit être équilibrée de manière à éviter toute distorsion de la concurrence, toute hausse des coûts supportés par les entreprises et tout impact négatif sur le fonctionnement du marché unique, autant dire une prouesse d'équilibriste très difficile à exécuter.

En octobre 2017, la Commission européenne a lancé la réforme de la TVA et la proposition de directive envisage donc de modifier l'actuelle Directive TVA dans le domaine des taux réduits.

Dans le système de TVA définitif imaginé par la Commission, tous les États membres verraient leur marge de manoeuvre réduite par les mêmes règles et disposeraient de la même liberté en matière de fixation des taux. En matière de taux réduits coexisteraient deux taux réduits d'au moins 5 % et un autre taux réduit entre 0 et 5 %. Au lieu d'étendre la liste déjà longue des biens et services pouvant faire l'objet des taux réduits, l'Annexe III serait remplacée par une liste négative de biens et services ne pouvant en aucun cas bénéficier d'un taux réduit.

Selon la Commission européenne, grâce à cette proposition de directive, on tendrait vers une application du principe de neutralité fiscale.

À cette liberté nouvelle en matière de fixation des taux réduits, la proposition de directive apporte toutefois un cadre contraignant puisque les États membres seront tenus de veiller à ce que les taux réduits soient avantageux pour le consommateur final et que des taux réduits poursuivent un objectif d'intérêt général. En outre, les États membres devront veiller à ce que le taux moyen pondéré de TVA appliqué à l'ensemble des opérations pour lesquelles la TVA ne peut être déduite soit toujours supérieur à 12 %. Le taux moyen pondéré de TVA dans un État membre tient compte de tous les taux de TVA en vigueur et chaque taux est pondéré proportionnellement à la valeur des opérations auxquelles le taux s'applique sous la forme d'un pourcentage du total des opérations imposables. Le taux moyen pondéré fonctionne comme une garantie de recettes puisqu'il devrait être calculé en ne tenant compte que des opérations pour lesquelles la TVA ne peut pas être déduite. Il s'agit essentiellement des opérations effectuées en faveur du consommateur final, mais aussi en faveur de celles effectuées en faveur de secteurs de l'économie exonérés et notamment les organismes publics. En France, le taux moyen pondéré varie aujourd'hui autour de 14 %, ce qui semble offrir au Gouvernement une marge certaine.

C'est dans ce contexte que votre rapporteure chargée d'examiner cette proposition de directive s'est interrogée sur son application à la filière équine lourdement pénalisée depuis la condamnation de la France en 2012. Cette condamnation par la Cour de justice de l'Union européenne l'a contrainte à appliquer un taux normal de TVA aux activités de la filière équine laquelle bénéficiait jusqu'alors de taux réduits.

I. LES CONSÉQUENCES DU PASSAGE À UN TAUX NORMAL DE TVA POUR LA FILIÈRE ÉQUINE SE SONT AVÉRÉES DÉSASTREUSES ET LA FILIÈRE VOIT DANS LE PROJET DE DIRECTIVE L'OCCASION DE REVENIR SUR CETTE HAUSSE FISCALE

Lors de la procédure précontentieuse, la Cour de justice de l'Union européenne a signalé à la France que l'application d'un taux réduit de TVA aux opérations relatives aux chevaux lorsqu'ils ne sont pas normalement destinés à être utilisés dans la préparation de denrées alimentaires ou dans la production agricole constituait un manquement aux obligations qui découlent de la « Directive TVA » et en particulier de ses articles 96 à 99 et de son Annexe III.

La France a soutenu que le cheval était un animal normalement utilisé dans la production agricole ainsi que dans la préparation de denrées alimentaires et que le taux réduit de 2,10 % appliqué aux livraisons d'animaux vivants à des personnes non assujetties à la TVA était en vigueur au 1 er janvier 1991.

Peu convaincue par l'argumentation de la France, la Commission européenne a introduit un recours et en 2012, la France a été condamnée à renoncer au taux réduit pour la filière équine. La Cour s'est opposée à l'idée que l'élevage des chevaux puisse relever d'une activité agricole précisant qu'il s'agissait d'entendre par « activité agricole » une activité concourant à la production agricole, c'est-à-dire que le taux réduit devait être réservé aux seuls approvisionnements ou intrants agricoles. La Cour a donc écarté l'application d'un taux réduit à toute opération se rattachant à l'élevage des chevaux, jugeant cette interprétation de l'article 11 trop large (l'article 11 de l'Annexe III autorise le taux réduit pour la livraison de biens et les prestations de services d'un type destiné à être utilisés dans la production agricole).

La France a donc été contrainte de faire passer la quasi-totalité de la filière équine au taux normal de TVA.

A. UN SECTEUR ÉCONOMIQUE IMPORTANT MAIS SINISTRÉ

Toutes les recettes générées par le commerce des chevaux de course, de sport et de loisir, la pension et l'enseignement de l'équitation étaient avant 2012 taxées au taux réduit de 5,5 % et le sont depuis au taux normal (passé à 20 % en 2014). Or la filière représente un secteur économique qui, bien que non négligeable, reste fragile.

En 2016, ces recettes représentent un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros et elles engendrent 151 millions d'euros de recettes de TVA pour l'État puisque les 3/4 proviennent de clients non assujettis. Les 9,2 milliards d'euros d'enjeux des courses hippiques génèrent quant à eux seuls 862 millions d'euros de prélèvement en faveur de l'État.

Le secteur emploie 180 000 personnes dont 114 000 exercent des activités commerciales, d'élevage, d'entraînement ou d'enseignement de l'équitation ; 32 800 personnes sont salariées. Or la filière connaît un recul historique de ses activités : baisse de près d'un milliard d'euros des paris hippiques, réduction de la clientèle du secteur « courses » et diminution des activités sportives et de loisir, chute du nombre de chevaux élevés en France (moins 16 % depuis 2012).

La perte annuelle de chiffre d'affaires depuis 2012 est estimée à plus de 75 millions d'euros ; les mesures temporaires de compensation du passage du taux réduit au taux normal se sont élevées à 26 millions d'euros par an, mais n'ont pas été reconduites après 2017. 6 600 emplois dont 1 500 emplois salariés, ont été détruits à la suite du changement de taux de la TVA.

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