B. SAUVER LE TOURISME EN OUTRE-MER ET ACCOMPAGNER SA TRANSFORMATION VERS UN MODÈLE DURABLE

1. Un « cataclysme » pour le secteur touristique
a) Un secteur économique capital pour de nombreux territoires

S'il est variable selon les territoires, le poids du tourisme dans les économies ultramarines reste majeur .

Avec près de 3 millions de visiteurs par an , le tourisme occupe une place capitale dans les économies d'outre-mer et représente en moyenne 10 % du PIB des territoires d'outre-mer , dont dépendent plusieurs dizaines de milliers d'emplois directs et indirects. Selon l'IEDOM, les industries du tourisme représentent près de 3 300 établissements dans les outre-mer (hors entrepreneurs individuels et secteur non marchand) et emploient en moyenne 9,1 % des effectifs salariés du secteur marchand (contre une moyenne de 8,1 % en Hexagone) 73 ( * ) . L'hébergement-restauration en constitue la branche principale (la restauration représente 30 % des effectifs salariés du secteur, les transports 27 %, l'hôtellerie 20 %, les activités récréatives, culturelles et sportives 15 % et la location de véhicule 4 %).

Il existe néanmoins une grande diversité de situations entre les territoires.

Le tourisme constitue l'activité économique principale de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin . Ce secteur représente ainsi respectivement 37 % et 28 % des effectifs salariés du secteur marchand dans ces territoires. Le tourisme occupe également une place prépondérante dans l'économie polynésienne : l'industrie touristique polynésienne rassemble 2 820 entreprises (11 % du total en 2015), qui génèrent 15 % des chiffres d'affaires cumulés en Polynésie française.

Bien que plus modéré, le poids du tourisme reste important à La Réunion et aux Antilles . Le tourisme génère à La Réunion 1,2 milliard d'euros de recettes par an et représente 7 % du PIB. À la Martinique, 10 % des salariés du secteur marchand travaillent dans le secteur touristique. La Guadeloupe avait accueilli quant à elle en 2019 près de 800 000 touristes (dont 90 % d'hexagonaux) qui ont dépensé 800 millions d'euros 74 ( * ) .

En Nouvelle-Calédonie , le secteur du tourisme, bien qu'il constitue un axe de développement à fort potentiel, est encore relativement modeste avec un poids estimé à 4 % du PIB.

Enfin, le poids du secteur touristique reste encore limité et continue de se développer en Guyane, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna.

Les territoires diffèrent également selon l'origine de leur clientèle touristique. Si Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française ont des clientèles majoritairement nord-américaines (ce qui rend ces territoires très vulnérables à la fermeture des frontières suite à la crise), les autres territoires ont une clientèle davantage diversifiée.

Source IEDOM/IEOM

b) Un choc violent, tout particulièrement pour les territoires ouverts au tourisme international

Pour reprendre les mots de M. Jean-Pierre Philibert 75 ( * ) , président de la Fedom, la crise du Covid-19 constitue un véritable « cataclysme » pour le secteur touristique en outre-mer . L'application du confinement strict imposé par le gouvernement le 16 mars s'est traduite par un arrêt quasi total des activités touristiques dans les territoires ultramarins. Seule a été maintenue l'activité des hôtels mobilisés pour servir à l'hébergement des quatorzaines.

Les manques à gagner sont particulièrement importants. À La Réunion , ceux-ci devraient se chiffrer autour de 300 millions d'euros 76 ( * ) . Pour la Martinique , la perte de chiffre d'affaires est estimée à 100 millions d'euros 77 ( * ) .

Ce choc est très violent en outre-mer compte tenu de l'importance de ce secteur dans les économies ultramarines . Par ailleurs, la crise est intervenue en plein pic de la saison touristique pour des territoires comme les Antilles. La saison est d'ores et déjà gâchée dans cette région, qui est entrée après la fin du confinement dans une période cyclonique et donc de basse saison. À Saint-Martin, la crise touche par ailleurs un secteur déjà fragilisé et en pleine phase de reconstruction après l'ouragan Irma et les émeutes de 2019.

Le « cataclysme » risque d'être encore plus important pour les territoires comptant principalement sur la clientèle étrangère , comme Saint-Barthélemy ou la Polynésie française. Les interrogations sont nombreuses sur l'attitude future de la clientèle américaine. La gravité de la crise sanitaire aux États-Unis peut avoir deux conséquences opposées. Elle pourrait soit conduire ses habitants à rester chez eux et à délaisser le tourisme, soit au contraire inciter ceux-ci à voyager afin de se « réfugier » dans des lieux sécurisés. Le président du Comité du tourisme de Saint-Barthélemy se montre inquiet et estime que « sans retour rapide de la clientèle des États-Unis, l'économie s'effondrera » 78 ( * ) . De fortes incertitudes demeurent également sur l'attitude des touristes hexagonaux pour cet été, qui risquent d'être peu enclins à voyager loin de chez eux.

2. Favoriser la demande locale et le tourisme régional en attendant la reprise complète du tourisme international
a) Adapter le Plan tourisme et les campagnes de promotion aux réalités ultramarines

Pour faire face à la violence du choc pour le secteur touristique, le gouvernement a présenté le 14 mai 2020 un Plan tourisme au niveau national, doté de 18 milliards d'euros. Ce plan prolonge et assouplit plusieurs mesures d'aides économiques. Le fonds de solidarité reste ainsi ouvert jusqu'à la fin de l'année 2020 pour les cafés, hôtels et restaurants et entreprises des secteurs du tourisme, de l'événementiel, du sport et de la culture. Par ailleurs, les entreprises du tourisme et de l'événementiel pourront continuer de recourir à l'activité partielle jusqu'à la fin du mois de septembre 2020 . Enfin, un prêt garanti par l'État Saison (PGES) doit être mis en place pour les acteurs du tourisme et de l'hôtellerie. Alors que les PGE classiques sont limités à 25 % du chiffre d'affaires réalisé l'année précédente, le prêt Saison offre des conditions plus favorables en prenant en compte les trois meilleurs mois de l'année.

Si les professionnels du tourisme en outre-mer se félicitent de ces mesures, ils déplorent en revanche que le dispositif d'activité partielle ne soit pas prolongé au-delà d'octobre 2020 79 ( * ) . Surtout, les campagnes de communication prévues au niveau national ne sont pas adaptées à la situation des outre-mer . Ainsi, la campagne « Cet été, je visite la France » prévue par Atout France pour être déployée en France et en Europe n'a pas de sens pour un territoire comme la Nouvelle-Calédonie dont les vols sont suspendus jusqu'au 31 juillet 2020 à l'exception des vols de rapatriement et de fret soumis à autorisations 80 ( * ) .

La Polynésie française fait par ailleurs remarquer que le Japon et l'Allemagne continuent à classer le territoire en zone à risque (niveau 3) alors qu'elle n'a eu que 62 cas (aucun décès) et qu'elle n'a plus de cas confirmé depuis mi-mai 81 ( * ) .

Proposition n° 23 : Prévoir des campagnes de promotion touristique différenciées selon les territoires et leurs conditions sanitaires.

b) Solvabiliser la demande interne

Le tourisme local ne permettra pas de compenser intégralement les pertes de la crise . Il restera toujours insuffisant par rapport au tourisme international : le nombre de touristes locaux est beaucoup trop faible et sa capacité de dépense est bien moindre. Ainsi, avec une population de 6 000 habitants, le tourisme local reste limité à Saint-Pierre-et-Miquelon. Aussi, comme le résume M. Nicolas Vion, président du groupement hôtelier et touristique de la Guadeloupe (GHTG), « penser substituer au tourisme international actuel un nouveau modèle local tout en conservant le même apport financier apparait relever de l'utopie au sens sémantique du terme : le pays de nulle part » 82 ( * ) .

Néanmoins, favoriser la consommation locale pour aider le tourisme à traverser la crise doit constituer un axe majeur pour la relance de ce secteur. Pour ce faire, il est nécessaire de solvabiliser la demande interne , via notamment la distribution de « chèques-vacances ». Ce dispositif constitue à la fois une mesure de relance du pouvoir d'achat et une mesure de soutien en faveur du secteur touristique. Certaines régions ont déjà mis en place ces dispositifs, notamment la région de La Réunion (dotation de 15 millions d'euros), la région Provence Alpes Cotes d'Azur (dotation de 10 millions d'euros) ou la région Aquitaine (dotation de 5 millions d'euros).

Pour promouvoir le tourisme local, les Provinces en Nouvelle-Calédonie ont d'ailleurs dès la sortie du confinement mené des campagnes de communication en proposant des offres promotionnelles. Ainsi, si les mesures d'aides de l'État (fonds de solidarité, PGE...) permettent de répondre au besoin de soutien de la trésorerie des entreprises, celles-ci doivent être nécessairement accompagnées d'un plan de relance de la consommation .

Proposition n° 24 : Solvabiliser la demande intérieure en mettant en place ou en développant les dispositifs de chèques vacances.

c) Développer le tourisme régional et les accords de libre circulation entre territoires peu touchés par l'épidémie (« bulles covid free »)

S'il ne peut pas, lui non plus, compenser intégralement le tourisme international, le tourisme régional doit être favorisé . La crise doit être l'occasion de renforcer les échanges touristiques entre territoires d'un même bassin régional . Aujourd'hui, ces échanges peuvent se révéler très complexes. Comme le rappelle M. Patrick Serveaux, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) de La Réunion, « il est plus facile pour un Mauricien ou un Malgache de se rendre à Paris que de se rendre à Saint-Denis-de-La-Réunion » 83 ( * ) . De même, pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Mme Malika Halili, directrice du pôle tourisme de la collectivité, suggère que le « contexte local, avec Terre-Neuve-et-Labrador à une heure de traversée de l'archipel, territoire qui ne compte actuellement aucun cas, aurait pu être une opportunité économique d'un séjour proche et sécuritaire en ferries » 84 ( * ) .

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont été relativement peu touchés par le coronavirus (moins de 100 cas confirmés à elles deux). Wallis-et-Futuna a quant à lui été le seul territoire de la République à être totalement préservé du virus . Cette situation constitue un réel atout pour la reprise du tourisme international dans ces territoires. La mise en place de « bulles covid free », c'est à dire d'accords de libre circulation entre territoires peu touchés par le Covid-19 , permettrait de relancer, au niveau régional, le tourisme international tout en rassurant les populations locales. Sur ce modèle, l'Australie et la Nouvelle-Zélande entendent ainsi mettre en place une « bubble trans-tasman », à laquelle le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a annoncé vouloir participer.

La réouverture des frontières et la reprise du tourisme ne doivent évidemment pas mettre en péril la sécurité sanitaire des territoires . La vigilance doit être tout particulièrement maintenue pour les territoires aux populations vieillissantes comme aux Antilles ou aux populations à risque comme à Wallis-et-Futuna . M. Denis Ehrsam, directeur général de la chambre de commerce, d'industrie, des métiers et de l'agriculture (CCIMA) de Wallis-et-Futuna rappelle ainsi que « le risque accru de la population, son extrême sensibilité et celle des trois chefferies imposent que les relations ne peuvent être rétablies qu'avec des territoires dont l'état sanitaire est certain » 85 ( * ) .

Proposition n° 25 : Promouvoir un tourisme covid free en développant des bulles régionales entre territoires préservés de l'épidémie de Covid-19.

3. Vers un modèle de tourisme durable
a) Développer le tourisme qualitatif et diversifier les modes d'hébergement

Si la France est la première destination touristique mondiale en termes de fréquentation, elle n'est que la troisième destination en termes de recettes 86 ( * ) . D'importantes marges de progression sont donc possibles, en misant sur un tourisme de plus haut de gamme et en allongeant les durées moyennes de séjour des touristes.

La crise peut ainsi être une opportunité pour favoriser encore le développement d'un tourisme plus qualitatif et durable en outre-mer . Le préalable est cependant bien de sauver le secteur touristique en outre-mer. Mme Valérie Damaseau, présidente de l'office du tourisme de Saint-Martin, rappelle ainsi que « Pour nous Saint-Martinois, la perspective d'un tourisme « durable » est pour l'instant à prendre au sens premier du mot : l'objectif étant de faire en sorte qu'il existe encore un secteur touristique à Saint-Martin dans les mois et années à venir... » 87 ( * ) .

La rénovation du modèle touristique peut notamment passer par la diversification des modes d'hébergement . À la sortie du confinement, les gites et les établissements non professionnels ont enregistré un réel succès et ont été préférés aux hôtels. La crainte de se retrouver dans des hôtels au contact de nombreuses personnes et donc de risquer d'être contaminé explique probablement cette préférence. Les gîtes et villas sont des endroits clos où les vacanciers peuvent rester en famille.

Ainsi, à Saint-Barthélemy, sur les dix hôtels 5 étoiles dont dispose le territoire, deux seulement seront ouverts cet été. Inversement, l'ensemble des 850 villas de location dont dispose l'île sont disponibles 88 ( * ) .

Proposition n° 26 : Développer un tourisme qualitatif en outre-mer en diversifiant les modes d'hébergement.

b) Miser sur le tourisme écoresponsable et les atouts naturels et culturels des territoires

Le tourisme de masse n'a jamais été très développé en outre-mer. Les capacités touristiques commencent cependant à être saturées dans certains territoires , ce qui milite pour un développement d'un modèle plus qualitatif et davantage éco-responsable.

En Nouvelle-Calédonie, l'activité de croisières, basée trop souvent sur le quantitatif, semble ainsi atteindre ses limites. Pour Mme Julie Laronde, directrice générale de Nouvelle-Calédonie tourisme, « l'objectif est d'attirer des croisiéristes exclusifs via des compagnies de croisière de luxe type « Compagnie du Ponant » ou « Aurora Expédition », compagnies également très sensibilisés à la cause environnementale » 89 ( * ) . Le territoire a par ailleurs « de nombreux atouts pour développer un tourisme durable (biodiversité préservée, lagons inscrits à l'Unesco, pas de tourisme de masse, diversité culturelle ». L'environnement naturel constitue un facteur d'attraction touristique. La préservation de la biodiversité doit donc être un axe majeur de développement du secteur touristique via le soutien aux projets d'éco rénovation d'hôtels actuels ou encore via la labellisation verte et éco responsable des acteurs.

Il convient également de cibler le tourisme ultramarin sur les fondamentaux et les atouts des territoires . Ainsi, Saint-Martin présente le grand avantage d'être une île multilingue. Comme le rappelle Mme Valérie Damaseau, « Tout Saint-Martinois parle au moins deux langues : le français et l'anglais, et de plus en plus fréquemment une troisième langue avec l'espagnol. Et il ne faut pas oublier que l'espagnol est la première langue de la Caraïbe » 90 ( * ) . Saint-Martin entend donc capitaliser sur cet atout lors des futures campagnes de promotion, atout d'autant plus utile dans un contexte de nécessaire tourisme régional.

La Guyane présente quant à elle de nombreux atouts pour le développement d'un tourisme bleu . Fort d'une façade maritime de 400 km de long, de dizaines de fleuves sillonnant un territoire représentant 1/6 ème de l'Hexagone, le territoire de nombreuses richesses pour la promotion d'un tourisme nature. Davantage de moyens doivent être accordés à la Guyane pour réhabiliter et valoriser ce patrimoine immense.

Proposition n° 27 : Renforcer le tourisme écoresponsable en outre-mer et miser sur les atouts des territoires pour la relance du secteur.


* 73 IEDOM, Le tourisme outre-mer : Une mutation nécessaire, mars 2015.

* 74 Nicolas Vion, président du groupement hôtelier et touristique de la Guadeloupe (GHTG) -Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 75 Audition Fedom, 16 avril 2020.

* 76 Questionnaire La Réunion.

* 77 M. François Baltus-Languedoc, directeur général du Comité martiniquais du tourisme, Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 78 Questionnaire Nils Dufau, président du Comité du tourisme de Saint-Barthélemy - Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 79 Questionnaire Valérie Damaseau, président de l'office du tourisme de Saint-Martin, Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 80 https://gouv.nc/info-coronavirus-covid-19/infos-transports

* 81 Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 82 Questionnaire M. Nicolas Vion, président du groupement hôtelier et touristique de la Guadeloupe, Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 83 Table ronde Tourisme, 25 juin 2020.

* 84 Réponse au questionnaire -Table ronde tourisme, 25 juin 2020.

* 85 Réponse au questionnaire -Table ronde tourisme, 25 juin 2020.

* 86 Organisation mondiale du travail, 2018. La France, avec 67 milliards de dollars de recettes en 2018, se classe derrière les États-Unis (214 milliards de dollars) et l'Espagne (74 milliards de dollars).

* 87 Réponse au questionnaire -Table ronde tourisme, 25 juin.

* 88 Table ronde tourisme, M. Nils Dufau, président du Comité du tourisme de Saint-Barthélemy.

* 89 Réponse au questionnaire -Table ronde tourisme, 25 juin.

* 90 Ibid.

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